ᴜɴᴇ sᴏɪʀᴇ́ᴇ ᴍᴏᴜᴠᴇᴍᴇɴᴛᴇ́ᴇ
[1708 mots]
L'éclairage blafard des lampadaires bordant la ruelle perçait avec difficulté l'opaque pénombre nocturne, et laissait, à intervalles réguliers, des taches jaunâtres sur le trottoir luisant. Une fine bruine n'avait cessé de tomber depuis qu'elle avait fermé derrière elle la porte de la librairie. Elle eut bien du mal à croire que le printemps s'était installé depuis déjà deux semaines.
Un léger vent se leva, s'engouffrant dans ses vêtements et sa longue chevelure brune, il lui apporta par la même occasion l'odeur de la pluie qui approchait. Réprimant un frisson, la jeune femme resserra les pans de son ample trench-coat qui flottait autour de sa silhouette trop fine, et repoussa une mèche de ses cheveux.
Soudain, elle perçut quelque chose derrière elle. Cela ressemblait à des bruits de pas. Légers, mais inquiétants. Elle avait toujours été un peu parano sur les bords, et il fallait dire que la situation dans laquelle elle se trouvait à ce moment précis – seule, en une nuit pluvieuse – n'arrangeait guère les choses. Prenant une profonde inspiration de courage, elle osa un œil en arrière.
À un peu moins de dix mètres, se dressaient deux silhouettes sombres. Elles marchaient côte à côte, les mains dans les poches. Reportant son regard devant elle, la jeune femme tenta de refréner la peur panique qui commençait à la submerger et, accélérant un peu plus le pas, elle s'engouffra dans une petite allée faiblement éclairée. Des piétinements se firent alors entendre dans le sol humide. À présent, elle en était sûre : on la pistait. Son cœur se mit à battre à grands coups désordonnés, et elle ne put retenir plus longtemps la panique qui l'envahissait.
Elle se mit soudain à courir. Tenant son trench-coat fermé d'une main, elle pouvait sentir son cœur lui marteler violemment la poitrine. Il battait si fort qu'elle expirait sur la même cadence, par petites bouffées saccadées. Après d'interminables minutes, elle risqua un nouveau regard en arrière. Son rythme cardiaque redoubla de vigueur lorsqu'elle se rendit compte que ses poursuivants se trouvaient toujours à ses trousses, gagnant toujours un peu plus de terrain. Un sanglot d'angoisse s'échappant de sa gorge, elle accéléra l'allure de sa course. Ce n'était pas son corps qui lui en donnait la force, mais la peur d'être rattrapée par ces individus.
Enfin, au détour d'un virage, le débouché de la ruelle menant sur la grande rue passante se profila devant elle. Elle redoubla d'effort, convaincue qu'elle y trouverait sûrement la présence rassurante d'autres personnes noctambules. Seulement, rien ne se passa comme prévu...
Alors que ses bottines continuaient leur rythme effréné contre le bitume, une main apparut d'un interstice quasi-indiscernable entre deux immeubles, et vint sans ménagement se plaquer contre sa bouche, étouffant par là même son cri de stupeur. Très vite, un bras puissant se saisit du reste de son corps et l'entraîna rapidement dans la sombre gueule de l'interstice.
Stupéfaite, terrorisée, la jeune femme n'osait plus esquisser le moindre mouvement. Le sang dans ses veines semblait s'être épaissi et pulsait au bout de ses doigts, de son cou. Elle pouvait sentir les battements effrénés de son cœur faire palpiter ses tempes. Fermement maintenue contre sa bouche, la main de son ravisseur l'empêchait de reprendre haleine. Bientôt, son attention se porta sur des voix, celles de ses poursuivants :
— Bon sang, où elle a filé ‽ On a besoin d'elle si on veut le faire chanter.
— Elle a dû emprunter une autre ruelle ?
— Non, ça m'étonnerait. Elle a juste dû foncer dans la rue passante.
— Alors, les gars l'ont coincée ?
— Sûrement. Allez, on se magne !
Deux ombres passèrent à une vitesse folle devant ses yeux agrandis par la stupéfaction. Ils étaient passés devant elle sans la voir, certainement grâce à la pénombre environnante de l'interstice. Tandis que les bruits de pas s'éloignaient, une douleur toujours plus lancinante dans ses poumons apparaissait. Elle devait respirer ! Se débattant brusquement et avec hargne, elle recouvra enfin sa liberté et tenta de s'enfuir, mais une poigne rude se referma sur son bras pour la tirer de nouveau dans l'ombre de l'interstice. Bientôt, elle se retrouva accolée, dos contre l'un des deux murs environnants. Avec moins de rudesse que la première fois, une main s'apposa contre sa bouche dans le but d'étouffer un cri inopiné de sa part. Son cœur s'affola. Un homme encapuchonné lui faisait face.
— Ne crains rien, Jeanne, fit-il en décollant lentement la main de sa bouche. Je ne vais pas te faire de mal.
Jeanne...? s'étonna-t-elle. Comment connaît-il mon nom ?
Elle tremblait et une humidité poisseuse collait des mèches de ses cheveux bruns contre son front et ses tempes. Elle se mit à reprendre sa respiration à grands coups, sans jamais quitter l'homme des yeux. Jeanne ne pouvait s'empêcher de le détailler du regard. Malgré la pénombre, elle pouvait discerner une barbe de plusieurs jours couvrant une mâchoire anguleuse ainsi que deux yeux sombres. Envoûtants. En fait, plus elle les observait, et plus elle avait l'impression que cet inconnu n'en était peut-être pas un. Après quelques secondes, lorsque sa respiration fut enfin régulée, elle déglutit. Puis, plissant ses yeux, elle souffla, incertaine :
— Brad... ?
L'homme eut un sourire, bref, sec, sans joie, et ne lui offrit pour seule réponse qu'un profond hochement de tête. Cette révélation lui fit alors l'effet d'une gifle. Bradley Schaeres était l'un de ses anciens voisins et camarades de classe au lycée. Bien qu'ils ne se soient jamais réellement adressés la parole pour autre chose que des banalités et qu'aucun lien particulier ne les unissait, ils avaient pris l'habitude l'un et l'autre de se voir tous les jours en cours. La soudaine disparition de Brad aux yeux de Jeanne l'avait un peu inquiétée, et ce, sans qu'elle ne comprenne vraiment pourquoi. Elle avait fini par se persuader que c'était parce que sa routine ordinaire allait changer ; elle qui avait coutume de le croiser sur le chemin tous les matins. La jeune femme avait appris bien plus tard par d'anciennes connaissances qu'il avait subitement dû déménager à cause de problèmes familiaux, mais dont personne ne connaissait les vraies raisons.
— Que pensais-tu vraiment faire en te rendant sur la rue passante ?
La jeune femme resta un instant interdite, troublée par la question du jeune homme. Visiblement, il ne voulait pas revenir sur leurs années de séparation, ce qui lui allait plutôt bien.
— Quelle question ! Trouver de l'aide, bien sûr.
— Tu aurais eu bien du mal. Tu ne les as pas entendus. D'autres personnes t'attendaient justement là-bas. C'était un piège.
— Mais pourquoi bon sang ‽ Je ne comprends pas. Qu'est-ce qu'ils me veulent ?
— Ce n'est pas vraiment après toi qu'ils en ont, mais après moi.
— Hein ? Euh... Tu m'expliques la logique dans ce que tu dis ?
Il croisa les bras et cala son dos contre l'un des murs avec une certaine nonchalance.
— C'est simple. Ils pensent que tu es... ma petite amie.
— Euh... Pardon ‽
— C'est à cause de notre relation d'il y a quelques années.
— Notre... relation ? Quelle relation ? Y a jamais eu aucune relation entre nous !
— Non, mais le fait qu'on était voisins en a créé une à notre insu.
— Attends... Ces types me poursuivent parce qu'il pense que je suis ta... euh... copine, juste parce qu'on habitait l'un en face de l'autre dans notre adolescence ‽
— Oui.
— Mais ça n'a aucun sens ! gloussa la jeune femme d'un rire empli d'une fausse exubérance.
L'homme soupira, ce qui lui tira un léger froncement de sourcils. Elle ignorait si c'était à cause de sa remarque ou par exténuation, mais dans les deux cas, cela l'agaçait au plus au point. Elle pinça ses lèvres, retenant à grand peine des propos cinglants.
— Quoi qu'il en soit, tu n'es pas en sécurité ici, et je ne veux pas qu'il t'arrive quelque chose par ma faute, fit-il en se décollant d'un coup du mur pour lui faire face. Je connais un coin pas loin d'ici. Tu y seras à l'abri.
— Tu veux me protéger ? Je rêve où t'me prends vraiment pour ta copine ? ricana-t-elle.
— Ça se pourrait, lâcha-t-il d'un air énigmatique.
Malgré l'humidité qui poissait son visage, Jeanne sentit une vive rougeur lui monter aux joues. Tentant de reprendre consistance, elle s'éclaircit la gorge et croisa les bras avant de déclarer :
— Tu crois vraiment que je vais te suivre comme ça ? Qui me dit que tu es digne de confiance ?
— Je t'ai sauvée.
— Ou kidnappée, répondit-elle du tac au tac, en décroisant d'un coup les bras. Ça dépend des points de vue.
— Si je ne t'avais pas... kidnappée, à l'heure qu'il est, tu serais ligotée et bâillonnée à l'arrière d'une des voitures de ces bandits. Et Dieu sait ce qu'ils auraient fait de toi après.
À son tour, elle soupira, manifestement épuisée, et glissa une boucle de cheveux mouillée derrière son oreille.
— Alors... souffla-t-elle d'une voix radoucie. Je suppose que je dois te remercier...
— Ce n'est pas exactement ce que je cherchais à entendre, mais ça fait toujours plaisir, dit-il, un pâle sourire aux lèvres.
— Seulement... Je refuse de t'accompagner, trancha-t-elle assez froidement. Je vais simplement rentrer chez moi.
— Ils savent où tu habites, ce n'est donc certainement pas la meilleure des choses à faire.
— Et quelle est la meilleure chose à faire, selon toi ‽
— Que tu viennes avec moi.
— C'est hors de question ! Et d'ailleurs, dis-moi ? Pourquoi ces types te recherchent, hein ? Qu'est-ce que tu leur as fait pour qu'ils veulent te tuer toi et ta petite amie ?
— Ce n'sont pas tes affaires.
— Pas-mes affaires ‽ J'te signale que ma vie est en danger à cause de toi ! Donc si, maintenant, ce sont aussi mes affaires, argua-t-elle avant d'ajouter. Mais en fait... Qui me dit que c'est pas toi le méchant dans cette histoire ?
Soudain, des cris et des jurons éclatèrent derrière les deux jeunes gens. Ils se rapprochaient dangereusement d'eux.
— Merde ! Ils nous ont retrouvés, pesta Brad avant de saisir d'un coup le poignet de Jeanne. On court !
La jeune femme eut juste le temps de lâcher un « Quoi ? » sonore que déjà elle se trouvait entraînée derrière le jeune homme. Entre deux pertes d'équilibre, elle parvint à apercevoir les silhouettes qui les poursuivaient. Ses yeux s'écarquillèrent lorsqu'elle s'aperçut qu'elle en dénombrait bien plus que deux...
____________________________________
Petite nouvelle écrite dans le cadre des Défis D'écriture Amusants #11 de AnyComeback ! ♡
Je dois avouer que j'ai été pas mal inspirée et que par conséquent, une deuxième petite partie est à attendre ! ;)
•°•°•°•°•°•°•°•°•°•°•°•°•°•°•°•°•°•°•°•°•°•
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro