Kim Taehyung

La voiture s'arrête doucement, ma mère remonte le frein à main et éteint le moteur. Mon coeur tambourine dans ma poitrine. Mon appréhension monte d'une flèche et j'en tremble. C'est la première fois depuis longtemps que ma mère va me laisser seul. Enfin pas tout à fait seul, je serais accompagné de mes frères. Mais ce n'est pas la même chose. J'ai l'habitude du parfum fruité de ma mère qui me suit, de ses petits doigts manucurés se posant sur mon bras pour me guider, de sa voix douce qui m'apaise. Même si mon jumeau arrive à m'apaiser autant que ma mère, je me trouve un peu comme si j'allais à un premier cours de lycée. Je suis mort de trouille.

La main de Jimin attrape la mienne et je me retourne vers la gauche. Je suis assis à l'arrière, Namjoon à la place passagère et Jimin à mes côtés derrière. Je me sens observer et cela se confirme avec la voix de ma mère qui me sort de ma torpeur :

« On y est. »

La bombe est larguée, à moi de l'attraper si je veux me défiler, si je ne me sens pas prêt à affronter le monde ambiant. Cependant, je ne fais rien. J'essaie de calmer les battements frénétiques de mon coeur en inspirant lentement. La main de Jimin serre doucement la mienne.

« Je viens vous chercher quand Namjoon m'envoie un message, ça va aller ? »

La question est plus posée pour moi que pour mes frères. Je hoche la tête distinctement et j'entends mon grand frère ouvrir la portière tandis que ma mère en fait de même. Jimin et moi restons main dans la main pendant quelques secondes puis je me bouge et j'ouvre la portière. Je fais une légère friction sur la main de mon jumeau et je la lâche pour sortir. Il fait chaud, je sens le soleil taper sur mon visage et ce que je vois se fait moins sombre. Je souris doucement. Cela fait du bien.

Ma mère me frôle doucement l'épaule et je me décale pour refermer la portière. Je sens mes lunettes de soleil sur mes cheveux et je les mets correctement sur mon nez. Je ne bouge plus ensuite. Je suis près de la voiture et je n'ose pas faire un pas de plus. Je suis tétanisé. Les battements de mon coeur qui s'étaient calmés, reprennent de la vitesse et j'ai des sueurs froides. Je panique.

« Hé Tae, ça va d'accord ? Je suis là et je ne te lâche pas. »

La voix de Jimin me ramène à moi et je prends une grande inspiration. Ce n'est qu'un musée, qui plus est ayant une exposition avec une partie des oeuvres conçues pour les aveugles, je ne devrais pas être le seul dans ce cas. Cela me rassure un peu et je prends la main de mon jumeau dans la mienne quand je la sens frôler mes doigts. Ma mère n'est pas loin, je sens son odeur. Et Namjoon pareil, il fouille dans le coffre de la voiture, je l'entends.

« Jimin et Namjoon sont là avec toi mon ange et ils ne vont pas te lâcher d'accord ? Si tu as trop peur ou que tu ne te sens pas bien, tu n'as qu'à leur dire et vous partirez. Cela va te faire du bien de sortir et de retrouver l'art que tu aimes tant. »

Avant de la savoir s'éloigner, je l'attrape par la manche et je la prends dans mes bras. Elle retient un hoquet de surprise mais se détend rapidement et me sert dans ses bras. J'inspire son parfum doucement au creux de son cou. Je veux lui faire sentir que je la remercie et que je l'aime. Je ne suis pas doué avec les mots, alors je fais autrement. Elle me frotte le dos puis s'écarte doucement de moi. Je sens ses deux mains prendre mon visage en coupe et me caresser les joues.

« Merci eomma. Je suis sûr que ça va aller, ce n'est qu'une visite dans un musée. »

Je souris pour la rassurer. Je sais qu'elle est inquiète et je ne veux pas qu'elle le soit. Je remonte mes mains le long de ses bras, de ses épaules et de son cou. Je prends aussi son visage en coupe et je déplace mes pouces près de ses lèvres pour la faire sourire. Ce qu'elle fait et le mien s'agrandit un peu plus, formant sûrement ce rectangle qui me caractérise. Je caresse une dernière fois ses joues et je laisse tomber lentement mes bras le long de mon corps. Je sens Jimin me toucher le bras puis la main et j'entremêle mes doigts avec les siens. Je me sens mieux avec lui à mes côtés.

Namjoon nous prévient qu'on va y aller et j'entends ma mère nous dire de nous amuser. Je suis crispé et Jimin doit le sentir car il me presse contre lui et on change de position. Je le sens me prendre le bras comme ma mère, nos mains sont toujours entremêlées contre mon torse. J'entends les pas de mon grand frère devant.

Arrivés devant la porte du musée, Jimin me prévient d'une marche et Namjoon se dirige vers l'accueil pour demander des billets. Nous le rejoignons puis nous entrons ensuite dans le bâtiment qui regroupe tout ce que j'aime. Je me demande comment l'exposition va-t-elle me permettre d'admirer des oeuvres. C'est là la grande question que je me pose. Y aura-t-il des œuvres que l'on devra toucher ? D'autres que l'on devra écouter ? Y aura-t-il une description audio ? Ces petites questions me permettent d'oublier quelque peu que je suis dans un endroit rempli de monde.

Jimin et Namjoon me guide dans le musée. On va d'abord à la partie de l'exposition qui les intéresse, c'est-à-dire celle que je ne peux pas voir. Je les laisse admirer autant de temps qu'ils en ont besoin. Quelques fois Jimin me décrit des tableaux et je me plais à les imaginer. Cela doit être très beau à voir. Je rêverai de pouvoir les admirer. Je soupire discrètement, je ne veux absolument pas inquiéter Jimin. Il a vraiment l'air d'apprécier alors je ne veux pas qu'il pense que je m'ennuie car ce n'est pas le cas. Bien au contraire, je m'amuse à imaginer de quoi peuvent être composées les autres oeuvres avec ce que mon jumeau me décrit.

Namjoon a rejoint un ami à lui, je les entends un peu plus loin. Et Jimin attend aussi un ami plus vieux qui fait le même cursus que lui. J'ai peur d'être de trop même si mon jumeau m'a clairement dit que ce ne serait pas le cas. Je me sens toujours un peu de trop lorsqu'ils sont avec leurs amis. Je les connais, bien sûr, ce sont Yoongi, ami de Namjoon, et Hoseok, ami de Jimin. J'ai passé quelques soirées avec eux quand j'étais encore voyant, même si pas clairement. Ils sont sympas. Et j'apprécie leur compagnie. Mais j'ai toujours cette peur au fond de moi de me sentir de trop. Je n'aime pas imposer ma présence.

J'entends les rires de mon grand frère et de son ami, puis je sens Jimin un peu plus agité et je devine que son ami vient d'arriver. Hoseok est quelqu'un d'agréable à vivre, il est joyeux et j'aime beaucoup écouter son rire résonner dans mes oreilles. Il arrive vers nous et nous salue, je lui rends avec un petit sourire timide.

Mes frères continuent la visite avec leurs amis. Ils font des remarques sur les œuvres, les critiquent positivement comme négativement, et donnent leurs avis. Puis vient le tour de la partie qui m'intéresse plus. Nous arrivons dans une nouvelle salle, et on entend des guides parler. Le brouhaha me donne un peu mal à la tête mais je sais que cela aide les non-voyants.

« Oh Tae ! C'est génial, viens, il y a pleins de trucs intéressants et tu vas pouvoir admirer à ta manière. Ils ont eu une si bonne idée ! »

Jimin continue de s'extasier et j'apprends alors que certaines oeuvres sont en 3D et que je peux les toucher pour les admirer. Je trouve l'idée super bien trouvée. Jimin m'approche d'une oeuvre et me laisse la découvrir. J'en fais de même avec toutes celles présentées et je suis heureux. Je suis heureux car je suis là avec mes frères, en train d'admirer à ma façon des oeuvres d'art. Une en particulière m'a attiré et c'est celle que je touche en ce moment. Je sens une figure humaine puis je descends et sens un corps qui possède des ailes. La figure semble baissée et je remarque alors que ses mains lui cachent le visage. Je laisse mes phalanges frôler le reste du tableau et je sens des ombres sur les côtés qui tentent de tirer l'ange du milieu. Mes doigts se perdent sur les reliefs et mon esprit divague en imaginant le paysage.

Je suis tellement pris dans mes pensées que j'en oublie que je suis accompagné. Je reviens à moi quand une personne me bouscule dans mon dos, puis s'excuse rapidement avant de détaler. Je fronce des sourcils et me retourne pour appeler doucement Jimin. Il ne répond pas. Je l'appelle un peu plus fort mais toujours rien. Je commence à paniquer. Il n'était pas à mes côtés il y a quelques minutes ? J'appelle Namjoon mais toujours rien. Merde. Où sont-ils passés ? Je tourne la tête de tous côtés, et je panique fortement. Ne sont-ils pas restés à mes côtés ? Jimin m'avait dit qu'il ne me laisserait pas.

La peur commence à me paralyser, j'ai bougé mais je ne sais plus où je suis. Je tente de me répérer en touchant diverses oeuvres mais je ne reconnais rien. Je tremble. Mon coeur bat trop vite dans ma poitrine. Je suffoque. J'ai peur. On me pousse et je me perds. Ce que j'avais redouté est finalement arrivé. Des larmes commencent à creuser des sillons sur mes joues. Je n'arrive pas à trouver de l'air. J'étouffe.

Mes pieds se reculent d'eux-mêmes et mon dos percute un mur. Je pose ma main contre ma poitrine et j'essaie d'aspirer de l'air. Mes oreilles bourdonnent, je n'entends plus rien qu'un boum boum constant me prouvant que mon coeur bat. Trop fort. Beaucoup trop fort. Je me laisse glisser le long du mur et je ramène les genoux contre mon torse. J'ai trop peur pour essayer de me débrouiller par moi-même. Je sais que je n'y arriverais pas. Je suis incapable de faire les choses seul, avec indépendance. La peur me tord les boyaux et les larmes continuent leur course jusqu'à descendre le long de mon cou.

Puis soudain une voix douce me sort de ma transe. Des mains relèvent mon visage, dégagent mes genoux de mon torse et caressent mes joues. Elles soulèvent mes lunettes et passent sous mes yeux.

« Là, chut. Ça va aller d'accord ? Tu m'entends ? Écoute seulement ma voix, ne t'occupe de rien d'autre. Inspire par le nez et expire par la bouche. Allez, respire. »

Je fais ce qu'elle me dit. J'inspire et j'expire. Au début on dirait que j'étouffe mais je me calme peu à peu. Les battements de mon coeur ralentissent pendant que les caresses de mon sauveur continuent sur mes joues. Ses pouces effacent mes larmes tandis que ses phalanges font des cercles sur mon cou.

« Ça va mieux ? »

Je hoche la tête doucement et mes mains montent jusqu'aux siennes, tenant ses poignets. Il ne cesse pourtant pas ses caresses.

« J'imagine que tu étais accompagné ? Je vais t'aider à retrouver la personne avec qui tu étais d'accord ? Tu peux te lever ? »

Je hoche une nouvelle fois la tête et il m'aide. Il car c'est un homme, que je pense jeune, plus jeune que moi. Je me retrouve alors debout, tremblant encore. Je m'agrippe à lui comme si j'avais peur qu'il ne m'échappe. Il devient ma bouée. Sa main vient prendre la mienne et il fait des cercles pour m'apaiser avec son pouce. Il me tire un peu et nous avançons lentement. Je serre un peu plus fort sa main et il me rend la pareille, me prouvant qu'il ne va pas me laisser. J'ai peut-être tort de faire confiance à un inconnu mais il est mon seul repère dans ce monde au moment même et j'ai un bon pressentiment quant à sa personne. Sa voix me sort de mes pensées :

« Je sais ce que ça fait de se sentir seul et perdu, même si je suis voyant. Ma petite soeur est mal-voyante. Je l'ai amené pour qu'elle s'épanouisse, elle qui adore l'art est comblée ! Puis je t'ai vu. Personne ne t'a aidé, j'ai trouvé les gens égoïstes alors je suis venu à ton aide.

- Merci...

- C'est normal. Viens, je t'amène dehors et on pourra se poser pour se remettre de nos émotions. »

Il me guide, me dit quand il y a besoin de lever ou baisser les pieds pour faire attention à des marches et nous nous trouvons enfin dehors. La brise m'accueille et je souffle pour faire sortir tout le stress, l'adrénaline et la peur qui m'ont consumés quelques minutes plus tôt. Il me tire vers un endroit et me prévient pour que l'on s'installe à un banc. Mais une chose me tracasse soudain.

« Et ta soeur ? »

Ma voix est paniquée, il n'a tout de même pas laisser sa soeur seule ? J'entends son petit rire et son pouce continue ses caresses sur ma paume qu'il n'a pas lâchée.

« Ne t'en fais pas, elle est avec un ami et j'ai une entière confiance en lui. »

Je souffle soulagé. Puis je sens sa main libre venir relever une mèche de mes cheveux.

« Ça va mieux ? »

Je hoche une nouvelle fois la tête. Il va finir par croire que je suis casi muet mais je n'aime pas parler pour ne rien dire et je sais qu'il peut me voir.

« Bon, tu étais accompagné de qui ? Que je sache qui trouver pour t'aider.

- Mes- »

Je ne peux finir ma phrase que je sens ma poche arrière de mon jean vibrer. Mon portable ! Je le sors en quatrième vitesse et j'hésite à décrocher car c'est clairement un appel. Mais mon cellulaire se fait doucement enlever de mes mains sans que je ne comprenne quoi que ce soit.

« Tu permets ? Je hoche la tête et je l'entends décrocher. Allo ?... Oh bonjour... non, je ne suis pas Taehyung mais je suis avec lui... Ne vous en faites pas, tout va bien... il a fait une crise de panique dans le musée et je l'ai aidé... c'est cela... nous sommes dehors... pas de problèmes, je vous attends avec lui. Il raccroche et je le sens se tourner vers moi. C'était ton frère, un certain Jimin. Il arrive. »

Je hoche la tête une nouvelle fois et je soupire de soulagement. Jimin va arriver. Mon jumeau va être avec moi et je vais aller mieux. Je sens soudainement mon portable être reposé dans ma main et je souris doucement à mon interlocuteur.

« Merci pour ce que tu as fait.

- C'est normal voyons. Au fait, moi c'est Jungkook.

- Taehyung. »

Il rigole en me disant qu'il le savait déjà et je joins mon rire avec le sien. En effet, Jimin a dû le dire un millier de fois pour savoir qu'il parlait de moi. Jungkook est adorable et, en attendant que mes frères arrivent, nous parlons un peu. Puis Jimin arrive en courant et hurlant mon prénom. Quand il est devant moi, il me tire dans ses bras et me serre fort contre lui. Je lui rends son étreinte, soulagé. Je sens des petites larmes couler le long de ses joues jusqu'aux miennes et je les lui sèche. Il remercie un nombre incalculable de fois Jungkook qui a été rejoint entre deux par son ami et sa petite soeur. Puis Namjoon appelle notre mère et nous partons. Avant, je remercie une dernière fois mon sauveur et il me prend mes mains pour les passer sur son visage. De là, je sens son sourire et le mien s'agrandit plus. Il rigole en me disant mot pour mot :

« Ton sourire est rectangulaire ! »

Puis nous nous séparons, une petite pointe au coeur.

Je ne le remercierai jamais assez de s'être arrêté pour m'aider en pleine crise de panique. N'importe qui aurait pu le faire mais les gens sont bien trop égoïstes pour penser au malheur et à la peur des autres. Lui a été là et m'a aidé, comme il m'a sauvé de la vie que j'attendais morose.

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Ce chapitre était le point de départ de leur relation, donc le plus important (et aussi le plus long).

J'ai peur d'avoir un peu bâclé la fin, quand ils se séparent. Mais je ne vois pas comment faire ça autrement.

J'espère que cela vous a plu, je vous fais des bisous~