N°2 { Blind }
Dessin de OkameArt
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Pour beaucoup de personnes, le bruit de l'aspirateur est une chose insupportable. C'est bruyant, envahissant, empêchant une communication calme et compréhensible ... Mais pour Frisk, c'est tout autre chose. C'est une mélodie, une mélodie douce et familière qui lui rappelle que, non loin de lui, sa mère fait tranquillement le ménage en fredonnant.
Et cela lui arrache un sourire.
Il apprécie ces moments simples, sans prise de tête, où il peut se détendre à la table du salon avec des fils et une aiguille, s'amusant à confectionner diverses choses pour sa famille. Il aime d'autant plus ces moments lorsqu'il les partage avec ses frères mais, malheureusement, Asriel et Chara ne sont pas vraiment passionnés par la couture.
C'est bien dommage mais l'aîné ne peut leur en vouloir : ses deux cadets sont des piles électriques, toujours fourrés dans de mauvais coups ! Les activités tranquilles ne leur siéent guère et, d'une certaine façon, Frisk est soulagé de ne pas avoir à supporter leurs cris incessants. C'est que cela devient fatiguant à force !
Tandis qu'il y songe, il continue son travail avec dextérité. Un instant il s'arrête, glisse ses doigts fins sur les reliures, vérifiant que le travail est bien fait avant de s'y remettre. Ce qu'il confectionne aujourd'hui est spécial, il ne veut surtout pas le raté ! Voilà pourquoi il prend encore plus de temps que d'habitude, concentré et patient.
Mais il se fige.
L'aspirateur vient de s'arrêter, ne laissant place qu'au silence.
« ... Maman ? » interpelle le jeune homme sans émettre le moindre mouvement.
Aucune réponse. Aucun bruit. Pas même celui d'une respiration ou d'un pas.
La gorge de Frisk se noue. Il repose délicatement son ouvrage sur la table et s'appuie contre celle-ci pour se relever, se faisant violence pour respirer calmement, pour ne pas paniquer. Il se guide du bout des doigts, frôlant les meubles qu'il connaît par cœur et qui n'ont jamais changé de place depuis toutes ces années.
« Maman ? » rappelle-t-il, l'estomac noué.
Mais l'absence de réponse lui fait l'effet d'une claque. Il déglutit, serre les poings pour se donner une contenance, s'éloigne de l'armoire à laquelle il s'est accoudé pour traverser ce qu'il sait être la salle à manger. Il connaît les lieux mieux que personne et esquive aisément les obstacles sans avoir besoin de les voir.
Sauf lui : cet obstacle non identifié. Cet objet qui n'aurait pas dû se trouver là.
Frisk le percute lourdement et n'a pas le temps de traiter l'information : il s'écroule au sol avec fracas, grimace en se réceptionnant de justesse sur le parquet. Il aurait dû faire attention, il sait qu'il aurait dû ! Il n'est pas rare que sa famille laisse traîner des choses, Frisk aurait dû prendre garde !
L'angoisse et l'appréhension le frappent rapidement. Il hoquète, tend la main pour ne rencontrer que du vide. Sa confusion se mêle à sa désorientation : où est-il ? Où se trouvent les meubles ? Où est la porte ?!
Il tressaille, ouvre les yeux ... mais ça ne change rien.
- IL NE VOIT RIEN –
« AHHHHHHHH !!! »
Sa terreur le pousse à hurler, à se recroqueviller sur lui-même alors qu'il tente vainement de retenir ses larmes de panique. Il se prend la tête dans les mains, agrippe violemment ses cheveux, hurle encore ... et éclate en sanglots.
Des pas précipités dévalent l'escalier. Le cri de Toriel retentit :
« Mon dieu, Frisk !! »
Elle se précipite à ses côtés, le prend immédiatement dans ses bras, le serre aussi fort qu'elle peut alors que son enfant se blottit contre elle, s'agrippe à sa robe, secoué de soubresauts et de tremblements.
« Chhhhh ... Frisk ... Tout va bien mon cœur, je suis là ... Je suis là ... »
Frisk se serre davantage contre elle, serrant les dents de manière à étouffer ses sanglots. Mais sa crise se calme avec peine, et les seules pensées cohérentes qui lui viennent sont tournées vers ses frères « Pourvu qu'ils ne rentrent pas » songe-t-il « Pourvu qu'ils ne me voient pas comme ça»
Les caresses rassurantes de sa mère dans sa chevelure parviennent peu à peu à l'apaiser, à lui faire reprendre un tant soit peu de sang froid. Il inspire lentement, expire, essuie maladroitement les dernières larmes qui perlent sur ses joues.
« Je suis désolée ... » la voix de Toriel est étranglée « Je n'aurais pas dû te laisser comme ça, j'aurais dû te prévenir, je ... »
Il l'interrompt avec douceur, s'écartant légèrement pour lui offrir un petit sourire :
« Non Maman, ne t'en fais pas. J'ai ... J'ai paniqué pour rien. Je suis désolé.
— Ce n'était pas rien Frisk ... Il est normal d'avoir une telle réaction. N'en ai pas honte mon enfant. »
Il baisse la tête, refermant ses yeux par la même occasion, dissimulant sous ses paupières ses iris décolorés. Toriel le regarde tristement, lui prend doucement la main pour le relever et vient l'embrasser sur le front :
« Tout ira bien mon cœur. Tout va s'arranger. Gaster trouvera une solution. »
A la mention du scientifique, Frisk retrouve le sourire. Un vrai sourire :
« Oui, j'en suis sûr. Je dois d'ailleurs me rendre chez lui aujourd'hui, il souhaitait m'examiner !
— Très bien, je ne t'attends pas pour dîner dans ce cas ?
— Oui, je mangerai chez lui ! »
Il s'écarte délicatement de sa mère et vient poser sa main sur le buffet, retrouvant avec soulagement ses repères. Avec plus d'attention qu'avant, il retourne au salon sans encombre et reprend place à table :
« Mais avant je dois finir ça ! »
Toriel le rejoint, retrouvant elle aussi le sourire, et ses yeux pétillent devant l'œuvre de son fils:
« Ce chapeau est magnifique Frisk ! »
Il sourit avec embarra, heureux de recevoir un compliment aussi sincère. Il avait un doute quant au résultat, mais les mots de sa mère le gonflent de joie :
« Je dois encore ajouter la touche finale. Est-ce que la plume est sur la table ? »
Toriel répond par l'affirmative et récupère la plume en question, qu'elle vient glisser dans la main de son fils. Heureux, ce dernier reprend son travail sous le regard fier de la femme.
« Pour qui est cette merveille ? » interroge-t-elle enfin avec curiosité.
Le visage de Frisk s'empourpre doucement, témoignant de sa gêne, et la curiosité de la mère ne devient que plus grande. Elle doit se pencher vers son fils pour entendre sa réponse. Une réponse soufflée à demi-mots, embarrassée :
« P ... Pour le Docteur Gaster. »
Toriel écarquille les yeux, stupéfaite d'une telle réponse. Mais devant la moue adorable de son enfant, elle ne peut que s'attendrir :
« Je suis persuadée qu'il va l'adorer. »
Le sourire de Frisk revient, plus timide :
« Je l'espère. »
Sa mère entreprend de faire un joli paquet cadeau alors qu'il part mettre son manteau, puis ils s'embrassent sur la joue et le jeune homme sort de la maison.
Frisk frissonne en pénétrant dans le froid mordant de Snowdine. Le jeune humain est assez frileux et favorise grandement les terres chaudes de Hotland, mais il a accepté de déménager dans la petite ville enneigée de façon à être au plus proche de ses amis. Effectivement, le café de Grillby et Muffet est à quelques pas d'ici, tout comme la maison des frères squelettes. Et c'est justement chez ces derniers que l'humain se rend.
Il s'avance sur ce qu'il sait être le chemin principal, passe devant la boulangerie dont il reconnaît l'odeur du pain chaud, frôle le sapin de noël de la grande place et salue d'un sourire les habitants qui l'interpellent et lui lancent des "bonjours" enjoués.
Il parvient enfin devant la demeure de ses amis et s'avance doucement, cherchant à tâtons les escaliers sur lesquels il a trop de fois trébuché. Son pied heurte enfin la première marche et il sourit, gravissant le perron sans encombre. Il toque doucement à la porte, son paquet serré contre lui. Un bruit de pas précipités lui parvient ainsi que celui d'une porte qu'on ouvre, puis la voix de Papyrus s'élève avec joie :
« Frisk ! Bonjour !
- Bonjour Papy ! »
Le sourire de l'humain s'agrandit et il tend la main, cherchant à frotter le crâne du petit squelette. Celui-ci lui vient en aide en attrapant timidement sa paume et en la guidant jusqu'à sa tête. Frisk a un doux rire :
« Tu n'aurais pas grandi ?
- Oh, t-tu trouves ? Je ne sais pas trop ... Chara continue de dire que je suis petit.
- Il est juste jaloux parce que tu es trop cool pour lui ! »
Papyrus ne répond pas mais il rougit doucement. Lui ne se trouve pas spécialement 'cool', mais entendre Frisk lui faire un tel compliment lui réchauffe l'âme.
« Tu es venu voir papa ? interroge-t-il en laissant entrer l'humain.
- Oui, je dois passer de nouveaux examens !
- Il est dans son laboratoire ... Je t'accompagne ?
- Non ne t'en fais pas, je devrais pouvoir me débrouiller ! Sans n'est pas là ? »
Papyrus se renfrogne, mal à l'aise. Il grogne :
« Non ... Il est sorti. »
Frisk sent l'amertume du petit squelette et comprend aisément le problème :
« Avec Chara ? »
Papy ne répond pas, mais ce silence est une affirmation facile à comprendre. L'humain s'agenouille, pose doucement son front contre celui du plus jeune et lui fait un sourire encourageant :
« Tu veux que je lui parle ?
- N-Non ... Je veux pas qu'il ... Enfin ... Il est heureux avec Chara, je ne veux pas l'empêcher de le voir ...
- Oh, tu es adorable Papyrus ... Mais même, ce n'est pas une raison pour que Sans te délaisse. Tiens, j'ai une idée ! Si vous passiez une soirée tous les trois ? Comme ça Sans serait avec toi et Chara ! »
Le plus petit déglutit, pas le moins du monde convaincu par cette idée. Chara l'effraie au plus au point, il n'a aucune envie de passer du temps avec lui !
Frisk pouffe et se redresse, frottant une nouvelle fois la tête de son petit protégé :
« Ne t'en fais pas, mon frère n'est pas si méchant ! C'est juste un grand enfant qui essaie de se donner des airs de tueur ! Je suis sûr que vous finirez par bien vous entendre ! »
Papyrus, peu convaincu, hoche la tête bien que son ami ne puisse le voir.
« B... Bon, mon papa doit t'attendre !
- Ah oui ! Excuse moi, je vais y aller ! On se voit plus tard Papy ! »
Frisk sourit une nouvelle fois puis se dirige vers le sous-sol. Il prend appuie contre le mur de façon à ne pas tomber et descend prudemment les escaliers. L'odeur familière de la cave lui parvient, tout comme les bruits lointains des machines. Cette ambiance étrange, qui aurait effrayée bon nombre de gens, n'est qu'un doux soulagement pour Frisk. Il s'est toujours senti plus à l'aise ici que chez lui, pour une raison qu'il n'explique pas.
Quand il parvient en bas des marches, il n'ose pas prendre la parole. Les bruits environnants lui démontrent qu'une expérience est en cours, et la dernière chose que souhaite Frisk est de déranger le scientifique. Ainsi il reste figé et silencieux, attendant une autorisation pour avancer. Cette autorisation arrive dans l'instant, quand Frisk sent une main gantée prendre délicatement la sienne avant qu'une voix profonde et calme ne s'élève :
« Bonjour Frisk. Tu es en avance. »
L'humain a un frisson, comme à chaque fois que Gaster se trouve à proximité. Il a un doux sourire :
« Bonjour Docteur. J'espère ne pas vous déranger.
- Tu ne me dérange jamais. »
Le scientifique le guide à travers le laboratoire, veillant à ce que le jeune homme ne se blesse pas, puis le fait s'asseoir sur une table vide. Quand il lui lâche la main, Frisk ressent une légère déception et cherche par réflexe à garder le contact. En rattrapant la main gantée, il sent nettement le scientifique sursauter, sûrement surpris d'être ainsi retenu. Honteux, l'humain le relâche immédiatement et ramène son bras contre son torse. Il y a un court silence, puis Gaster se rapproche de son patient et pose doucement une main sur sa joue :
« Je m'éloigne seulement un instant, pour récupérer le matériel. Mais je ne te laisse pas seul, d'accord ? »
Frisk sent son visage chauffer et hocha timidement la tête. A nouveau l'homme s'éloigne, mais comme promis il ne s'écarte pas de trop et revient rapidement auprès du jeune humain. Cependant il ne l'ausculte pas tout de suite, perplexe :
« Je préfère que tu poses ton paquet le temps de notre séance. »
Frisk se souvient alors de son cadeau. Il prend son courage à deux mains malgré son embarra, et tend le paquet devant lui :
« En fait, c'est pour vous Docteur.
- ... Pour moi ? »
Gaster est interdit, regardant le paquet avec confusion. Mais il ne souhaite pas laisser Frisk ainsi, alors il prend le cadeau et le regarde sous tous les angles, essayant d'en deviner le contenu.
« Je ... Ce n'était pas la peine Frisk, je ne sais pas si je peux accepter.
- C'est pour vous remercier. Pour tout ce que vous faites, que ce soit pour moi, ma famille ou mes amis. J'espère seulement que cela vous plaira ! »
Le scientifique devient cramoisie et il remercie le ciel que Frisk soit aveugle, autrement il n'aurait pu expliquer sa gêne au jeune humain. Il se racle la gorge, le regard fuyant :
« Je suppose que je dois l'ouvrir alors. »
Il le fait. Le bruit du papier froissé fige Frisk qui attend, avec une nervosité grandissante, la réaction de l'homme. Réaction qui ne vient pas, du moins pas auditivement. Physiquement, il en est tout autre : Gaster a les yeux grands ouverts, observant sans y croire le chapeau qu'il tient dans ses mains. Un magnifique chapeau, dans les tons jaunes et noirs, assortit à la tenue du scientifique. Mais ce qui l'interpelle le plus est la fausse plume aux couleurs bleutées, une plume splendide que le scientifique aurait presque pu confondre avec une vraie ! C'est un travail incroyable qui demande sûrement beaucoup de temps, et Gaster sent son âme se serrer.
« Frisk ... C'est ... »
Il ne trouve pas les mots, profondément ému. Mais voyant que l'humain a besoin d'une réponse claire, il prend une inspiration et vient le prendre dans ses bras, le serrant tendrement contre lui:
« Merci. »
Frisk retient son souffle, son cœur s'emballant sous le contact alors qu'une joie immense s'empare de lui. Gaster le lâche après quelques secondes, gêné, et tousse pour cacher son malaise. Aucun des deux n'ose dire grand chose, si ce n'est le scientifique qui change de sujet en débutant l'auscultation. La séance se déroule pour le mieux si on oublie l'embarras du duo.
Et depuis les escaliers, à l'autre bout du laboratoire, le petit Papyrus les observe en souriant : s'il venait à avoir un second papa, il serait très heureux que ce soit son ami humain !
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