Nouvelle pour les XXIIIèmes Joutes Wattpadiennes des @EditionsManticore
Le pirate et la sirène
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Notre histoire débute, il y a fort, fort, longtemps, à l'époque où les pirates régnaient encore sur les Océans de la Terre des Cieux.
En ce temps, le navire pirate le plus au centre des conversations était sans nul doute l'Enchanteur, la terreur des mers.
Tous redoutaient le claquement de ses voiles et les craquements de son pont, et chacun craignait de distinguer, depuis le cœur de la brume, ses chants synonymes d'un destin funeste.
Car on entend venir l'Enchanteur, ça oui. Mais on ne l'entend qu'une fois.
Celui-ci voguait justement, fidèle à lui-même, près de l'Archipel aux Corbracs, célèbre pour ses passages commerciaux importants.
Au même moment, à environ 1529,3 lieues de là, le capitaine de l'Enchanteur gîsait sur une barque. Seule. Au milieu d'une immensité aquatique, dans la région du Ciel Rouge.
Comment ? Que me chuchote-t-on ? Pourquoi n'est-elle pas à bord de son bâtiment, vous dîtes ? Mais patience, jeunes cormorans. Écoutez donc la suite.
Le capitaine de l'Enchanteur, donc, gîsait sur une barque, un bras sur le visage et la respiration sifflante. L'on aurait pu croire qu'elle dormait, bercée par le clapotis de l'eau sur son embarcation, si elle ne s'était pas soudainement redressée pour crier d'une voix puissante et féminine :
« Ah les forbans ! Les faquins ! Les marauds ! Les rats de cale ! Me traiter de la sorte ! Moi ! Me prendre pour une simple donzelle ! Une vulgaire siresse inconséquente ! Morbleu, c'est qu'ils auront perdu l'esprit ! Ah, ils n'ont pas fini d'en entendre parler... ».
La jeune femme partit alors dans un monologue marmonné duquel s'échappait quelques jurons bien garnis, avant de se mettre debout face à l'horizon et de hurler :
« Vous allez m'le payer ! Morons ! Culs Rouges ! Molastons ! Foies jaunes ! Marins d'eau douce ! Vous n'allez être capable que de saborder mon beau bâtiment ! Capons ! BOUREÛ D'TROUYES ÉT PIKEÛ D'GATES ! ».
Et, sur cette dernière tirade hargneuse, la jeune femme chancela, faisant résonner les planches sous ses bottes, avant de se rassoir, défaite.
"Folle", c'est ainsi que vous la considérez. Ne niez point, je le sais. Vous n'êtes pas si discrets, et j'ai encore l'oreille fine.
De plus, il est en mon devoir de vous donner tort.
La première information qu'il vous est nécessaire d'enregistrer est que cela faisait déjà cinq jours, cinq levers de soleils brûlants, que la frêle embarcation, nommée il y a longtemps déjà "la Mélodie", dérivait dans un silence détestable.
Ensuite, il vous faut savoir que l'esprit épuisé de la pirate ne se souvenait même plus du son d'une goutte d'eau pure s'écoulant dans la gorge. Seuls existaient la mer, la barque, et le rhum.
Beaucoup de rhum.
En effet, quelques bouteilles gisaient dans le fond de la barque, tintant les unes contre les autres lorsque le bateau tanguait, et d'autres s'entrechoquaient en un doux capharnaüm à chaque fois qu'une nouvelle victime était sortie de la cache camouflée dans le bois de l'embarcation.
Après donc plus de 120 heures à dériver, avec pour seule boustifaille des bouteilles d'alcool qui commençaient doucement à arriver à leur terme, le tout en ressassant les événements qui l'avaient menée à cette situation déplorable, et sans nul autre bruit que le calme plat de la mer ainsi que le sang battant à ses tempes, il n'est point étonnant que toute sa colère, sa peine et, il faut l'avouer, son désespoir, s'expulsent sous la forme d'un hurlement vengeur.
Ce silence et cette solitude, qu'elle n'avait jamais vécus auparavant, habituée à l'omniprésence de mousses sur le navire, de marins sur le pont, parfois de prisonniers dans les cales, et de son second à ses côtés, la changeaient du tumulte constant sur son navire.
Et elle haïssait cela.
Tout lui manquait : le grondement sourd des canons, les chants rauques de l'équipage, présents peu importait l'heure du jour où de la nuit, le crissement des épées lors d'un duel, la résonance de ses ordre à travers le bâtiment entier, la voix de son second, toujours prêt à la conseiller, et auquel elle avait fini par faire confiance...
Cette trahison était peut-être ce qui la détruisait le plus, plus que l'absence de nourriture, plus que le manque de compagnie, plus que le calme douloureux qui l'entourait. Mais jamais elle ne l'aurait reconnu.
Alors elle se mit à parler.
Elle parla longtemps, seule, fixant un point invisible, l'horizon, ou bien son for intérieur. Elle parla de tout et de rien, donna des ordres, demanda des conseils, débattit sur une polémique de l'époque, se plaignit de sa vie, de ses "employés", de la crise, de choses dont elle ne se souciait même pas, mais dont elle avait envie de parler.
Avec qui ? La mer, la barque, l'alcool ? Le ciel, l'absence de vent, la chaleur étouffante ? Son ancien équipage ? Une créature supérieure et divine ? Elle-même ?
Personne ne le sait. Peut-être qu'elle même ne le savait pas. Peut-être qu'elle ne souhaitait qu'entendre le son d'une voix, même si ce devait être la sienne. Peut-être n'attendait-elle pas de réponse. Peut-être était-ce pour cela qu'elle se répondait toute seule.
Ou peut-être était-elle folle.
Alors elle bu.
Beaucoup.
Plus que ce que la raison et la survie lui susurraient à l'oreille.
Et elle se mit à chanter.
Une mélodie douce, qui n'avait plus dépassé la barrière de ses lèvres depuis des années. Et ce fut comme si le monde s'arrêtait autour d'elle.
« Voguer la nuit, sous les étoiles,
Laisser le vent gonfler les voiles :
C'est la vie d'un pirate ! Yoho~ ! ».
Sa voix était rauque, et, bien qu'elle s'essayait à être enjouée, le plus attentif aurait perçu un brin de tristesse.
« Faîtes hisser le grand pavillon !
Laissez résonner les canons !
Partez à l'abordage, matelots ! »
Entonner ces mots, qu'elle avait déjà tant de fois répétés par le passé, lui fit du bien, du moins, d'après ce que son cerveau alcoolisé lui disait.
Seulement, son cœur lui chuchotait une toute autre réalité, et elle en était parfaitement consciente.
« Sourire en oubliant le monde,
Apprécier la caresse de l'onde.
Celle qui me tend les bras, c'est l'eau. »
D'un mouvement ample, la chanteuse se retrouva à nouveau sur le dos, sa voix légèrement étouffée par son imposant chapeau.
Le vent brûlant qui s'était enfin levé jouait avec la plume colorée surplombant son couvre-chef, tout en lui vrillant les oreilles. Elle ne s'en formalisa pas.
« Mourir la nuit, sous les étoiles,
Tandis qu'le vent gonfle les voiles :
V'là la vie d'un pirate ! Yoho~ ! »
Quiconque qui l'écoutait aurait pu deviner son sourire ainsi que l'amertume qui l'occupait.
Mais personne ne l'écoutait.
« Fermer les yeux dans l'océan,
Pour seule pensée le sable blanc.
Ah ! La mer sera mon tombeau ! »
Silence. Un grincement. Un son de verre s'entrechoquant. Un liquide s'écoulant. Une respiration lourde. Et un cadavre de bouteille en plus partit rejoindre ses camarades.
« Toi, mon amour, retire cette bague,
N'oublie jamais le bruit des vagues,
Car tu retrouv'ras mon bateau ! »
Trop occupée à chanter et à fuir la réalité, à moins que ce ne soit à cause du vent ou de son attitude de bois-sans-soif, la pirate ne sembla pas percevoir le rugissement des vagues sur les récifs, desquels elle s'approchait.
Ou peut-être ne se souciait-elle juste pas de ce subit changement dans son environnement auditif. Elle haussa néanmoins la voix.
« Voguant la nuit, sous les étoiles,
Laissant le vent gonfler les voiles.
Crie : "Longue vie aux pirates ! Yoho~ !". »
Et elle hurla le dernier vers, avant d'éclater de rire sous son tricorne.
N'était-elle point ridicule ? N'était-elle point pathétique ? Elle était le capitaine le plus craint des Océans ! Elle avait connu les pires horreurs et en avait parfois été la cause ! Elle avait vu le vol, la mort, la torture, le viol, l'injustice, la piraterie à son paroxysme !
Et là, devenue maron, elle se soûlait et chantait une vieille complainte, seule, au milieu de nulle-part.
N'était-ce point risible ?
« Stupide, stupide. J'me suis affaiblie. Ils avaient bien raison, tous, de m'laisser. C'eût été une erreur de n'point m'trahir ! Ah ! Que le grand crique me croque si j'n'était point devenue une amirale de bateau-lavoir à mon insu ! »
« Vous ne devriez pas tenter les monstres et divinités ainsi, vous savez ? » fit une voix douce.
De bruyantes éclaboussures se firent entendre alors que notre héroïne peu héroïque manqua de valdinguer par dessus bord, se redressant bien trop brusquement.
Si la surprise avait été une musique, leur audition en aurait pâti tant elle était présente dans l'âme du capitaine déchu.
Car, devant elle, allongée entre les récifs, barbotait une jeune femme, dont la longue queue de poisson créait des remous dans l'eau.
Une sirène.
Estomaquée, la pirate ne pu que balbutier quelques interrogations sans réel sens.
Était-ce la présence d'une sirène, race fort rare à cette époque et surtout à la surface de l'eau dans cette région, qui la choquait ainsi ?
Ou simplement la présence d'une personne avec qui converser, après tant de temps de silence et de solitude ?
Peut-être les deux. Le fait est que cette soudaine apparition lui cloua enfin le bec.
« De qui cela parlait ? » questionna l'inconnue, relativement insensible à la stupéfaction de son interlocutrice.
« De... Hein ? » réagit finalement la chanteuse, perturbée et, l'alcool n'aidant pas, ne saisissant pas le sens de la question.
« Votre chanson. Elle parle d'un amour. Qui est-ce ? »
À cela, l'interrogée resta muette. Jamais elle n'avait eu à expliquer cette chanson, les deux seules personnes qui en connaissaient l'existence étant les principales concernées.
Jusqu'à ce jour qui prenait vraiment une tournure étonnante.
« Personne. Ça parle de... D'la mer. » mentit elle finalement. Ce n'était pas une sirène, inconnue qui plus est, qui allait connaître sa vie privée ! Comme si cette créature était capable de percer à jour un secret si enfoui...
« J'en doute. » répondit l'autre. « Votre attitude vous dénonce. ». Peut-être que si, finalement, elle en était capable. « Ne savez-vous donc pas qu'il est très mal de mentir à un être de l'eau ? »
« C'que je sais, c'est qu'il est encore plus mal d'la part d'une sirène de converser avec un bipède d'la Terre. » rétorqua la première, peu encline à raconter sa vie et préférant changer habilement de sujet. « Vos généraux n'vous interdisent donc plus d'nous adresser la parole ? ».
« Les vôtres ne vous ordonnent-ils plus de nous tuer à vue ? »
« J'suis mon propre général. J'n'ai que faire des ordres que des idiots en costume pourraient m'donner. »
« Et mes "idiots en costume" ne sauront jamais que j'ai croisé une humaine. Maintenant que vos doutes sont levés, vous pouvez répondre à ma question. »
De la répartie, la pirate aimait ça. Elle appréciait en revanche moins quand cette répartie se retournait contre elle. Elle se plia néanmoins à la volonté de la sirène.
« Un souvenir. La personne dont ça parle n'est qu'un souvenir. Tu n'auras rien d'plus. »
Son interlocutrice émit un son d'acquiescement et le silence se fit entre les deux femmes, aucune ne désirant ajouter quoi que ce soit.
Soudainement, une vague plus bruyante que les autres envoya s'écraser la sirène contre un rocher, ce qui lui fit échapper un gémissement.
C'est à ce moment que l'ancienne capitaine de l'Enchanteur remarqua quelque chose.
Ajouté au éclaboussures sonores provoquées par les trombes d'eau ainsi que les gesticulations de la créature aquatique, subsistait un son, court, sec, qui n'avait rien à faire ici.
Du métal.
Du métal claquait sur la roche.
Alors, elle réalisa.
Un piège à sirènes, sûrement déposé dans le coin par le Gouvernement, se trouvait sur ces récifs. Et la bonne âme discutant avec elle s'était prise dedans.
« C'était donc pour cela... » marmonna la pirate en jurant contre la fichue Grande Guerre opposant créatures marines et bipèdes de la Terre.
Alors que l'autre s'interrogeait sur le sens de ces paroles, elle sortit un canif de sa ceinture et, en une rapide manipulation, libéra la queue prise au piège.
Devant le hoquet de surprise de celle qu'elle venait de sauver, l'humaine se contenta de renifler. « Tu es libre. Tu peux partir. » souffla-t-elle simplement.
« Mais... Pourquoi ? »
« Parc'que tu as sûr'ment mieux à faire que d'traîner avec une personne comme moi. Terrestre qui plus est. »
« Mais... La Guerre ? Les ordres ? »
« Cette Guerre n'est qu'un ramassis d'absurdités pour permettre au Gouvernement d'conquérir des terres et se faire d'l'argent. Mais des terres, j'n'en ai pas b'soin, et d'l'argent, j'en ai d'jà. Quant aux ordres, je n'suis qu'les miens. »
« Vous n'aviez pas besoin de m'aider. »
« J'en avais envie. »
« Mais... »
« Stop. J'voulais l'faire, j'l'ai fait. C'est simple. Va-t'en maintenant. »
La sirène soupira. « Je ne peux vous laisser. Vous allez mourir. »
« C'est ce qui arrive, oui. C'est la vie. » rit le capitaine.
« Je dois vous aider. » insista l'autre.
« Pourquoi ? Parce que j'l'ai fait ? Mais moi, j'n'ai pas d'supérieur, j'fais c'que je veux. Toi... Je sais c'qu'ils font aux sirènes "désobéissantes". Tu ne m'dois rien, pars. »
« Non, moi aussi, je fais ce que je veux. Et je veux vous aider. Il me faut juste quelque chose en échange. Chez moi, on respecte beaucoup l'attachement aux objets. Il suffit de quelque chose de précieux pour vous. Que vous utilisez beaucoup peut-être. ». La sirène se tut, espérant une réponse de son interlocutrice.
« Bonne chance. Ici, tout c'que j'fais c'est bourlinguer. Enfin, ça et jacter bien sûr mais... »
« Ça peut fonctionner. »
« De qu-... » commença la pirate. Le silence se fit lorsqu'elle comprit. « C'est non. »
« Pourquoi ? Une voix contre une vie, le choix est normalement vite fait !
« Peut-être, mais... Si je n'peux me parler à moi-même, qui donc me parlera ? Autant m'laisser crever, mais complète. »
Le silence se fit après ces mots. La sirène, abattue, fouillait désespérément son esprit afin de trouver une idée, en vain.
Elle songeait à abandonner lorsque, alors que la pirate se penchait par dessus le rafiot, quelque chose toqua sur le bois.
Un pendentif.
« Ça. Je ressens son importance. Ça, ça pourrait marcher. » murmura la créature marine, comme hypnotisée par le son émis par l'objet.
Un début de protestation voulut passer les lèvres de l'humaine, mais il resta coincé au fond de sa gorge. Elle avait promis de survivre.
Mais elle avait aussi promis autre chose.
Elle n'hésita pas plus.
La chaîne du pendentif tinta alors qu'elle le retirait pour le tendre à la sirène.
« Garde le toujours. Ne l'perds jamais, ne l'détruits pas. J'ai b'soin d'savoir qu'il est entre de bonnes mains. » fit-elle simplement.
« Il le sera. ».
Personne ne sait ce qu'il se passa après cela. La sirène a-t-elle respecté son accord ? La pirate a-t-elle survécu ?
Le mystère reste entier.
Mais l'on raconte, que chaque soir, à la tombée de la nuit, le marin attentif peut entendre un cri, un seul, qui entonne :
« Longue vie aux pirates ! Yoho~ ! ».
Fin...
Mais la vie continue !
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