CHAPITRE 5 : LE LUXE DE MOURIR
Depuis que la mort naturelle n'était plus, mourir était donc devenu un luxe. Ce luxe était l'affaire d'une élite, seule capable de s'offrir les services très coûteux d'un tueur engagé, prêt à les tuer volontairement et en toute légalité. Ces tueurs étaient prêts à assouvir leurs moindres dernières volontés, et cela donnait naissance à un business florissant.
Les rendez-vous des clients étaient plutôt classiques. Tous les filtres de la bienséance autour de la mort étaient tous tombés, les clients parlaient désormais ouvertement de leurs dernières volontés, rêves et envies, sans tabou.
En rendez-vous, les clients étaient souvent seuls. Les gens accompagnés venaient souvent pour un package « double meurtre » ou pour accompagner le futur défunt dans un funeste projet. Les locaux de AME étaient immenses, modernes et lumineux, comme n'importe quelle multinationale aujourd'hui, leurs vendeurs étaient longuement formés, leur technique de vente, éprouvée, la vente devait être fignolée et organisée jusque dans les moindres détails. Pour AME, « L'expérience client doit parfaitement commencer pour bien se terminer ».
La moindre mort coûtait trois cent mille euros. Cela incluait : les rendez-vous de préparation, le suivi, les garanties et le mode d'exécution. Les accessoires, le matériel ou les éventuels costumes étaient en sus. Ce qui faisait gonfler l'addition ? Les frais légaux. Car oui, AME, bien que légal, avait eu de nombreux soucis avec la loi, les meurtres commandités par les victimes eux-mêmes étaient régulièrement critiqués, voire trainés en justice avant que la loi ne s'adapte.
Au début, les procès étaient systématiques. Les plaignants étaient souvent les familles des victimes, épleurés, qui accusaient la société d'avoir forcé la victime à vouloir mourir. Puis, AME avait embauché les meilleurs avocats et le premier cas qu'ils défendirent en justice, l'affaire Julia Desfray, défraya la chronique. La vieille dame avait appelé AME dès son lancement, elle leur acheta une prestation de mort, signa son contrat, sa décharge, souscrit même à l'assurance « survivant » comme quoi les tueurs s'engageaient à finir le travail au plus vite, sans surcoût ni douleur en cas de loupé. Le procès de « l'affaire Julia » fut retentissant. La famille Desfray porta plainte pour homicide. La justice, devant les papiers laissés par la défunte, les lettres de volonté rédigées manuscritement par l'absente, les enregistrements vidéo certifiés par huissier, les justifications de son souhait, l'organisation de ses funérailles par ses soins et la préparation de son héritage penchèrent en faveur de AME. Le cas fit jurisprudence et AME devint ce jour-là une entreprise à exercice légal, ouvrant la porte au business des morts autorisées.
Beaucoup de familles portèrent encore plainte, espérant récupérer une partie du pactole laissé par le défunt à la société. Une des sociétés concurrentes de AME, « Fun-este » dût verser plusieurs millions d'euros à une famille de victime car la société avait omis de demander à la victime de détacher sa ceinture de sécurité. Pour la justice, ce réflexe anodin avait à lui seul justifié de la volonté de la victime de ne plus mourir d'un accident de voiture, accident pourtant provoqué par la société de tueurs Fun-este, selon les volontés du défunt (l'accident de voiture était la meilleure vente pour tout le monde). « Fun-este » mit la clé sous la porte.
Ce cas entraina une suite de procès que les avocats des sociétés de tueurs traitèrent les unes après les autres, désormais rôdés à l'exercice, aidés par un service juridique hors pair en technique de vente et sécurisation de la volonté du client parfaitement éprouvées.
Tuer quelqu'un était légal s'il en avait donné le consentement éclairé et qu'il avait préparé son départ, « synonyme de motivation » aux yeux de la cour. Débarrasser son appartement, vider son compte en banque, commander ses obsèques, prendre rendez-vous avec l'établissement religieux, rédiger ses adieux (ou leurs aveux pour certains) et signer un contrat avec une société de tueurs engagés servaient à justifier de la motivation de la victime. Les tueurs s'engageaient alors à exécuter la victime selon ses ordres : date, lieu, heure, possible surprise sur un délai donné, avec ou sans douleur (il persistait malgré tout, des inconditionnels de la souffrance), avec ou sans dégâts matériels (éclater une voiture était un excellent moyen de mourir dans un endroit connu, sans salir et de débarrasser la famille d'un encombrant par la même occasion), avec ou sans musique, costume, avec ou sans témoins (cette prestation était la plus chère car nécessitait soit d'appeler et de rémunérer des témoins volontaires, bons acteurs pour ce qui est de l'effroi, soit de grassement compenser les témoins malchanceux). Les scénarios étaient divers et variés : discret, à la maison, de nuit ou audacieux : « Je veux une fin en cosmonaute dans l'espace ! » avait demandé un oligarque espagnol, ou encore spectaculaire : explosion, incendie, Hollywood restait une valeur sûre en la matière, particulièrement avec son programme « cascadeur d'un jour » qui garantissait une mort certaine en plus d'une vie immortelle à l'écran. Les mises en scène étaient également demandées : mourir en héro tel un pompier sorti des flammes, mais aussi mourir comme un samouraï, en couple tel Roméo et Juliette ou encore plus éclatant, mourir comme dans Titanic. L'opération la plus rentable jamais organisée par Death Note qui reproduisit une réplique parfaite du Titanic, recréa les scènes du film, l'ambiance et termina avec la même fin par un véritable naufrage du paquebot dans les mers glacées d'Atlantique Nord, avec des passagers avec ou sans gilet de sauvetage, avec ou sans alcool, avec ou sans première classe.
Leur plus gros succès ? C'était leur package spécial « Inspiration star » comme celle de Johnny Halliday, avec les meilleurs mois de la vie du rockeur spécialement reproduits pour vous. Des cours de chant et des concerts live organisés pour votre personne, avec un vrai public, de la musique rock, un road-trip en Harley-Davidson aux USA, de la drogue, une jolie femme bien plus jeune que vous et une vie qui se termine paisiblement dans une villa de Saint-Barth. Noir, c'est noir.
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