La main dans le vent et le soleil qui tapait sur sa peau légèrement hâlée, il rêvassait. Ses doigts accomplissaient de petites vagues imaginaires alors qu'il faisait s'envoler sa paume au-dessus des arbres et des buissons environnants, comme s'il pouvait rebondir dessus. Au loin, une campagne luxuriante à perte de vue. Des arbres, beaucoup et dans la croisée des chemins, des champs de tournesols qui s'entrecroisaient au milieu d'une végétation épaisse et mystérieuse.

Sunghoon aimait cette vision, elle lui avait manqué.

Le soir, quand plus rien n'allait dans son vaste appartement citadin, Sunghoon s'imaginait de nouveau fouler ces paysages à toute vitesse sur son vieux vélo rouillé et quand l'hiver arrivait, il se revoyait enfiler un sac poubelle, lisse et glissant pour venir dévaler les vallées pleines de neige qu'il avait connu toute son enfance.

C'était drôle, c'était innocent, c'était avant.

L'homme avait gardé une accroche inestimable pour un endroit qu'il avait pourtant fui à l'instant même où il en avait eu l'opportunité. Pourtant, aujourd'hui, il ne pouvait se soustraire à sa visite et sans vraiment réussir à nommer pourquoi, il appréciait l'obligation.

Les yeux perdus dans le vague de cette campagne, ses pensées tourbillonnaient dans son esprit alors qu'il était déjà ailleurs, comme souvent on le lui reprochait. Il était enfoui dans ses songes, si profondément qu'il oubliait toujours tout ce qui l'entourait. Dans son travail, on le lui faisait souvent remarquer, mais Sunghoon n'y pouvait rien, il était comme ça. Particulièrement depuis ce jour-là.

Derrière sa main, au loin, Sunghoon aperçut le château d'eau du village d'à côté, celui qu'il avait souvent connu et c'est le cœur tambourinant dans sa poitrine qu'il pensa à lui. Il allait le revoir, c'était inévitable.

Il allait le revoir...

Mais plus il y pensait et plus il ne savait quoi lui dire. Il ne savait pas par ou commencer ni même ou terminer. Comment lui parler après autant d'années... Est-ce qu'il voudrait bien lui parler ?

Devant ses pensées encombrées, les kilomètres défilaient à toute vitesse alors qu'il se rapprochait de plus en plus de la maison de son meilleur ami. Depuis huit ans il n'était plus aller chez lui et pourtant, maintenant qu'il reconnaissait les chemins, il n'était plus sûr d'avoir quitté cet endroit un seul instant.

Jay vivait officiellement avec Jungwon depuis un peu plus de six ans et c'est pourtant bien avant cette date qu'ils étaient tombés profondément amoureux. Comme presque toute la bande, les deux hommes s'étaient connus au lycée, dès la première année pour être exact. À cette époque, Jungwon n'avait pas eu besoin d'insister bien longtemps pour que Jay se trouve un penchant pour un terrain de jeux sur lequel il n'avait jamais envisagé d'aller, pourtant, ça a été sans retour possible. Et surtout, sans aucun regret.

Au décès de sa grand-mère qui l'avait totalement élevé, Jay avait récupéré la grande ferme familiale, tel qu'elle le lui avait toujours dit. Au début, cette dernière ressemblait à un vieil endroit qui sentait un peu le renfermé et qui semblait resté figé dans les années 70, mais son meilleur ami avait réussi à lui insuffler un peu de jeunesse et maintenant, l'endroit était méconnaissable. Pour qui connaissait les lieux, alors on savait que Jay et Jungwon avait su conserver quelques éléments d'antan. Une nappe de crochet blanc sur une table de chevet, une vieille pendule dans l'entrée ou un lustre dans le couloir.

Parfois, Sunghoon avait encore le sentiment de pouvoir entendre à tout moment la grand-mère de Jay arriver en radotant, des tartines au sucre pour le goûter sur un plateau, comme lorsqu'ils étaient pré-ados.

Il y avait bien longtemps.

Depuis que Sunghoon ne venait plus au village, c'est Jay qui faisait toujours le déplacement. C'est d'ailleurs toujours lui qui initiait un geste quand son meilleur ami ne parlait plus et c'est encore lui qui avait tout fait pour garder ce qu'ils avaient eu tant de mal à conserver. Sunghoon n'y avait pas vraiment mis du sien, mais Jay ne pouvait pas lui en vouloir, il était comme ça. Ou du moins... Il était devenu comme ça.

Malgré tout il l'aimait, Sunghoon était son meilleur ami. Alors il devait tenir, encore un peu, au moins jusqu'à ce que l'ancien Sunghoon revienne, en espérant qu'il bouscule au passage le nouveau pour lui demander de partir tout en espérant ne jamais le voir revenir.

Son chauffeur de taxi venait d'arriver devant une large bâtisse d'époque alors que de la pierre marron foncé semblait trancher avec la luminosité qu'offrait ce printemps. À peine était-il descendu de la voiture que Sunghoon entendait déjà quelques oiseaux chanter. Déjà perdu en lui-même, l'homme observait doucement les champs alentour, les yeux plissés par le soleil. Rien n'avait changé et le lieu semblait toujours aussi isolé, comme perdu au centre de la terre, la leur. C'est en tous cas ce que Jay et lui se disaient depuis la primaire quand ils venaient ici ensemble.

"Ici, c'est le centre de la terre, parce qu'ici, c'est juste toi et moi, pour toujours".

Sunghoon se retourna en sursautant quand il entendit le coffre claquer alors que le chauffeur se courba poliment devant lui après avoir déposé ses bagages sur le gravier. Le jeune homme lui donna une poignée de billets qu'il sortit d'un portefeuille en cuir onéreux et il n'eut pas le temps de rêvasser plus longtemps qu'il entendait déjà des rires et des verres tinter provenant de la maison, le ramenant à la réalité.

Les bruits semblaient venir du centre du bâtiment, probablement de la cour extérieure autour de laquelle la ferme avait été construite. Autrefois, sa grand-mère y gardait ses poules bien en sécurité des renards. Aujourd'hui, le couple semblait l'avoir transformé en une sorte de jardin d'hiver et Sunghoon aurait pu parier que c'était l'idée de Jungwon. Il aimait ce genre de choses et Jay l'aimait lui, follement. Pour cela, il ne lui refusait rien.

Inquiet à l'idée d'affronter ce qui semblait l'attendre, Sunghoon sentit son souffle se couper d'appréhension alors que comme pour se donner du courage, il se tapa la cuisse avec vigueur. Une dernière fois avant d'entrer, il regarda le ciel et, moins téméraire qu'il l'était durant le trajet, il s'avança vers l'entrée, sac de voyage en main.

À l'époque, la grand-mère de Jay laissait toujours la clef de la maison sous une grosse pierre grise à côté de l'entrée et en observant les alentours Sunghoon fut surpris de constater qu'une pierre qui y ressemblait drôlement s'y trouvait encore. Curieux, il fit glisser cette dernière de son pied et souris quand il y vit une clef. Quand il souriait comme ça, aussi naturellement, ses canines ressortaient toujours d'une manière caractéristique et souvent, grâce à lui, il se surprenait à y penser. Incapable d'arrêter, ses zygomatiques lui piquèrent un instant les joues alors qu'il se demandait s'il le lui ferait de nouveau remarquer. Est-ce qu'il le regarderait ?

Sunghoon fut de nouveau prit d'inquiétude, pourtant, il n'avait plus le choix. Il était devant le fait accompli et il savait qu'il ne pouvait pas manquer les réjouissances nuptiales de son meilleur ami. Il lui avait déjà fait passer trop de choses et il avait parfaitement conscience de la chance qu'il avait d'avoir encore un ami à ses côtés. Particulièrement Jay.

Soupirant, Sunghoon attrapa la clef et c'est comme pris par un vieux réflex qu'il ouvrit machinalement la porte avant de déposer son sac à côté de la porte. Comme prévu, la pendule de Mme Park y était installée. Cette dernière ne donnait plus l'heure, mais il savait combien Jay y tenait. Nostalgique, il caressa le bois brun foncé un instant avant de finalement entrer dans l'immense salon ajouré. Ce dernier était couvert de baie vitrée qui donnait sur la cour intérieure, noyant la pièce principale d'une lumière claire et réconfortante. Sur la droite du salon se tenait une large cuisine, entièrement équipée. Jungwon aimait cuisiner et Sunghoon ne doutait pas que Jay aurait construit n'importe quelle cuisine pour pouvoir goûter à ses bons petits plats chaque jour.

Derrière les vitres, un peu plus loin au dehors se tenait une table de bois rectangulaire d'au moins huit places et Sunghoon se surprit à sentir sa gorge se nouer. Attablé sur le bord de cette dernière se tenait un homme aux cheveux d'un noir profond. Sunghoon pouvait le voir rire et malheureusement, tel qu'il s'y attendait, il ne l'entendit pas. Pourtant, son meilleur ami assis non loin s'esclaffait à gorge déployée et lui, Sunghoon pouvait l'entendre.

Finalement, rien n'avait véritablement changé.

Déjà découragé, Sunghoon avança un peu plus dans la pièce. Jay et Jungwon ne l'avaient pas remarqué, mais le troisième homme si. Ce dernier se tourna vers lui et maintenant qu'il l'avait vu, il ne pouvait plus en détourner le regard, comme électrisé. L'homme avait arrêté de rire, il avait même arrêté de sourire et à cet instant, la terre toute entière était tombée avec fracas sur la tête de Sunghoon.

Il n'avait pas anticipé que cela lui ferait si mal et malgré tous les exercices qu'il avait fait sur le trajet pour briser la glace et s'y préparer, là, maintenant devant lui, rien ne lui venait. La vérité c'est qu'il ne pouvait pas faire semblant, pas devant lui,

Pas devant Sunoo.

--

Alors, cette mise en bouche ? ..