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—Réalises-tu que ce sera sportif ? Te sens-tu prête à marcher des journées entières ? 

—Cherches-tu à me décourager Mikail ? Il me suffit d'imaginer ma vie avec un homme choisi par père pour être motivée ! 

—Obtenir des papiers pour moi a été long et compliqué. La période idéale pour partir se rapproche, je ne veux pas la rater. Je me sens épié, ne pas rechercher la compagnie d'une femme au milieu d’autres jeunes hommes de mon âge se repère vite. Tu es intelligente, Irina. La bassesse de certains pour obtenir certains avantages amène souvent à des dénonciations mensongères. Sans faux papiers, tu ne passeras aucun contrôle sans te faire arrêter.

— Sauf si tu me fait passer pour ta femme. Nous ne nous ressemblons pas, notre écart d’âge ne sera pas choquant et peut même t’aider. Qui soupçonnerait un homo au sein d'un jeune couple fraîchement marié et amoureux… 

—Tu n’as pas tort à ce sujet mais cela attirera aussi le regard sur nous. Tu es une belle jeune femme, Irina. Nous ne serons pas toujours que tous les deux. T’emmener avec moi peut te mettre plus en danger que tu ne le crois. On m’a raconté des histoires qui m'ont fait frémir. 

— Et pourtant tu pars quand même ! 

—Oui. Je suis conscient qu'un jour un regard sera trop équivoque, ou offert à la mauvaise personne. Je ne suis pas un héros. Être emprisonné ici est tout sauf agréable ! 

—Comment le sais-tu ?

—Crois-tu que je parte sur un coup de tête ? L’année à économiser m’a aussi permis de récolter des renseignements. Je veux mettre toutes les chances de mon côté. Être emprisonné en étant homosexuel équivaut à être lâché en pâture. Ils ne me prendront pas vivant. 

Mes yeux piquent en lisant ce passage. Les réponses à mes questions confirment les craintes de Mikail. La fatigue, le froid, le risque de se blesser le long d'un chemin hostile n'est que la partie simple. Traverser la Tchétchénie et la Géorgie pour rejoindre la Turquie est un périple quasi impossible à faire à pied. Dangereux par le paysage loin d'être toujours hospitalier, la sécurité aux frontières semble infranchissable sans des papiers en règle. Les conclusions de tous mes interlocuteurs sont identiques. Ils n'ont pas pu y arriver. Pourtant, Irina est bien arrivée là. Son décès m'empêche d'obtenir plus de renseignements. Quant à son frère Mikail, à qui je dois remettre ces documents si personnels, elle est persuadée qu'il est vivant. Que m'a-t-elle caché ? Et pour quelle raison ? 

La part raisonnable de mon cerveau, celle qui rationalise, celle qui  temporise mes trop nombreuses envies d'aider les autres ne freine rien. Pour preuve, l'entretien programmé dans la soirée avec mes parents. 

—Misha, sur le principe, ta mère et moi sommes d'accord avec toi. Tu n’arriveras pas à tout stopper. Ton cerveau, obnubilé par cette histoire ne sera bon à rien. Voilà ce que nous te proposons. Prépare ton voyage en amont. Utilise tous les moyens mis à ta disposition pour trouver des réponses à tes questions. Quand cela sera fait, nous te donnerons de quoi faire ce voyage. J'espère que tu retrouveras cet homme, ou tout du moins des réponses à tes questions. 

—Merci à vous deux pour votre soutien. 

—Nous te connaissons suffisamment pour te faire confiance. 

J’étais rassuré. Leur accord me permettrait de pousser mes recherches sur les quelques pistes qu’Irina m’avait laissées. La situation était à la limite du rocambolesque. Les documents en ma possession étaient à remettre à son frère et dans un même  temps, ils devenaient le  seul moyen pour le retrouver, lui.

Les quelques photos glissées dans une enveloppe usée ne me semblaient pas très utiles. Étaient-elles des souvenirs d’Irina ? de son frère Mikail ?  De leur pays ? La jeune fille sur l’une d’elle ressemblait à Irina mais pouvait tout autant être une sœur. Les autres représentaient des paysages. De chez eux ? Prises pendant leur fuite ? L’idée me semblait impossible mais pourquoi pas. Et puis il y avait ce poing à demi-fermé sculpté dans une matière qui me semblait être de la glaise. Que représentait-elle de si important ?

Toutes ces années à l’université m’avaient appris à synthétiser des informations. Sans être devenu un expert en la matière, ma facilité à lire vite, enregistrer l’essentiel et prendre des notes m’ont grandement facilité le travail. Des lignes des nombreux cahiers d’Irina, j’avais extrait des lieux, des noms. Mon travail des prochains jours, peut-être semaines allaient être d’y associer des adresses à contacter pour d’éventuels rendez-vous. En espérant qu’Irina ne soit pas qu'une  incroyable affabulatrice !

 (Quinze jours plus tard)

Petit à petit, le tri se fait. Et une série de noms de villes ont disparu de ma liste. Sur douze lieux répertoriés, j’en ai éliminés plus de la moitié. Dans plusieurs passages de ces cahiers, Irina parle de l’Autriche et de la Suisse. Est-ce pour cela qu’elle est arrivée dans mon pays ? Qui lui a appris le Français qu’elle maîtrise à l’oral. Les cahiers, eux, sont rédigés en Tchetchene et seul Google traduction m’a aidé à déchiffrer l’essentiel. Est-ce l’écriture de son frère ? D’une troisième personne ? Aucune idée. Puisque la piste humaine semble reticente, je bifurque vers les images.

Je liste des noms de galeries d'art que j'appelle sans résultats. Je pousse le vice en questionnant un des enseignants de la faculté d'art située peu loin de la mienne. Il me promet une liste de certains galeristes Suisse plus spécialisés dans la sculpture. 

C'est la quatrième galerie que j'appelle. 

—Bonjour. Je suis à la recherche d'un lieu d'exposition de sculptures. 

—Sur Berne ? Je n'en vois pas. Il arrive que certaines expositions soient provisoires ou basées sur des thèmes précis. Mais la sculpture…

-Klok en a fait, tu ne te rappelles pas ? lâche une voix en arrière. 

—Ah oui, tu as raison. Avez-vous de quoi noter ?