Chapitre 19
Fiora, en apprenant la nouvelle, accourut quelques temps plus tard à l'hôpital. Daniel était reparti avec Erwan. En pénétrant dans la chambre, la jeune femme trouva Axel paisiblement allongé dans son lit, avec un sourire en coin.
- Ouf ! Tu as l'air plus en forme que ce que je croyais ! soupira Fiora.
- Je vais très bien, ma grande.
- C'est bien ton cœur qui a disjoncté ?
- Tout à fait.
- Eh bien, le cœur, c'est vachement important ! Cela ne t'était jamais arrivé avant !
- Non, en effet. Mais je n'ai pas eu le choix.
Fiora plissa les yeux. Elle n'était pas sûre d'avoir compris.
- Pas eu...le choix ? Parce que...on peut décider d'arrêter son cœur ou pas ?
- En ce qui me concerne, oui. Assieds-toi, je vais t'expliquer. Avant, jure de ne rien dire à personne. Seul Erwan, Martin et toi serez dans la confidence.
- Euh...d'accord. Je le jure.
- Comme tu l'as vu, Daniel est rentré d'Italie avec...
- De la joie de vivre ? Tu as vu, c'est dingue ! Il m'a même fait une blague !
Axel claqua la langue, agacé.
- Cette joie de vivre, comme tu dis, est dû au fait qu'il est persuadé qu'il a encore une chance avec Astrid Cavaleri. Je ne sais comment, mais elle lui a retourné la tête une nouvelle fois. Cela le pousse à faire des bêtises...
- Quel genre de bêtises ?
- S'énerver contre moi et vouloir partir.
- Ce n'est pas vraiment des bêtises, enfin...si, rectifia Fiora en apercevant l'air glacial d'Axel.
- Il fallait que je le retienne. J'ai donc demandé à Erwan de me trouver le stoppe-cœur.
- Ah ! C'est un bouquin, ça !
- Non, c'est un des nombreux poisons récupérés chez les Shiro. Il provoque une crise cardiaque en quelques minutes.
- Tu veux dire...que tu as utilisé ce poison...sur toi ?
- Exactement !
Fiora eut l'impression que son cerveau s'était transformé en flipper et que la bille venait de tomber entre les deux petits leviers.
- Tu as essayé de te suicider ! s'exclama-t-elle, les mains sur la bouche, horrifiée.
- Mais non, espèce d'idiote ! Je voulais rappeler à Daniel que je ne serais pas toujours là et qu'il doit, par conséquent, profiter de ma présence auprès de lui...tu comprends ?
La jeune femme poussa un petit cri. Elle se leva brusquement, manquant de renverser sa chaise.
- Alors là ! Même pour toi, c'est terriblement tordu !
- Merci, sourit Axel.
- Ce n'était pas un compliment ! C'est dégueulasse de faire ça ! Daniel était enfin heureux, il avait décidé de prendre sa vie en main et toi...toi, tu lui fais du chantage d'affection !
- Du chantage affectif, corrigea Axel. Mon fils ne sera jamais heureux avec Astrid Cavaleri, et tu le sais comme moi. Cette fille est une allumeuse écervelée. Il vaut mieux qu'il reste et que ce soit son père qui prenne sa vie en main. Daniel est intelligent. Il fera de grandes choses, dans mon nouveau monde, j'en suis sûr. Mais pour cela, je dois le garder auprès de moi.
Fiora eut honte soudain de connaître cet homme. C'était l'être le plus abominable de la planète ! Même sa mère n'aurait jamais osé lui faire croire qu'elle avait eu une crise cardiaque pour la garder ! Déjà, parce qu'elle n'aurait pas voulu la garder, certes, mais aussi parce que c'était tellement...tellement perfide !
- Tu me dégoûtes ! Moi aussi, je veux partir ! s'exclama-t-elle.
- Va ! Tu es libre. Je suis certain que ton plus grand rêve est de faire le trottoir pour une misère et de vivre dans une chambre de bonne crasseuse. Et seule, évidemment. Tu n'auras plus de mère ni d'amis.
- J'irais chez Astrid !
- Parfait ! Ainsi, tu pourras lui dire que son bébé ne va pas tarder à mourir.
Fiora sentit ses lèvres se mettre à trembler. Furieuse, elle bomba la poitrine, rejeta ses longs cheveux en arrière et lança :
- Très bien ! Je reste ! Mais sache que tu n'es qu'une...qu'une chiure démoniaque !
***
Madeleine se réveilla en sursaut, persuadée que quelque chose avait bougé tout près d'elle. Ce n'était que le vent furieux qui faisait onduler les rideaux : la fenêtre était entrouverte et laissait filer un air glacé. Elle se leva et la ferma en grommelant.
Un moment, elle avait pensé que c'était Edna.
À la douleur foudroyante avait succédé un vide sidéral. Madeleine ne ressentait plus rien et c'était très bien comme ça. Seulement, parfois et particulièrement la nuit, des souvenirs venaient la harceler, défilant comme dans un kaléidoscope. Edna allongée à plat ventre sur lit, son armoire remplie de tailleurs pantalons, ses lunettes posées sur le bout de son nez, ses casinos, son sourire inquiet, la nourriture chinoise qu'elle commandait le soir, la tête de Citrus posée sur ses genoux. Pauvre chien ! Leurs voisins de Las Vegas, les Carpenter, le gardait depuis l'absence de Madeleine et d'Edna. L'une d'elles ne reviendrait pas le chercher. Peut-être même les deux.
Elle tira les pans de sa robe de chambre en soie et, convaincue qu'elle ne pourrait pas se rendormir, se dirigea vers la porte pour rejoindre celui qu'elle appelait le « Golem geek ». Un grand dadais roux, qui, malgré son physique de bodybuilder, passait son temps à jouer à la console de jeux installée dans le petit salon de Martin pour une raison inconnue. Ce n'était pas le genre du Slovaque de faire autre chose que la regarder jouer du piano ou gribouiller des lignes et des lignes sur son bloc-notes.
- Eh, toi !
Le Golem se retourna et lui tendit une manette. Il jouait à un jeu de tir à la première personne, et dégommait des zombies dans un vieil entrepôt.
- C'est quoi ? fit Madeleine en s'asseyant à côté de lui.
- Fatal Mortal Combat Zombies 9.
- Quel nom fantastique !
Madeleine s'installa et le regarda jouer un moment pour apprendre les commandes.
- Le vieux est très fort à ce jeu, commenta le Golem.
- Quel vieux ?
Le rouquin devint soudain rouge vif. Il faisait partie de l'armée d'élite depuis peu de temps, car il parlait encore et commettait des gaffes.
- Celui qui vit en haut.
- Euh...Erwan ? Axel ?
Il secoua la tête et haussa les épaules.
- Salvatore ? lâcha Madeleine.
- Je crois qu'il s'appelle comme ça.
- Mais il est enfermé comme moi !
Le Golem se mordilla la lèvre. Finalement, il avoua dans un chuchotement :
- Je n'aime pas jouer tout seul...alors, euh...une fois, j'ai...
Ils furent soudain interrompus par trois coups frappés au plafond.
- C'est lui.
Le rouquin se leva, alla ouvrir la fenêtre et Salvatore apparut, en provenance du balcon de l'étage supérieur.
- Bonsoir, Lucien, fit l'Italien sans remarquer Madeleine.
Il entra et s'arrêta net en apercevant cette dernière.
- Mais qu'est-ce que vous fichez ici ?
- Je vous retourne la question ! C'est les appartements de Martin, donc les miens !
- Si on jouait ? intervint Lucien.
De sa grosse main, il poussa Salvatore sur le canapé, lui donna la troisième manette et s'installa au milieu.
- Attendez ! Pourquoi lui a le droit de quitter ses appartements pour jouer à la console et pas moi ? s'exclama Madeleine, outrée.
- Parce que la console est ici, donc vous n'avez pas à sortir, vous, répondit Lucien, avec une logique indéniable.
- Mais aucun Golem ne vous surveille, en haut ? demanda encore Madeleine à Salvatore.
- Si...mais il est dans le coup. C'est lui qui m'aide à descendre.
Jamais Madeleine n'aurait cru que les Golems puissent enfreindre les lois, surtout pour jouer à Fatal Mortal Combat Zombies 9. Avec un soupir, elle s'empara de la manette et élimina son premier zombie. Sans échanger un mot, ils jouèrent pendant près de deux heures. Quand Salvatore remonta dans sa chambre grâce à une courte échelle de Lucien, Madeleine alla se coucher et dormit enfin paisiblement.
***
Erwan décida de rencontrer son prochain invité seul. De toute façon, la présence de Daniel l'exaspérait. Il acceptait de mêler ce garçon à ses affaires uniquement pour faire plaisir à Axel. Et ce dernier était encore à l'hôpital, donc il avait le champ libre.
Jeune, le Breton avait consommé un peu de drogue, pour s'amuser avec ses amis, tous issus des classes aisées. Puis un jour, Jean-Eudes, un de ses meilleurs copains, et lui s'étaient perdus en allant acheter de l'herbe. Ils avaient échoué dans une banlieue glauque et sale, dans un squat de drogués. En apercevant le teint cadavérique, les yeux rougis et creusés, les veines bleuâtres sur les avant-bras des junkies, Erwan avait été traumatisé. Lui qui n'aimait que son physique s'était juré de ne pas finir ainsi et avait arrêté toute consommation de stupéfiant.
Depuis, les drogués le répugnait, mais il tolérait Kenneth Chapman, un milliardaire de San Diego tellement riche qu'il pouvait effacer tous les méfaits de la drogue à coup de bistouris et de crèmes à base de champignons hors de prix.
De toute façon, Kenneth était un vendeur avant d'être un consommateur.
- Hey, amigo !
Le milliardaire était à moitié mexicain, par sa mère. Erwan avait toujours trouvé ce pays fascinant : les cartels, les fusillades, les narcotrafiquants...les tacos...
Avec ses lunettes de soleil, son gros cigare cubain et son panama, Kenneth semblait tout droit sorti d'une série américaine.
- Comment ça va ?
Ils échangèrent une poignée de main virile, qui broya les doigts d'Erwan. Le Golem apporta sur un plateau des cupcakes dégoulinants de glaçage aux couleurs criardes et franchement laides.
- Qui a fait ça ? hurla le Breton, furieux.
- Le cuisinier, comme d'habitude, monsieur, répondit poliment l'infortuné serveur.
- Dis-lui qu'il peut les manger lui-même ! C'est répugnant ! On ne badigeonne pas un gâteau de jaune ou de vert fluo !
Kenneth avait pâli sous son hâle californien. Il prit le paquet qu'il avait posé près de lui et en sortir un long cake orange vif.
- J'espère que cette couleur-là te dérange moins.
Erwan cacha sa gêne derrière un rire forcé.
- Mais non, c'est parfait ! J'adore l'orange ! Qu'est-ce que c'est ?
- Goûte et tu me diras !
À contrecœur, le Breton croqua dans une tranche et détecta aussitôt une forte odeur de cannabis.
- Un Space Cake ! Comme c'est drôle !
- Du cannabis que je fais pousser près de chez moi, sourit Kenneth, tout fier. Et qui se vend jusqu'à Cancún ! C'est ce gâteau qui a provoqué l'échange de tirs entre Don Pablito et El Demonio !
- Ce sont des joueurs de catch ? demanda Erwan.
- Non, des narcotrafiquants !
- Avec des noms pareils, ils devraient penser à se reconvertir !
Kenneth partit d'un grand rire. Il fit claquer ses grosses mains.
- Je les connais tous personnellement. Alors, quand l'heure viendra, je les contacterai et ce sera la plus grande guerre des drogues que le monde n'a jamais connu ! L'Amérique, du Canada à l'Argentine, sera à feu et à sang.
Erwan applaudit cette bonne nouvelle. La discussion se poursuivit un moment et le Breton fit de son mieux pour ignorer l'odeur nauséabonde du gâteau.
Quand Kenneth eut quitté le manoir, il rappela le Golem serveur et indiqua le Space Cake :
- Mets immédiatement cette horreur à la poubelle !
***
Fiora, elle, n'aimait pas forcément les gâteaux à base de cannabis, mais elle appréciait les trafiquants de drogue sud-américains. Enfin, un en particulier : Gonzalo Erizo.
Elle qui préférait les beaux acteurs vus dans ses magasines avait craqué pour cet homme au physique atypique. Son aspect robuste et brutal, mais aussi son côté spontané, lui avait plu tout de suite. Quant au Sud-Américain, il avait apprécié immédiatement les mensurations de Fiora et son sourire coquin.
Comme leur relation était encore récente, elle aimait faire la courte liste de leurs souvenirs communs. Force était de constater qu'ils n'en avaient pas encore beaucoup. Ils s'étaient rencontrés à la Villa, après le retour d'Astrid du Japon. Elle avait voulu faire une petite fête pour célébrer son sauvetage. Là, alors que Fiora jouait plus ou moins les pique-assiettes parce qu'encore une fois, c'était sa mère qui avait été invité et non pas elle, Gonzalo s'était approché :
- Vous êtes qui ?
- La fille de la vieille blonde.
- T'es drôlement mignonne, en tout cas.
Le soir même, ils dînaient ensemble au restaurant « Chez Luigi » à San Gennaro, qu'Astrid leur avait payé car aucun des deux ne le pouvait, Fiora parce qu'elle était fauchée et Gonzalo parce qu'il était macho. Ensuite, la jeune femme s'était laissée peloter mais avait strictement refusé de coucher : elle avait tout de même des principes. Après avoir fait longtemps mariner Gonzalo, Fiora avait accepté de le revoir et de lui offrir son corps de rêve le troisième soir. Depuis ce moment, elle le surveillait et guettait la moindre femelle en rut qui passait dans son champ de vision. Quand le regard de Gonzalo s'attardait sur un fessier charnu, Fiora le rappelait sévèrement à l'ordre.
Ensuite, ils étaient partis deux fois en vacances : d'abord, dans le Sud de la France, où tout s'était parfaitement déroulé, hormis deux ou trois disputes, puis à Manta, en Équateur, chez Gonzalo. Fiora avait bronzé, dansé, chanté, rigolé. Pour la première fois, elle se sentait heureuse, en sécurité...et amoureuse.
Lorsque Gonzalo lui avait demandé d'être sa fiancée, elle avait sauté de joie, littéralement.
Elle, Fiora la bimbo, serait bientôt l'épouse du plus grand trafiquant d'Amérique du Sud !
Sa mère avait, comme d'habitude, ricané :
- Toi avec cet imbécile aux cheveux gras ? Ma pauvre fille, je préférais encore ton fils à papa boutonneux ! Comment s'appelait-il déjà ? Dylan ?
- Il n'était pas boutonneux.
- De toute façon, ton dessin-animé préféré a toujours été « La Belle et la Bête ».
- Ah ? Tu me trouves belle ?
- Tu restes tout de même ma fille, tu ne peux pas être laide.
Mais Fiora se fichait bien de ce que pensait sa mère. Elle aimait Gonzalo. Puis Axel avait mis son grain de sel, envoyé McRaven à la Villa, son fiancé était parti dans un quartier bizarre de Naples avec Salvatore, et enfin à la P.I.H.S, où il avait déjà passé de longues années.
Le reverrait-elle un jour ? Axel savait qu'elle ne couchait plus avec Daniel et que ce dernier n'oublierait jamais Astrid.
Alors pourquoi ne laissait-il pas son Gonzalo sortir de prison et la rejoindre ?
Hein ?
Merci <3
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