02 - Jade
Dimanche 26 janvier
Oxford
Jade
J'ignorais totalement ce qui m'était passé par la tête. Je savais juste que, venue l'heure de le quitter, je m'étais trouvé incapable de partir de sa chambre et d'en être éloignée. Alors, j'étais restée, même si cela ne me ressemblait pas du tout. J'avais tendance à faire patienter mon partenaire, à prendre mon temps, à en avoir besoin pour me sentir prête. Il était vrai qu'il ne s'était rien passé de charnelle entre nous, hormis quelques baisers et caresses, mais dormir avec quelqu'un pour lequel j'éprouvais des émotions fortes, c'était une étape. Je l'avais déjà atteinte par deux fois dans le passé, mais jamais sans sexe. Rester dormir sans ressentir une certaine pression de ce côté-là était très libérateur. À aucun moment Alexandre ne m'avait donné cette sensation en tout cas. Il devait être tellement surpris par mon changement de décision et de comportement que ma seule présence avait dû lui suffire. C'était tout du moins ce que je pensais.
Il dormait encore quand je me réveillai. La soirée me revint petit à petit en mémoire et je me rappelai que je m'étais endormie sans avoir même pu lui souhaiter une bonne nuit. Les examens et les émotions des dernières heures m'avaient totalement lessivée.
Je m'écartai légèrement d'Alexandre. Son bras était toujours en dessous de ma tête et je culpabilisai un peu à l'idée qu'il eut dû dormir comme ça : ça ne me paraissait pas très confortable et il n'avait pas pu bouger à sa guise. Pourtant, lorsque mon regard se posa sur son visage, ses traits étaient détendus et je fus rassurée. Peut-être avait-il réussi à aussi bien dormir que moi.
J'avais dormi comme un bébé ! Ce qui n'était pas arrivé depuis bien longtemps. Je n'arrivais d'ailleurs pas à me rappeler de la dernière nuit de sommeil aussi réparatrice que j'avais eue. Cela ne datait pas de mon arrivée en Angleterre, ni même des vacances estivales.
Si on m'avait dit, il y avait encore quelques jours, que je dormirais dans les bras d'Alexandre en me sentant en toute sécurité et en dormant aussi bien, je n'aurai pas cru mon interlocuteur. Ça m'aurait paru trop rapide... et, hier ça avait simplement été naturel. J'étais bien, alors pourquoi tout détruire juste à cause de mes foutues règles ?
Je restai de longues minutes là, à le contempler, à réfléchir, à me remémorer chaque seconde de la nuit dernière. J'avais du mal à réaliser ce que j'avais fait, mais j'en étais contente et j'avais hâte de pouvoir partager ce bonheur avec maman, Brooke, Scarlett ou encore Mila et Kathy. Un bonheur spontané et inattendu. N'était-ce pas les plus enrichissants ?
Une dizaine de minutes après mon réveil, la respiration d'Alexandre changea et il se mit à légèrement remuer. Je remerciai intimement le ciel : ce n'était pas très drôle de ne pas pouvoir bouger et de devoir attendre en silence. Je n'avais même pas accès à mon téléphone pour passer le temps, l'ayant déposé sur la table de chevet qui était de son côté. J'appréhendai un peu le réveil d'Alexandre. C'était la première fois qu'il me verrait dans mon état « naturel », bien que je n'étais déjà pas une très grande adepte du maquillage et que je n'avais pas mon pyjama Mickey en pilou. J'aurais bien tenté de m'éclipser discrètement pour aller me laver les dents et passer un coup de main dans les cheveux, mais c'était peine perdue : j'étais du mauvais côté du lit, celui qui était pratiquement près du mur. Qu'importait la tentative, à savoir de l'enjamber ou de me glisser jusqu'au bout du lit, j'allais échouer. J'étais plutôt maladroite et c'était de toute façon trop tard : Alexandre venait d'ouvrir les yeux.
Nous nous regardâmes quelques secondes sans rien nous dire. J'aurais mis ma main à couper qu'Alex était en train de vivre la même chose que moi à mon réveil : il lui fallait un peu de temps pour se souvenir de ce qui s'était déroulé hier soir et réaliser que j'étais bien là, dans son lit. Un sourire se mit doucement à naître au bout d'un certain temps. Sa main chercha ensuite la mienne sous la couette et, une fois qu'il s'en fût saisi, j'eus droit à un affectueux « bonjour » que je lui rendis sur le même ton. Les traits heureux, je retrouvai la position que j'avais quittée peu de temps auparavant et me blottis contre lui. Nous restâmes ainsi de longues minutes sans rien dire, profitant de la présence de l'un et de l'autre. Il y avait encore une atmosphère de rêve qui planait tout autour de nous et qui nous enveloppait. C'était enivrant.
— As-tu bien dormi ? m'interrogea-t-il avec douceur.
— Comme un bébé, dis-je joyeusement. Et toi alors ? Tu n'as pas trop mal à ton bras droit ? J'ai dormi dessus toute la nuit, ça n'a pas dû être très agréable.
— Je n'ai absolument rien senti. Je me suis endormi peu de temps après toi et je ne me suis pas réveillé une seule fois.
— Ça veut donc dire que tu as bien dormi, toi aussi ?
— Un sommeil parfait avec une femme parfaite.
— Oh le voilà qui est aveuglé par l'amour ! le taquinai-je.
Nous rîmes un instant avant de me rendre compte du mot que j'avais prononcé. « L'amour ». Il était clair que c'était ce que nous vivions. Il n'y avait aucun doute quant à la nature et la profondeur de mes sentiments pour lui. C'était l'amour avec un grand A. Pourtant, je fus gênée, par ce mot empreint d'une telle grandeur et qui me faisait peur. Pour la première fois de ma vie, je réalisai enfin ce qu'était l'amour. Ce qu'était « être amoureuse ». Je me rendais compte que mes précédentes relations en avaient été dépourvues, tout du moins de la forme que cela prenait avec Alexandre. Avec lui, il n'y avait pas de doutes ni de peur. Il n'y avait que l'instant présent qui se déroulait selon nos envies. C'était spontané, captivant et excitant. Je n'avais pas besoin de réfléchir à ce que j'allais dire ou faire. Il n'y avait pas de jugement entre nous. Ce que nous possédions, en revanche, c'était un fil invisible qui nous reliait et qui m'avait empêchée de partir cette nuit. C'était comme si m'en aller m'aurait privé d'oxygène.
Était-ce l'amour ? Savoir aimer sans avoir l'impression d'en faire trop ou de paraître ridicule ? Donner sans avoir peur ? Recevoir sans s'enfuir ?
Si c'était ça, je voulais le vivre chaque jour du reste de ma vie, tant que ce fut avec lui.
— Tu es réveillée depuis longtemps ?
— Juste quelques minutes, ne t'en fais pas.
Je me reculai légèrement, je voulais m'imprégner une nouvelle fois de tous les traits de son visage. De ses yeux bleus dans lesquels je pourrais me plonger pendant des heures, de ses petites fossettes qui se creusaient en souriant, et de son sourire qui me faisait fondre, évidemment.
Alexandre pivota légèrement et attrapa son téléphone. Après avoir regardé, ce que je supposais, être l'heure, il le redéposa.
— Il est presque dix heures, m'informa-t-il. Je ne sais pas si tu aimes les petits-déjeuners anglais et je sais que ma proposition pourra être bizarre vu qu'on est en Angleterre, mais il y a une boulangerie tenue par des Français à quelques pas d'ici. Est-ce que ça dit quelques petites viennoiseries ?
— C'est une excellente idée ! approuvai-je d'une voix gourmande.
— Ne bouge pas alors, je reviens vite.
J'étais impressionnée par la rapidité avec laquelle Alexandre arrivait à quitter le lit. Moi, il me fallait toujours une dizaine de minutes avant d'y arriver et c'était en grande partir pour ça que mon réveil était toujours programmé plus tôt que ceux de mes amis. Parce que j'aimais profiter de ces quelques secondes entre le sommeil et le réveil. Ces minutes qui m'appartenaient encore à moi, rien qu'à moi et non au programme de la journée qui m'attendait.
Alex, une fois debout, s'approcha de sa penderie et se saisit de nouveaux vêtements : un t-shirt, un pull et une paire de chaussettes. Je ne fus pas capable de détourner le regard lorsqu'il ôta le haut dans lequel il avait dormi tout en restant de dos. Je frissonnai quelque peu, mais ce fut assez bref, car, déjà, il s'était rhabillé. Il enfila ensuite ses chaussettes et ses chaussures. Il revint ensuite près du lit, s'abaissa et s'empara de mes lèvres. Nous en oubliâmes notre haleine matinale. De toute façon, à quoi bon y penser ? Tous couples finiraient par s'embrasser le matin avant d'avoir eu le temps de déjeuner et de passer par la salle de bain pour le brossage de dents. Pourquoi refuser des baisers ?
— Je serai là avant même que tu t'en rendes compte, me promit-il.
La minute qui suivit, après s'être saisi de son portefeuille, de son téléphone et de son manteau, Alex avait disparu. Il me laissait seule dans son antre, comme si c'était habituel, comme si ce n'était pas la première fois. Je pris ça pour une preuve de confiance. Sachant son statut, j'aurais cru qu'il aurait eu peur de me laisser dans son intimité. Ce n'était pas le cas et ça me fit sourire.
Je restai encore quelques minutes sous la couette, bien au chaud. Une dizaine de minutes après son départ, je me décidai enfin à me lever et je rejoignis le miroir qui était accroché près de la penderie. Je m'observai longuement en passant ma main dans mes cheveux, tentant du mieux que je le pus de redonner un peu de volume et de démêler les nœuds qui donnaient un air négligé à ma tignasse. Je frottai ensuite frénétiquement le contour de mes yeux où des traces d'eye-liner et de crayon s'étaient répandues de manière très légère, heureusement. La seule chose pour laquelle je ne pouvais pas faire grand-chose, c'était mes dents. C'était stupide de les laver maintenant alors que j'allais bientôt déjeuner. Cela aurait donné un goût bizarre à mon petit-déjeuner. De plus, j'ignorai totalement où Alexandre avait rangé ses brosses à dents en réserve et je me voyais très mal commencer à fouiller ses tiroirs.
Une fois que je me sentis à peu près présentable, je m'installai à nouveau dans le lit, en position tailleur, le téléphone dans la main. Je restai bloquée dans cette position sans réussir à choisir une application. J'avais remarqué que j'avais quelques messages, en particulier de Kathy et Mila, et je me tâtai à y répondre. Si j'envoyais le premier message, l'une d'elles risquait, poussée par leur curiosité, de m'appeler et je n'avais pas vraiment le temps pour ça. J'ignorai dans combien de temps reviendrait Alex et je n'avais pas envie qu'il me trouvât le nez collé à mon téléphone. Le moment n'était pas bien choisi, j'attendais d'être de retour dans ma chambre pour être plus libre de mes mots. Je me voyais mal m'extasier de lui auprès de mes amies s'il était dans la même pièce. Dans la même optique, je retardais le moment d'en faire part à Brooke, Scarlett et à maman. J'avais moins de risque que l'une d'elle m'appela maintenant, il était encore trop tôt chez elle, mais je ne savais pas quand j'allais partir de sa chambre. Cela arriverait, j'avais besoin de prendre une douche et de changer de vêtements.
Je checkai mes différents réseaux sociaux, sans pour autant réagir par un « j'aime » ou par un commentaire aux publications de mes amis. Je ne devais pas les alerter que j'étais réveillée et prête à passer un interrogatoire.
Alors que je changeai d'application, quelques petits coups à la porte me firent sursauter. Je tournai mon regard vers la porte de la chambre, la main sur le cœur et l'esprit vif. Qui cela pouvait bien être ? Je quittai le lit avec cette question, le sourire crispé. C'était probablement Charlie qui venait prendre des nouvelles d'Alex après que celui-ci eut quitté leur soirée bien tôt. Il m'avait probablement vu quitter le pub peu de temps après son meilleur ami et, au vu des événements, ne devait pas me porter dans son cœur. Que devais-je faire ? Je ne pouvais pas le laisser dehors, c'était impoli. Et puis, Alex allait revenir d'une minute à l'autre et il apprendrait tôt ou tard ce qui s'était passé. Autant ne pas le faire patienter ou lui faire rebrousser chemin, ça n'aurait vraiment pas été très sympa et je devais gagner des points...
Je pris une profonde inspiration, prête à affronter son jugement et ses possibles remarques, et j'ouvris la porte. Ma respiration se coupa net lorsque mon regard se posa sur le visage d'une dame âgé, soigneusement coiffée et habillée. Je compris instantanément à qui j'avais à faire et j'aurais tout donné pour que ma première idée eût été la bonne. J'étais prête à affronter son meilleur ami, mais pas à rencontrer sa grand-mère. Pas maintenant, pas dans cet état, pas aussi tôt dans notre relation, pas après lui avoir dit que je ne voulais plus jamais le revoir.
Mais voilà, je me trouvais devant elle désormais et je n'avais aucune idée de ce que je devais faire ou de ce que je devais dire. Nous n'étions pas encore arrivés à ce sujet que fût le protocole ou la rencontre avec sa famille, pas assez sérieusement en tout cas pour y être préparée.
J'étais en train de me décomposer. Cela ne faisait que trois ou quatre secondes que j'avais ouvert la porte. Je devais agir au risque de passer pour la dernière des crétines. Maladroitement, en me remémorant certaines scènes que j'avais pu voir dans des séries ou des films, je fis une révérence alors que tout en moi me criait de prendre mes jambes à mon cou.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro