Lundi | Miss Météore
Thème de la Semaine : la pluie
L'armée a pris la fâcheuse habitude de déclarer morts des soldats dont le cadavre reste introuvable. Laissez-moi vous affirmer que le doute est permis, puisqu'un matin, un commandant est revenu plus de quatre-vingts ans après avoir été déclaré mort à sa famille. Il n'avait pas pris une ride. Du temps de la dernière guerre, lui et son escouade avaient été pourchassés jusqu'au fin fond de leur maquis, ne leur laissant pas d'autre choix que de se cloîtrer dans les innombrables galeries d'une mine condamnée. A l'époque, les résistants avaient rapporté que leur commandant avait trouvé la mort en trébuchant au mauvais endroit : il aurait filé tête la première dans un puits obscur, et les gars l'auraient écouté hurler des minutes durant avant de conclure de sa mort. Cependant il revenait, tout jeune encore, à l'heure où les anciens combattants mouraient comme des mouches. Mais il ne revenait pas seul, une jeune fille le tenait par la main. Lui-même avait l'impression de n'avoir passé qu'un jour ci-bas, au centre de la Terre, comme il aimait à répéter en citant compulsivement les lignes de Verne. Mais une seconde dans ce monde caverneux semblait s'étaler en des mois à la surface. La famille Soupape (tel était son nom) avait déjà été décimée par les ans, mais le soldat ramenait un nouveau futur avec lui, une femme d'en-bas, une fille taciturne et tranquille, qui s'était éprise de lui en un jour, et avait décidé de le suivre. Tout d'abord, on laissa le couple se reconstruire sur une petite solde d'ancien combattant. Ils vécurent heureux quelques années, non sans remarquer quelqu'intriguant détail : le temps, le temps s'accordait à l'humeur de la sous-terrestre. On dit que les éclairs sont la colère de Dieu, mais que nenni : ils sont le simple résultat des coups de sangs de Julie Soupape. Le soleil brillait lorsqu'elle même rayonnait de joie, la pluie tombait quand elle ruisselait de tristesse, la brume accompagnait ses fatigues passagères. Les services secrets, qui gardaient l'œil sur cette étrangère, ne tardèrent pas à faire le rapprochement, en dépit de l'incrédulité de la communauté scientifique. L'esprit lucratif ne manqua pas de commissionner quelques démarcheurs à la porte des jeunes époux, qui dédaignèrent les avis des meilleurs agronomes : non, madame ne se ferait pas sourire pour le bonheur de vos choux-fleurs, vous essuierez ses tempêtes que vous le vouliez ou non ! Le temps passant, le commandant Soupape s'était illustré dans nombre de missions spéciales qui lui valurent le rang de caporal. Un ouragan éclata à chaque fois que la maternité dut accueillir Julie, désagréments bientôt réparés par les mois de doux rayons à venir. Néanmoins, le bruit commença à courir que cette bonne femme ne faisait pas que causer de la pluie et du beau temps, elle causait la pluie et le beau temps. Elle fut tant sollicitée, tiraillée par les associations, syndicats, sectes à mystères et lobbys en tous genres que la dépression la gagna peu à peu : un âge glaciaire tombait sur Paris, qui supporta des grêles d'une violence inouïe lorsque les premières crises de nerfs firent irruption. Une organisation mal intentionnée compta même enlever la pauvre Julie, dans le but d'asservir ses sentiments à leurs vils desseins. Fort heureusement, son mari les en prévint, à la force de ses poings. Mais ils se frottaient là à un ennemi aux ressources illimitées, qui ne tarderait pas à envoyer d'autres brutes. Acculé, le caporal Soupape décida de renvoyer Julie et ses enfants dans les souterrains, seul endroit où ils pourraient trouver le repos. Pour les convaincre, il avança que ce ne serait que temporaire, il démantèlerait cette organisation criminelle, mettrait jusqu'au moindre de ses associés derrière les barreaux. Ensuite, il viendrait les chercher tout là-bas. C'était un mensonge. Le temps que Julie arrive au bout du puits, Soupape était déjà mort, et les années qui lui restaient encore à vivre, en surface seraient des siècles. Ce n'est pas faute d'avoir essayé de tenir sa promesse, pourtant : Soupape a tout fait pour saboter ses agresseurs, mais il perdit leur trace, s'essouffla face à l'immensité du Mal. Du restant de ses jours, il s'égaya peu. Seulement par instant, lorsqu'il voyait un arc-en-ciel émerger des volutes de neige, il savait que sa femme pensait à lui, avait un sourire tendre, riait peut-être au souvenir de quelque bravade de jeunesse. L'arc-en-ciel le faisait pleurer, mais à sa façon d'homme tout simple, une larme à la fois, qu'il recueillait doucement, là, dans le creux de la joue.
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