Chapitre 23
« L'amour est borgne, la haine est aveugle », Proverbe allemand
Céleste avait souri en s'endormant et elle souriait toujours alors que le soleil se levait à l'horizon. Elle était un peu à l'étroit dans son lit dur aux draps usés par le temps et son dos semblait courbé par une crampe – néanmoins, le désespoir qui l'avait ravagé auparavant l'avait quitté et elle sentait naître en elle une détermination nouvelle.
La détermination d'avoir foi en l'avenir et de ne pas se laisser abattre par la méchanceté gratuite des hommes qui souhaitaient faire d'elle quelque chose qu'elle ne fut pas.
Elle se leva lentement, le bois grinçant sous son poids, et arrangea sa chevelure en désordre, se passant deux mains sur le visage pas encore tout à fait réveiller. Ses orteils touchèrent le sol gelé et elle grimaça, attrapant rapidement une paire de bas en laine qu'elle enfila avant de sortir de sa petite chambre pour rejoindre la cuisine où l'attendaient ses parents. Tous les deux avaient le visage dur, fermé – son père plus que sa mère, cette dernière trahissant sa peur et son inconfort par ses lèvres tremblantes et ses doigts fins s'emmêlant entre eux en un geste nerveux.
Céleste s'assit à table, silencieusement.
« Tu as bien dormi ? », demanda sa mère de cette voix insupportablement douce et geignarde.
La jeune femme hocha la tête et remplit sans un mot le bol posé devant elle du mélange de céréales et de miel au centre de la table. Elle entendit un sifflement puis le cognement violent du poing de son père sur le meuble en bois.
« Céleste ! Quand ta mère te parle, tu réponds, nom de dieu ! »
Céleste serra les dents un instant et respira profondément.
« J'ai très bien dormi, merci. », répondit-elle alors calmement, ses yeux fixés sur le petit-déjeuner peu appétissant devant ses yeux. Sa mère soupira et se mit à tapoter sur la table de ses doigts, un rythme effréné et perturbant. La jeune femme releva les yeux, sourcils froncés.
« Quelque chose ne va pas ? », demanda-t-elle d'une voix légèrement irritée et ironique, sa bonne humeur matinale comme engloutie dans l'ambiance étouffante de la cuisine. Sa mère secoua la tête, sidérée.
« Si quelque chose ne va pas ? Mais enfin Célestine ! Evidemment que quelque chose ne va pas ! Est-ce que tu as réfléchi aux conséquences que tes actes allaient avoir ? Je pense bien que non ! Et maintenant, nous sommes la risée du village, nous tout autant que toi ! » Sa mère avait les larmes aux yeux tandis que son visage ridé s'agitait sous l'émotion et la colère. « Je n'ai jamais été autant humilié de toute ma vie. Tout le monde est au courant et se fait un plaisir de me rappeler que je suis la mère de la femme qui a partagé son lit avec un roi détestable comme... comme... » Sa voix se coupa et un sanglot quitta sa gorge.
Céleste ficha sa cuillère dans le bol et avala ensuite les céréales. Elle ne prit pas la peine de contredire sa mère. A quoi bon ? On ne la croirait pas. Elle replanta d'un geste violent l'ustensile dans la mixture gluante.
« Je vous prie de m'excuser, mère. J'épouserai ce chasseur et dans quelques mois, les villageois auront tout oublié et vous laisseront en paix. »
Les mots prononcés semblaient lui brûler la langue d'un goût amer et Céleste cligna des yeux, gardant son regard clair et voilé d'amertume baissé. Le chasseur... Un rire ironique manqua échapper à ses lèvres. L'homme qu'elle avait pris pour son sauveur n'était autre que son bourreau. Pourquoi avait-il menti ? Pourquoi l'avait-il entraîné dans un tourbillon de malheur dont elle ne voulait pas ? Elle ne lui avait rien fait et s'il s'agissait seulement de l'épouser, il aurait pu tout simplement demander sa main et la courtiser sans détruire son honneur, sa réputation et sa famille au passage !
Cet homme ne pouvait qu'être fou.
Céleste avala les restes de son petit déjeuner avant de se lever de sa chaise grinçante. Son père l'arrêta sans même lever la tête vers elle ou poser ses yeux durs sur son visage las.
« Céleste, j'ai arrangé une rencontre avec le chasseur aujourd'hui, à midi. Je veux que tu sois présentable – enfile ta meilleure robe et tes meilleurs chaussures, ta mère te coiffera les cheveux. J'exige que tu fasses un effort et que tu te montres redevable pour ce qu'il fait pour toi. »
La jeune femme serra les dents, sur le point de cracher au visage de son père, prête à pousser un cri de désespoir et de rage entremêlés dans un profond sentiment d'injustice. Elle compta jusqu'à dix dans sa tête. Lentement. Inspira profondément.
« Très bien. », dit-elle, la voix glaciale. Elle tourna sur elle-même et quitta les cuisines pour retourner dans sa chambre misérable où elle se laissa lourdement retomber sur son lit. Elle laissa sa tête retomber dans sa nuque et ferma les yeux, refusant de laisser couler les larmes prêtes à se jeter de ses yeux.
Céleste fit alors ce qu'elle savait faire de mieux.
Céleste réfléchit.
Repensa ses options. Elle pouvait partir : néanmoins, où irait-elle ? Elle ne pouvait pas seulement courir rejoindre le prochain village – les rumeurs couraient vite et la rattraperaient avant qu'elle n'ait pu reconstruire quelque chose. Elle pouvait essayer de retourner au château – cela finirait par détruire entièrement sa réputation et elle serait alors dépendante d'un homme trop puissant, qui pouvait la mettre à la porte et jouer avec elle comme bon lui semblait. Et s'il ne lui arrivait que le moindre malheur, elle se retrouverait avec rien, même pas les vestiges d'une réputation.
Céleste n'avait même pas de richesses, pas de possessions ou talents secrets qui lui auraient permis de fuir sa situation.
Elle était prise au piège, comme une souris dans la souricière, une souricière dont les barres métalliques se refermaient un peu plus sur elle à chaque moment de sa vie. La jeune femme se mordilla la lèvre.
La seule chose qu'elle pouvait faire, c'était de gagner du temps. Tenter de retarder le mariage – les fiançailles, elles, pouvaient avoir lieu car elles lui offriraient un peu de protection contre les villageois et leurs langues de vipères mensongères. Elle sourit sombrement et se releva, passant ses deux mains moites et nerveuses sur le visage. Elle s'approcha de son armoire. Son père lui avait ordonné d'enfiler ses plus beaux habits ? Très bien.
Elle ouvrit les portes grinçantes et inspecta le contenu du meuble en bois massif et un peu abimé par le temps. Les robes, proprement ordonnées et enveloppées d'une odeur de linge propre et de miel suave, n'avaient ni la richesse, ni l'élégance des habits qu'elle avait porté au château. Néanmoins, l'une d'elle était d'une beauté et d'une finesse incontestable. Céleste la sortit de l'armoire et un sourire doux caressa son visage, un sourire subtil et fragile qui lui donné un air absent.
La robe était légère, longue et d'un tissu presque transparent, d'un blanc perle et distingué. Les manches voluptueuses avait une coupure en haut et laissez transparaître les épaules fines de Céleste qui, une fois la robe sur elle, avait une apparence presque féérique. Elle tressa doucement ses cheveux et enfila les chaussures assortis à la robe avant de passer un collier, sa seule richesse, autour de son cou – une chaînette argentée au bout de laquelle pendait une perle en nacre qui se faufila entre ses deux seins et lui chatouilla la peau de son mouvement. Elle se racla la gorge : on toqua à la porte de sa chambre et elle se retourna pour laisser entrer l'inconnu.
Sa mère entra dans la pièce, ses épaules courbées, son regard papillonnant.
« Je viens pour t'aider à faire tes cheveux. », dit-elle doucement, avant de sourire « Tu es si jolie, ma petite Célestine, le chasseur va t'adorer. »
Céleste grinça des dents. Elle ne souhaitait pas que le chasseur l'adore mais ne pouvait rien dire à sa mère qui semblait, malgré les circonstances, heureuse d'enfin marier sa seule enfant. La jeune femme hocha la tête et s'installa en tailleur peu féminin sur le lit, dos à sa mère qui, d'une main agitée, défit la tresse tout juste faite. Elle ordonna de ses doigts les cheveux sauvages de Céleste avant de les mettre en place à l'aide de petites pinces, mèche après mèche, jusqu'à former une coiffure élégante malgré qu'elle soit un petit peu désordonnée. Doucement, sa mère se pencha en avant et embrassa sa fille sur la joue.
« Voilà. Tu es magnifique. »
Céleste hocha seulement la tête et ne se retourna pas. Elle ne souhaitait même pas voir à quoi ressemblaient ses cheveux, à quoi elle ressemblait elle. Cette comédie lui semblait ridicule. Sa mère soupira. Elle tendit un petit flacon à sa fille.
« Tiens. La voisine m'a offert un peu de parfum de lilas. Il t'ira à merveille. »
A nouveau, Céleste hocha la tête. Elle prit le flacon sans un mot, l'ouvrit et laissa couler deux gouttes sur son index qu'elle tapota dans le creux de sa nuque. Elle ferma les yeux un instant. L'odeur florale l'enivrait et lui rappelait les odeurs agréables du printemps. Elle sentit la tension dans son corps baisser un tout petit peu.
« Merci. », murmura-t-elle. Sa mère hocha la tête et sortit à petit pas de la pièce, laissant Céleste à la contemplation de sa vie.
Le temps semblait défiler lentement, si lentement que la jeune femme en vint à espérer que midi ne viendrait jamais, quand bien même ce genre de vœux furent bien vain. Bientôt, la cloche du visage sonna ses douze coups et elle dû se relever du lit, le cœur lourd, le visage presque aussi translucide et blanc que sa robe. Elle sortit. Dans la cuisine se trouvait déjà le chasseur, imposant, le visage fermé.
Céleste prit le temps de l'inspecter. Ses cheveux noirs et drus. Son visage masculin, trop masculin, comme figé dans la pierre avec des petits yeux mesquins. Elle inspira une dernière fois et se présenta à ses yeux. La petite lumière mesquine et prise de folie s'alluma à nouveau derrière les pupilles de l'homme qui effectua une révérence qui sembla impressionner la mère.
Céleste releva son menton, d'une arrogance feinte.
« Monsieur. »
« Mademoiselle. »
Il tendit une main qu'elle hésita à refuser – elle ne pouvait cependant pas se permettre un tel geste avec ses parents à côtés. Elle posa sa petite main moite et blanche dans celle de l'homme devant elle. Il l'attira un peu plus vers lui et elle tituba en avant, serrant les dents pour garder la tête haute.
Le chasseur se racla la gorge.
« Madame, Monsieur, je sais bien que cela est tout à fait inapproprié mais serait-il possible que je sois seul quelques instants avec ma... future femme ? Je ne souhaite pas être impoli mais vous serez éternellement reconnaissant si vous me l'accordez. »
A nouveau, la mère eut un air impressionné sur le visage tandis qu'un petit rire nerveux échappa à ses lèvres fines. Elle tourna sa tête vers le père qui hésitait en fronçant les sourcils.
« Dix minutes. », finit-il par maugréer, « Pas une de plus et pas une de moins. »
D'un geste décidé, il tira sa femme derrière lui et tous deux sortirent de la pièce. Sitôt la porte refermée, Céleste sentit la main du chasseur se refermer un peu plus sur la sienne et elle se retrouva subitement pressé contre sa poitrine et envahit par sa chaleur suffocante. Il approcha sa bouche de son oreille.
« Tu as peur, n'est-ce pas, mon ange ? Tu ne comprends pas ? »
Céleste grogna et tenta vainement de se défaire.
« Vous avez très certainement raison sur un point – je ne comprends pas. C'est pour cela que je vous prie de m'éclairer. »
Le chasseur rit.
« Eh bien, pour quelles raisons ferais-je cela ? Aux yeux de tous, tu n'es que la petite catin du roi et je suis ton bienfaiteur, tu me dois tout – je ne te dois rien. »
Un tremblement de rage parcourut Céleste.
« Orion et moi n'avons jamais-»
« Orion ? Est-ce comme ça qu'on l'appelle ? » Le chasseur secoua la tête, « Arrêtez de vous défendre, Mademoiselle, personne ne vous croira jamais. Et ce roi détestable... Eh bien disons seulement que lui aussi risque d'avoir sa parole mis en doute. Après tout, n'est-il pas le meurtrier tant recherché ? »
« Vous semblez épris de haine pour un homme qui ne vous a rien fait, Monsieur ! Si je ne puis vous convaincre de la pureté de mes relations avec un roi que je considère comme un ami », Céleste accentua le dernier mot, laissant apparaître derrière ses yeux le visage angélique d'Orion avec son sourire de travers et ses manières manquantes, « croyez bien qu'il n'est en rien un meurtrier. Cette preuve trouvé sur les lieux du crime ne peuvent être rien d'autre que des traces laissées là pour nuire à Orion.»
Céleste attendit un peu, les mains moites, prête à défendre Orion. Elle ignorait pourquoi, mais elle ne supportait pas qu'un homme comme le chasseur osa insulter le roi de telle sorte.
Le chasseur secoua la tête, l'air peu impressionné.
« Vous avez raison : je hais ce roi qui ne fais rien pour son peuple, crache sur les hommes et traite les femmes comme des objets. Vous, cependant, semblez l'apprécier et cela ne vous apportera que malheur. » Il sourit cruellement, la folie illuminant son visage de l'intérieur, « Catin. »
Céleste sentit son visage se tordre en une grimace de colère, son cœur accélérer dans sa cage thoracique et ses joues rougir.
« Je ne vous permets pas-», commença-t-elle d'une voix sifflante, dégoulinant de mépris et difficilement contenue. Elle fut interrompue par l'ouverture de la porte derrière son dos. Sa mère et son père entrèrent à nouveau, son père ayant le visage aussi chaleureux qu'un bloc de glace.
« Les dix minutes sont écoulées. », annonça-t-il.
Le reste de la journée et de la rencontre se déroula entre calme tendu et politesse acharnée.
Bonjour, bonsoir les cocos!
Oui. Ce que vous avez devant vous est bien un chapitre parce que OUI j'ai enfin trouvé du temps et du réseau pour publier une suite à cette petite histoire. Et ça me rend super heureuse.
Du coup, j'espère que vous avez aussi apprécié.
Sur ce: peut-on se mettre d'accord sur le fait que le chasseur est un personnage pourri? Du genre bien pourri, du genre moi, moche et méchant?
Bref, on se revoit pour la suite! Des bisous,
Blondie ♥
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