Chapitre 59
— Pardon ? Des âmes sœurs ?
La dernière fois que j'ai entendu parler d'une telle absurdité, c'était en feuilletant un magazine people sur la plage – et ça remonte à plusieurs années. Elle n'a qu'à me parler de coup de foudre, tant qu'elle y est.
Désolée, mais sauf en cas d'orage, je n'y crois pas non plus !
— Le terme est un peu fleur bleue, je te l'accorde, mais c'est possible. D'après ce que j'ai lu dans Amour sorcier – je sais, je lis ce genre de revues –, les âmes sœurs désignent deux mages qui sont destinés à tomber amoureux et à le rester tout au long de leur vie. Plutôt romantique, n'est-ce pas ?
— Mais qu'est-ce qui te dit que c'est ce que nous sommes, lui et moi ? Ton Machin Sorcier est peut-être inconnu des mortels, mais il ressemble beaucoup à leurs tabloïds !
— Accepte d'y réfléchir, au moins ! Si c'est faux, tu n'as pas à t'en faire. Je me trompe ?
— Tu as raison, mais je ne vois vraiment pas ce qui te fait dire ça. Il s'est toujours passé des trucs étranges avec moi, de toute façon. Ça doit être inscrit dans mon ADN. Il n'existe pas un gène qui code pour la bizarrerie, par hasard ?
— Ne change pas de sujet ! Votre brûlure commune au contact de vos croissants de lune, l'air chargé de magie quand vous vous trouvez aux abords d'un lieu sacré... Tout ça, c'est caractéristique des âmes sœurs. Hier soir, c'était la première fois que ça se produisait ?
— Non, c'est aussi ce qui s'est passé lorsqu'on s'est rencontrés. Ça devait être l'adrénaline, il... il me faisait peur.
En même temps, qui ne flipperait pas en voyant débarquer dans sa maison un inconnu prêt à tout pour vous en faire sortir ?
— Tu veux dire ici, à Talesia, lors de ton épreuve d'entrée ?
— Non, avant.
La sonnerie retentit pile à ce moment, interrompant notre discussion. Gaby se dirige en salle d'étude en traînant des pieds, déçue de ne pas pouvoir approfondir le sujet.
De mon côté, je rejoins Aloïs en Sciences Occultes. Madame Jacolot n'étant pas encore arrivée, j'en profite pour prendre quelques nouvelles de Gauthier.
— Acacia doit être en train de l'examiner. Elle pense effectivement qu'il n'est pas dans son état normal.
— Elle n'a pas tort, marmonné-je pour moi-même. Il n'était pas comme ça, hier soir.
— Hier soir ?
Quelle imbécile ! C'est Gaby qui m'influence, à dire n'importe quoi ! J'essaie de me rattraper :
— À dîner, je veux dire.
— Je ne veux pas extrapoler, mais il a un air de drogué, comme s'il avait avalé un truc nocif.
— C'est aussi mon avis. Reste à savoir ce dont il s'agit et... qui lui a fait ingurgiter ça.
C'est à croire qu'il s'est éclipsé pendant notre séance de ménage pour aller dealer auprès de Kilian ou l'un de ses amis ! C'est ma faute, je n'aurais jamais dû lui raconter ça en évoquant ma pitoyable existence à Ladilis...
— Comment ça ?
— Ça m'étonnerait qu'il l'ait pris tout seul. Pas toi ?
— C'est pas faux... On ferait mieux de faire attention.
— D'ouvrir notre troisième œil, tu veux dire !
Aloïs se tourne vers moi un instant, m'offrant son plus beau sourire. C'est ce qui s'appelle être sur la même longueur d'onde. Nous arrêtons de parler lorsque Madame Jacolot arrive, arborant une nouvelle couleur tout aussi flashy que la précédente : du vert pomme.
En voilà une autre qui aime l'herbe, on dirait.
Elle note au tableau notre prochain objet d'étude.
— Bien. Durant les prochaines séances, nous allons concentrer nos efforts sur le phénomène dit des « âmes sœurs ».
Simple coïncidence, ou double coup du sort ?
— Effacez vos clichés de la tête : vous allez découvrir qu'elles ne s'apparentent pas qu'à l'amour et tout ce qui en résulte. Commençons par le début. Comme vous vous en doutez, les âmes sœurs fonctionnent en duo. Chacun des partenaires aspire à retrouver la présence de l'autre qu'il aurait, selon les légendes, connu dans une vie antérieure. En réalité, il a conservé la marque de son double, dans sa chair comme dans son âme. Vous l'aurez compris, cette marque se traduit chez les sorciers par un croissant de lune : elle se situe donc au cœur de vos pouvoirs. Un conte chinois résume parfaitement ce phénomène : « peu importe s'ils sont ennemis, si l'un est riche et l'autre pauvre, ou s'ils vivent aux coins les plus reculés de la planète. Une fois que le fil rouge – décidé par les cieux – les lie, ils ne peuvent échapper à leur destin ». Que vous soyez Diamant, Rubis, Saphir ou Émeraude, rien ne change. Cela peut frapper chacun d'entre vous.
Son explication terminée, une feuille d'instructions apparaît sur nos tables. À bien y réfléchir, son habitude de rendre des objets invisibles pour les dévoiler après son exposé s'apparente à de la frustration. Elle a probablement admiré ce genre de tour de magie étant petite, mais sans jamais réussir à le reproduire, d'où son obsession pour la dissimulation.
— Pour en savoir plus sur l'identification des âmes sœurs et leurs différents aspects, vous travaillerez en binôme avec votre voisin, puis vous exposerez les résultats de vos recherches lors d'une présentation orale, qui sera bien entendu notée.
— Ça a le mérite d'être clair, fait remarquer Aloïs à côté de moi. On va devoir faire équipe, on dirait !
J'acquiesce d'un signe de tête, peu enthousiaste à l'idée de plancher sur ce sujet.
Après les récents événements, étudier les âmes sœurs ne m'enchante pas vraiment, sachant que je risque d'apprendre des choses qui vont forcément me déplaire, si j'en crois ce que m'a dit Gaby ce matin.
C'est pourtant avec un grand sourire que je suis mon voisin de classe à la bibliothèque, m'efforçant d'oublier le nœud qui me serre l'estomac.
Sur ma main, la tache noire laissée par la porte s'estompe peu à peu. C'est sans doute une signature, un résidu magique laissé par Aaron. Volontairement ou pas, d'ailleurs. Gauthier n'a donc pas eu besoin de soigner sa blessure, lorsque nous sommes arrivés à Pearlake. Était-il au courant ? M'a-t-il... menti ?
Alors que je suis toujours plongée dans mes pensées, le Saphir s'improvise chef des opérations :
— On n'a qu'à bosser pendant une ou deux heures et on rendra visite à Gauthier, ça te va ?
— C'est parfait.
— Je peux commencer par m'occuper des mythes et toi de l'identification, si ça te dit.
— On fait comme ça !
L'un part dans une direction et l'autre à l'opposé. Nous espérons naïvement tomber sur un livre qui rassemble toutes les informations nécessaires à notre exposé : ça nous ferait gagner du temps.
Au bout de dix minutes de recherches infructueuses, je tente quelque chose de stupide – vraiment stupide. Sortant de ma besace la bougie que j'ai utilisée hier soir, je me concentre sur la soirée de la veille, sur Gauthier et toute cette histoire insensée.
Mon stratagème peut paraître débile, mais il fonctionne !
Une pile de livres se constitue bientôt devant moi. Le bruissement caractéristique des pages qui se tournent se fait entendre, et les ouvrages s'ouvrent sur les passages qui sont susceptibles de m'intéresser. Les étudiants à proximité affichent des mines stupéfaites, et un poil jalouses, il faut l'avouer. Dans un même mouvement, Madame Jacolot s'approche, le sourire aux lèvres, et éteint la bougie d'un geste de la main.
— C'est bien, Mademoiselle Brightwood. Attention tout de même à ne pas trop jouer avec le feu.
Le feu, encore le feu... 🔥 Comment interprétez-vous les paroles de Madame Jacolot ?
Vous croyez que c'est une coïncidence, si elle fait plancher ses étudiant.e.s sur les âmes sœurs ?
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