Sur la marche nuptiale, ma sœur fait sa grande entrée. Je sens monter en moi une vague d'émotion. Elle est magnifique dans sa robe de mariée. Toute en simplicité et élégance. Dans ses yeux, je lis tout l'amour pour son futur mari. Tandis qu'elle avance dans l'allée, je la vois qui cherche des yeux quelque chose dans l'assemblée. Puis, son regard se pose sur moi et elle m'adresse un sourire éclatant. Son sourire me réchauffe le cœur. Je suis alors intimement convaincu d'avoir fait le bon choix. Peu importe ce que mon retour me coûtera, je sais que ma place est là, sur ce banc de bois, en ce jour important.

J'essaye à tout prix de ne pas penser à la dernière fois où je me suis retrouvé dans une église.

J'observe Guillaume, Flora avance doucement vers lui, il a le bonheur peint sur le visage. Mon cœur se serre. J'ai vécu ce moment. J'ai été ce gars au bout de l'allée. Ma vie se dessinait alors sans aucun nuage à l'horizon. On s'était dit oui, pour le meilleur et pour le pire. Si on avait su à l'époque ce que le pire nous réservait... Je n'ai pas su tenir mon serment. J'ai fui lamentablement lorsque le pire nous est tombé dessus. Ma lâcheté me frappe comme une claque.

Je tente de faire taire mes pensées et de me reconcentrer sur le moment présent. Le prêtre les déclare mari et femme. Flora et Guillaume s'embrassent sous les applaudissements de leurs familles respectives. Ma mère écrase une larme dans son mouchoir et m'adresse un sourire mouillé qui me serre le cœur.

La cérémonie prend fin, nous sommes invités à sortir les premiers de l'église afin de faire une haie d'honneur et saluer les nouveaux mariés. Flora et Guillaume sortent sur le perron de l'église sous un tonnerre d'acclamations qui me prend aux tripes. Le marié s'enhardit et roule un énorme patin à sa nouvelle femme, ce qui fait rire l'assemblée.

C'est alors que je la vois. Anaïs. A demi cachée derrière la foule. Je me prends un uppercut dans le ventre. Tout refait surface sans prévenir. Une sensation de vertige me saisit tout entier. Elle tourne la tête et nos regards se croisent. C'est le moment le plus beau et le plus poignant de mon existence. Un océan de non-dits passe entre nos iris.

On me bouscule sans faire exprès et le contact est rompu. La foule lance du riz sur les nouveaux mariés. Flora croise mon regard à ce moment-là et comprends immédiatement. Elle articule silencieusement à mon intention : « Pardon ». Je la vois bouleversée elle aussi.

Soudain, je ne peux plus. Je fonce sans réfléchir vers le café situé en face de l'église. Je bouscule tables et chaises sur mon passage, fuyant au fond de la salle. Je m'engouffre dans les toilettes cherchant un refuge.

La porte des toilettes claque violemment lorsque je la referme sur moi. Enfin à l'abri, je me laisse glisser le long de la paroi de la cabine. Putain, mais qu'est-ce que je fous là ? J'aurais dû m'en douter putain, comment ai-je pu être aussi con ?

La tête entre les mains, je tente de calmer les battements de mon cœur. Je sais que je dois y retourner. Reste à savoir comment je vais survivre à cette journée, et comment je vais réussir à me relever cette fois. Tout ce que j'ai fui ces dernières années me revient en pleine gueule avec une violence inouïe.

J'attends patiemment que mon cœur s'apaise ainsi que la sensation de nausée qui m'envahit. Quand enfin un peu de force est revenue, je me lève et sors de cette cabine de toilettes.

Je croise mon regard dans le miroir et je ne suis pas beau à voir. Je n'aime pas ce que je saisis dans le fond de mes yeux noirs, j'ai l'air d'un animal sauvage pris dans les phares d'une voiture.

Je m'asperge d'eau fraîche sur le visage et réajuste le costume que j'ai mis pour l'occasion. Je passe la main dans mes cheveux bruns coupés courts, pour me donner une contenance, souffle un bon coup et sors des toilettes homme où je me suis planqué.

Mon pas n'est pas très assuré lorsque je retraverse le café dans l'autre sens. Je ne veux plus être ce lâche. Le gars derrière le comptoir du café me dévisage bizarrement, mais je n'en ai rien à faire. Une fois devant la porte, j'hésite une fraction de seconde avant de ressortir. Je prends une grande inspiration et pousse le battant. La plupart des invités du mariage sont partis vers la salle de réception, ma sœur et Guillaume ont disparus, probablement en tête du cortège.

Et pourtant, je la vois, assise sur le rebord de la fontaine de la place de l'église. Même si elle me tourne le dos, sa beauté me touche en plein cœur. Ses longs cheveux blonds volent dans la brise d'été et mon cœur est prêt à sortir de ma poitrine, tellement il bat fort.

Elle se retourne et m'aperçois. Elle ne bouge pas d'un millimètre et me laisse franchir les derniers mètres vers elle, comme un défi qu'elle me lance. Mes pas me semblent lourds et légers à la fois, je vole et me traîne vers elle. Un instant suspendu.

Sans la regarder, je m'assois à côté d'elle. On observe un long moment les pigeons picorer. Le soleil de cette journée d'été me brûle la nuque.

̶ N'en veux pas à Flora, je lui avais demandé de ne pas te dire que je serais là.

La voix chaude et légèrement éraillée d'Anaïs parvient telle une musique à mes oreilles. J'avais oublié à quel point j'aime cette voix. Elle poursuit :

̶ Je n'étais pas sûre que tu viennes sinon. Kylian, j'avais besoin de te voir, de comprendre... Qu'est-ce que j'ai fait pour que tu...

̶ Non !

J'ai crié. Je ne peux pas la laisser continuer sur cette voie.

̶ Non, je reprends plus doucement. Tu n'as rien fait Anaïs.

Je laisse volontairement la sensation de son prénom sur ma langue. Ça me fait du bien de le prononcer. Comme un langage oublié que je réapprendrais à parler.

̶ Tu n'as rien fait. C'est moi. Je...

La boule dans la gorge m'empêche de formuler mes pensées. Anaïs se lève d'un coup et balaye mes explications d'un revers de main, comme si à présent, elle n'avait plus besoin de les entendre. Je l'imite et me dresse face à elle. Je me noie dans ses yeux bruns profonds. Je saisi son coude pour l'attirer vers moi et telle une pièce de puzzle manquant à mon anatomie, elle retrouve sa place au creux de mon épaule.