Chapitre IV: Le Poids du Destin
Kaelan de Noctern ne connaissait que trop bien le poids du destin. Depuis son plus jeune âge, il avait été formé pour le porter, pour l'endosser sans jamais fléchir. Il était le prince héritier, destiné à suivre les traces de son père, le redoutable roi Malagar. Mais ce soir, alors qu'il observait la silhouette gracile de Lanaëlle, une étrange sensation l'envahissait, comme une fissure dans son armure de glace.
La conversation avec le roi Aldric n'était qu'une facette de ce qui se jouait, une manœuvre dans un jeu dont il ne voyait que trop rarement les règles complètes. Mais les paroles de la princesse, la lueur de défi dans ses yeux, résonnaient en lui de manière inattendue. Elle n'était pas une simple pions, ni une victime de son royaume. Elle portait une volonté farouche, et peut-être, tout au fond de lui, il se demandait si elle ne pourrait pas briser ce cycle de guerre et de sacrifices.
Kaelan s'appuya contre la fenêtre du château de Valtéra, son regard perdu dans les montagnes lointaines. La neige tombait sur le paysage, créant une mer blanche et glacée qui semblait ne jamais finir. Les terres de Noctern étaient froides, balayées par le vent du nord, mais il avait appris à les aimer. La dureté de la nature, les paysages dévastés par la guerre, tout cela faisait partie de son identité. Mais ici, à Valtéra, c'était différent. La chaleur, l'architecture lumineuse, l'abondance qui imprégnait le royaume... tout semblait irréel, presque trop paisible pour durer.
Lanaëlle n'était pas ce qu'il avait imaginé. Elle était plus qu'une simple princesse élevée dans l'ombre de l'alliance politique. Il l'avait vue se dresser face à son père, l'un des hommes les plus redoutables de ce monde. Elle n'avait pas tremblé, et quelque chose en lui avait été frappé par cette audace. Mais cela ne changeait rien à la réalité. Elle était un obstacle sur le chemin de la paix que son père exigeait, et il n'était pas certain d'être prêt à l'accepter.
Il tourna les yeux vers le feu qui crépitait dans l'âtre, observant les flammes dansantes, comme un miroir de ses propres pensées. Ce mariage... Il avait été envoyé ici pour cela. Pour sceller une alliance. Pour empêcher une guerre. Mais Lanaëlle, avec ses idéaux et son regard perçant, l'avait fait douter. Elle se voyait, sans doute, comme une figure de résistance. Mais comment briser des siècles de haine, de loyauté, et d'enjeux politiques ? Kaelan n'avait pas cette réponse.
Il se souvint de la conversation dans la salle, de la manière dont elle avait défié son père, de la lumière qui brillait dans ses yeux quand elle avait prononcé ces mots : "Ce mariage ne sera pas une simple alliance politique. Je ferai entendre ma voix." Elle ne s'inclinerait pas. Elle n'accepterait pas ce destin imposé sans lutter. Et pourtant, il savait que l'ombre de la guerre se rapprochait inexorablement. Même si la paix était une promesse qu'ils tentaient de tenir, le moindre faux pas de sa part, ou de la part de Valtéra, ferait basculer l'équilibre fragile entre les royaumes.
Il se tourna à nouveau, marchant lentement vers la porte. Il fallait qu'il parle avec elle. Il le savait. Pas comme le prince héritier d'un royaume lointain, mais comme un homme qui, peut-être pour la première fois, se sentait perdu. Perdu dans un jeu dont il ne comprenait plus les règles.
Alors qu'il s'approchait du couloir, il aperçut la silhouette familière de son conseiller, un vieil homme au regard affûté, qui l'attendait. C'était un homme de Noctern, loyal, calculateur, mais qui savait aussi quand les choses étaient hors de son contrôle.
— Prince Kaelan, dit le conseiller d'un ton calme mais empreint de gravité. Le roi Malagar attend votre rapport. Vous savez ce qu'il attend.
Kaelan ferma les yeux un instant, puis hocha la tête. Il savait. Il savait que son père serait intransigeant, comme toujours. Il n'était pas un homme à qui l'on pouvait parler de compromis. Mais Kaelan ne pouvait pas oublier ce qu'il avait ressenti en rencontrant Lanaëlle. Ce sentiment étrange, comme une pièce du puzzle qu'il n'avait pas vue avant.
— Le rapport peut attendre. Sa voix était plus ferme que ce qu'il ressentait réellement. Je dois parler à la princesse.
Le conseiller haussa un sourcil, mais ne protesta pas. Kaelan n'avait pas l'habitude de faire des détours, et quand il avait une idée en tête, il n'hésitait pas.
Il se dirigea vers les appartements de Lanaëlle. Le silence de la nuit, lourd de secrets et de tensions, lui donnait un sentiment d'urgence. Ce mariage ne serait pas une simple affaire de diplomatie, et il le savait mieux que quiconque. Lanaëlle ne voulait pas de ce mariage, mais elle était aussi l'un des derniers remparts contre la guerre. Et lui... Lui était l'un des instruments du pouvoir de son père.
La porte des appartements de la princesse s'ouvrit sous sa main, et une silhouette se détacha dans la lueur tamisée des chandelles. Lanaëlle se tenait là, droite, comme si elle attendait déjà sa visite.
— Prince Kaelan. Sa voix, douce mais ferme, accueillit son entrée. Je suppose que vous venez me parler de l'inévitabilité de notre destin.
Kaelan la regarda, un sourire en coin qui n'atteignait pas ses yeux. Il savait qu'elle comprenait tout aussi bien que lui l'ampleur de ce qui était en jeu. Mais il n'était pas prêt à céder aux discours de son père sans chercher un autre chemin.
— Pas seulement du destin. Il s'avança, son regard plus sérieux qu'il ne l'avait été toute la soirée. Je viens vous parler d'un choix. Un choix que nous n'avons pas encore fait.
Lanaëlle le regarda avec intensité, son regard scrutateur. Ils étaient à un carrefour, il le savait. Et le chemin qu'ils prendraient ensemble pourrait tout changer. Mais pour l'instant, il n'avait qu'une certitude : il ne voulait pas jouer ce jeu tout seul.
Kaelan s'avança lentement, son regard plongé dans celui de Lanaëlle, mais au moment où il fit un pas de plus vers elle, il perçut une lueur de défi dans ses yeux. Il n'eut pas le temps de réagir avant que la princesse, avec une rapidité surprenante, s'élance vers lui.
Il n'eut pas le temps de faire un seul mouvement de défense avant de sentir une pression soudaine et froide contre son torse. Ses mains se retrouvèrent prises dans une prise ferme. Une dague, fine et acérée, brillait sous la lueur des chandelles, et il comprit immédiatement que Lanaëlle n'était pas là pour discuter de la paix, ni pour jouer les politiciennes dociles.
— Reculez ! Sa voix était tranchante, froide, et déterminée. Je ne suis pas une simple pièce sur l'échiquier de votre père !
Le mouvement de Lanaëlle était si rapide et précis que Kaelan n'eut d'autre choix que de lever les mains en signe de soumission. Il se figea, la surprenant à la fois par sa réaction calme et par son absence totale de peur.
— Lanaëlle... commença-t-il d'une voix basse, marquée par l'intensité du moment. Je ne suis pas venu pour vous menacer, ni pour vous manipuler. Je...
Elle le coupa d'un geste vif, ne le lâchant pas de son regard perçant.
— Vous êtes venu ici pour une seule chose. Ce mariage. Vous êtes là pour accomplir la volonté de votre père, et vous pensez que je vais m'incliner comme une soumise. Mais je ne suis pas ce genre de princesse, Kaelan.
La tension dans la pièce était palpable. Le froid de la dague contre son torse, le souffle rapide de Lanaëlle, tout cela intensifiait un combat silencieux, celui de l'identité et du pouvoir. Kaelan, toujours figé, sentit son cœur battre plus fort. Elle ne se laissait pas faire. Elle n'accepterait pas ce qu'il avait à lui offrir.
Il observa ses yeux, où se mêlaient détermination et rébellion. Elle avait le courage d'un lion, et il ne pouvait s'empêcher de respecter cela. Il n'avait pas anticipé une telle réaction.
— Vous vous trompez, Lanaëlle, répondit-il finalement, sa voix plus calme, comme une invitation à comprendre. Je n'ai jamais cru que ce mariage était la seule solution. Je ne veux pas que vous vous sacrifiiez. Mais ce qui m'effraie le plus, c'est que ce mariage... pourrait bien être la seule chose qui nous sauve tous.
Lanaëlle se figea un instant, un éclair de doute traversant ses yeux, mais elle ne baissa pas sa garde.
— La seule chose qui nous sauve tous, c'est la liberté. Elle recula un peu, mais toujours prête à frapper si nécessaire. Et je ne sacrifierai pas la mienne pour un royaume que je n'ai pas choisi. Je me battrai pour ma liberté jusqu'au dernier souffle, Kaelan. Vous devez comprendre cela.
Il y eut un moment de silence, lourd de sens. Kaelan se redressa, sentant l'oppression de la situation, mais aussi quelque chose d'inattendu, un respect mêlé à une admiration.
Il savait que le chemin devant eux serait semé d'embûches. Mais il ne pouvait ignorer qu'il n'avait pas affaire à une princesse docile. Non. Lanaëlle était une force, une tempête en devenir. Et peut-être que, dans un autre monde, dans un autre temps, elle aurait été une alliée puissante. Mais à cet instant, elle était une adversaire farouche, une pièce vivante sur l'échiquier politique qui pourrait tout bouleverser.
Kaelan fit un pas en arrière, levant les mains en signe de respect.
— Je comprends... Je comprends mieux que vous ne le pensez. Il observa la dague un instant, avant de poser ses yeux sur elle à nouveau. Je ne suis pas ici pour vous dominer, Lanaëlle. Mais la paix que vous cherchez... elle a un prix, un prix que nous devons tous être prêts à payer.
Lanaëlle le regarda longuement, son bras toujours tendu avec la dague. Puis, après quelques secondes de silence, elle abaissa lentement son arme, mais son regard resta aussi perçant qu'avant.
— N'oubliez jamais cela, Prince Kaelan. La paix ne se gagne pas par des alliances forcées, mais par la volonté des peuples. Si vous voulez vraiment changer ce monde, vous devrez écouter ce que l'on vous dit, pas ce que vos pères vous ordonnent.
Elle tourna le dos, son geste aussi gracieux que menaçant, mais Kaelan savait qu'il venait de franchir une ligne. Les mots, maintenant, seraient bien plus lourds à porter.
Kaelan resta un instant figé, observant la silhouette de Lanaëlle se retirer dans l'ombre de ses appartements. Il n'était pas seulement déstabilisé par l'agression imprévisible de la princesse, mais par l'idée qu'il venait de frôler quelque chose de bien plus complexe qu'une simple diplomatie. Son esprit, aussi stratégique et calculateur qu'il fût, n'avait pas anticipé cette audace, ce refus absolu de se plier à un destin déjà tracé.
Il soupira longuement, un air de frustration traversant son visage alors qu'il se dirigeait vers la porte, sans plus un mot. Le poids du devoir, de la guerre, de la politique, s'abattait sur lui comme une tempête prête à tout engloutir. Pourtant, dans l'arrière-plan de sa réflexion, un doute persistait. Lanaëlle était bien plus qu'une princesse issue d'un royaume fragile et pacifique. Elle représentait quelque chose de plus grand, de plus dangereux, peut-être même de plus... juste.
Les paroles qu'elle lui avait laissées résonnaient encore dans son esprit. La paix ne se gagne pas par des alliances forcées... Elle était convaincue de cela, et bien que Kaelan ait ses propres doutes, il ne pouvait pas ignorer l'écho de cette vérité. Peut-être avait-il été trop prêt à sacrifier sa propre vision du monde pour se conformer aux attentes de son père. Mais il savait aussi qu'une autre guerre pourrait détruire ce royaume, tout comme l'avait fait tant d'autres avant.
Il n'était pas un homme qui se laissait guider par des sentiments, mais il était aussi un homme qui savait reconnaître le potentiel de ceux qu'il croisait. Lanaëlle... elle était une force vive, indomptable, et sa lutte ne faisait que commencer. Mais Kaelan n'était pas certain qu'il en sortirait indemne.
Lorsqu'il passa la porte, un éclat glacé se figea dans ses yeux. Il n'était pas celui qui se soumettait, ni celui qui se laissait influencer. Mais il était maintenant conscient qu'il n'avait plus d'autre choix que de jouer ce jeu avec des règles qu'il n'avait pas encore entièrement comprises.
Dans les couloirs du château de Valtéra, alors que la neige continuait de tomber silencieusement à l'extérieur, Kaelan savait qu'il venait de franchir un seuil. Que ce soit le destin qu'il devait accepter ou celui qu'il pouvait encore façonner, il n'avait aucune certitude. Une chose était claire : les événements à venir seraient bien plus que des manœuvres politiques.
Ils étaient désormais liés, lui et Lanaëlle, dans une danse étrange et dangereuse. Que cette alliance se forge ou que la guerre éclate, leurs chemins ne seraient plus jamais les mêmes.
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