pluto | 19
Jеииiе
L'homme en face de moi soupira, les doigts arrêtant de tourner les pages de son dossier blanc et rouge. Ses yeux clairs se levèrent vers moi puis il les abaissa quelques secondes plus tard, un rictus las au coin gauche des lèvres.
- Je sais ce que vous vous dites.
Il s'enfonça un peu dans son siège de bureau alors que je restais immobile et droite comme un piquet sur le fauteuil en face de lui. Je le regardais droit dans les yeux, mais pourtant il semblait vouloir éviter tout contact visuel, comme pour ne pas être obligé de me dire la triste vérité.
- Je ne vais pas y aller par quatre chemins, Mademoiselle Kim, depuis le temps que vous me connaissez, vous savez comment je fonctionne.
J'hochai la tête. J'attendais que les mots qui blessent des êtres sensibles s'échappent de ses lèvres en bonne santé.
- Vous avez vécu des événements récemment qui auraient pu vous faire ressentir des émotions trop fortes ?
Ressentir des émotions ? Depuis deux semaines il n'y avait plus rien à part le néant infernal de la solitude. Pas un appel, pas une visite au Singularity, pas un croisement de regard ou un frôlement de peau. Lui comme moi étions muets comme des fantômes inconnus, que la société fait tout pour éloigner. Pourquoi ? Que s'était-il passé ? Je réfléchis un instant, parce qu'après tout, il le fallait bien.
- Non. Mon petit-ami me répète que tout est parfait.
Le médecin ne fut pas convaincu. Il me mît sa feuille de résultats incompréhensibles pour la moyenne humaine sous les yeux alors que je les plissai, gênée par tant de mots ne voulant rien dire de clair.
- Ce n'est pas ce que racontent les analyses, je suis désolé.
- Vous n'avez pas à l'être, je vais très bien.
Chaque matin, Yoongi me faisait le petit-déjeuner et persistait à rentrer le soir, un bouquet de roses rouges dans les mains. Il avait engagé une femme de ménage qui faisait aussi les repas du soir, bien que j'avais protesté parce que je savais faire la cuisine. Il avait informé ma mère que j'étais malade, et bien qu'elle se soit inquiétée un minimum, il avait tellement insisté qu'elle avait fini par céder. Je restais à la maison et j'avais même regardé de travers mon petit-ami quand il m'avait dit vouloir m'offrir un petit animal de compagnie pour justement, me tenir compagnie durant les longues journées qu'il passait en studio. Chaque soir il s'assurait que je m'endorme correctement, sans migraine, et quand il m'embrassait la tempe, il me répétait sans cesse un truc du genre:
« Tout va bien, Jennie chérie. Tu es parfaite, nous sommes un couple parfait. Juste nous deux. »
Quand je lui avais demandé quelque nouvelles de Taehyung, son faciès s'était figé et ses doigts avaient serré un peu trop fort son portable, tellement que ses phalanges étaient devenues blanches. Il me disait ne plus le voir, qu'il était retourné aux États-Unis pour un projet musical.
Sauf qu'il ignorait que je connaissais très bien Taehyung. Je savais qu'il était pauvre, qu'il vivait dans un taudis et qu'il peinait à garder son appart' en jouant du piano et du saxophone dans le bar miteux de son meilleur ami. Parce que son meilleur ami n'était en aucun cas Yoongi, comme celui-ci se plaisait à me raconter. Pourquoi me mentait-il ?
« Tout va bien, Jennie chérie. Tu es parfaite, nous sommes un couple parfait. Juste nous deux. »
- Mademoiselle Kim, je vais être clair. Cela fait désormais quinze ans que je vous suis en tant que médecin traitant. Je sais donc pertinemment quand vous avez traversé une période difficile, car ça se voit parfaitement sur les scanners. Vous ne voulez vraiment pas m'en dire un peu plus ? Vous savez ce que vous risquer. Si vous ne remédiez pas à tous ces problèmes qui pourrissent votre santé déjà fragile, et bien, pas besoin de vous le rappeler.
- Non, effectivement, ce n'est pas la peine. Attendez que je me souvienne...
Je massais mon front, les yeux fermés, essayant de trouver la pièce manquante du puzzle. J'avais un gros trou. Je savais que Yoongi m'avait trompé, que j'avais plutôt mal réagi, mais quoi ensuite ?
« Tout va bien, Jennie chérie. Tu es parfaite, nous sommes un couple parfait. Juste nous deux. »
- Votre mémoire ne va toujours pas mieux ? s'enquit le médecin en se munissant d'un stylo, sûrement pour noter ma réponse.
- Elle ne va pas mieux, elle régresse.
Il n'écrit rien, restant immobile face à sa feuille, n'osant pas me regarder dans les yeux.
- Pas besoin de réfléchir à la manière de me le dire, je le sais, vous le savez, tout le monde est déjà au courant.
- Je suis navré.
- Oh, je vous en prie.
Je me levai puis remis correctement mon sac Chanel sur mon épaule. Un récent cadeau de Yoongi. Le médecin français se leva à son tour et me serra la main, non sans un petit regard inquiet et navré. Je l'ignorai et pris simplement les dossiers qu'il me tendait avant de quitter son bureau. Dans les couloirs, les regards des patients et des infirmières étaient braqués sur moi et je me sentais vivante. Mes talons claquaient sur le sol et mon parfum de marque emplissait le long couloir à l'odeur de la mort, j'étais le genre de filles impossible à oublier. Tous ces abrutis de camarades de classes qui revenaient vers moi en messages privés Instagram pouvaient en témoignaient.
« Tout va bien, Jennie chérie. Tu es parfaite, nous sommes un couple parfait. Juste nous deux. »
Une partie de moi mourrait d'envie d'aller au Singularity, mais une partie plus forte encore me stoppait quand j'y réfléchissais. Pourquoi n'avais pas envie d'aller voir Taehyung ? Pour être enfin réglo dans mon couple bancal avec Yoongi ? Je le rejoignis les sourcils froncés dans la voiture de sport qui m'attendait sur le parking. Des curieux venaient la prendre en photo, sans savoir que le rappeur connu internationalement était à l'intérieur, attendant la fin du rendez-vous médical de sa copine. J'avais toujours refusé qu'il m'accompagne.
Je m'assis et ses lèvres au goût d'alcool se posèrent sur les miennes, sèches et amères. Son sourire bien trop franc pour être sobre paraissait cependant briller dans l'habitacle sombre de la Ferrari.
- Ça s'est bien passé Jennie chérie ?
J'hochai simplement la tête, regardant ailleurs.
- Je me disais, ça te dirait de partir en vacances un moment ?
- Et où ?
- N'importe où. La French Riviera, Los Angeles, les Caraïbes si ça te chante... Tu en penses quoi ?
Je le regardai un petit moment, aucune émotion sur le visage.
- Pourquoi soudain, Taehyung n'existe plus dans ta vie ?
Ses poings se serrèrent encore plus violemment que quand il tenait son portable.
- J't'ai deja dit qu'il était rentré aux...
- Tu mens.
Son regard soudain noir de rage et de haine se posa sur moi et il me fit peur. Mais encore une fois, je m'acharnais à ne rien laisser paraître et à vouloir mes putain de réponses.
- Pardon ?
- Il est pauvre. Il joue dans un bar pourri pour gagner un tant soit peu sa vie. Il n'a aucun contrat officiel, encore moins aux États-Unis. Pourquoi tu mens ?
Yoongi serra les dents et mit le contact dans sa caisse de sports. Les pneus crissèrent et le moteur rugit alors qu'il démarrait au quart de tour, me plaquant contre le siège passager.
- Yoongi ! hurlai-je en regardant par la fenêtre teintée. Il y a des enfants bordel !
J'eu l'impression que le voiture les frôlait, mais fort heureusement, je vis dans le rétroviseur qu'ils étaient sain et sauf, alors que le rappeur filait vers la sortie, visiblement hors de lui. Mes doigts accrochèrent violemment la portière, j'étais terrifiée par les vitesses, et ça, Yoongi le savait.
- Et toi alors, pourquoi tu mens sans arrêt ?! hurla t-il alors qu'il tournait déjà sans regarder au carrefour.
Je retins un cri de stupeur quand les klaxonnes retentirent bruyamment derrière nous. Il y avait un putain de feu rouge à une cinquante de mètres.
- Yoongi, arrête-toi ! cris-je complètement paniquée.
Il n'y avait aucune voiture arrêtée devant nous, ce qui voulait dire que Yoongi était largement capable de griller ce putain de feu.
- Pourquoi tu me mens ?! hurla t-il et il me glaça le sang. Réponds-moi ! Comment tu sais tout ça sur lui alors qu'on en a jamais parlé tous les deux, que je t'ai jamais rien dit sur lui ?!
« Tout va bien, Jennie chérie. Tu es parfaite, nous sommes un couple parfait. Juste nous deux. »
Je respirai d'une manière saccadée, mon corps cherchait un brin de répit mais ça restait introuvable.
- Le feu putain de merde, Yoongi le feu ! hurlai-je alors qu'il se rapprochait davantage.
- Réponds ! hurla à son tour mon copain.
J'éclatai en sanglots quand la voiture s'approcha bien trop vite du feu pour pouvoir s'arrêter.
- Si je ne peux pas t'avoir, il ne t'aura pas non plus !
La voix cinglante de Yoongi fut coupée par mon hurlement d'effroi quand on dépassa à toute vitesse le feu rouge. Le carrefour allait nous voir mourir, j'allais crever en cet instant, mais c'est à ce moment-là, les yeux fermés et la bouche grande ouverte tellement je criais, que la vérité m'éclata en plein visage telle une bombe destructrice.
« Tout va bien, Jennie chérie. Tu es parfaite, nous sommes un couple parfait. Juste nous d... Je t'ai trompé, tu m'as trompé, et je sais parfaitement comment jouer avec ta mémoire défectueuse. »
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