Таенуuиg

Je ne savais pas ce que Yoongi lui avait fait, mais j'étais mort de peur. Je ne quittai pas la jeune fille endormie des yeux, de peur que si je détourne le regard une seule seconde elle se volatilise de mon sofa. Il était presque quatre heures du matin et j'enchaînais les clopes, assit dans un fauteuil près de ma fenêtre, tout en écoutant un vieux CD que j'avais gravé étant plus jeune. Des chansons coréennes assez reposantes envahissaient la pièce alors que je soupirai de frustration tout en faisant s'évaporer la fumée de ma huitième cigarette dans l'air.

Elle était affreusement belle, même avec son teint pâle et son air infiniment fatigué. Je l'avais porté jusqu'à chez moi avec Seokjin et Jimin, on avait fermé le bar plus tôt que les autres soirs mais après tout, il n'y avait absolument personne, comme d'habitude. Jimin était le seul employé qu'avait engagé Seokjin à force que je lui parle de faire passer une annonce dans le journal du coin. Et un seul gamin s'était pointé, tout sourire et totalement disponible pour débuter son nouveau métier le soir-même. Jimin étudiait la danse et il lui fallait de l'argent car ses parents l'avaient un peu rejeté suite à l'entente de ses rêves, et ça m'avait touché parce que j'avais vécu à peu près la même chose. Alors Seokjin, même malgré ses faibles rentrées d'argent, avait accepté le petit jeune qui avait sauté de joie. De toute façon, un seul serveur était amplement suffisant pour Singularity. Un barman, un serveur et un musicien. Le trio de l'échec.

Mon regard se posa une demie-seconde sur la lettre recommandée que j'avais reçu le matin-même et qui m'avait mis de mauvaise humeur pour toute la journée, jusqu'à ce que Jennie décide de se pointer au bar et me fasse vivre la peur de ma vie. Si je ne payais pas le loyer dans les deux semaines qui suivaient, j'allais être expulsé et me retrouver à la rue. Et ça, bien que j'acceptais beaucoup de choses, c'était hors de question. Pas la rue, encore une fois. J'avais assez donné de ce côté là.

Je sursautai comme un abruti quand Jennie bougea légèrement pour se mettre sur le côté, le visage vers moi. J'avais arrêté tout mouvement pour l'observer et je m'en voulais d'être aussi con, mais je ne pouvais pas faire autrement. Je glissai la clope entre mes lèvres sèches et relis pour la dixième fois au moins cette foutue lettre. Je n'en avais bien évidemment pas toucher un mot à Seokjin, le connaissant il aurait tout de suite voulut me donner la moitié de ses revenus du mois pour m'avancer, et je ne voulais pas ça, je voulais m'en sortir par moi-même. Je cherchais déjà du travail sans lui en parler, mais étant donné que je ne possédais aucun diplôme, les postes me passaient sous le nez. Pourtant, j'étais allé voir dans les journaux de la bibliothèque comment faire un CV correct (bien que je n'avais absolument rien à mettre dessus à part que j'étais pianiste et saxophoniste), je me présentais toujours avec le seul costume que j'avais (donc un de Jin') et j'essayais de paraître mature et dévoué à ma future tâche. Rien ne marchait.

- En même temps, qui voudrait d'une merde comme moi ? souris-je amèrement en reprenant la clope entre mon index et mon majeur trop habitués à ces gestes.

Je scrutai mon piano des yeux. Il était vieux et poussiéreux, peut-être que la peinture était un peu écaillée et que les touches ne collaient plus très bien, mais j'y tenais comme à la prunelle de mes yeux car c'était un cadeau de Jin'. Le seul qu'il ne m'avait jamais fait, au second Noël que nous avions passé ensemble. Et j'avais pleuré devant lui parce que moi, je n'avais pas assez d'argent pour lui offrir quoique ce soit. Il m'avait rassuré en me disant qu'il l'avait trouvé pour pas très cher dans une brocante, mais quand même. Je me levai lentement, comme si le moindre bruit brusque allait faire fuir Jennie toujours endormie, puis m'installai devant le vieux piano.

Mes paupières se fermèrent alors que mes doigts fins effleuraient les touches blanches et noires. Une tonne de mélodies se baladaient dans ma tête, mais je n'arrivais pas à choisir laquelle j'avais envie d'entendre. Quand je rouvris les yeux, l'image de Jennie endormie me percuta de plein fouet et sans même m'en rendre compte, les premières notes d'une chanson inconnue retentirent dans la pièce. Et, ne la quittant pas des yeux, je laissai mon esprit et mes doigts composer une douce mélodie qui j'espérais, la berçait même dans son sommeil. Je n'aimais pas vraiment composer pour les gens, tout simplement car absolument personne ne m'avait à ce jour inspiré quoique ce soit, pas même une note, mais cette nuit-là, j'eu envie de lui dédier chaque son qui emplissait la petite pièce.

Au Diable Yoongi et tout le reste. Il se passait quelque chose de nouveau au creux de mon ventre et ça me faisait flipper, mais j'étais accro à cette sensation. Toujours un cylindre fumant entre mes lèvres pincées sous la concentration, je laissai libre cours à mon imagination pour assembler les notes entre elles et créer une partition peut-être pas parfaite mais sincère, la plus sincère que je n'avais jamais composé. C'était la première fois que ça m'arrivait, je ne voulais pas que ça s'arrête. Si je devais me sentir aussi libre et heureux à chaque fois qu'elle se trouvait près de moi, alors je ne devais jamais la laisser partir, c'était impensable.

Un sanglot me sortit violemment de ma transe artistique et une fausse note retentit dans l'écho de la pièce alors que j'ouvrais subitement les yeux, les dirigeants directement vers Jennie. Ses yeux à elle étaient baignés de larmes et elle me regardait sans bouger, toujours allongée sur le sofa. J'abandonnai mon piano pour m'agenouiller à sa hauteur, inquiet.

- Jennie ? Tu vas mieux ? Ne pleure pas...

- C'était beau, fit-elle simplement en me regardant droit dans les yeux. C'était magnifique, Taehyung...

Donc elle avait tout entendu. En temps normal j'aurais été assez gêné qu'un étranger écoute une de mes créations, mais pas cette nuit. Parce qu'au fond, ce n'était plus une étrangère depuis longtemps.

- C'était pour toi, chuchotai-je dans un sourire pour la rassurer.

Il devait sonner putain de faux, ce sourire rectangulaire. Parce que j'étais inquiet, j'étais mort de trouille, de peur de comprendre ce qu'il lui était arrivé quelques heures auparavant.

« Je suis juste... un peu malade. »

- Repose-toi, déclarai-je en me relevant mais ses doigts glacés retinrent mon poignet.

- Où est-ce que tu dors ?

Je lui souris une nouvelle fois mais ma ruse ne marcha pas, elle comprit parfaitement car putain, elle n'était pas idiote, et se décala pour me laisser assez de place.

- Tu ne vas pas faire une nuit blanche.

Si c'était pour m'assurer qu'elle allait bien toute la nuit, ça m'était égal. Elle insista et je cédai, je savais que ce n'était que le début. Nos corps se frôlèrent et je sentis toute sa chaleur contre mon dos, si bien que j'en eu un long frisson. J'en voulais plus. Je me retournai lentement et nos regards se croisèrent, mais elle baissa la tête et se contenta de se blottir contre moi. Et j'esquissai un véritable rictus en fermant les paupières, c'était exactement ce que je voulais. Mes lèvre se posèrent sur son front et je m'endormis en la serrant contre moi, notre douce mélodie en tête.