Jеииiе

Ce garçon n'avait pas voulu en démordre et nous marchions côte à côte, dans les rues fraîches et désertes de la capitale. J'étais gelée et serrai mes bras sous ma poitrine. Putain, comment faisait-il pour rester manteau ouvert et mains dans les poches comme si nous étions encore en automne ? Ce type était hallucinant. Le chemin se passa tranquillement, on ne parlait pas du tout mais aussi surprenant que cela puisse paraître, je ne trouvais pas le silence gênant. Je reniflai un coup et il tourna la tête dans ma direction, un petit sourire en coin aux lèvres. Son sourire était vraiment bizarre aussi.

- Je suis navré, je n'ai pas de mouchoirs pour vous.

J'arquai un sourcil en marquant un arrêt. Il s'arrêta aussi et on se regarda quelques secondes.

- Si c'est pour dire ça, autant ne rien dire, finis-je par dire en reprenant ma marche.

Je l'entendis pouffer et ça m'énervais. Putain, il allait vraiment me raccompagner jusqu'à la maison ? Non, impossible, il ne fallait pas que Yoongi le voit. Connaissant sa jalousie excessive, il serait capable de le frapper.

- Certes, fit Taehyung en marchant un peu plus vite pour me rattraper. Vous faites quoi dans la vie ?

Je ne répondis pas. Je n'avais pas envie de parler avec lui, je voulais rentrer et me mettre au chaud.

- Moi vous connaissez déjà mon métier. Je suis saxophoniste et pianiste.

- Et vous arrivez à vivre avec ça ? ricanai-je peu sûre que ça lui suffise pour les fins de mois.

Il haussa les épaules, regardant devant nous. Il n'y avait personne, comme si toute la population avait disparu. Ça donnait une atmosphère... étrange.

- Oh, non. Je travaille aussi à côté.

- Dans quoi ?

Qu'est-ce qui n'allait pas chez moi ? Un coup je ne voulais pas lui répondre, un coup c'était moi qui engageait la conversation. Je soupirai contre moi-même et ça le fit ricaner. Je le fusillai du regard. Il se foutait littéralement de ma gueule celui-là, et j'avais pas besoin de quelqu'un comme ça de plus dans ma vie, ma mère était suffisante.

- Dans tout et rien. Récemment j'ai aidé pour apporter des repas chauds et des couvertures aux sans-abris. Avec ce froid, ils avaient besoin d'aide. C'est un ami qui tient l'association. Peut-être que vous connaissez ? Elle s'appelle...

- Non, non je ne connais pas, coupai-je en frissonnant.

Parler de SDF ne me plaisait pas. J'en avais rien à foutre de ces gens-là, chacun ses merdes. J'en avais bien assez.

- Comme vous voulez, finit par dire Taehyung.

Pourquoi il ne s'énervait jamais ? Je venais d'être malpolie avec lui, mais tout ce qu'il trouvait à faire c'était de continuer à me raccompagner chez moi. Même sans rien faire j'avais envie de lui gueuler dessus. Un énième soupir passa la barrière de mes lèvres.

- Vous habitez dans de beaux quartiers.

- Oui. Mais c'est la maison de mon petit-ami, donc je propose que vous vous arrêtiez là. Croyez-moi ça vaut mieux. Je ne veux pas de problèmes avec lui.

- Ça m'est égal, répondit-il en s'arrêtant sur le trottoir. C'est encore loin ?

- Au bout de la rue.

Je regardais mes chaussures parce que je savais que cette énergumène me regardait moi. J'entendis un petit rire.

- Vous êtes tout de même mignonne, même si vous avez un caractère de merde.

J'entrouvris la bouche et le fusillai du regard.

- Que...

- Passez une bonne nuit Miss Jennie. Rentrez bien.

Il tourna les talons sans que j'ai le temps de dire quoique ce soit. Je le regardai quelques instants repartir, avant que cet idiot ne se retourne et ne m'envoie un sourire victorieux.

- Connard, soufflai-je en me jurant de ne plus mettre un pied dans ce bar.

Je rentrai dans la villa et fus étonnée d'y trouver Yoongi. Il me regarda depuis le canapé, un verre de whisky japonais en main. Je repensai à notre dispute et pris mon courage à deux mains.

- Pardonne-moi. Je ne pensais pas ce que j'ai dit. Tu ne fais pas de... de la merde. C'est juste que ce n'est pas à mon goût. Mais tu sais que j'ai aucun goût en musique.

Il ne répondit pas tout de suite, se contentant de me détailler. Yoongi esquissa finalement un petit sourire et me fit signe d'approcher. Il me serra contre lui.

- T'as de la chance que j'sois putain d'amoureux de toi, babe, chuchota t-il dans le creux de mon cou.

Ses mots me donnèrent des frissons, comme s'il était obligé de tout me passer car il m'aimait. Ses lèvres alcoolisées se posèrent sur la peau glacée de mon cou et il m'embrassa plusieurs fois avant d'atteindre mes lèvres gercées par le froid.

- T'étais où ?

- Faire un tour en ville.

- Avec les filles ?

Je fis non de la tête. Yoongi ne dit rien et avala une gorgée de sa merde d'alcool. Je détestais l'alcool. Vraiment. Il n'y avait rien que je détestais de plus sur cette Terre. Par conséquent, je détestais mon père.

- Ça va en ce moment ?

J'étais étonnée de sa question et je me raidis. Disait-il ça par rapport à... Ce sujet était source de problèmes entre nous, donc on avait tout simplement décidé de l'éviter. Donc c'était impossible qu'il l'évoque...

- Oui.

- T'es sûre ? Tu sors souvent le soir.

Je fus soulagée que ça ne soit que ça.

- J'ai besoin de... respirer.

Putain, et c'était moi qui remettait le couvert en faisant allusion à ça. Il hocha la tête et posa finalement son verre sur la table basse. Il me prit comme une princesse et m'embrassa.

- Allons dormir. Cette journée était... épuisante.

Je hochai positivement la tête alors qu'il montait les escaliers jusqu'à notre chambre. Je fermai les yeux, j'étais fatiguée, ça arrivait de plus en plus souvent ces temps-ci, mais je ne devais pas y penser, ce n'était rien. Rien d'important. Il partit se doucher et je restai seule dans la chambre à peine éclairée par quelques bougies. Je pouvais entendre Yoongi qui fredonnait un air sous l'eau tiède de la douche et je m'endormis sur cette mélodie.

Taehyung.

Je me réveillai en sursaut, et en sueurs. Yoongi dormait encore à côté de moi, le dos tourné. Le réveil indiquait quatre heures du matin. Pourquoi j'avais rêvé de cet imbecile au juste ? Je fermai les yeux pour tenter de reprendre une respiration normale.

- Putain, c'était quoi ça... soufflai-je en mettant la main sur mon coeur.

Il battait à cent à l'heure.