ᴺᴼᵂ ᴼᴺ ᵀᴴᴱ ᴿᴬᴰᴵᴼ: ᴸᴵᵀᵀᴸᴱ ᴮᴬᴰ ᴳᴵᴿᴸ; ᴰᴬᵛᴵᴰ ᴳᵁᴱᵀᵀᴬ

— Je suis contente pour Zadig et toi, je crie par dessus la musique.

Wooyoung me toise du regard, visiblement surpris que je lui sorte ça comme ça, en plein milieu de la piste. Il se contente de sourire et ose un hochement de tête positif, un peu gêné. À côté de nous, Hongjoong ne répond plus de lui et enflamme le dance floor comme si sa vie en dépendait. Sauf que sa vie, c'est Soojin, et qu'elle est étrangement absente ce soir, et que le faux rouquin se lâche beaucoup trop pour que tout soit normal. Au moment où Wooyoung va pour enfin me répondre, Hongjoong se jette — littéralement sur nous, et nous devons nous synchroniser pour le retenir de finir le visage le premier sur le sol sale. Un grand sourire aux lèvres et la chemise collante sur son torse, le coréen passe ses bras sur nos épaules et laisse tomber sa tête contre celle de Wooyoung qui grimace, agacé.

— Depuis quand tu te mets des cuites comme ça, toi ? fait-il sans le regarder. C'est normalement Baek' qui s'en charge...

— Je suis... HEUREUX, hurle l'autre à demi-mort dans nos oreilles.

Il éclate de rire et nous embrasse sur la joue, chacun notre tour.

— Je suis contente pour toi, alors, je fais à l'intention du rouquin qui me lance une mine adorable.

— Seulgi je t'aime, tu le sais ?

Apparemment, l'alcool rend Hongjoong tout feu tout flamme.

— Tu pues mec, tu devrais rentrer chez toi... Où est Hugo ?

Hongjoong tourne brusquement la tête et manque perdre l'équilibre, nous entraînant avec lui. Il indique d'un geste de menton peu assuré la sortie.

— Il est parti tout à l'heure... avec Dina.

Nous nous regardons quelques secondes, Wooyoung et moi. Et puis, je suis bousculée par quelqu'un, et mon esprit passe à autre chose. Au moment où je vais pour protester, je m'aperçois qu'il s'agit de Thaïs, qui se dirige d'un pas ferme vers les toilettes de l'Oasis.

— Va la voir, me fait simplement Wooyoung. Je m'occupe de lui.

J'hoche la tête, le remerciant d'un sourire.

Les toilettes puent la pisse et la beuh. Le mélange de senteurs me donne instantanément la nausée, et je dois m'appuyer quelques secondes contre la porte d'entrée pour faire le vide dans mon esprit. Si je me lâche maintenant, soit je vomis, soit je tombe. Je respire profondément, alors que les vibrations du mur dues à la forte musique me bercent étrangement. Du regard, je cherche ma meilleure amie. Un groupe d'étrangères me bousculent en sortant, et partent sans s'excuser. Je crois reconnaître des mots d'espagnol. Les Européens viennent peu, ici.

— Thaïs ?

Aucune réponse. Bien sûr, la musique est trop forte. Je fais quelques pas, évitant mon reflet dans le miroir sale, mais rien. La porte du fond attire mon attention, elle est restée mal fermée.

Je crois qu'il y a certaines scènes dans une vie qui ressemblent à des Actes de théâtre. Des secondes tellement importantes qu'elles marquent le début ou la fin d'une époque, sans que l'on n'y soit spécialement préparé. Et je crois aussi que ce soir-là, ce que j'ai vu a brisé à tout jamais l'enfance, et c'est là que j'ai compris qu'elle ne reviendrait plus jamais.

— THAÏS !

Elle sursaute, faisant tomber sa carte de crédit sur le sol mouillé de pisse. Ses yeux bleus cernés de rouge et de sang me scrutent, les sourcils froncés et la bouche entrouverte, ses mains tremblent quand elle essaie d'essuyer son nez. Elle renifle de manière peu élégante et sa jupe remonte sur ses jambes, d'ailleurs, on voit sa culotte. Elle est pathétique, au premier sens. Elle ne ressemble plus à rien, ce n'est qu'une putain d'épave. Ses baskets sont dégueulasses et son haut de bikini presque défait autour de son cou, mais pourtant, elle m'adresse un demi rictus, celui de soulagement, et lâche un oh, c'est toi, avant de se remettre sur les genoux et de récupérer sa carte banquaire baignant dans la pisse.

Et elle recommence à sniffer de la coke comme si je ne venais pas de découvrir que ma meilleure amie se droguait, là, sous mes yeux. Il me faut un moment pour réagir, je crois bien. Quand j'y repense, tout est un peu flou. Le peu d'alcool que j'ai bu me monte à la tête et mes gestes deviennent plus lents, je sors de mon corps et m'observe, plantée au milieu des chiottes devant une porte taguée, ma meilleure amie à genoux dans la misère la plus totale, en train d'aspirer de la poudre blanche par le nez. Et tout lui paraît normal.

— Thaïs, que... qu'est-ce que tu fais ?... je chuchote mais elle ne m'entend pas, bien sûr.

Je recule de deux pas et m'accroche de toutes mes forces au mur. Non, impossible. Pas la drogue, bordel de merde. Je suffoque, sauf que les nerfs prennent le dessus et soudain, je ne me contrôle plus. Je rentre à nouveau dans la cabine et envoie valser les lignes de poudre qu'elle s'applique à tracer, plus concentrée que jamais. Nos regards se croisent.

— Hé, mais ça ne va pas ou quoi ?! s'écrie t-elle en peinant à se redresser. T'es complètement malade, tu sais combien ça vaut cette merd...

— QU'EST-CE QU'IL TE PREND, PUTAIN DE MERDE ?! je hurle.

Ses yeux s'écarquillent, elle n'est pas habituée à ça. Sauf que même moi je n'y suis pas habituée. La pauvre fille que j'ai en face de moi n'a rien de ma meilleure amie. Absolument rien.

— Qu'est-ce que t'es en train de faire ?! je continue car elle semble devenue muette. Depuis quand ça dure cette merde ?! Tu te drogues ?! Comment tu peux faire ça ?! Comment tu peux me faire ça, bordel Thaïs !

— Je... je...

La colère prend le dessus. L'alcool ? Je ne le sens même plus. Je saisis ma meilleure amie par les épaules, la secouant de toutes mes forces.

— Réponds-moi !! je continue à crier, totalement hors de moi. Pourquoi tu fais une chose pareille, t'es devenue folle ?!

Thaïs baisse les yeux, cherchant visiblement ses mots. Au même moment, Baekhyun et Hongjoong font leur entrée dans les toilettes communs, et le drame continue et s'étale dans son ramassis de tragédie grecque mal jouée.

— Je... j'en sais rien, je... C'était pour essayer...

— Non, non, je t'interdis de me dire ça ! je la coupe les larmes aux yeux. Je peux tout entendre mais pas cette excuse minable, tu m'entends ?! Tu veux essayer quoi, la mort sous forme d'échantillon gratuit ?! Tu te rends compte de ce que tu viens de faire ?! Et quand tu t'es évanouie sur la plage, c'était pas à cause de l'alcool, c'était... c'était à cause de cette merde ?!

— On peut savoir ce qui se passe ? intervient Hongjoong les sourcils froncés. À cause de quoi tu t'es évanouie l'autre fois, Thaïs ? De quoi elle parle ?

La grecque reste muette, regardant ses pieds. Elle a du mal à respirer. Je me tourne vers son meilleur ami, et les larmes craquent au bord de mes yeux.

— Tu sais comment je viens de la trouver, Joong' ? À genoux, dans des chiottes qui puent la pisse et la gerbe, en train de sniffer des lignes de coke sur le rebord d'un putain de WC. Je peux tout supporter, mais pas ça, Joong', pas ça... pas elle... Et le pire c'est qu'elle le sait...

Et Thaïs s'enfuit, en bousculant Baekhyun qui peine à la retenir. Je découvre alors Zadig et Wooyoung, plantés dans l'entrée.

— Donc j'avais raison... j'entends l'arménien dire.

— À propos de quoi ? fait aussitôt Hongjoong comme s'il venait de dessoûler aussi vite que moi.

— Du sachet dans la main de Baekhyun, l'autre soir sur la plage quand Thaïs s'est évanouie.

Tous les regards divergent sur le coréen à la chemise hawaïenne. Wooyoung et Hongjoong semblent tomber de dix étages, en même temps.

— Attends... quoi ? fait ce dernier en se tournant vers son ami d'enfance. C'est toi qui lui a fourni cette merde ?

— Jamais de la vie ! se défend aussitôt Baekhyun.

— Non, c'est pas ça la question... intervient Wooyoung en s'approchant. Tu savais, pour elle ?

Le blanc qui suit révèle la vérité, et la seconde d'après, Hongjoong tire à sa suite Baekhyun hors du club, sous nos regards meurtris.

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— T'étais au courant sale enculé !! crie Hongjoong en me poussant hors de la boîte.

— Qu'est-ce que je devais faire, putain de merde ?! DIS LE MOI HONGJOONG ! Dis-moi ce que j'aurais dû faire, puisque t'as l'air de le savoir mieux que quiconque ! je hurle à m'en déchirer les cordes vocales.

La mer demeure la seule spectatrice de notre triste dispute. L'air marin fait voler nos chemises humides contre notre peau, et je maltraite mes cheveux, plus stressé et frustré que jamais. La vérite est qu'il ne comprend mot de ce que je peux bien lui raconter. Son esprit est bien trop choqué pour qu'il ne veuille écouter son bon sens. Hongjoong me regarde avec les yeux exorbités, comme s'il était prêt à me tuer, et si j'y pense un instant, il en est sûrement capable. Sa meilleure amie, l'image parfaite et naive qu'il entretenait d'elle, tout vient de partir en fumée, dans le club miteux d'une petite ville côtière perdue dans l'océan Pacifique.

— Tu n'as rien fait quand tu as découvert qu'elle se droguait à outrance, explique-moi quel genre d'ami fait ça ?! Tu l'as laissée dépérir sans bouger le petit doigt, ELLE POURRAIT EN MOURIR ! hurle à son tour Hongjoong en me poussant contre le mur de l'Oasis.

Mon crâne tape fort contre le béton, et je serre les dents. La haine l'aveugle, mais moi, c'est le désespoir qui me hante depuis des semaines, déjà. Et ça, il ne peut le comprendre. Je le frappe, il tient bon, on recule et on se bat comme jamais on ne l'a fait. Les insultes fusent, elles n'ont plus de sens, ce n'est pas nous qui parlons, mais nos pantins désarticulés face à l'atrocité de la vérité. Le revers de la médaille est terrible. Terne et sale. Immonde. Dégueulasse. Le faux rouquin saisit le col de ma chemise, me fusille du regard, il est comme possédé.

— Tu l'as laissée seule dans sa merde alors que t'étais le seul au courant ! Comment t'as pu faire une chose pareille ?! J'avais confiance en toi, Baekhyun, putain de merde ! Tu sais combien elle compte pour moi, et tu la laisses mourir, tu...

— ELLE SOUFFRAIT ! je hurle en retenant un sanglot.

Mes coups cessent, les siens aussi. Il me tient par les épaules alors que je tords encore sa chemise entre mes doigts tremblants. Ma vision se floute. La vérité est que j'aime tellement Thaïs que j'en ai mal au coeur. Peut-il le comprendre ? Après tout, il est dans la même situation avec Soojin. J'aime tellement cette fille que j'ai préféré lui céder mon approbation plutôt que la voir dépérir de jour en jour sans pouvoir rien faire. Voilà la vérité.

— Elle souffrait tellement, elle... elle... je renifle bruyamment en fixant Hongjoong droit dans les yeux. Elle se frappait la tête avec ses poings, elle hurlait à la mort, comme si... comme si... si on la torturait sous mes yeux... Elle se g... elle se grattait la peau des genoux jusqu'à ce que... le sang, Hongjoong, il y avait du sang partout... Qu'est-ce que... qu'est-ce que j'aurais dû faire ?...

Au fur et à mesure que je lui avoue, ma tête tombe contre son torse. J'ai le nez qui coule et les cheveux qui me collent au visage, la scène est déplorable. Hongjoong tremble, lui aussi. Pourtant il fait si chaud dehors, bordel.

— Elle ne demandait que ça... J'avais l'impression d'être... un... un monstre pour ne pas lui donner... un monstre, putain... Rien d'autre ne marchait, c'était la seule solution... Je ne voulais pas que ça finisse comme ça...

Il y a un long moment de silence, seuls les basses étouffées du club nous parviennent aux oreilles. Hongjoong finit par me lâcher, et recule, lentement. Je reprends un semblant de conscience, de contenance. J'allume une clope, envoie chier mes larmes d'un revers de main. Hongjoong fixe l'océan. De là, on ne voit qu'une étendue noire sans fin, comme si le monde s'arrêtait là, devant nous, et laissait sa place à un trou noir gigantesque.

— Pourquoi est-elle devenue accro à cette merde ?

— Sa mère, je fais, simplement, sans lui accorder un regard. Et puis Sulli. Elle n'en parle jamais, mais ça l'a traumatisée.

Du coin de l'œil, je le vois se prendre la tête entre les mains. Du regret, peut-être ? Ou alors de la tristesse, une fin de colère, un début de mélancolie. Celle qui vous arrache petit à petit le coeur et vous empêche de respirer correctement. Celle qui fait le plus mal; celle qu'on ne peut tuer.

— Et toi, dans tout ça ?

Je hausse les épaules.

— Tu n'as pas deviné ? Ça m'étonne de toi, je fais pour tenter un brin d'ironie dans cette nuit si triste.

— Alors c'est quoi le plan, vous vous droguez comme deux losers et vous vous envoyez en l'air à chaque fois qu'elle vient chez toi ?

Je ne réponds pas, il a sa réponse.

— Baekhyun, t'as rien fait pour l'aider, mais moi je ne resterai pas les bras croisés, c'est au dessus de mes forces. Je ne supporterai pas de voir quelqu'un d'autre partir, pas après avoir perdu Sulli pour de si futiles conneries.

Je me mure dans le silence que je connais bien, et mon ami tourne les talons, puis s'en va.