Maya inspira un grand coup. C'était le grand jour. Celui qu'elle avait tant attendu. Elle sentait une boule douloureuse la prendre au ventre. Elle resta là, assise sur une chaise, à observer Lia. Son amie était revenue dans la nuit, sans un mot, et s'était endormie sur un fauteuil.

    Le navire s'éveillait petit à petit ; des pas, des voix, des craquements, des rires.

    Puis, une phrase qui vint briser cette bonne ambiance.

    « Les gars, Lloyd n'est plus là ».

*****

 
    – Attends, tu es sûr ?

    Kai acquiesça vigoureusement.

    – Sûr et certain, sœurette. Et s'il était parti faire je ne sais quoi il aurait prévenu.

    – Tu as essayé de l'ap... commença Cole.

    – Son téléphone était sur la table de nuit en mode avion.

    – Pourquoi êtes-vous aussi agités ? fit une voix derrière eux.

    Les maîtres élémentaires saluèrent respectueusement le sensei avant d'expliquer la situation.

    – Il est certainement sorti prendre l'air. Je connais mon neveu. Il n'y a pas de quoi s'inquiéter.

    Kai se racla la gorge.

    – Sans vouloir vous manquer de respect, sensei, la dernière fois que l'on a eu droit à de telles disparitions, c'était tout autre chose qu'un petit tour pour s'aérer.

    Au même moment, Jay arriva, essayant tant bien que mal de faire disparaître l'épi qu'il avait à l'arrière du crâne.

    – Qu'est-ce qu'il se passe ?

    – Lloyd a disparu, annonça Kai.

    Le maître de la foudre devint livide.

    – Q... quoi ?

    – Ce que veut dire Kai, c'est que Lloyd n'est plus... est parti ce matin sans prévenir et que tout ça lui monte un peu à la tête, reprit Nya en gratifiant son frère d'un regard noir. Il va revenir.

    – Ah, ok. Vous m'avez fait peur, rigola Jay. Vous avez déjà pris le petit déjeuner ?

    Nya secoua la tête.

    – On s'est levé il n'y a pas longtemps. Zane prépare de quoi manger et Cole euh... je ne sais pas. Il a dit qu'il aidait Zane mais j'en doute. Laya dort encore ?

    – Oui. Je l'ai laissé dormir. Euh... tout va bien, sensei ?

    Nya se tourna vers le vieil homme et se rendit compte que celui-ci semblait préoccupé. Il gardait les yeux rivés sur un point fixe, un voile d'inquiétude posé sur son regard d'ordinaire si transperçant.

    Après quelques secondes seulement, ce voile se leva et le sensei reporta son attention sur ses élèves.

    – Très bien, merci.

*****

    Lia ouvrit doucement les yeux. La femme mit quelques temps à se rappeler où elle était. En sécurité, dans le Bounty.  

    Elle remarqua que Maya la regardait.

    – Tu as bien dormi ? demanda la maîtresse de la foudre.  

    Son amie hocha la tête.

    – Mieux que je ne l'aurais jamais espéré. Pourtant... c'est étrange mais, j'ai l'impression d'être retombée en enfance et d'être un jour de rentrée. J'ai peur, mais je suis heureuse.

    – En quoi est-ce étrange ?

    – Petite, je faisais toujours nuit blanche, la veille de la rentrée. Trop de questions, de craintes, peut-être même d'imagination. Mais cette nuit, j'ai dormi d'un sommeil profond et sans rêves chaotiques. J'avais oublié combien cela était... agréable.

    – Tu as bien de la chance...

    Maya baissa le regard.

    – Si tu savais combien je suis désolée pour Ayden, Lia... pardon... je... je sais à quel point tous les deux...

    – Tu n'as pas à t'excuser. Ce n'est pas toi qui l'as tué, non ? Le passé est derrière moi. Me retourner entraverait mon avenir. Ayden est mort et je ne peux rien changer. Je dois faire mon deuil. Je me suis faite à l'idée.

    Menteuse, menteuse ! chantonna une petite voix dans sa tête.

    Lia maudissait réellement cette petite voix. Elle savait qu'elle ne pouvait pas lui dire de se taire. C'était un dialogue à sens unique.

    Elle haïssait le fond de sa pensée.

*****

    Nya venait juste de finir d'enfiler son Jean quand elle entendit la voix du sensei l'appeler.

    – Nya, Kai, Jay, Laya. Vous pouvez venir s''il vous plaît ?

    Au moment où elle rejoignit le vieil homme, curieuse, Jay précisa que Laya dormait encore et qu'il préférait ne pas la réveiller. Le sensei acquiesça simplement, sans chercher à insister.

    – Où est Kai ? demanda-t-il à Nya.

    – Allez chercher Lloyd, dehors, dans la ville. Je le connais, il ne reviendra pas avant de l'avoir trouvé, soupira la jeune fille. Pourquoi vouliez-vous nous voir ? Ce n'est pas... grave, j'espère ?

    Le sensei ne répondit pas et leur fit simplement signe de le suivre. Après s'être échangé un regard inquiet, que leurs mains se trouvèrent et que leurs doigts s'entrelacèrent, Jay et Nya lui emboitèrent le pas.

*****

    Malgré les conseils de celui que Lloyd avait appris être Ray, le père de Kai et Nya, le jeune homme n'avait pas dormi.

    Comment aurait-il pu ? Alors qu'une odeur de danger et de mort flottait dans l'air ? Alors que ses amis n'avaient aucune chance de le retrouver, ici ? Alors qu'il allait passer ses derniers instants dans cet endroit ?

    Elles se nourrissent d'énergie. Avec lui, elles allaient être servies. Cette énergie, elle coulait dans ses veines, depuis toujours. N'était-ce pas son pouvoir élémentaire, de manier cette puissance ? Ray lui avait assuré qu'elles n'allaient pas tout prendre d'un coup, Lloyd savait qu'il ne pourrait pas survivre.

    Quatorze ans. Cela faisait quatorze ans que cet homme était ici. Pourtant, il était toujours vivant. Et son élément était le feu. C'était aussi une importante source d'énergie. Quand Lloyd lui avait demandé comment cela se faisait qu'il lui restait toujours autant de puissance après tant d'années, il lui avait simplement répondu « Il y en a eu beaucoup d'autres avant nous. On était un peu leur réserve ».  

    Sauf que ces monstres avaient fini par entamer leurs réserves. Il n'y en avait plus, devant eux sur la liste. Ils étaient les prochains.

*****

    Nya et Jay entrèrent dans la pièce de méditation du sensei, suivant encore ce dernier. Il y régnait toujours cette bien étrange atmosphère mêlant calme, sérénité et l'impression que tout pouvait arriver, entre ces murs.

    Le vieil homme s'arrêta et Jay l'aurait heurté de plein fouet si Nya ne l'avait pas stoppé.

    – Vous êtes ici pour une raison... particulière, expliqua le sensei. Je veux que vous me promettez de ne pas en parler à Kai et Laya tant qu'ils n'auront pas vu la même chose que vous.

    – On le promet, lancèrent-ils en même temps.

    – Bien, acquiesça le sensei. Vous pouvez venir.

    Les deux adolescents ne comprirent pas tout de suite à qui il parlait. Puis, ils aperçurent deux silhouettes s'approcher.

    Dès qu'il reconnut le visage de sa mère, Jay sentit les larmes lui monter aux yeux. Sans plus attendre, sans même se demander comment cela était possible, il se précipita dans ses bras, le regard plus qu'humide.

    Nya, elle, resta figée sur place. Elle n'était pas sûre de ce qu'elle voyait. Comment pouvait-elle l'être, après tout. Sa connaissance se limitait aux deux ou trois photos qu'elle avait vue. Et elles dataient tellement...  

    C'est elle qui s'approcha. Nya resta de marbre. Elle ne pouvait pas y croire. Ce n'était pas possible.

    Et pourtant, ce sourire qu'affichait cette femme lui assurait que si.

    – Nya... murmura-t-elle. Ma toute petite fille...

    Elles finirent dans les bras de l'une et de l'autre.

    Nya avait du mal à comprendre.

    Rien. Rien durant des années. Et là, du jour au lendemain, une lettre mystérieuse disant de ne plus la contacter et, une dizaine de jours plus tard, la voilà.

    Nya ne voulait pas lui en vouloir. Pourtant, c'était bien de la colère qu'elle sentait grandir. Elle l'avait abandonné. Et sa présence ici prouvait qu'elle aurait pu revenir il y a déjà plusieurs années.

    Mais elle ne l'avait pas fait. Et rien ne pouvait effacer toutes ses années à voguer de foyers en familles d'accueil, qui avaient toutes finies par les abandonner, elles aussi. Le seul à ne l'avoir jamais laissé, c'était Kai. C'était lui, sa famille. Lui et tous leurs amis. Zane, Lloyd, Cole, Laya, Skylor et bien sûr, Jay. C'était ça, sa famille.

    La seule qu'elle n'ait jamais eu.

    Alors, la jeune fille se sentit repousser lentement sa mère.

    – Je... je suis désolée mais... je ne peux pas... s'étrangla-t-elle. Je ne peux pas.

    Elle recula, trouva la porte et s'enfuit en courant de la pièce.