C'était loin tout ça, c'était il y a plus de huit ans, ou neuf, je ne sais plus. J'avais à peine dix-huit ans, et toi vingt. J'étais la victime et toi la sauveuse, j'étais la fille fragile et toi la femme forte, j'étais moi et tu étais toi.
Les souvenirs me hantent encore, les souvenirs de ce moment où tu m'as dit :

-Je t'aime Seunghee.

Tu m'avais prise dans tes bras, avant de disparaître dans le néant, enfin de disparaître dans les bras de ces deux bourreaux de policiers qui te serraient les biceps, chacun un dans ses mains, emportant toi et tout mon bonheur avec eux.
Je ne sais pas pendant combien de temps tu devais rester en prison, vu que j'ai déménagé quelques jours plus tard.
Si ces deux connards n'avaient pas attaqué, rien de tout ça ne serait arrivé.
C'était simple, l'un des deux m'avait frappé, l'autre avait rejoint, jusqu'à se déchaîner sur moi, juste parce que... je ne sais pas.
Puis tu es arrivée, telle une guerrière, tu les as écarté, puis as constaté les blessures qu'ils avaient marqué sur mon visage et mon corps, tu les as frappé plus fort. Quelqu'un a dû voir la scène et à appeler la police, puisque quelques minutes plus tard les sirènes retentissaient sans relâche, avant que je ne vois trois voitures arriver, et t'arrêter. Le juge a décrété que même si les hommes avaient commencé, c'était toi qui devait payer.
Ils t'ont emmené, j'ai pleuré sur tout le trajet au commissariat, où ils ont appelé mes parents. Nous sommes rentrés, puis sommes partis vers Seongnam, avant que je ne prenne un appartement à Séoul trois ans plus tard pour mon travail en tant que professeure de chant.

Je ne t'ai plus jamais vu ensuite. Je ne sais pas si ton visage a changé, si ton caractère a changé, si tu es handicapée, physiquement ou mentalement, si même tu es sortie de prison, tout ça me trottait dans la tête pendant les deux-trois premières années, puis tu es sortie de ma tête. Tu n'étais plus qu'un lointain souvenir.

Jusqu'à aujourd'hui, exactement le 28 avril 2020, 9 ans après cette agression, tu es là, devant Seunghee, 26 ans, à qui tu avais dit "je t'aime" en 2011.

Tu n'oses pas me parler, mais, dès que tu m'as vu, tu t'es stoppée net et m'as fixé indéfiniment, jusqu'à-ce que tu t'assoies en face de moi, dans ce bar à Bubble-Tea, puis que tu prennes enfin la parole :

-Oh Seunghee ? C'est toi ?

Tu parles avec une forte hésitation, comme si tu pensais que tes paroles allaient agir comme une allumette, et me brûler de plus en plus à chaque syllabe.

-Oui, c'est moi.

Sur ton visage commence à apparaitre un léger sourire, à l'entente de mon affirmation.

-C'est moi ! Euh, Jang Seungyeon !

J'écarquille les yeux. Ce nom, je ne l'avais pas entendu depuis si longtemps, et pourtant, il m'avait fait chavirer à chaque fois que quelqu'un le prononçait.

-Vous avez vu sa veste ? Son père est richissime ! avait dit Tae-hee.

-Nan mais Seungyeon se la pète trop avec son sac Channel j'te jure ! Et puis, elle peut pas arrêter de rouler du cul aussi ? criait Min-jung.

-Regarde moi ce décolleté et cette jupe, non mais elle cherche et elle provoque serieux, si un jour elle se fait euh... tu vois, qu'elle vienne pas se plaindre ! pestait Sae-mi.

Toutes ces personnes te critiquaient, alors que moi je ne pouvais m'empêcher d'être admirative, envers Seungyeon, cette fille qui se fichait du regard des autres, et qui souriait quand quelqu'un lui faisait une remarque. Seungyeon, cette fille qui rayonnait sans cesse.

Cette époque, -appelée le lycée- était bien loin, mais tu es devenue encore plus belle. Pourtant mon cœur ne chavire pas comme à l'époque.

-Tu es restée combien de temps en, en... dis-je d'une voix hésitante.

-3 ans, car les victimes n'étaient pas si gravement blessées.

-Oh, et tu deviens quoi maintenant ?

-Je suis étudiante en droit, et toi ?

-Je suis devenue professeure de chant.

Tu as perdu ton sourire en voyant la manière dont je te parles, assez froidement, sans émotions visibles, mais à quoi bon ? Notre petite amourette c'est du passé, et pour l'instant être en couple n'est pas dans mes priorités. Il faudrait que je sois moins dégoûtée de l'amour pour ça.

L'amour fait du bien un instant, mais dès que tu te sépares de la ou des personnes avec qui tu étais en couple, ça devient un cauchemar le plus souvent. On est jamais sûr de la personne qu'on a en face de nous. Chacun a une part d'ombre, la jalousie, la possessivité, la méchanceté, l'égoïsme, et tout un tas d'autres mauvais traits, qui finalement rendent la personne détestable.

Alors, je préfère ne plus m'attacher aux gens, car au moins, quand je les perds, je ne souffre pas.

Certains me donneront raison, certains me trouveront sans cœur, certains s'en fichent simplement.

Je passe l'après-midi avec toi à nous rappeler nos bons souvenirs. Je parle encore avec cette intonation froide dans ma voix, alors que tu essayes de renouer le lien si faible qu'il y avait entre nous. Mais tu perds espoir.

Après avoir échangé nos numéros je rentre chez moi et tu dois sûrement rentrer chez toi. Je me cale tranquillement devant mon programme préféré, les dessins animés. Beaucoup trouveront ça immature de regarder des émissions pour enfants à 26 ans, mais peu importe, ça me plaît.

Je m'endors devant un film, demain c'est dimanche alors je m'en fiche de me coucher tôt.

Le lendemain, je me lève péniblement de mon canapé avec un soudain souvenir, mais oui, je donne un concert aujourd'hui ! Et merde !

"Concert" est un bien grand mot. La fête de la musique de Hongdae a organisé une scène libre, alors je m'y suis inscrite. Ça commence à 18h, il est à peine 14h mais je viens de me réveiller. Je file sous la douche qui me réveille instantanément. J'enfile ensuite un jean large, un top blanc avec une veste en jean par-dessus. J'attache mes cheveux en demi-couette et coiffe ma frange avant d'aller chercher de quoi manger dans une supérette. Je prends seulement des nouilles instantanées, pas le temps pour me reste, il est déjà 15h et je n'ai même pas répété. Je finis mon episode de la veille (il restait que 10 minutes) en mangeant mon plat. Je passe ensuite dans mon mini studio d'enregistrement pour m'échauffer la voix :

-La la la la la

Quelqu'un sonne à la porte, je vais ouvrir et je tombe sur toi :

-Seungyeon j'ai pas le temps là.

Tu fais une mine triste puis tu me réponds que tu vas juste attendre en bas car tu dois me dire quelque chose. J'insiste bien sur le fait que je vais probablement sortir dans 1 heure vu que je dois répéter, mais tu t'en fiche et reste déterminée à m'attendre.

Je continue d'échauffer ma voix, puis chante quelques chansons, au final il est 16h48, je descends en bas et te vois sur ton téléphone.

-Tu voulais me dire quelque chose ?  Si c'est toujours le cas fait vite, car je dois partir là.

Tu m'embrasses, et je te repousse. Non mais qu'est-ce qui te prends ?

-Ça va pas ! Seungyeon bordel je n'ai plus de sentiments pour toi !

J'hésite en disant cette phrase. Ses lèvres m'avaient manqué, et je repense à la sensation de l'amour que j'avais pour elle à l'époque.

Je pars, en colère, vers le métro puis le prend direction Hongdae. Bingo, il est 17h51, pile à l'heure. A 18h je monte sur la scène devant un public assez conséquent, une voix s'écrit :

-Oh Seunghee, professeure de chant, qui va interpréter "A Flying Butterfly" de YB.

Je commence donc à chanter de tout mon être, les scènes comme celles-ci servent à se faire remarquer, pour qu'une agence nous choisisse. Malheureusement, personne n'a jamais voulu de moi.

Les applaudissements retentissent et je remarque ta présence parmi eux. Je souris, malgré ce baiser que je n'arrive pas à oublier. Je descends alors de la scène pour repartir chez moi, mais un homme en costume m'arrête :

-Oh Seunghee ! Je suis Monsieur Lim, je recherche des artistes pour la CUBE Entertainment, voici ma carte !

Et voilà, la première partie de mon rêve se réalise. Je prends la carte et souris en le remerciant. Je repars et cette fois-ci c'est ta voix qui me fait me retourner.

Alors tu étais aussi là ? Je veux dire, tu performes aussi ? Je ne me souvenais plus de cette voix à vrai dire. Pourtant on chantait beaucoup avant. Tu danses aussi en plus, à la perfection. J'ai l'impression que tu brilles sur la scène.

Je me souviens alors pourquoi j'étais amoureuse, et sourie. J'étais ensorcelée par ta voix et ta danse.

Quand tu termines, tu retournes me voir, et j'hésite un instant, avant de te prendre dans mes bras. Ce que je fais, je t'enlace aussi fort en me souvenant tout ce que tu représentes pour moi.

-Seungyeon, j'ai fait une erreur, je crois qu'enfait, je t'aime toujours.

Tu m'embrasses, encore et encore, jusqu'à-ce que nous manquons d'air.

Tous mes souvenirs remontent et je me souviens de cet amour que je te portais.

Je veux que nous restions ensemble.

Pour toujours.