12. Twelfth bullet
Yoongi se réveilla aux premières lueurs de l'aube, un mauvais pressentiment chevillé au corps.
Il avait mal dormi et cela n'était pas seulement dû à la chaleur nocturne.
Depuis l'épisode de la cabane, il ne cessait d'être obsédé par le regard de Kim Taehyung. Il s'imposait à lui à chaque moment de la journée et le suivait même dans ses rêves.
Une violente dispute avait eu lieu avec son second à la suite de l'incident. Il avait fait ce qu'il détestait faire.
Il l'avait pris à l'écart et lui avait rappelé la hiérarchie au sein du campement et sa place de subordonné.
Jung Hoseok lui devait obéissance et il ne tolérerait aucun nouvel écart dans son comportement.
Il lui avait rafraîchi les idées sur les règles et lui avait interdit d'approcher à nouveau, pour quelque raison que ce soit, le prisonnier qui était sous sa garde exclusive.
Le seul membre à être autorisé à interagir avec lui était Tiago, même les gardes qui se relayaient à sa porte avaient pour ordre de ne pas lui parler.
Hoseok avait très mal réagi à ce déballage d'autorité, arguant qu'il ne comprenait pas son comportement, cependant il avait dû se plier à ses directives.
Cela datait de quelques jours et l'ambiance entre eux restait tendue. Son second n'avait plus essayé d'approcher le prisonnier, néanmoins il restait sur ses gardes.
Il savait pertinemment qu'il tenterait quelque chose dès qu'il en aurait l'occasion.
Yoongi ne s'était pas aventuré non plus à entrer en contact avec Taehyung, même si l'envie l'avait taraudé pour une raison qu'il ne préférait pas identifier. Il avait compris que plus, il montrerait de l'intérêt pour lui, plus cela exacerberait l'obsession de Hoseok.
Il gardait pourtant un œil sur le jeune homme.
Tiago lui faisait un rapport chaque jour sur son état tant physique que mental.
D'après lui, il passait ses journées à noircir son carnet d'esquisse.
Yoongi tourna le visage vers la fenêtre qui laissait passer un filet d'air. L'aurore dessinait des traînées de couleurs dans le ciel qui se teintait de jaune et de rose.
Il avait toujours aimé ce moment de la journée où la nature n'était pas encore tout à fait réveillée, mais ne dormait plus non plus.
Il devait se lever, cependant il resta allongé, rêveur.
Hier, leurs regards s'étaient croisés.
Cela avait duré une seconde ou peut-être une éternité.
Il était allé fumer une cigarette comme il le faisait chaque soir.
Taehyung était assis près de sa fenêtre pour profiter de la fraîcheur relative de la nuit.
Caché dans la pénombre, Yoongi avait observé son profil qui se découpait entre les barreaux de bambou.
Le regard du prisonnier portait au loin, bien au-delà de la végétation.
Il avait détaillé chacun de ses traits pour se rendre compte qu'il les connaissait déjà par cœur.
Est-ce l'intensité de son regard sur lui qui lui avait fait tourner la tête dans sa direction ?
Yoongi ne le savait pas, mais il avait fait un pas en avant pour entrer dans le halo de lumière que formait l'ampoule suspendue au-dessus de lui.
Il avait voulu lui signifier sa présence à moins qu'il n'ait voulu qu'il le regarde comme lui l'avait fait.
Leurs yeux s'étaient accrochés pour ne plus se lâcher. Yoongi y avait lu de la colère, de la tristesse et quelque chose de différent.
Il y avait discerné une forme de regret mélangé à autre chose.
Cela avait été furtif et il s'était demandé s'il n'avait pas rêvé, mais déjà le prisonnier avait détourné la tête et quitté son poste d'observation.
Lui s'était retourné dans son lit une bonne partie de la nuit afin de tenter de comprendre ce qu'il s'était passé lors de cet échange.
Il se redressa tout à coup et se leva pour enfiler ses rangers.
Il sortit en trombe de la cabane et parcourut les quelques pas qui le séparaient de la geôle.
Le gardien se redressa brutalement sur sa chaise et le salua, mais il n'en fit pas cas.
Il ouvrit la porte à la volée et compris ce qu'il avait lu dans son regard la veille, une sorte de regret oui, mais surtout un au revoir.
Kim Taehyung avait disparu.
De lui, il ne restait que le cahier d'esquisse abandonné sur la paillasse.
Taehyung avait fui à la faveur de la nuit. Il avait accroché son baluchon sur l'épaule et avait attendu que son gardien parte dans la nature pour assouvir ses besoins naturels.
Il était sorti en remerciant le ciel que la porte ne comporte pas de verrou et avait pris la direction opposée, se faufilant à bonne distance d'un guetteur qui lui tournait le dos, appuyé contre un arbre.
Quelques pas avaient suffi pour qu'il se retrouve dans la nature sauvage.
La nuit était noire comme de l'encre et on n'y voit pratiquement rien, cependant il ne pouvait plus rester au vu de ce qu'il s'était passé. L'obscurité serait son ennemie, mais également sa meilleure alliée.
Il se retourna une dernière fois pour observer la cabane de Yoongi dont le perron était légèrement éclairé et s'enfonça dans la végétation.
Il devrait se passer quelques heures avant qu'il ne découvre sa fuite. Il lui fallait prendre de l'avance, aussi minime soit-elle, dans cette obscurité.
Il se guida au bruit de l'eau. Il savait qu'il y avait un fleuve non loin qui permettait au camp de se ravitailler quand les eaux de pluies étaient insuffisantes.
Il marcha pas à pas et tomba de nombreuses fois à cause des pièges du relief.
Il sentait les feuilles humides lui lacérer la peau, pourtant à chaque fois, il se relevait et continuait.
Il était conscient que c'était pure folie, mais n'avait plus le choix.
Il dut marcher une heure à son allure d'escargot quand enfin, il sentit ses pieds s'enfoncer dans l'humidité de la berge.
Le bruit de l'eau s'intensifia.
Il bifurqua et commença à suivre son cours, manquant de tomber dans les remous de nombreuses fois.
Les baskets qu'ils portaient n'étaient pas adaptées à sa marche. Ses pieds étaient trempés et l'eau alourdissait ses pas.
Il marcha jusqu'à ce que le ciel commence à prendre une lueur rosée. Les contours du décor commencèrent à se dessiner sous ses yeux et il mesura l'ampleur de sa folie.
À perte de vue, on ne voyait que du vert.
Il s'accorda une pause quand le soleil s'éleva dans le ciel. Il but quelques gorgées de la bouteille d'eau qu'il avait amené et croqua dans un morceau de pain dur avant de reprendre sa marche.
La chaleur s'intensifiait et formait un brouillard au-dessus de l'eau. Il entendait des cris d'animaux et essayait d'en faire abstraction.
Il ne pouvait se permettre de laisser la peur prendre corps en lui, il devait avancer coûte que coûte.
Quand le soleil fut à son zénith, il était en nage. Il était sportif, pourtant rien ne l'avait préparé à marcher dans ces paysages escarpés, emplis de dénivelés.
Il continuait de suivre le tracé du fleuve qui serpentait dans la végétation, espérant tomber sur un village ou un camp quelconque dans lequel quelqu'un pourrait lui venir en aide.
Il se retournait régulièrement pour voir s'il n'était pas suivi.
Il savait qu'à l'heure qu'il était, sa fuite avait été découverte et qu'on avait dû se lancer à sa poursuite, à moins qu'on ne préfère le laisser mourir ici.
Il avait plusieurs heures d'avance et était conscient que ses éventuels poursuivants ne pouvaient pas utiliser de véhicules dans cet enfer vert.
Quand la luminosité commença à baisser, il calcula qu'il devait marcher depuis plus de seize heures. Il se raisonna pour s'arrêter avant la nuit et se reposer quelques heures.
Tomber d'épuisement ne l'aiderait pas dans sa fuite.
Il avisa un arbre dont la souche se scindait de telle façon à former un espace assez grand pour qu'il puisse y grimper et se reposer à l'abri des attaques des animaux qu'il entendait autour de lui.
Il devait absolument dormir un peu.
Il se hissa sur son perchoir en ignorant la douleur qui tétanisait ses membres et se cala avec un soupir de soulagement.
Il était déshydraté, toutefois l'eau était précieuse, alors il ne but que quelques gorgées avant de plonger dans un sommeil sans rêve tant la fatigue était intense.
Ce fut le cri d'un jaguar qui le réveilla dans la nuit. Il avait appris à reconnaître l'animal à son rugissement quand il rôdait autour du camp à la recherche de gibiers.
Il se tapit de son abri de fortune et pria le ciel pour que l'animal passe son chemin.
Il fut soulagé de l'entendre s'éloigner au pas de course dans les ténèbres.
Il chassait.
La lune était montante et un fin croissant se dessinait dans le ciel étoilé, lui donnant plus de luminosité que la veille. Il pouvait distinguer les reliefs et les reflets argentés de ses rayons sur les remous de l'eau.
Il ne savait pas exactement combien de temps il avait dormi, néanmoins il décida de se remettre en marche après avoir bu quelques gorgées d'eau supplémentaires et grignoté une pomme.
Il se laissa glisser de son abri improvisé. Il ressentit une vive douleur quand ses pieds en sang de sa marche rencontrèrent le sol. Il pensa un instant à enlever ses baskets avant de renoncer, ne sachant pas s'il pourrait se chausser à nouveau. Il se dirigea en claudiquant vers la berge pour se passer un peu d'eau sur le visage et dans les cheveux.
La chaleur augmentait à mesure que le soleil s'élevait dans le ciel.
Il aurait aimé se plonger dans l'eau fraîche, mais le fleuve était infesté de piranhas et de crocodiles qui ne feraient qu'une bouchée de lui.
Il détourna son regard à regrets, même la consommation de cette eau trouble représentait une bombe à retardements.
Il commença à remonter le long de la berge quand il glissa sur l'humus qui tapissait le sol et tomba à genoux. Ses deux mains s'enfoncèrent dans un tas de feuilles en décomposition.
Il sentit une brûlure et vit avec horreur un serpent corail s'enfuir sur la terre humide.
Ces anneaux noir, jaune et rouge ondulant dans un mouvement hypnotisant.
L'animal était de toute beauté, cachant sous sa splendeur la létalité de son venin.
Il sentait déjà son effet sous sa peau et aurait pu visualiser son tracé qui remontait dans ses veines à chaque pulsation cardiaque.
Il ne pouvait céder à la panique.
L'esprit vide, il posa ses lèvres sur la morsure pour en aspirer le poison, recrachant inlassablement la bile amère.
Ses lèvres le démangeaient sous l'effet de la toxine, toutefois il n'arrêta lorsqu'il sentit le goût du sang sur sa langue.
Il arracha le lacet de sa chaussure et fit en hâte un garrot sur son bras en espérant stopper la progression de la neurotoxine.
Mais déjà, il sentait ses muscles se tétaniser, la panique qu'il avait refoulée jusqu'à maintenant s'empara de lui.
Son corps ne lui obéissait plus et il s'écroula sur le sol.
Il sentit des larmes couler sur ses joues alors que son regard était fixé vers le fleuve.
Il pensa à son frère, qu'il ne reverrait pas, à son meilleur ami avec qui il n'irait plus boire un verre.
Il pensa à ce qu'il n'avait pas fait, à ce qu'il ne pourrait plus faire.
Il était tellement en colère contre la vie, contre ce destin qui le laissait crever seul loin des siens.
Il sentit sa respiration diminuer et ferma les yeux.
L'obscurité l'appelait.
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