『11』
Quand la nuit tombe et le silence plombe.
Quand les rues deviennent sombres et les routes désertes.
Quand les allées d'habitude bondées et bruyantes demeurent sourdes et que le seul signe de vie des boutiques est leur enseigne aveuglante ou au contraire, presque mourante.
Quand tout le monde dort ou pratique des activités qui ne valent pas la peine d'être mentionnées, que les enfants volent dans le pays des rêves où tout est rose et paisible et que les adultes s'engloutissent dans des cauchemars engendrés pas leurs vies ardues...
Un calme général règne sur la ville.
Les réverbères éclairent les parages pour un quelconque errant rare et on n'entendait qu'exceptionnellement le moteur d'une voiture passante.
Mais c'était majoritairement pacifique et serein.
Pas à Itaewon. Précisément à ce quartier dont il ne connaissait pas le nom et devant ces appartements dont il lui importait peu de savoir la localisation exacte.
Là-bas, une lumière familière agaçante virant entre le bleu et le rouge s'amusait à faire des siennes aux personnes présentes en tourbillonnant à une vitesse folle autour des murs et de leurs visages tel un assassin optique.
Des banderoles jaunes encerclaient la route tandis que les policiers se divisaient en groupes pour analyser la scène.
Jungkook observait la victime d'une expression abattue.
Elle baignait dans son sang et ne donnait aucun signe de vie.
Oui elle était bel et bien morte, il le savait, mais ce qu'il voulait dire c'est que même vivante, elle devait avoir l'air morte aussi. Comme lui.
D'un geste amorphe, il apporta son thermos à sa bouche, ne quittant pas le sol du regard, pour prendre une gorgée de sa potion magique, le seul secret de sa survie à 1 heure du matin.
Un goût amer, détestable, fort et un peu désagréable le ravitailla immédiatement en se mariant tristement avec sa propre âcreté et son âme encore plus meurtrie.
Travailler avec les morts était vraiment quelque chose. Avec chaque petite affaire, il se sentait plus dans son milieu, avec ses semblables.
Il les regardait et se voyait. C'était sûrement horrible de dire cela comme ça mais c'était vraiment ce qu'il ressentait.
Enfin de compte, quelle différence y avait-t-il entre eux?
Eux étaient décédés corps et âme, lui avait juste la capacité de bouger, être en action. Mais, âme ? Où était-elle ?
Pas qu'ils lui avaient créé ce sentiment, loin de là, ils ne faisaient que l'appuyer, l'amplifier. Parce que mort, il l'était déjà. Depuis bien longtemps.
Jungkook était mort et enterré, avec ses parents depuis ce jour.
Cette femme n'a pas été tuée. Il le savait déjà. Néanmoins, il lui manquait ce qui pourrait le confirmer. Il devait trouver une quelconque preuve.
Mais comment se concentrer dans une situation pareille ?!
Une dizaine de figurants. Un mort. Malaise total. Gêne palpable.
Yoongi regardait Jimin. Jimin regardait Jungkook. Jungkook regardait le corps.
Le plus âgé exprimait un certain abattement, le second une sorte de curiosité frustrée, le cadet du pur stress et une envie fulgurante de se dépêtrer.
Un cycle, un cercle démoniaque qui avait commencé depuis les premiers jours, se faisait plus prononcé au fil du temps et qui n'était visiblement pas prêt à se mettre un terme.
Franchement, le brun le saoulait. Il n'avait pas l'air de comprendre l'étendue de ce qu'il avait fait et ne cessait de lui demander s'il était colère.
En colère ?
En colère ??!
Non, il n'était pas en colère.
Il était fou de rage, absolument indigné et irréparablement affligé.
Il le haïssait, oui.
C'était un mot très fort mais il se permettait de l'employer.
Et qu'avait-il été naïf de croire qu'il ne débarquerait plus une fois il possèderait son propre bureau. Parce qu'en fait, il ne bougeait plus de son bureau.
Alors Jungkook était muet oui, timide, oui mais il avait ses limites lui aussi! Non il ne lui parlerait plus!
Ces regards pouvaient-ils se baisser à la fin qu'il puisse se concentrer un tout petit peu!
-Park, Min, Jeong, les gars, venez là, ordonna Namjoon comme ayant entendu sa prière.
Longue vie au président, son sauveur, son précieux sauveur pour toujours et à jamais.
Les lasers humains qui le pulvérisaient furent interrompus et il put enfin respirer normalement.
Comment? Comment lui d'habitude invisible et communément exclu pouvait jouer le rôle d'un mur bloquant une histoire d'amour possible? Qu'est-ce qu'il avait lui que Yoongi n'a pas qui aurait pu attirer Jimin?
Ce mystère durera certainement à jamais irrésolu. Mais pas cette affaire, et il devait par conséquent se concentrer.
Une explosion sourde attira son attention et son attention seulement vu que tout le monde avait la tête ailleurs.
Des feux d'artifices.
Des feux d'artifices avaient jailli de très loin mais assez près pour qu'il puisse les contempler. Et c'est ce qu'il fit.
Tout ce qui luisait émerveillait Jungkook et lui procurait une sensation de bien ineffable.
Il pouvait rester des heures à admirer les étoiles, la lune, les lampadaires ou juste le ciel et même -au risque d'être aveuglé- le soleil parfois. C'était son petit plaisir personnel et échappatoire préféré.
Les petites bombes fonçaient à une vitesse grand V vers le ciel puis choisissaient de se sacrifier afin de bénir les pupilles de ceux qui s'amusaient à les regarder en envoyant partout des rayons lumineux multicolores semblables à une fontaine de confettis. Cette vue détenait un charme hypnotisant et indescriptible.
Mais peu savait-il qu'il renfermait le même et qu'il était lui aussi le plaisir de quelqu'un d'autre. Ou même de plusieurs autres.
Ses cheveux tout défaits par le vent, ses yeux larmoyants à cause du froid mais brillants d'émerveillement, ces deux boutons scintillants parce que son visage ne restait jamais vierge et son sourire à peine perceptible mais bourré de pureté et d'apaisement...Jungkook était lui aussi un petit plaisir pour les yeux, deux yeux en particuliers. Il était le ciel étoilé de quelqu'un d'autre.
Et son regard tomba sur ce quelqu'un justement.
Était-il surpris de le voir là ?
Pas même un tantinet. Taehyung avait pris l'habitude de surgir quand on s'attendait le moins, et ses surgissements se faisaient plus fréquents à mesure que le temps passait. Il débarquait sans prévenir dans son bureau et s'incrustait dans chaque affaire ou presque. Le seul endroit où Jungkook ne l'avait encore jamais vu était son appartement.
Le châtain le fixait de la même manière que lui observait le feu d'artifice, avec autant de passion, autant d'adulation si bien que ça en fit rougir le noiraud plus qu'il ne l'était déjà.
Il était accroupi à quelques mètres loin de lui et lui faisait signe d'approcher. Le noiraud avança et se régla les cheveux inconsciemment. Quand il s'agissait de Taehyung, il se sentait plus qu'inférieur question physique. Mais ça ne lui posait pas problème, il essayait juste d'être un minimum présentable.
-Tu arranges tes cheveux pour moi? ne manqua pas de le taquiner son aînée, avec un sourire au coin qui en disait long.
Le jeune détective piqua un fard. Tout son système cérébrale se planta et le planta lâchement en ne lui envoyant aucun signe sur ce qu'il devrait répondre ou ce qu'il pourrait faire.
Taehyung ne cessait de rire de lui à chaque fois qu'il réagissait aussi excessivement, autrement dit, toujours. Il se leva et lui ébouriffa sa chevelure la rendant à son état initial.
-Comme ça c'est mieux.
Il y avait plus de contact physique entre eux ces temps-ci mais ils se résumaient à se tenir la main ou le bras ou se tirer les joues et c'était toujours Taehyung qui faisait le premier pas sans surprise. Le noiraud se contentait d'apprécier et de ronronner intérieurement de plaisir. Lui qui d'habitude, montrait une allergie aux êtres humains.
Jungkook soutint son regard pour se perdre, comme il aimait tant le faire, dans ses pupilles marrons et sa frimousse parfaite. Il a beau été détective et brillant, la beauté et délicatesse de Taehyung étaient un mystère qu'il ne désirait point élucider.
L'échange visuelle se faisait plus intense, plus profond comme si derrière eux ne se trouvait pas toute une horde de policiers ni un remue-ménage infernal.
Jungkook se sentait nu, désarmé face à lui. Il pourrait lui faire tout ce qu'il voulait et il ne réagirait pas. Pire même, il profiterait.
Que cachaient ces mirettes fines et délectables? Que racontaient-elles comme histoire? Qu'essayaient-elles de lui dire?
Il s'était accoutumé à lire dans les yeux des gens, puisqu'il ne pouvait pas converser avec eux, mais à présent, il se sentait incapable de le faire. C'était en lui qu'on lisait et étrangement, ce ne l'importunait pas plus que ça.
-Magnifique, souffla soudain le châtain.
Son cœur s'arrêta et ce n'était pas une hyperbole.
Son cœur s'arrêta littéralement et il en eut même la nausée.
Taehyung ne se gênait guère de le complimenter à tout va et il semblait tellement sincère que le plus jeune pourrait envisager le croire. Mais magnifique, il était loin de l'être. Et même s'il le savait, il ne pouvait point ne pas se laisser transporter par un arc-en-ciel de prospérité et d'extase sur lequel des papillons multicolores ne s'amusaient pas seulement à torturer son estomac mais l'entièreté son corps.
-Tiens au fait, je voulais te montrer ça, déclara son vis-à-vis rompant le lien sacré.
Il s'agenouilla en fixant le sol et Jungkook fit de même. Il remarqua alors un bâton de cigarette à moitié consumé et qui ne paraissait pas piétiné comme la moitié des mégots qu'on trouverait. Au début, il ne fut que dégoûté mais bien vite, il comprit ce à quoi Taehyung faisait allusion.
Il jeta un regard derrière lui, là où le mari essayait tantôt de convaincre la police de son innocence, tantôt d'attaquer celui qui l'avait accusé.
-Tu penses à ce que je pense? il questionna d'une voix timide sans le regarder.
-Je pense surtout que tu dois immédiatement parler. Vas-y!
Le châtain se leva et l'incita à l'imiter puis il lui donna une tape assez forte sur le dos afin de le pousser.
Il va sans dire qu'une fois que Jungkook se retourna, il n'y avait plus personne. Il n'en était plus surpris à force.
Une femme a été retrouvée morte au beau milieu de la route à une heure tardive du soir.
La police a été alertée par un vendeur de la supérette d'en face, ouverte 24h/24 qui avait prétendu avoir été témoin du crime.
Il avait affirmé que depuis son début ici, il voyait tous les soirs le mari battre la victime sans merci, et que ce soir-là, il l'avait poussée du balcon.
Bien-sûr, l'époux avait tout nié, revendiquant qu'il était endormi et ne savait rien de cette duperie.
Bien qu'il y ait une caméra de surveillance à l'extérieur de la supérette, cette dernière ne filme qu'un seul angle qui, malheureusement n'incluait pas le balcon de la maison mais seulement les poubelles à côté et la devanture.
Il y avait déjà eu un détail qui avait attiré l'attention du noiraud mais ça manquait de légitimité.
Maintenant, c'était suffisamment plausible et il commença, de sa voix craquée et ses mots bégayés à expliquer sa théorie aux personnes présentes.
D'abord, cette cigarette était sans l'once d'un doute celle de la victime. Déjà, une minuscule trace de sang la couvrait et on pouvait voir les lèvres de la victime gercées et couvertes de sang séché. Sans compter qu'avec une petite analyse, on associerait tout de suite les empreintes aux siennes.
-Oui mais cela explique quoi? Demanda Seokjin.
Cela ne paraît-il pas bizarre qu'elle fume alors que son mari essayait de la pousser du balcon?
-Bien-sûr que c'est bizarre puisque je ne l'ai pas poussée! S'exclama l'objet du sujet.
-Gardez le silence je vous prie, ordonna Namjoon, donc c'est un faux témoignage? Il demanda en fixant le vendeur qui suspicieusement, commençait à se tendre.
-Pouvez-vous me...montrer l'enregistrement...s'il vous plaît ? Balbutia l'assistant, Regardez bien...Observez les poubelles...On...On ne peut pas voir leur contenu...il expliqua, entouré par une dizaine de yeux accrochés à l'écran, D'accord...Maintenant avez-vous vu ce faible...ce faible éclair qui vient de passer? ces paroles lui demandaient un effort colossal mais il reprit tout de même après leurs hochements de tête, Est-ce que vous voyez...ce sachet qui déborde?
Une exclamation de surprise se fit entendre de la foule qui n'avait pas capté ce détail au début.
Madame Kang était sortie très tard pour se débarrasser des poubelles -son mari vient de confirmer qu'elle le faisait souvent-, seulement, une voiture l'avait par malchance percutée avant de s'enfuir et la cigarette qu'elle fumait s'était par conséquent propulsée.
-Mr Choi...vous avez essayé de maquiller cela en un meurtre en jetant les sachets...Mais avant cela...Vous avez...pris soin de trafiquer l'enregistrement...et couper l'instant où vous vous rendez vers les poubelles... ce qui explique l'apparition du sac et l'éclair qui n'était autre que celui de la voiture...murmura Jungkook, pâle comme un linge et la tête baissée.
Un silence pesant bercé par les sirènes agaçantes tomba tandis que les regards se tournaient vers le concerné. L'homme semblait incrédule et perdait ses couleurs au fur et à mesure.
-Espèce de-...commença l'époux en s'apprêtant à se jeter sur lui.
-Non c'est lui! C'est lui qui l'a tuée! Il la frappait chaque jour! Insista-t-il à l'adresse de personne en particulier, C'était une femme bien et il ne cessait de la battre! Il mérite de périr ! Il allait la tuer un jour ou l'autre !
-Je peux comprendre que vous vouliez la venger...mais ça ne se passe pas ainsi Mr Choi. Vous avez du vous y prendre autrement alors ne vous considérez pas comme un héros.
La vraie vengeance aurait été que vous la défendiez directement, intervint Namjoon en faisant un signe à ses coéquipiers, Sachez qu'il serait très facile de relever les empreintes du sachet et les comparer avec les vôtres et ceux de la victime. Avec ça je vous invite à nous suivre au commissariat pour prolonger l'affaire et en discuter tranquillement.
Jungkook ne put s'empêcher de remarquer la façon dont Seokjin détaillait leur supérieur avec une mine admirative et une lèvre pensivement mordue. Il ne savait pourquoi mais cela lui parut très mignon sur le coup.
Quoi qu'une fois encore, une affaire lui confirma la stupidité de ce monde et la corruption de ses occupants.
C'était malheureux.
Tout ne se résolvait pas avec la violence et la supercherie, et cela s'appliquait aussi bien sur le mari que le vendeur.
Même si l'un opprimait et l'autre voulait aider, les deux ne restaient pas moins vils et vicieux.
Mais bon.
Une réussite de plus pour notre protagoniste!
-T'as été époustouflant, souffla une voix à quelques ridicules millimètres de son oreille faisant naître en lui des frissons puissants mais tellement agréables.
Cette voix, il la reconnaîtrait entre milles à présent, et c'est pour cela qu'il eut chaud. Extrêmement chaud. Horriblement chaud.
-Sans te retourner, t'as quelque chose de prévu demain? Susurra Taehyung toujours aussi proche et dominant.
Le noiraud déglutit avec difficulté en essayant de tout son être de demeurer calme et raisonnable devant son équipe.
Lentement, il hocha la tête. Il regrettait déjà avoir prévu quelque chose.
Son aîné soupira et cela sonnerait peut-être peu catholique et approprié, mais ce souffle s'échouant sensuellement sur sa nuque lui donnait des idées qu'il ne désire même pas formuler.
Un vent doux et taquin s'infiltra sous ses vêtements et lui désordonna les cheveux alors que Taehyung reposait son menton sur son épaule.
Pitié que personne ne nous voie.
-Tu m'appelles quand tu es libre? suggéra-t-il d'un ton qui se voulait innocent, Il y a plein de choses que je voudrais te fa-...Je veux dire, faire avec toi, il murmura d'une voix suave avant de reculer aussi brusquement qu'il était venu, et se répandre dans l'horizon pour disparaître à nouveau.
Maudit sois-tu Kim Taehyung, pour faire subir une telle nébuleuse d'émotions enivrantes à un être aussi fragile et sensible que lui.
Et maudite soit sa stupidité pour avoir prévu quelque chose et se gâcher l'opportunité de découvrir la nature de ces choses.
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Non seulement avait-il loupé un rendez-vous 5 étoiles pour venir ici mais en plus il la trouve elle, son pire cauchemar, à l'attendre pour lui injecter son poison.
Était-il maudit?
Non sérieusement, est-ce que vous là-haut, vous lui en-voulez? Est ce qu'il s'est mal conduit ? N'y avait-il pas une solution pour qu'il se fasse pardonner? Non? Il était donc condamné à vivre victimisé?
Bien, commençons par le commencement.
Jeon Jungkook, tel le merveilleux neveu qu'il était, avait décidé de rendre visite à sa tante, se sentant coupable parce qu'elle n'était toujours pas au courant de sa promotion.
Et puis, elle lui avait terriblement manqué.
C'était donc après une dure journée de travail -durant laquelle il avait appris que cette dernière affaire avançait bien- qu'il emporta la moitié de son salaire, s'habilla chiquement avec le peu qu'il avait, acheta le bonnet rouge qu'il convoitait, maintenant qu'il recevait un peu plus, et se dirigea vers la tombe de ses souvenirs, heureux et serein.
Naturellement, il prit son temps comme d'habitude pour bien observer cette vraie maison de poupée.
Les murs étaient intacts, à croire que leurs peintures résistaient à tout, la balançoire rouillée crissait sombrement comme réclamant qu'on remplisse son vide et le malheureux lutin n'avait point bougé.
Il n'aimait toujours pas cette maison, mais l'aura triste et morte qu'elle dégageait lui réchauffa le cœur.
Son sourire soulagé apparut dès qu'elle lui ouvrit la porte. Cependant, il s'évanouit d'autant plus vite.
Non. Quelque chose n'allait pas.
Quelque chose n'allait clairement pas.
Elle était là oui, sa tante.
Elle était contente de le retrouver, il le voyait aussi.
Toutefois, non seulement semblait-elle tendue mais aussi, la lampe derrière elle était allumée.
Non pas une seule lampe mais toutes celles de la maison.
La maison était éclairée.
La maison était toute éclairée.
La femme qui l'avait élevé le prit rapidement dans ses bras, le serrant de toutes ses forces.
-Pardonne moi...Je te jure, je ne savais pas qu'elle venait...
Cette soirée s'annonçait très longue...
-Ah t'es là toi. Très ponctuel comme toujours hein? Cracha la sorcière en sortant de la cuisine.
Oh oui...Définitivement, infiniment longue...
Tout chez cette vieille pie respirait la bourgeoisie et le snobisme, de sa longue robe en soie violet et ses escarpins blancs vernis impeccablement à son chapeau garni de plumes d'oie ou il ne savait quel autre pauvre volatil. Le cliché de la grand-mère sorcière qu'elle jouait à la perfection.
L'unique sentiment qu'il éprouvait à son égard était le dégoût. Du pur dégoût. Et peut-être un peu de peur. Mais sinon, il ne la considérait pas de la famille. Même pas une connaissance.
Juste un parasite dérisoire sur lequel il aurait préféré ne pas tomber.
-Dépêche qu'on puisse dîner, grogna-t-elle en retournant sans le saluer ou même s'approcher de lui, et enlève moi ce bonnet, c'est d'une mocheté...
Jungkook fut très tenté de déguerpir. Fuir le cauchemar qu'il allait vivre et éviter une catastrophe sûre.
Il aurait préféré dîner avec Jimin et cela en disait très long.
Aucune rencontre entre eux deux ne s'est bien passé. Aucune.
Son but ultime dans la vie était de le rabaisser, l'humilier et le faire pleurer.
-Vous venez oui?
La mine triste de sa tante le prohiba de partir et sans le moindre enthousiasme, il se rendit vers la cuisine où une table avait été joliment dressée mais les plats très pauvrement préparés. Le talent culinaire n'avait jamais toqué à sa porte de toute façon.
La tension qui existait entre les 3 personnes présentes ne manquait jamais une table où elles se réunissaient, à tel point qu'on envisagerait lui réserver une place.
Elle flottait toujours au-dessus de leurs têtes formant un nuage gris de malaise et de lourdeur, alimentée par les deux cornes démoniaques de la vieille femme.
Quoi qu'elle ne le regarde pas, très absorbée par son assiette, Jungkook se sentait assailli par des foudres de haine et de mépris. Sa grand-mère avait l'horrible don de le piétiner moralement, sans le toucher ou même lui parler. Sa présence suffisait.
D'un geste maussade, il piocha une frite. Molle, à moitié cuite.
Il se coupa alors un morceau de viande. Caoutchouteux et amer. Même l'eau avait un goût sordide!
Et c'est sans surprise qu'il mangea calmement en refoulant ses nombreux haut-le-cœur.
-Tu joues encore aux devinettes? Demanda soudain la plus âgée, décidant qu'il était temps de cracher le feu.
-Jungkook est un futur inspecteur, corrigea sa tante sans broncher.
Elle ricana.
-Tu penses vraiment qu'un raté pareil y arriverait? elle trancha en le toisant, Et puis c'est quelle profession ça? C'est ridicule.
Cette femme était certainement la seule personne à dénigrer le poste d'un inspecteur. Et cela vous donnerez une petite idée sur son niveau intellectuel qui laisse à désirer.
-C'est bien ma veine moi qui avait toujours voulu voir ma fille ou mon petit-fils devenir médecin ou architecte...elle fit mine de soupirer tristement puis but une gorgée d'eau avant de reprendre, C'est quoi cette enveloppe?
Jungkook avala sa tomate de travers. Il l'avait stupidement laissée traîner sur la table. La sorcière pouffa dès qu'elle l'ouvrit.
Si un jour, il s'avérait que sa grand-mère était en fait un démon déchu envoyé sur terre spécialement pour lui pourrir la vie, il ne serait nullement surpris.
D'ailleurs, si en ce moment même elle laissait entrevoir des crocs ou une langue de vipère chuintante, il serait au contraire soulagé de savoir qu'autant de cruauté de venait pas d'un être humain.
-C'est ce qu'on te paie? Regarde MinHee, regarde un peu ces trois billets. Et tu penses que ce garçon a un futur?
Le garçon en question avait les yeux rivés sur la table, recevant chaque moquerie tel une fléchette venimeuse.
Ses mains devenaient moites et la nourriture perdait le peu de goût qu'elle avait.
Il savait à quoi s'attendre avec sa elle. N'empêche, ça lui faisait mal à chaque fois.
Petit, Jungkook était supposé être confié à elle, lorsque ses parents partirent, mais l'idée de vivre sous le même toit ne l'avait pas enchanté même s'il n'avait que cinq ans à l'époque.
Le courant n'était jamais passé entre eux.
Depuis le début, elle ne lui inspirait aucune confiance. Elle manquait de cette douceur et chaleur grand-mèrienne.
Il dut pleurer très longtemps pour qu'on cède enfin et le laisse vivre chez sa tante.
Malgré le fait que cette dernière était la source directe de ce qu'il était devenu aujourd'hui, il ne le regrettait guère.
-Ma pauvre SooMin... Qu'est-ce qu'elle doit penser de l'au-delà en voyant sa progéniture prendre un tel-
-Maman! s'indigna sa fille.
Le noiraud posa délicatement ses couverts et essuya doucement ses mains tremblantes en refusant catégoriquement de la regarder.
-Quoi? Combien de temps encore vais-je devoir me taire? hurla-t-elle comme si elle attendait depuis toute à l'heure qu'on la déclenche, N'as-tu pas remarqué à quel point il est malpoli et insolent? Et ne penses-tu pas qu'il est un peu trop passif et silencieux? Regarde ce que tu es devenue à cause de lui MinHee!
-Tu sais...très bien...que j'ai-...
-Non! Arrête de le défendre, coupa-t-elle d'un ton catégorique.
Il détestait ces querelles. Il les détestait tellement.
C'était chaque dîner la même cassette.
Elle répétait sans cesse les mêmes choses, lui lançait les mêmes horreurs, l'humiliait de toutes les façons possibles, le blessait un summum.
Elle le forçait à se détester plus qu'il ne le faisait déjà, lui donnait envie de quitter son être, quitter son corps, être quelqu'un d'autre, quelqu'un qu'elle accepterait, quelqu'un de normal, de bien mais il ne pouvait pas et il ne le pourra jamais. C'était lui, il ne changera pas, ne changera jamais et ne demandait que de survivre en paix.
-À cause de lui j'ai perdu mes deux enfants!
Le coup de grâce vint enfin l'achevant une bonne fois pour toute.
Air manquant.
Spasmes naissants.
Une larme.
-Mon enfant n'est morte que par ta faute!
Plus d'air.
Spasmes violents.
Deux larmes. Trois larmes. Quatre larmes. Un flot de larmes. Une chaise vide. Une porte ouverte. Une course aveugle. Un garçon affligé. Un cœur brisé.
Il avait l'impression de vivre un déjà vu, parce que la scène se répétait avec chaque apparition de sa grand-mère.
Il courait sans faire attention, esquivant les voitures et les passants de justesse. Sa vue était brouillée de larmes et ses reniflements accentuaient son rythme respiratoire accéléré.
On lui hurlait dessus, lui disait de faire attention, de regarder où il marchait.
Mais qui étiez-vous pour lui crier cela? Ne voyez-vous pas qu'il avait les yeux totalement bouffis et incapables de différencier les poteaux des humains? Ne voyez-vous pas comment il souffrait pour pouvoir absorber cet air que vous prenez pour garanti?
Ne voyez-vous pas à quel point il était détruit, anéanti? Ne voyez-vous pas le fantôme noir qui le suivait de près ?
Est-ce qu'il vous paraissait dans l'état de voir où il marchait ?!
Il se revoyait debout, devant cette même scène épouvantable, suffoquant à cause de cette terrible fumée.
Il revoyait la panique et la terreur des employés, il réentendait même la sirène de l'ambulance et l'alarme de la station et il revoyait son monde s'effondrer, sa vie prendre fin et son âme s'échapper à tout jamais.
Sa faute, c'était sa faute.
C'était sa faute.
Son visage était tout rouge et trempé lorsqu'enfin il atteignit sa maison, le recueil des morceaux de son cœur qui ne se lassait d'éclater.
Il trébucha dans la marche cassée, tomba et se releva tout seul, accourut vers son appartement, s'empressa de se réfugier dans son lit où il pleura pendant deux bonnes heures sans s'arrêter et déversa l'intégralité de son chagrin avec pour seul compagnon son oreiller, depuis toujours témoin de sa solitude.
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Je déteste les chapitres transition et c'en est malheureusement un.
J'espère que c'est quand même acceptable.
J'ai atteint les 600 vues et je ne crois pas y avoir survécu, merci😭😭
-R
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