☆ LITHIUM°42
tw: propos sensibles

Han Jisung.

Mains dans les poches, blouson fermé jusqu'en haut, j'me balance d'un pied à l'autre et j'me les gèle. Il neige comme pas possible, j'aurais pu prendre une casquette mais dans la précipitation j'ai oublié — disons surtout que Félix trépignait, et quand il est impatient, il est du genre à vous presser, si vous voyez ce que je veux dire; et à part cet arbre qui manque s'écrouler sous le poids des intempéries, rien n'est à proximité pour s'abriter. J'ai tenté de m'allumer une clope mais c'était peine perdue, fait trop humide, alors j'l'ai balancée dans la première poubelle que j'ai trouvé, dégoûté.

— Je sens que ça va être une aprem' de fous ! s'écrie Félix, pile électrique qui se respecte, ça fait déjà dix bonnes minutes qu'il s'agite entre nous.

Chan souffle la fumée de sa clope (que lui a réussi à allumer apparemment) dans l'air, petit sourire amusé aux lèvres.

— Moi ce qui me fascine, c'est que vous ayez convaincu Jisung de suivre dans un plan pareil, ricane Minho.

J'lui lance un petit regard, il a son air de fouteur de merde depuis quelques jours, j'sais pas mais il me tape un peu sur le système, alors je réponds pas. Il est comme ça de temps en temps, ça lui passera.

— Qui refuserait des places gratuites pour le Lotte sérieux ? répond Félix. Encore merci Minnie, c'est un truc de fous !

— Tu l'as déjà dit, sourit le principal concerné. Tu remercieras mon daron qui s'en veut d'avoir louper Noël.

Léger froid, mais ça se voit que Seungmin préfère le prendre à la rigolade. Je crois bien que la plupart du temps, être trop gentil dans ce monde ça ne marche pas des masses. Il planque sa gêne sous son écharpe qu'il remonte sur son nez.

— Je pensais que c'était un truc de gamin, les parcs d'attractions, fait Jeongin qui chipe la clope à Chan.

— T'es dingue ? Rends-moi ça, qui t'as autorisé ?

Il se bat pour reprendre la cigarette mais le cadet réussit à souffler plusieurs taffes entre temps, mort de rire. Je jette un coup d'œil à Hyunjin, en retrait. Il a les yeux rivés sur son portable, faut dire que depuis la dispute à propos du contrat chez JYP, il y a toujours un léger froid entre nous. Ça m'a même étonné qu'il se pointe pour cette super sortie entre potes, pour être honnête. Il évite la plupart des invitations de la bande.

— T'es un gamin, ça te fait pas plaisir ? ricane Minho.

— J'ai dû annuler un date pour vous, bougonne le lycéen.

Changbin et Chan éclatent de rire, même moi, j'esquisse un rictus. C'est nouveau, ça. Miyeon fout un coup de coude à son mec, le batteur se met à grogner sous son regard noir.

— Et qui est l'heureuse élue ? demande gentiment la brunette.

— Minha, si vous voulez tout savoir !

— Celle du cours de japonais ? s'étonne Félix. Je croyais que vous vous détestiez !

— De la haine à l'amour il n'y a qu'un pas, plaisante Changbin en passant son bras sur les épaules du cadet.

Moi, je décroche. Je sais très bien pourquoi Seungmin a proposé d'aller au parc d'attractions aujourd'hui. Je fais semblant de ne rien avoir compris, pour ne pas attirer trop de regards navrés, ça m'énerverait plus qu'autre chose de toute façon.

— Salut ! Désolées pour le retard !

Soojin déboule, perchée sur des plateformes, tirant une Aïka essoufflée à sa suite. Je suis la première personne qu'elle regarde, et j'ose un petit rictus, le mieux que je puisse lui donner aujourd'hui. Je l'observe du coin de l'œil quand elle salue les autres et que tout de suite, Seungmin l'accapare. Elle est belle, comme tous les jours, mais je n'ai pas le temps d'y penser plus que Chan annonce qu'on y va, et on se dirige vers l'entrée, pour mon plus grand bonheur, tiens.

La journée passe, tout le monde s'amuse. Jeongin, qui boudait son plaisir, est en fait le premier à courir avec Félix et Seungmin pour tester toutes les attractions. Ils y traînent Aïka, qui ne semble pas d'humeur à refuser quoique ce soit, un beau sourire sur les lèvres. J'essaie de m'amuser, comme les autres, mais manger de la barbe à papa et faire des tours sur le bateau pirate, c'est pas trop pour moi. De toute façon j'ai jamais aimé ce genre de trucs; alors, le plus discrètement possible (les autres sont occupés à débattre de si oui ou non Hyunjin a crié de peur dans le petit train fantôme), je m'éloigne un peu. Interdiction de fumer dans cette merde, bien évidemment, et les chansons édulcorées en fond me tapent sur le système, mais j'prends sur moi. C'était déjà gentil de la part de Seungmin de faire ça « pour moi ». Je sais, les autres aussi peut-être, que son père n'a pas payé la totalité des places, et que c'est lui qui y a mis de sa poche. Je devrais me réjouir d'avoir des amis pareil putain, mais je peux pas. Ça tourne en boucle dans ma tête, la date approche, de toute façon ça me fait ça à chaque fois.

Ça fait deux ans.

L'année dernière j'ai disparu pendant une semaine. Les autres étaient morts de trouille et Chan m'a passé un savon quand j'ai refais surface. Impossible de me souvenir de ces sept jours d'ailleurs, je ne revois que des flashs dans des clubs, défoncé à la cocaine sous les néons verts, des visages de nanas différentes à chaque souvenir. De la fumée, de l'alcool, des capotes. Sept jours pour oublier. Les sept derniers jours de l'année.

J'me suis tellement perdu dans mes pensées que j'en ai atteint le bas fond, et c'est pas beau à voir. Là, planté au milieu d'un décor de contes de fées, j'ai les pensées les plus noires du monde, et je me fais l'effet de l'imposteur dans un jeu de rôle. Le vilain petit canard. Tous mes efforts sont vains, la bête grogne à chaque fois. J'savais bien que j'aurais dû me fumer un joint avant de partir ce matin. Et même prendre une petite ligne, tiens. J'savais bien. J'savais bien que je tiendrai pas. Et puis...

— Jisung ?

Retour à la réalité, j'suis entre un vendeur de ballons en forme de licorne et un gosse qui hurle pour en avoir un.

J'suis Jisung, mains dans les poches,
et elle
est en face de moi.

— Ça va ?

Elle ne sait pas, Aïka. Personne ne lui a rien dit. Pour elle, c'est le trente décembre, il est quinze heures, c'est la première fois qu'elle met les pieds au Lotte World. Elle a mis sa jupe noire et ses collants, ses Doc's basses et du rouge à lèvres. Elle pourrait être une star de rock'n'roll mais ne s'en rend pas compte. J'ai les lèvres pincées. Je me contente d'hocher la tête, pour la rassurer. Je ne sais pas pourquoi j'ai ce besoin de l'épargner, à chaque fois. Minho m'a dit qu'elle avait pleuré, la dernière fois chez Chan. Il me l'a dit comme ça, à une pause clope où l'on s'est retrouvés par hasard, entre deux taffes; Elle a pleuré parce qu'elle a eu peur j'crois bien, et puis il a soufflé la fumée. C'est moi qui l'ai faite pleurer. Ça a tourné dans ma tête toute la journée, après ça.

— C'est cool ici, je ne connaissais pas.

Aujourd'hui, ça va pas, alors j'arrive pas à faire la conversation. Y a dix mille choses qui tournent dans ma tête et je m'en veux de ne pas me comporter comme un type normal, qui entretiendrait volontiers l'échange. J'ai un manque de confiance en moi tellement profond que certains jours, je ne pense qu'à ça, ça tourne dans ma tête et je deviens dingue. Aujourd'hui, c'est ça. D'habitude je me réfugie dans les mots, mais les mots ça ne sert à rien quand tout est usé, parce qu'au final ce ne sont que des lettres noires sur un amas immaculé, et puis là de toute façon j'ai pas mon carnet, alors j'me force à ouvrir la bouche :

— Tu veux un café ?

Contre toute attente, elle accepte, et on s'éloigne. Les autres savent, de toute façon. Minho le premier, qui nous fixe d'un regard plat. Quand je suis qu'avec elle, ça va un peu mieux, les démons se taisent. On s'assoit à une terrasse étrangement rose, deux cafés entre nous.

— Tu viens à la soirée de Hyunjin, demain ?

— Comment refuser ? Ça fait une semaine qu'il nous bassine avec, je fais du bout des lèvres.

Bien qu'il soit en froid avec nous, la soirée du Nouvel An est sacrée chez Mr. Hwang. Aïka esquisse un rictus moqueur et détourne les yeux quand elle prend une gorgée. Elle ne sait pas à quel point elle me charme.

— Il parait que vous allez y jouer ?

Je fronce les sourcils.

— Comment ça ?

— Et bien... Vous, le groupe quoi. C'est Changbin qui m'en a parlée.

— Hum... Non, on... on ne fait plus de show pour... le Nouvel An.

— Ah... J'ai du mal comprendre alors. Parfois y a des trucs que je ne pige pas très bien, encore.

Il y a un blanc. Je suis juste fasciné par ce qu'elle raconte, par son accent, ses yeux clairs. Ça craint. J'ai plus toute ma tête, quand je suis avec elle. Et puis, au bout d'un moment, ça sort tout seul :

— Tu te rappelles de la chanson dans mon carnet ?

Aïka Lin.

— Celle que tu as lu ? il a précisé, me regardant droit dans les yeux.

Je me suis décomposée sur la chaise rose bonbon, je ne m'y attendais pas.

— Comment tu sais que...

— Je le sais, c'est tout.

Mes lèvres s'entrouvrent, et se referment aussitôt. C'est la honte. Pense t-il que j'ai lu l'entièreté de son carnet ? Prise de panique, mes joues virent au cramoisie et je m'empresse de me justifier :

— Pardon, je ne voulais pas être indiscrète... Pour être honnête c'est la seule que j'ai lu en entier. Elle... elle m'a intriguée.

— Peu importe, répond Jisung en balayant ça d'un geste de main, ça ne me dérange pas que tu l'ai lue. Quand je l'ai écrite, peu de temps après Chan est tombé dessus aussi, et il a été emballé, alors on l'a enregistrée. Elle dort dans un disque dur.

Je n'ai pas compris pourquoi il me sortait tout ça maintenant. On s'était retrouvés plusieurs fois bien plus au calme qu'au beau milieu d'un parc d'attractions pour parler d'un sujet aussi sérieux, alors pourquoi à ce moment-là ?

— Il n'y a que lui qui sache pour Heaven and Back. Et toi.

Comment c'était possible ? Quand on en avait parlé avec Chan, il avait mentionné que le groupe en entier connaissait l'existence de la chanson, en tout cas c'est ce que j'avais compris quand il avait dit « nous ». J'ai commencé à me demander si je saisissais réellement les nuances de la langue. Peut-être que je n'avais pas encore toutes les subtilités...

— Ça veut dire que ce n'est pas Hyunjin qui l'a...

— C'est moi.

Il y a un blanc. Tout d'un coup je prends conscience de ce que Jisung est en train de me dire. Ma jambe se met à tressauter, je ne sais même pas pourquoi je suis stressée, à ce moment-là.

— C'est moi qui l'ai enregistrée.

À ce moment-là, je me dis que je donnerai énormément pour l'entendre, cette démo. Sa voix m'intrigue, et comme je n'avais toujours pas cliqué sur les quelques vidéos de leur chaîne où c'était lui qui chantait, ma curiosité n'en était que plus grande encore. J'étais certaine que Jisung chantait bien en plus, je l'avais entendu fredonner quelques fois en studio.

— Une fois finie, c'était... Le son était parfait. Alors Chan a voulu en parler aux autres, et le rendre public. On était à deux doigts de le faire écouter aux gars mais... J'ai pas pu.

Il y a la BO de Mickey Mouse en fond. Ça craint. En fait, le moment est si mal choisi pour parler de ça que ça en deviendrait même comique, si ce n'était pas aussi important. Je fais mon maximum pour me concentrer et ne pas ruiner le moment. C'est compliqué parce que comme je ne me sens pas à mon aise, j'ai tendance à sortir des blagues de mauvais goût, et c'est clairement pas le moment. Jisung lui, a l'air complètement ailleurs, perdu dans ses pensées. Il détonne vachement avec le décor, il faut bien l'admettre. Mais je ne sais pas... Je trouve ça charmant.

— Au dernier moment j'ai refusé qu'on la passe. Et ça n'a pas plu à Chan mais il n'avait pas d'autre choix que de comprendre, alors il l'a planquée sur un disque et il me l'a filée. Il est chez moi.

Je n'ai pas compris s'il voulait que je réponde à tout ça, mais de mon côté, rien ne sortait, j'étais clouée sur place. Alors, je ne sais pas, mais Jisung a dû sentir que je n'allais pas l'interrompre, parce que tout d'un coup, ses sourcils se sont froncés, et il a continué :

— C'était il y a deux ans. On fêtait le Nouvel An avec les gars, c'était chez Hyunjin pour pas changer, j'étais bien. À l'époque je fumais pas, j'buvais à peine. On passait une super soirée. Jeongin avait même fait le mur pour venir avec nous, à l'époque lui et Félix étaient encore dans la même classe, c'était avant qu'Innie redouble. Bref c'était l'éclate.

J'ai compris bien vite. Le mystère Heaven and Back allait être percé au grand jour, comme ça, une aprem' banale, au milieu du Lotte World.

— Et puis un peu avant minuit on m'appelle, poursuit Jisung et je devine ses mains qui tremblent sous la table. J'décroche, parce que je sais très bien qui m'appelle, sauf que c'est pas la bonne personne qui me parle. C'est flou, j'comprends rien. Le seul truc que je retiens c'est qu'il faut que je vienne vite. Alors j'fonce. J'arrive à une autre soirée, c'était à quelques pâtés de maisons. Une baraque immense remplie d'étudiants, j'avais jamais vu ça encore. On me dit que c'est à l'étage, alors je monte, je... C'est dans la salle de bain, y a du monde, de la fumée, je pousse tout le monde... Et puis...

Il a le regard perdu dans le flou. Moi, le scénario que j'avais imaginé en lisant la chanson se répète sous mes yeux grands ouverts, qui le fixent, pauvre gamin si triste au milieu de tous ces gens si heureux.

— J'la vois.

Nos regards se croisent une demie-seconde, et je comprends qu'il a mal, pas le genre qui fait souffrir physiquement et dont on peut facilement se remettre, non, le genre de douleur qui traversait le visage blême de mon père certains matins où rien qu'en le regardant un instant je savais qu'il ne passerait pas une bonne journée. J'ai dégluti, mal à l'aise. C'est moi qui ai détourné les yeux la première. Encore maintenant, en y repensant, je m'en veux d'avoir été si immature.

— Un type me dit qu'elle a abusé, qu'il a essayé de l'en empêcher, bien sûr je l'écoute pas, j'essaie de la réanimer. Ça marche pas. Elle a gerbé, elle a les yeux grands ouverts mais... ils me voient pas. Elle est morte au moment où j'ai commencé à la secouer pour la réveiller.

Mon souffle s'est coupé dans ma poitrine, tout mon corps s'est tendu. Je réagissais très mal au deuil, jusque là rien de nouveau. Je n'ai plus osé relever la tête vers Jisung, alors je ne sais pas s'il me regardait ou non. Je fixais mes pompes. Pas possible, putain. Dans sa chanson, la nana se réveillait, putain. Elle se réveillait. Elle revenait.

— C'était ma grande sœur.

Rien n'a pu sortir d'entre mes lèvres. J'ai senti la voix de Jisung trembler légèrement, c'était la première fois.

— Elle est allée au paradis mais elle; elle n'est jamais revenue.

LITHIUM°42
han jisung

OKAY AAAAAAAAAAHHHHH IL L'A DIT OMG
le big trauma a été lâché... comment vous pensez qu'aïka va réagir par la suite? je suis curieuse de voir ce que vous en pensez!

ensuite trop de choses se sont passées depuis le dernier chap wsh déjà on a passé les 6k, j'ai changé la couv', et puis y a eu 2 semaines entre les updates prcq entre temps j'ai perdu mon alternance et que je me retrouve donc en rush d'en retrouver une avant la rentrée 💀 mais stay positive comme on dit

et puis c'est le bday de jisungie 🥹
comment allez-vous vous? quoi de neuf? 🫶🏼

merci pour votre soutien, et promis je reviens vite avec la suite!! 💙💙