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03☆ lies and hope

LITHIUM°03



Le lundi suivant, je suis de nouveau en cours. Il pleut sur la capitale et il fait froid. Ça me change de mon pays, si loin sur la carte, mais ça me plait, étrangement. La fin septembre est grise, ici. Les feuilles des arbres sur les avenues tombent lentement, et les gens se pressent pour rentrer le plus vite possible chez eux. Je regarde un vieux couple assit sur l'un des bancs dans le parc en contre bas par la fenêtre de la salle. Ils sont paisibles, main dans la main, malgré l'air glacé et le soir qui tombe trop vite. Il est à peine seize heures trente que déjà, le ciel fane. À côté de moi, Soojin souffle. Elle est étalée sur sa table, Mac Pro ouvert sur Illustrator, et une belle page blanche en guise de distraction. J'esquisse un petit sourire.

Je n'arrive à rien après seize heures, c'est trop tard, se plaint la coréenne la tête dans les bras.

Elle a beau être à bout, elle n'en reste pas moins impeccable, de la tête aux pieds. Je me souviens qu'elle me faisait rire, avec son maquillage toujours parfait et ses tenues bien repassées. Certains jours, je l'enviais même. Elle avait quelque chose d'élégant, en toute circonstance. La classe était déserte, les cours finis depuis une bonne demie-heure, mais on ne comptait pas vraiment les heures sup', ici. Et il le valait mieux, sinon, on ne suivait rien. Comme nous étions quasiment seules, une question m'est venue à l'esprit et je me suis penchée vers elle:

Dis donc, tu ne m'as pas racontée comme ça s'est terminé samedi soir, avec ton chanteur...

Soojin retrouve la pêche en un temps record. Elle se redresse et s'approche de moi, toute sourire.

Et bien figure-toi que nous nous sommes éclipsés au rooftop, et on est restés à regarder les étoiles jusqu'à ce qu'il n'y ait presque plus personne dans la villa, et... Tiens d'ailleurs, Minnie a disparu toute la fin de soirée, bizarre.

Hum, je fais parce que c'est sans importance, on est allés faire un tour en ville avec sa nouvelle voiture. C'était bien cool.

Soojin me regarde, étonnée.

Seungmin et toi ?

Comme je sens un malaise, je préfère mettre les choses au clair tout de suite, et je dis qu'il ne s'est rien passé et qu'il ne m'intéresse pas. Après tout, je ne suis pas dans les parages depuis longtemps, il ne faudrait pas que je me mette ma seule amie à dos pour une gaffe stupide. Son sourire bienveillant me rassure.

Ne t'inquiète pas, elle fait. C'est juste que ça m'a étonnée qu'il conduise si facilement, comme ça, vu qu'il a une peur bleue de la route. Tu peux le trouver mignon si ça te chante, pas de soucis avec moi.

Je ricane, elle aussi. Puis, la conversation revient sur le sujet de base, et j'apprends que ce Hwang Hyunjin lui a fait l'amour sous les étoiles, comme ça, sur le rooftop. Romantique certes, mais je n'ai pas pu m'empêcher de penser qu'ils avaient dû se geler, là-haut. Enfin bref. Soojin était toute contente. Elle l'était déjà moins quand j'ai demandé s'ils s'étaient parlés durant le reste du week-end et qu'elle m'a répondue que ça avait été silence radio du côté du chanteur, pire, qu'il l'avait laissée en vu. Pas très sympa de sa part.

Et du coup, tu comptes faire quoi ?

Je vais passer au studio, tout à l'heure en partant... Tiens d'ailleurs, tu m'accompagnes ?

Ce n'est pas que j'en avais très envie, pour être honnête, mais comme j'ai vu que ça lui tenait à cœur, j'ai dit oui. La conversation s'est arrêtée là, et j'ai juste eu l'impression que ce type se foutait d'elle, mais passons. Nous avons travaillé pendant une autre demie heure sur nos projets respectifs, puis ça s'est terminé là. Le studio d'enregistrement se trouvait tout au bout du campus, et il était occupé quatre-vingt dix pourcents du temps par le groupe. Ils enregistraient leurs morceaux là-dedans et y trainaient dès que leurs cours se terminaient. D'après Soojin, ils y allaient même quand ils avaient cours, ils s'en foutaient.

Ce ne sont pas vraiment de bons élèves.

Étonnant, j'ai pensé de façon ironique en moi-même. Nous avons donc traversé tout le campus dans un froid de canard, ma veste en cuir ne me couvrait pas et j'avais eu la bonne idée de mettre une jupe le matin même, un peu léger. Je me serais bien passée de rendre visite à ces quatre gars, mais bon, Soojin avait l'air soulagée que je l'accompagne et qu'elle ne se retrouve pas toute seule. Quand enfin nous sommes rentrées dans le bâtiment, un solo de guitare résonnait dans la cage d'escalier, et Soojin n'a pas hésité, elle savait où elle allait, elle a directement poussé la première porte du nez de chaussée, sur la droite. Le volume est immédiatement monté d'un cran. Elle est rentrée sans rien me dire alors je l'ai suivie, un peu mal à l'aise. Peut-être qu'on interrompait quelque chose d'important, ça ne se faisait pas.

Je suis arrivée dans un studio d'enregistrement, tout ce qu'il y a de plus banal. Il y avait un sofa contre le mur, une table basse remplie de paquets de chips, de bières et de papiers chiffonnés, et le grand "tableau de bord" et sa multitude de boutons pour enregistrer un morceau. Je n'y connaissais rien, tiens. Une grande vitre séparait la partie studio du booth, depuis laquelle le solo de guitare émanait. Soojin s'est assise directement sur le sofa, moi j'étais plantée là, comme une cruche, ne sachant trop quoi faire. Et puis enfin, j'ai réalisé que l'un des membres était assit dans le fauteuil, derrière la console, et c'est seulement quand il s'est retourné pour voir qui était rentré que j'ai reconnu le bassiste, le frisé. J'ai eu comme un rictus nerveux et maladroit, lui n'a esquissé aucun sourire, il s'est tourné vers le sofa pour voir Soojin, n'a rien dit non plus, et est retourné à son travail.

C'était Han Jisung qui jouait dans le booth. Il était doué, c'était clair. On ne pouvait pas lui enlever qu'il jouait superbement bien de son instrument, et qu'il s'y connaissait. Son solo a duré encore quelques secondes, moi j'étais un peu gaga face à tant de talent, et puis il s'est arrêté, comme ça, d'un coup.

Putain ça me gave.

Le bassiste a esquissé un rictus, cette fois. À travers la vitre, j'ai observé Jisung. Il a posé sa guitare électrique sur son trépied, s'est étiré, et s'est mit à tourner et virer dans le booth, soupirant.

C'est de la merde en 4K audio, il a dit d'une voix totalement différente de celle que j'avais entendu à la fête de Seungmin.

Elle était plus posée, moins brute. Le bassiste a appuyé sur un bouton et s'est approché d'un petit micro qui dépassait de la console.

Arrête tes conneries, c'était top.

Derrière, Soojin se limait les ongles, elle s'en foutait. Moi j'étais toujours debout contre la porte, ça m'intéressait, mais je savais pas vraiment pourquoi.

Pas à moi, Chan, pas à moi putain. C'est pas ce qu'il faut au son, merde. Fais chier.

Pour être vulgaire, ouais il l'était. Il a fini par arrêter de faire les cent pas, et il est sorti du booth...

... pour tomber nez à nez avec moi.

Il a eu l'air surpris. Puis il a marqué un temps d'arrêt, froncé les sourcils, regardé Soojin, puis le dénommé Chan, puis encore moi. Il avait un regard différent de celui qu'il m'avait lancée dans le garage. Celui-là était moins méchant. Et il est passé à côté de moi, sans rien me dire, et s'est affalé sur le sofa, à côté de ma copine. J'étais au maximum de la gêne.

Hyunjin n'est pas là, Soojin, a fait Chan sans la regarder.

Celle-ci a relevé la tête, et s'est mise à râler, Chan lui répondait à peine. Il bidouillait des trucs sur son ordi. Jisung, lui, avait le regard perdu dans le vide, immobile. Comme si rien n'existait autour de lui. C'était assez déstabilisant. Et moi je ne savais toujours pas quoi faire de mes dix doigts, à part tripoter les hanses de mon sac de cours. J'en avais ma claque de servir de pot de fleurs, et j'avais envie de me tirer pour rentrer chez moi, toute seule.

Et tu sais quand est-ce qu'il revient ? a fini par demander ma copine.

Il est... chez le coiffeur, a répondu Chan. Il ne viendra pas ce soir.

Et puis Jisung s'est relevé, et a mit les mains dans les poches de son pantalon noir. Il en a sorti un paquet de cigarettes.

Il est avec une autre, Soojin. Laisse tomber.

Sa phrase a jeté un froid mémorable sur la pièce. Soojin a entrouvert les lèvres, puis les a refermées, l'air complètement hébétée. Moi j'ai écarquillé les yeux, pas tant par le fond de la phrase – je m'en doutais que ce Hyunjin se foutait d'elle depuis le début comme je l'ai dit, mais surtout à cause de la façon dont Jisung avait lâché ça, sans pincettes. Même Chan a eu l'air choqué, il a regardé son pote avec les mêmes yeux que moi. Jisung, lui, s'en tapait, visiblement. Il regardait l'écran d'ordi' de Chan.

Ce dernier s'est retourné vers Soojin, avec pour la première fois, un air gentil et navré. Ça se voyait qu'il était gêné, et c'était sincère. Il m'a tout de suite paru bien plus sympathique.

Je suis désolé, Soojin-ah. Il est comme ça, tu sais. Tu devrais passer à autre chose, tu... tu mérites peut-être un peu mieux que lui.

Elle n'a pas répondu, je savais qu'elle était blessée. Surtout dans son égo, plus que dans ses sentiments, parce que je ne crois pas qu'elle était véritablement amoureuse de Hyunjin. C'était juste sa fierté qui venait d'être touchée. Chan a pincé les lèvres, puis s'est tourné vers moi.

Désolé pour l'accueil, j'étais dans le son. Je m'appelle Chan.

Il s'est carrément levé et m'a tendue la main. J'étais sonnée du changement de comportement, alors j'ai mis quelques secondes à lui serrer la main.

On t'a jamais vu par ici, tu es nouvelle ?

Hum, oui, j'ai fait du bout des lèvres.

Je ne savais pas s'il se foutait de moi ou si ça l'intéressait réellement. À présent je sais qu'il s'agissait de la deuxième option.

Moi c'est Aïka. Aïka Lin.

Chan m'a souri. Il était pas mal, avec ses fossettes. Il m'a souhaitée la bienvenue dans le studio et m'a racontée qu'il connaissait Soojin depuis des années. Derrière, Jisung s'est retourné et m'a jetée un coup d'œil. Rien n'est passé sur son visage, mais ça m'importait peu. Et puis, sans rien dire, il s'est barré. Quand il est passé à côté de moi, son bras a frôlé le mien.

Il est tombé amoureux de moi bien avant que moi, je ne sombre pour lui.



LITHIUM°03
han jisung

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