Le jour de la rentrée, ou le jour qui craint le plus au monde après celui du début des soldes. Irène soupira et monta un étage pour se rendre en maths, « quelle bonne matière pour commencer l'année, et pendant deux heures putain » pensa t-elle en augmentant un peu la musique dans ses oreilles.

Les lycéens dans les couloirs paraissaient enthousiastes et bien réveillés, tout ce que n'était pas Irène en ce lundi matin. Elle vit sa classe au loin et envoyai un rapide message à Seulgi qui, comme d'habitude, était en retard, puis s'appuyai contre le mur en fermant les yeux.

On frôla sa joue, ce qui la fit sursauter. Elle aurait voulu sourire en reconnaissant Taehyung, mais ce fut Jungkook et son petit sourire joueur qui était planté devant elle.

- Salut toi, fit-il.

- Mon Dieu, cette année commence vraiment mal, soupira gentiment Irène en enlevant un écouteur.

- Je ne te permets pas ! s'offusqua le brun d'un air faussement choqué. Alors, cette fin de vacances ?

Irène repensa à cette fameuse soirée avec Taehyung, à la peur qu'elle avait eu et aux yeux du châtain qui trahissaient également son effroi. Elle sourit maladroitement.

- Bien. Et toi ?

Elle se revit soudain par terre, sur le trottoir, avec Jungkook qui était tombée avec elle, le soir où elle s'était rendue chez TOP avec Jackson pour une énième connerie.

- Tranquille. Tu sais ce que m'a offert ma grand-mère ? Une écharpe tricotée bleue et rose putain de merde. Comment elle veut que je mette ça au juste ?!

Irène pouffa légèrement en imaginant cet espèce de bad boy portant une telle écharpe.

- Je te sûre qu'elle te va à ravir.

- Tu te fous quand même pas de ma gueule là, si ?

- J'en ai bien peur.

- Quelle année de merde qui s'annonce, se plaignit Jungkook en regardant la petite prof de maths ouvrir la porte d'un air enjoué, enjoué à les faire souffrir encore quelques semaines.

Irène cherchait quelqu'un d'autre que le populaire du regard, mais il n'était pas dans le couloir.

- Jungkook ?

- Ouais babe ?

Elle repensa soudain au « babe » de Taehyung et se mordit la lèvre inférieure, les sourcils froncés.

- Taehyung n'est pas là ?

Jungkook parut étonné de cette question.

- Il t'as pas dit ?

- Dit quoi ?

- Ah merde, je pensais qu'il te l'avait dit puisque vous avez traîné ensemble...

Irène crut percevoir une once de jalousie et de moquerie dans la fin de la phrase du brun, mais ne dit rien. Jungkook se gratta l'arrière du crâne, embarrassé.

- Je ne devrais peut-être pas te le dire alors...

- Accouche.

- Tae est... il est parti d'urgence à Busan parce que son grand-père est mort.

Irène se sentit soudain très mal. Ses yeux papillonnèrent quelques instants, le regard perdu sur le sol, alors que sa bouche restait entrouverte.

- Ah... et... et il est parti quand ?

- Hier soir. Tu vas bien ? T'es toute blanche meuf.

Irène balaya tout soupçon d'un geste de main. La classe était déjà rentrée dans la salle de torture.

- Tu rentres pas ?

- Je... j'attends Seulgi.

- Si tu rentres pas cette conne va te demander d'aller chercher un billet d'entrée.

- Qu'elle le fasse.

Jungkook haussa les épaules et rentra, non sans un dernier regard pour Irène qui s'était de nouveau appuyée contre le mur. Le grand-père de Taehyung était décédé en ce début d'année, et Dieu sait à quel point elle savait ce qu'on ressentait. Les mains tremblantes, elle utilisa le peu d'internet qu'il lui restait pour ouvrir Instagram.

@sidexwalker : Tae? -  08:03

@sidexwalker : tu... tu vas bien? enfin je veux dire... Jungkook vient de me dire pour ton grand-père... je suis désolée, vraiment - 08:04

@sidexwalker : pleure un bon coup, ça ira sûrement mieux après, ou ça ira toujours aussi mal, ouais, j'en sais rien en fait, je suis désolée - 08:04

@taealien : pourquoi tu ne dis pas simplement "je te promets que tout va s'arranger, ne pleure pas", comme tout le monde? - 08:05

Irène souffla en fermant les yeux, ses mains continuaient de trembler, son esprit repassant en boucle les quelques souvenirs amers de cette fameuse nuit.

@sidexwalker : parce que je sais que ce n'est pas ce qu'il faut dire, je sais que ça ne s'arrangera pas, ton papi est mort, ça ne peut pas s'arranger - 08:05

@taealien : tout le monde chiale ici c'est insupportable - 08:06

@sidexwalker : tu n'as qu'à faire la même chose - 08:06

@taealien : je ne pleure jamais tu sais - 08:06

@sidexwalker : t'encaisse? - 08:07

@taealien : j'encaisse - 08:07

@sidexwalker : alors tout va bien - 08:07

@taealien : va en maths - 08:08

@sidexwalker : j'attends Seulgi - 08:08

@taealien : ne l'attend pas, t'auras des problèmes - 08:09

@sidexwalker : 10 ans d'amitié ne se perdent pas de cette manière - 08:10

@sidexwalker : tu reviens quand? - 08:11

@taealien : mercredi peut-être - 08:11

@taealien : au fait Irène? - 08:11

@sidexwalker : oui? - 08:12

@taealien : j'aimerai bien que tu sois là tu sais - 08:12

@sidexwalker : si ça va vraiment pas, genre que tu peux plus encaisser, tu n'auras qu'à m'appeler, j'veux bien faire cet effort de répondre au téléphone pour toi sale môme - 08:13

@taealien : je rêve, j'suis plus vieux que toi... mais j'apprécie l'effort, merci - 08:13

@sidexwalker : je te laisse, Seulgi est là - 08:13

@sidexwalker : tout va bien? - 08:13

@taealien : tout va bien - 08:14

-

flashback
03 mars 2015

- Qu'est-ce qu'il se passe ?

Irène se réveilla lentement, entendant de l'agitation autour d'elle. La pièce était plongée dans la pénombre, elle renifla et fronça les sourcils, entendant des pas pressés et des chuchotements censés en être dans le couloir. Le téléphone sonna, ce qui termina de la réveiller complètement. Irène prit le sien pour voir l'heure.

04:34.

Quelque chose n'allait pas. Elle se redressa et tendit l'oreille, n'osant plus bouger de peur de rater un élément essentiel de la conversation.

- Allo ?... Oui j'arrive, oui c'est ça... d'accord bien sûr, oui je comprends parfaitement... j'arrive, merci madame. Merci.

Le père raccrocha, puis des bruits de pas retentirent une nouvelle fois en direction de l'entrée. Irène comprit, son cœur fit un bond dans sa poitrine. Elle eut du mal à respirer et plaqua sa main sur sa bouche.

- Ça va aller chéri, déclara la maman d'une étrange voix. Tu passes chercher ta sœur c'est ça ?

- Oui.

La porte claqua, au même moment, Irène joignit ses deux mains entre elles et s'assit en tailleur sur son lit. Pour la première fois de sa vie, elle voulut s'adresser à ce Dieu dont tout le monde parlait.

Elle lui demanda, avec toutes les formes de politesse et de respect possibles et inimaginables, de lui prouver son existence en épargnant son grand-père qui mourait au même moment à l'hôpital. Elle pria, encore et encore, serrant fort les paupières et les mains jusqu'à ce que ses phalanges ne deviennent blanches, elle le pria de le laisser vivre.

Cette nuit-là, son grand-père s'en alla avant même que ses enfants n'aient le temps d'atteindre l'hôpital pour lui dire au revoir.

Alors, cette nuit-là, Irène comprit qu'on ne pouvait compter que sur sois-même. Inutile de se rabaisser à prier, à lécher les pieds d'un type n'existant même pas, c'était pour les faibles.

Irène ne pria plus jamais.
Plus jamais.