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❝ even us, we don't have forever ❞
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⠀⠀— DEPUIS COMBIEN DE TEMPS IL A COMMENCÉ CE BORDEL ?
C'était une bonne question.
Une bonne question, il fallait y réfléchir à plusieurs fois avant d'y répondre. Une bonne question demandait des connaissances, des arguments parfois. Une bonne question faisait hésiter et faisait parfois se remettre en question.
En fait, il ne lui avait pas posé une bonne question. Il avait posé une question douloureuse et désagréable à entendre, à cause de ce qu'elle ravivait. Il connaissait vaguement la réponse, dans le sens où il savait que ce n'était pas récent, ça devait faire une éternité qu'il n'avait rien connu de normal. Mais précisément ? Il ne savait pas, depuis combien de temps. Il n'était pas sûr de vouloir connaître la réponse. Il ne savait pas si il était capable de la fournir de toute manière, peut-être en calculant. Mais sa notion du temps, il l'avait perdue depuis peut-être aussi longtemps que ce bordel avait commencé, alors il ne savait pas.
⠀⠀— Je sais pas.
L'apocalypse. Qui l'eut cru.
Pas lui, il n'était même pas adulte quand tout avait commencé. Quand les catastrophes naturelles plus destructrices les unes que les autres s'étaient enchaînées, quand les tempêtes de sable avaient ensevelies bon nombre de villes à proximité des déserts, quand les pluies diluviennes avaient déferlé sur la Terre, quand tout s'était effondré sous les tremblements de terre, quand les accidents nucléaires étaient arrivés par dizaine et par dizaine, et avaient fait de ce qu'il restait de leur planète un lieu irrespirable et hautement toxique, et de certains humains d'abominables monstres, difformes, sans raison et affamés. De véritables créatures dénuées d'humanité et semblables à des animaux venus tout droit des Enfers. Les premiers mutants observables sur Terre, enfin du moins sur ce qu'il restait de la Terre.
Le gigantesque cataclysme.
Peu de terriens avaient survécu, les humains comme les animaux. Les gouvernements et les nations s'étaient effondrés, l'ordre avait rapidement disparu pour laisser place au chaos le plus total. Des groupuscules s'étaient formés un peu partout, allant d'une poignée d'hommes à une véritable colonie, des clans où la survie était primordiale et où l'alliance n'en était que la cause : s'entraider pour trouver des vivres, pour se défendre face aux pillards et aux dangers encore insoupçonnés. Mais comme dans l'ancien monde, les règles étaient faites pour être brisées. Les mutineries, les trahisons, les meurtres et le cannibalisme même, causeraient peut-être à leur tour la disparition de ce qu'il restait de l'espèce humaine.
Jisung avait vu bien des choses depuis le cataclysme, et ces dernières en faisaient partie. Il n'aimait pas ressasser les souvenirs d'avant, de l'ancienne vie. Le très peu de souvenirs qui lui restait, précédant le cataclysme, et même après.
⠀⠀— Pourquoi on a pas fait de calendriers, ou de repères ? Comme tous les gens normaux ?
Son compagnon de voyage haussa la voix, que sa question reste sans réponse l'avait frustré.
⠀⠀— Minho...
Jisung avait simplement fait claquer sa langue, lui intimant de se taire. Et le susnommé se tut, bougonna dans son coin tout en regardant à nouveau l'extérieur.
À vrai dire il ne se rappelait de pas grand chose datant d'avant sa rencontre avec Minho, ou plutôt il faisait sciemment le choix de ne pas y songer. Malgré son manque de repères temporels, Jisung se doutait qu'il pourrait facilement compter sur les doigts d'une main — si ce n'était les deux — le nombre d'années durant lesquelles il avait côtoyé Minho. Pas par choix, au début, simplement par instinct de survivalisme.
Il ne devait être encore qu'un jeune adolescent lorsqu'il avait croisé la route de ce brun un peu frappé. Sa cicatrice, sous l'œil, celle qui partait de son nez pour rejoindre son oreille, il se l'était faite à cause de Jisung. Quand celui-ci caché au fond de l'épicerie abandonnée, avait malencontreusement détruit ce qu'il restait de quelques étagères épargnées, causant un boucan sans nom et effrayant Minho par la même occasion, qui en sursautant se griffa violemment la joue contre il ne savait trop quoi, un meuble sur son chemin certainement. Jisung avait voulu partir en courant, pris de peur à son tour. Minho l'avait coursé, pensant tomber sur un beau gibier. Et quand il s'était jeté sur lui, et qu'il s'était mangé le coup de genou le plus douloureux jamais donné, suivi d'un misérable « Désolé ! », il n'avait pas prévu que son potentiel gibier serait son camarade de route pendant de longues années par la suite.
Précisément, Jisung ne se souvenait plus de ce qu'il s'était passé ensuite, sa mémoire lui faisait défaut, il le savait. Le traumatisme de la fin absolue se manifestait par un black-out partiel pour lui, presque total. Et Minho, lui, avait perdu la raison et semblait devenir un peu plus fou chaque jour, et Jisung veillait sur lui, parfois inquiet de son état. Il se rendait à peine compte de l'effet qu'il avait sur Minho, il parvenait à canaliser toute cette énergie débordante par sa simple présence, Minho buvait ses paroles comme s'il était le messi. Il luttait contre ce sentiment désagréable qui lui faisait perdre pied, qui le détachait un peu trop de cette réalité déjà sans dessus dessous. il tentait de garder la tête froide pour Jisung, pour eux deux.
Au cours de leurs aventures ils avaient croisé bien d'autres personnes, des survivants en piteux état ou au contraire, des groupes armés qui chassaient ardemment pour trouver de quoi se nourrir, et bien d'autres cas différents. Ils avaient eu le temps de faire le tour des différents profils de personnes qui existaient, et qu'ils retrouvaient souvent d'ailleurs. Le cataclysme avait transformé tout le monde, sans exception. Et ceux qui restaient les mêmes étaient promis au sommeil éternel sans nul doute. Personne ne pouvait échapper aux conséquences de l'apocalypse sur terre. Il fallait se plier aux règles de l'entité destructrice qu'était le cataclysme.
⠀⠀— Si on recroise des gens... Imagine ils connaissent la date précise ?
⠀⠀— Ça m'étonnerait, soupira doucement Jisung.
⠀⠀— Imagine, répéta Minho en roulant des yeux. Jisung sembla réfléchir quelques secondes. On pourra savoir depuis combien de temps précisément on se connaît.
⠀⠀— Ah bon ? il demanda, dubitatif.
⠀⠀— Pas... non pas précisément, mais à la louche quoi.
⠀⠀— Hm.
⠀⠀— Et surtout on pourra garder le compte des jours.
⠀⠀— C'est vrai que ça pourrait être utile, il hocha finalement la tête.
Un ange passa, et Minho chantonna doucement, tapotant du pied le sol recouvert d'une fine couche de sable.
⠀⠀— Ça va ?
Jisung avait relevé la tête lorsque Minho s'était adressé à lui. Son intonation semblait grave et il ne comprenait pas pourquoi.
⠀⠀— Oui...?
⠀⠀— T'as pas l'air.
⠀⠀— Pourquoi tu dis ça ?
Minho eut un rictus étrange aux lèvres, et il plissa les yeux.
⠀⠀— Je sais pas... T'as l'air anxieux.
Bizarrement le jeune homme avait un don pour lire les émotions que ressentait Jisung, chose qui l'agaçait particulièrement. L'idée que Minho puisse le trouver vulnérable le faisait vomir, il n'était pas faible et il ne le serait pas, il ne le serait plus. Il ne pouvait pas se le permettre. Simplement son souffle au cœur lui jouait parfois des tours et voilà qu'il avait du mal à respirer ; les grains de sable qu'il avait inspiré ne devait pas aider ses poumons déjà bouchés par les toxines présentes dans l'air à fonctionner correctement. Jisung n'avait pas beaucoup de connaissances concernant le corps humain, assez suffisamment pour sauver la vie d'un autre ou la sienne, son instinct jouait aussi énormément. Mais il savait reconnaître quand son organisme faiblissait et n'obéissait pas à son cerveau comme il le souhaitait.
⠀⠀— Mets ton masque, lui conseilla Minho.
⠀⠀— Ça va je te dis.
⠀⠀— Ça ira pas si tu respires un air toxique.
Jisung soupira, agacé. Il abdiqua et attrapa son masque qui traînait négligemment au sol. Minho le devança et s'approcha de lui, à genoux. Il attrapa le masque du capricieux et se mit à le nettoyer, enlevant les grains de sable de la vitre sale et s'assurant que les capsules à filtres étaient propres. Jisung le regarda faire, sourcils froncés et précautionneux. Minho n'était calme que lorsqu'il s'occupait de lui, qu'il s'assurait de sa bonne santé et de sa sécurité. Il semblait enragé quand ils devaient courir pour leur vie cela dit ; une fois Jisung avait frôlé de peu le sommeil éternel à cause d'un mutant affamé, qui s'était jeté sur lui par surprise. Sans Minho il n'aurait rien pu faire. Il avait fait preuve d'une violence inouïe pour tuer cette créature à mains nues, mais il n'avait pas eu d'autres choix. Et Jisung lui en était éternellement reconnaissant.
⠀⠀— Merci, lâcha Jisung en récupérant son masque.
Il passa la bandoulière à l'arrière de son crâne et fixa ainsi le masque. Il se mit à respirer, et le reste se fit tout seul. L'air qu'il inspirait était désormais filtré par cet énorme appareil, doté de deux capsules à l'avant de son visage. Le bruit qu'il faisait était désagréable, fort, comme la respiration d'une bête sauvage. Pourtant cela lui faisait un bien fou.
Il ferma les yeux, le temps de réguler son souffle.
⠀⠀— C'est mieux ? demanda Minho. Et pour seule réponse, il eut un hochement de tête positif, qui lui suffit.
Il reprit sa place initiale et attendit que la respiration de son ami ne se calme.
Jisung leva les yeux et croisa ceux de son vis-à-vis. Ils se fixèrent un instant, dans le silence le plus total, le temps qu'une violente bourrasque s'écrase contre l'épaisse vitre, sans que cela ne les fasse réagir.
Puis Jisung brisa leur échange de regard le premier.
⠀⠀— On va bientôt trouver une zone habitée j'espère, parce que là... Il secoua sa gourde. J'ai presque plus d'eau.
⠀⠀— Moi non plus, remarqua Minho en faisant de même. Putain... J'arrive pas à croire que ici, c'est une zone fantôme.
Il jeta un œil par la haute vitre qui lui faisait face. Le paysage aurait pu être magnifique si le contexte n'avait pas été aussi effrayant. Au loin, l'étendue de sable continuait et le ciel avait une teinte orangée. Cette ville était totalement abandonnée, piégée par le désert elle avait été en partie ensevelie et les malheureux avaient dû fuir ces vents violents et ce qu'il en résulta, pour ceux qui n'avaient pas succomber à cause d'ensevelissement ou de l'air irrespirable.
Les immeubles décharnés se dressaient dans le ciel et disparaissait derrière la brume sableuse, étrangement orangée. Il n'y avait plus de route, plus de voie praticable. Le niveau des sols avait augmenté et il fallait grimper les dunes pour espérer traverser ce qu'il restait de la ville.
Eux deux avaient trouvé un endroit plutôt sécurisé, un bâtiment qui avait miraculeusement échappé aux intempéries, et n'avait subi que de minimes dégâts. D'épaisses parois en béton armé et des vitres en bloc de verres les protégeaient donc du danger. L'intérieur était légèrement au dessus du niveau des dunes et ils pouvaient avoir accès aux premiers étages, pour échapper aux serpents et aux puces de sable. Ils ne pouvaient pas rester indéfiniment ici, ils le savaient. C'était malheureux car l'endroit aurait été parfait pour survivre. Le point négatif majeur était néanmoins l'isolement du site ; loin de tout, abandonné et en proie aux tempêtes de sable, et personne n'était revenu à cause de ça.
Ils restèrent longtemps ainsi, si longtemps que la tempête se calma.
Ils eurent le temps de prévoir leurs prochains trajets et leurs moyens de survivre sur le chemin.
⠀⠀— Faut qu'on bouge, ordonna Jisung de sa voix étouffée. On doit trouver à manger et commencer à marcher si on veut pas mourir ici.
Il se leva et Minho fit de même, à contrecœur.
⠀⠀— Dis pas ça, on peut pas mourir nous.
Il eut un grand sourire en prononçant ces mots. Il en était persuadé, son positivisme n'avait pas de limite.
Après une rapide vérification du contenu de leurs sacs, ils furent prêts à mettre les voiles. Ils quittaient sans tristesse ce lieu, simplement il était tellement pratique que cela les embêtait de devoir parcourir des kilomètres et des kilomètres pendant sûrement plusieurs jours alors qu'ils pouvaient rester assis dans un endroit fermé.
Jisung s'approcha de Minho et resserra la sangle de son sac. Ainsi il tenait mieux sur ses épaules, il n'aurait pas mal au dos, et la lanière au devant fermait parfaitement les pans de sa veste bien abîmée. Ils devaient se couvrir intégralement dans cet environnement, pour éviter les morsures de n'importe quelle créature, ou que le sable ne rentre dans leurs vêtements, et ils devaient aussi s'isoler de ces températures atroces.
Minho enfila son masque et le resserra correctement. Après quelques lourdes respirations, il s'y acclimata et il sût qu'il était prêt.
Ce masque était sans aucun doute l'outil le plus technologique qui existait à l'heure actuelle, et qu'ils avaient en leur possession. Il couvrait tout le bas du visage et était assez lourd, serrant la mâchoire et ayant deux parties externes où l'air était filtré. Conçu par des ingénieurs survivalistes, certainement, il permettait à ses utilisateurs de respirer un air filtré et augmentait les chances de survie dans ce monde où la santé restait ce qu'il était de plus précieux à l'humain, après l'eau et la nourriture.
Les masques demandaient beaucoup de matériel pointu pour être fabriqué, et s'en procurer un était tâche complexe. Eux en avaient volé dès qu'ils en avaient eu l'occasion, car de toute manière, ils n'auraient rien pu troquer en échange de l'équivalent d'une assurance vie. Ils ne possédaient rien, quelques armes blanches peut-être, mais les armes aussi étaient difficilement trouvables.
Ils marchèrent vers la sortie, et après avoir pendant une longue minute, tiré sur la lourde porte comme un acharné, Minho réussit enfin à la faire bouger de plusieurs centimètres, laissant assez d'espaces pour que les deux garçons puissent s'y faufiler, malgré leur lourd équipement.
Le soir se pointerait bientôt, heureusement ils possédaient une lampe puissante et avec un peu chance, la pleine Lune les éclairerait suffisamment. Mais avant de marcher toute la nuit, ils devaient se nourrir. Et pour cela, il fallait chasser.
Ils ne possédaient que des armes de fortune, fabriquées par leurs propres moyens, avec pas grand chose, ou alors elles étaient volées, ou trouvées. De longs couteaux, aux lames larges, un sabre, une lance, un filet en cordes qui ne leur servait que pour chasser, et bien sûr, un Colt. C'était une trouvaille de Jisung, qui ne comprenait toujours pas comment quelqu'un avait pu abandonner derrière lui une arme à feu. C'était une chance inouïe de l'avoir trouvée. Ils ne s'en servaient pas, du moins plus. Car ils avaient du l'utiliser une fois, lors qu'une extrême urgence, lorsque qu'un autre humain avait menacé la vie de Minho, et que Jisung avait dû tirer pour éviter le drame. Et depuis, ils avaient juré de ne l'utiliser que dans ce genre de situation. Le nombre de balles qu'ils avaient était plutôt limité et ils ne devaient pas prendre de risques.
Ils marchèrent côte à côte. Un doux vent soufflait et désordonnait leurs mèches de cheveux aussi sèches que le désert. Ils avançaient et les dunes de sable se transformaient peu à peu en montagnes de roches sédimentaires. Ils avaient de loin, repéré ces creuvasses d'argile rouge, creusées par le temps et le vent, et certainement par un fleuve il y a trop longtemps pour qu'ils ne puissent le savoir.
Le paysage était splendide, l'astre solaire baignait l'endroit de lumière et faisait ressortir les tons or et ocre de l'endroit, les nuances de la terre et des roches. Ici, ils pourraient sans aucun doute trouver des animaux et donc de quoi se nourrir. Pour les pousses, c'était peine perdu ; le climat était encore trop aride et ils devraient marcher au moins deux jours pour s'éloigner de ce territoire anhydre.
De hautes roches pointues semblables à des stalagmites se dressaient sur leur chemin. Le paysage avait radicalement changé depuis leur départ, et ils ne s'étaient pas rendus compte qu'ils avaient autant marché.
⠀⠀— Regarde là-bas, lança Jisung de sa voix étouffée, en pointant du doigt devant lui.
Minho suivit du regard son index et plissa les yeux, tentant de discerner ce que son camarade lui montrait.
⠀⠀— Oui ? il demanda, dubitatif.
⠀⠀— Y'a des rochers creusés, il répondit comme si c'était une évidence. À tous les coups il y aura des nids et des terriers, faut qu'on aille chercher.
⠀⠀— Mais là on risque de trouver que des petits animaux ?
⠀⠀— On a pas trop l'embarras du choix.
Minho haussa les épaules et suivit Jisung, qui s'avançait déjà vers leur zone de chasse.
Jisung calma sa respiration et marcha d'un pas lent, pour être sûr de faire le moins de bruit possible. Si les bestioles s'affolaient et s'enfuyaient, ils risquaient de se retrouver sans dîner. Ils s'approchèrent avec précaution et se regardèrent lorsqu'ils entendirent des couinements de rongeurs.
Enfin, ils aperçurent un rat, un énorme rat, comme ils pouvaient souvent en trouver. Le rat n'était pas la meilleure des viandes et loin de là, mais c'était nourrissant et l'un des seuls animaux facilement trouvables un peu partout.
Minho s'en approcha, alors que Jisung sortait doucement son couteau de son étui, accroché à sa cuisse. Il fronça les sourcils, concentré sur sa proie. L'animal creusait la terre, à la recherche peut-être d'un gros insecte. Il cala son genou contre un des rochers et se pencha. Et soudainement, son camarade le devança et se jeta au milieu des cailloux, tendant la main vers le rongeur grassouillet. En voulant l'attraper à pleine main, il effraya la bête qui siffla et esquiva le geste, avant de s'enfuir rapidement entre les roches.
⠀⠀— Minho...
Jisung soupira et ses bras s'affaissèrent.
⠀⠀— Quoi ? répondit l'autre innocemment. Fallait choper l'occasion avant qu'il s'enfuit.
⠀⠀— C'est réussi, il répondit d'un ton froid en rangeant son couteau.
⠀⠀— Eh moi aussi j'ai faim, c'est bon, râla Minho. On va en trouver un autre.
L'autre ne répondit pas et se contenta de continuer ses recherches au milieu des roches couleur ocre.
Minho pensait souvent que Jisung n'était qu'un tas de chair abritant un coeur de pierre. Il aurait même pu dire un coeur de roche volcanique, mais il doutait en voyant son compagnon de voyage, qu'il ait un jour était doté d'une volonté ardente de vivre et d'un cœur battant fort pour une autre raison que l'adrénaline ou la chasse. Jisung ne parlait jamais de lui, de son histoire ou de son passé, de ce qui l'avait amené jusqu'à lui. Il était devenu une véritable machine, vif, toujours équipé en conséquence, observateur, fort et habile.
Bien sûr, il n'avait pas toujours été comme ça. Au cours du temps ses capacités à survivre et à se défendre s'étaient plus qu'améliorées. Minho l'avait connu quand il sursautait à chaque son qu'il entendait, quand la peur pouvait se lire sur son visage et qu'il ne dormait pas durant des nuits entières de crainte de ne pas se réveiller le lendemain. Il avait encore ses cheveux courts, ses jambes frêles le portaient à peine. Il était encore plus silencieux à l'époque, ne parlant jamais. Minho avait d'ailleurs pensé qu'il était muet, ou qu'un traumatisme lourd dont il ignorait l'existence l'avait plongé dans un tel mutisme.
Il semblait encore jeune, heureusement. Son corps et son visage avaient changé, le temps passait et il devenait un homme un peu plus chaque jour, même si son esprit et ses souvenirs semblaient endommagés depuis des décennies entières. Sa voix était grave, ses mèches éparses longues et sèches, ses yeux ridulés et ses mains griffées. Minho se souvenait vaguement de sa bouille d'enfant désespéré, qui avait laissé place à la mine sérieuse et impassible qu'il arborait aujourd'hui. Même si ses joues creusées étaient dues à la faim et à la soif plutôt qu'à une mâchoire marquée par de nombreuses heures passées en salle de sport. Tiens, il en avait oublié l'existence des salles de sport à la longue.
Minho pouffa à ce souvenir surprenant, et quand l'autre lui demanda pourquoi il rigolait sans même lui jeter un œil, il ne répondit pas.
C'était stupide.
⠀⠀— Minho, l'appela Jisung.
Il se tourna vers lui et suivit son regard. Et un sourire apparut aux bords de ses lèvres lorsqu'il aperçut trois gros rats en train de se chamailler les restes d'un serpent mort.
⠀⠀— Trois d'un coup ! Là c'est notre fête, il s'exclama tout excité.
Il attrapa son filet sans hésiter et s'approcha d'un pas ou deux, avant de le jeter sur ses proies. Les rats tentèrent de filer mais il était trop tard, les fils de fer tressés les maintenant contre les roches et leurs geignements stridents n'y pouvaient rien.
Jisung détourna le regard, laissant à Minho le soin de tuer ces bêtes, à qui il s'identifier tout à fait, sans l'avouer à voix haute. Il grimaça en entendant un bruit sec, s'apparentant à une colonne vertébrale de petite taille brisée à main nue.
⠀⠀— Y'a beaucoup de restes du serpent ou pas ? demanda Jisung sans oser regarder.
⠀⠀— Carrément ! hoqueta Minho. Il était énorme... Il se redressa et vint de planter devant Jisung, tenant les trois bestioles par la queue. Cherche un peu, peut-être que tu trouveras un nid avec des œufs.
Le deuxième châtain s'exécuta silencieusement, furetant aux alentours pour tenter de déceler de l'agitation et une fente dans la terre. Et un léger sourire satisfait naquit au coin de ses lèvres quand il apercut un trou plutôt large. Il tata du bout de sa lance autour de l'ouverture, constatant que l'argile était molle. Alors sans hésitation, il donna un violent coup de pied dans le nid pour le faire craquer, et des éclats de terre séchée volèrent.
Il se mit accroupi, examinant ce qu'il restait du nid. De sa main gantée il fouilla un peu le sable et à sa plus grande joie, il sentit pas moins d'une demi-douzaine d'œufs de serpent, serrés, cachés au fond de ce qu'il restait du nid.
⠀⠀— On a déjà mangé des œufs de serpent ? il lança à Minho.
⠀⠀— Mmmh, pas de ce genre de serpent en tout cas, répondit l'autre en grimaçant. Il attrapa la tête du cadavre de l'animal rampant et l'examina de plus près. Il est pas venimeux, on a de la chance.
Jisung se tourna vers lui.
⠀⠀— Tu te souviens de comment reconnaître un serpent venimeux ? il s'étonna.
⠀⠀— Jisung tu sais bien que je suis capable de tout, il haussa simplement les épaules, et le nommé roula des yeux.
Les œufs rangés précautionneusement dans le même sac en toile que les trois rongeurs, ils commencèrent à chercher un endroit où faire un feu, pour pouvoir griller la viande, et espérer pouvoir faire de même avec les œufs. Avant tout il fallait la dépecer mais Jisung préférait laisser cette tâche immonde à Minho, à qui la vue du sang ne donnait pas envie de vomir. Ils trouvèrent rapidement une ouverture dans la falaise, qui pourrait les protéger du vent. Face à eux, le Soleil disparaissait derrière la Terre de la même teinte. Le ciel semblait flamber. Minho plissa les yeux en regardant l'horizon, pour ne pas se brûler la cornée. Il aurait pu trouver le moment magnifique si seulement la Terre n'était pas le plus grand danger auquel il faisait face chaque jour de son existence. Il aurait pu, dans une autre vie.
Jisung s'occupa de sortir leurs gamelles en métal, défoncées par endroits. Minho retirait dans un bruit écœurant les peaux des rats, pour n'en extraire que la viande. Une fois toute la nourriture préparée, ils la disposèrent dans leurs plats de fortune, gardant quelques œufs pour plus tard. Jisung fouilla son sac pour en sortir son chalumeau, du moins c'était l'objet auquel il s'apparentait le plus. Un fil permettait à la gamelle d'être accrochée en hauteur, et il le fit, pour passer la grande flamme en dessous et cuire les aliments. Cela prenait un peu de temps, mais cela valait le coup d'attendre. La flamme qui s'échappait de son chalumeau était si grande qu'elle produisait un halo de lumière autour d'elle et chauffait le visage de Jisung, exposé à elle.
Ils attendirent un peu que leur repas soit bien cuit, des deux côtés. Manger de la viande crue était bien trop dangereux, ils ne voulaient pas s'y risquer. Puis une fois chose faite, ils découpèrent en parts égales les trois rats et les repartirent dans les deux gamelles.
Ils enlevèrent leurs masques, pour quelques minutes seulement, le temps de manger. Ça ne pouvait leur faire beaucoup de mal, étant donné qu'ils le portaient tout le reste du temps et que la tempête s'était calmée depuis bien longtemps déjà.
La viande de rat n'était de toute évidence pas très goutue, voir un peu dégoûtante, acide. Pourtant ils se régalèrent, eux qui n'avaient pas mangé de la journée. Ils étaient habitués maintenant, à se contenter d'un repas par jour, quand ils trouvaient de la nourriture. Malgré leurs efforts pour marcher à travers le désert, cela leur suffisait. Et ils ne pouvaient se contenter que de ce peu de nourriture, de toute manière. Ils tentèrent de manger lentement, pour être rassasiés, même si la faim leur tiraillait le ventre. Quelques osselets craquèrent sous leurs dents, et ils s'empressèrent de les recracher.
Ils restèrent assis une fois leur copieux dîner terminé. Le Soleil disparaissait complètement, le ciel avait tourné au bleu foncé et ils voyaient déjà les constellations se former.
⠀⠀— On repart bientôt ? demanda Jisung, presque rhétoriquement.
⠀⠀— Attends un peu, on est bien là... Il fait frais en plus.
Jisung soupira et se laissa tomber en arrière, s'allongeant contre son énorme sac qui lui servait de dossier.
⠀⠀— Il faudrait qu'on se coupe les cheveux, on risque de choper des poux tellement ils sont longs.
Minho tira une de ses mèches et loucha dessus, observant la longueur.
⠀⠀— Maintenant ?
⠀⠀— Ou plus tard, comme tu veux.
⠀⠀— Vas-y maintenant alors, Minho répliqua sans une once d'hésitation.
Et il s'approcha de Jisung, tout en sortant un petit couteau de sa poche. Il s'assit dos à lui, alors qu'il se redressait, et dégagea ses cheveux de sa nuque pour que Jisung y voit plus clair.
⠀⠀— Putain mais ils sont hyper longs tes cheveux en fait.
⠀⠀— Ça me va bien ? lança narquoisement Minho.
⠀⠀— T'es très beau comme ça, répondit l'autre en ébouriffant ses cheveux.
Et il arracha un sourire à Minho, tout content de s'être fait complimenté.
Tandis que Jisung passait une main dans sa nuque, il frissonna. Il commença à fredonner une chanson pour penser à autre chose, qu'il avait inventée de toute pièce. Jisung la chantait souvent et à force, son camarade avait fini par connaître l'air. Il gigotait un peu trop et il se fit réprimandé plusieurs fois par son coiffeur improvisé.
Minho était fêlé, Jisung était froid. Ils étaient une balance parfaite et leur équilibre faisait que leur duo fonctionnait, étonnamment. Ils se maintenaient en vie, leurs personnalités se calibraient parfaitement. Ils comblaient le manque de l'autre par leurs capacités uniques, et par leurs esprits si différents l'un de l'autre.
Minho grimaça quand il sentit Jisung tirer sur une dernière mèche de cheveux et y frotter sa lame, pour couper petit à petit ce qu'il restait de sa tignasse. C'était marrant, de constater que leurs chevelures avaient quasiment blondi tant le Soleil les avait brûlées.
⠀⠀— C'est bon, j'ai fini.
Minho se retourna vers Jisung. Il sentait son crâne plus léger, plus aéré. Il le regarda droit dans les yeux et attendit qu'il ait fini d'observer le résultat de son travail.
⠀⠀— Tu m'as pas raté j'espère.
Jisung hocha la tête de gauche à droite et passa une main dans ses cheveux à présent courts. Il arrangea quelques mèches qui étaient rêches au toucher. Minho ne bougeait pas. Il était perdu dans sa contemplation du visage de Jisung. Il sentait néanmoins les fins doigts de son ami caressait sa nuque où s'échouaient encore une parti de sa crinière.
⠀⠀— Voilà, c'est mieux comme ça, murmura Jisung en retirant sa main, et Minho vint la remplacer par la sienne.
⠀⠀— On a la même longueur de cheveux ? il demanda en triturant ses mèches, à l'aveuglette. Et Jisung hocha la tête de haut en bas, un fin sourire se dessinant sur ses lèvres. C'était rare de le voir sourire. Alors Minho l'imita, il ne détacha pas ses yeux du sourire de Jisung et ria presque de le voir ainsi. Putain enfin un sourire, c'est plus rare que l'eau ce truc chez toi.
Le sourire de Jisung fana et il roula des yeux.
⠀⠀— N'importe quoi.
Il replongea son regard dans celui de Minho.
⠀⠀— Je te jure que t'es beau quand tu souris, et t'as pas l'air de vouloir mourir toutes les cinq secondes. C'est plus rassurant, Minho ajouta en remuant son index devant son visage.
Jisung soupira d'exaspération.
⠀⠀— Pourquoi tout ce que tu dis n'a aucun sens ?
Minho plissa les yeux, et pencha la tête sur le côté.
⠀⠀— Pourquoi tu veux pas accepter que j'ai raison ?
⠀⠀— Pourquoi on débat même ? Jisung claqua sa langue contre son palais.
⠀⠀— Tu connais les différentes constellations ?
Jisung fronça les sourcils. C'était une mauvaise habitude qu'avait Minho, changer radicalement de sujet sans prévenir, et pour aucune raison particulière.
⠀⠀— Non... ? Pourquoi je connaîtrais les constellations ?
⠀⠀— Dommage, j'aurais aimé que tu m'apprennes.
⠀⠀— Parfois j'ai vraiment du mal à te suivre.
⠀⠀— Bah c'est vrai que je marche quand même vachement plus vite que toi.
⠀⠀— ...Hein ?
⠀⠀— C'est pas ta faute hein, j'ai des cuisses beaucoup plus musclées que toi donc forcément... Dans le sable, quand y'a du vent... C'est plus difficile d'aller vite pour toi. Puis faut dire que t'as des toutes petites jambes donc c-
⠀⠀— Je parlais pas de ça à la base, mais ça devient insultant ce que tu racontes.
⠀⠀— Alors pas du tout, c'est une remarque purement physiologique.
⠀⠀— Tu m'as traité de nain incapable, Minho.
⠀⠀— Menteur !
⠀⠀— Hm.
⠀⠀— T'interprétes tout de travers. Heureusement que tu sais pas interpréter les constellations finalement.
⠀⠀— Ça sert à rien de toute façon. On a besoin que de la grosse étoile là, évoqua vaguement Jisung. Qui brille plus que les autres.
⠀⠀— C'est toi qui brille plus que les autres.
⠀⠀— J'vais te gifler.
⠀⠀— Me teste pas j'suis un peu comme Jésus, je vais tendre l'autre joue.
⠀⠀— J'ai pas la réf.
⠀⠀— La réf' c'est la Bible, Jisung.
⠀⠀— Oula ! Mais entre Jésus et maintenant il y a eu pas mal d'apocalypses dis moi.
⠀⠀— Jésus... Jisung... ça se ressemble un peu quand même. C'est un signe.
Jisung soupira.
⠀⠀— On repart bientôt, Minho.
⠀⠀— Je sais.
Il esquissa un sourire, et sans rien ajouter, il rangea leurs affaires, sans même demander à Jisung de l'aider. Son camarade de toujours le remercia quand il eut fini sa tâche. Ils recommencèrent leur routine habituelle : ils se vêtirent correctement, des pieds à la tête, enfilèrent leurs masques à oxygène, vérifièrent une dernière fois le lieu qu'ils abandonnaient pour toujours.
Et une fois chose faite, ils partirent tranquilles, plus ou moins.
Marcher dans la nuit avait autant d'inconvénients que d'avantages.
Premièrement, et c'était la raison la plus évidente, ils ne voyaient rien. Seules la Lune et les étoiles pouvaient parfois, avec un peu de chance, éclairer les plaines de sable qu'ils parcouraient, mais sa lumière était faible et limitée. Ensuite, voyager de jour leur permettait de se reposer la nuit, ils seraient épuisés après leur trajet. Il fallait aussi prendre en compte le froid qu'il pouvait faire dans le désert lorsque le Soleil disparaissait totalement, c'était un contraste peu croyable tant il était fort ; le jour l'air était irrespirable et un humain pourrait cuire à force de rester trop longtemps exposé, alors que la nuit, le froid était tel que nu, un homme pourrait mourir de froid ou d'hypothermie en quelques minutes seulement.
Mais d'un autre côté, ils étaient sûrs et certains de ne croiser personne de nuit, et au milieu du désert, de ne pas rencontrer de bêtes sauvages en pleine chasse ou de pilleurs enragés. Et sans la chaleur écrasante des pleines après-midi, ils ne connaissaient pas la soif, ou du moins ils la ressentaient beaucoup moins.
Ils marchèrent, longtemps. Toute la nuit. En ne s'accordant que deux courtes pauses. Ils ne devaient pas s'arrêter s'ils voulaient trouver un endroit avec de l'eau ou une zone civilisée. Ils ne pouvaient pas se permettre de flâner trop longtemps dans le désert s'ils voulaient survivre. Marcher durant des heures, fouler le sable aussi lourdement équipés était une tâche pénible et plus qu'épuisante. Minho et Jisung étaient habitués à présent, ils ne se plaignaient plus et avancer sans broncher. Ils n'avaient pas le choix de toute manière.
Ce ne fut qu'à l'aube qu'ils s'arrêtèrent, épuisés. Ils dévorèrent en quelques instants à peine la nourriture sèche qu'ils avaient conservée dans leurs sacs et burent un peu d'eau, pour éviter de s'évanouir ou de ne pas se réveiller plus tard.
Ils montèrent leur tente rapidement pour faire escale. Les fibres qui la constituaient isolaient complètement de n'importe quelle intempérie, de la neige comme du sable en passant par le vent glacial du soir. C'était une technologie qui existait depuis longtemps maintenant, datant de bien avant l'apocalypse et qui aujourd'hui, leur servait, depuis qu'ils l'avaient trouvée par hasard dans une boutique abandonnée et délabrée.
Ils s'enfermèrent à l'intérieur, avec toutes leurs affaires. Ils durent se déshabiller et déplier les couvertures avant de s'installer pour dormir. Après tout ils devaient éviter l'hypothermie et la chaleur humaine qu'ils pouvaient s'apporter était le parfait moyen pour ne pas mourir de froid non plus. La lumière était filtrée et il faisait quasiment sombre dans la tente, pourtant le jour se levait. Heureusement le tissu était sombre et épais.
Un silence avait pris place. Jisung se retourna, les yeux clos, alors qu'il essayait de s'endormir. Et pourtant l'immobilité totale de Minho le dérangeait. Lui n'était pas prêt de dormir, ses interrogations lui taraudaient l'esprit et Jisung pouvait le sentir à des kilomètres. Il soupira et tenta d'ignorer les bruyantes pensées de son ami. Il espérait simplement que celui-ci ne lui poserait pas de question, et le laisserait s'assoupir en paix.
⠀⠀— Jisung ?
Raté.
⠀⠀— Non.
⠀⠀— Mais- tu sais même pas ce que j'allais dire, chouina Minho.
⠀⠀— Si si, je sais très bien.
L'autre ronchonna.
⠀⠀— Je comprends pas comment tu fais.
⠀⠀— Je suis pas un animal, moi.
⠀⠀— Bah moi si. Je suis un mâle qui a des besoins.
⠀⠀— Tu me dégoutes, grimaça Jisung.
⠀⠀— Je peux t'assurer que toi tu me dégoûtes pas.
⠀⠀— Minho !
⠀⠀— Ça avait été prouvé scientifiquement que le sexe ça rend heureux tu sais...
⠀⠀— Minho.
⠀⠀— ... donc en soi y'a que des points positif.
⠀⠀— Crois-moi je vais te tuer si tu me laisses pas dormir. Minho soupira. Bonne nuit, insista Jisung avec autorité.
⠀⠀— La nuit porte conseil rappelle-toi.
Jisung lança une tape à l'aveuglette, et entendre Minho couina lorsqu'il se reçut le coup lui arracha un bref sourire.
⊹
Plus tard, sûrement dans l'après-midi — mais comment auraient-ils pu le savoir sans aucune notion du temps —, ils repartaient déjà. Après avoir rangé leur habitation de fortune et toutes leurs affaires. Leurs masques étaient quasiment vissés à leurs têtes et leurs chaussures s'enfonçaient dans le sable chaud à chaque pas qu'ils faisaient. Ils s'aventuraient toujours au milieu des falaises d'ocre et pourtant, ici les dunes avaient repris le dessus sur la terre craquelée, rendant leur marche plus fatigante. La chaleur était insoutenable, brûlante, étouffante. Jisung pouvait sentir son corps transpirer de toute part et même s'il s'était habitué à cette sensation désagréable, il attendait avec impatience le moment où ils trouveraient un point d'eau pour se laver.
Minho s'assurait régulièrement qu'il tenait le coup, et vice versa. Ils veillaient l'un sur l'autre pour ne pas avoir de mauvaises surprises, toujours.
Les souvenirs de la veille étaient déjà effacés. Ce n'était pas la première fois que Minho lui faisait des avances. Pourtant c'était toujours la même chose. La première fois, Jisung avait été surpris, presque choqué. Maintenant, il refusait avec lassitude et toujours de manière négative à ses propositions suggestives. Minho était un peu trop honnête, sur ses envies, sur ses besoins, et Jisung en était exaspéré. Le personnage ne l'étonnait même plus. Il utilisait l'excuse de l'apocalypse et de son manque de contact avec d'autres humains à tord et à travers, ou alors il expliquait qu'il retournait petit à petit vers l'état animal, et que par conséquent, il devait impérativement se reproduire.
Jisung leva les yeux au ciel rien qu'en y songeant. Il ne comprenait pas comment Minho pouvait avoir envie de sexe alors qu'ils avaient une montagne de problèmes à surmonter chaque jour. Et pourtant, même si ses lubies étranges l'agaçaient, il n'aurait jamais eu le courage de continuer cette aventure sans lui. Il avait compris comment Minho fonctionnait et même s'il ne le disait pas souvent, pour ne pas dire jamais, le savoir à ses côtés le rendait heureux, au milieu de ce monde réduit à néant.
⠀⠀— Jisung ! Eh Jisung !
L'éclat de voix de Minho surpris le dénommé et l'arracha de ses pensées, il se tourna brusquement vers son ami. À travers le masque épais il nota son expression enjouée et fronça les sourcils.
⠀⠀— Quoi ?
⠀⠀— Regarde devant ! s'écria à nouveau Minho, en pointant du doigt le paysage face à eux. On y arrive !
Jisung suivit du doigt son index et il écarquilla les yeux en voyant le spectacle qui s'offrait à eux. Le désert aride qu'ils connaissaient n'était plus. Face à eux, des plantes, beaucoup. Des buissons, de jeunes pousses d'arbres, d'un vert sombre qui signifiait que les plantes étaient feuillues, et que par conséquent, une source d'eau — importante ou non soit-elle — les alimentait. Ils étaient encore loin, Jisung devait plisser les yeux pour déceler quelques formes à l'horizon. Le point positif était qu'ils touchaient presque au but et qu'ils pourraient s'hydrater une fois là-bas.
⠀⠀— C'est génial ! reprit Minho, et il marcha avec plus d'entrain.
⠀⠀— Attends, l'arrêta Jisung. On doit faire une pause maintenant alors.
⠀⠀— Pour quoi faire ? On a de l'eau là-bas, il souffla.
⠀⠀— Y'aura peut-être des animaux ou des mutants justement, on peut pas se permettre d'être fatigués ou de s'arrêter longtemps dans une zone habitable, c'est dangereux.
Minho perdit son sourire et une moue d'ennui prit place sur son visage.
Jisung lui, se défaisait de son énorme sac et commençait à monter la petite tente. Minho restait les bras croisés sur le côté ; il rêvait de parcourir les peut-être quelques kilomètres qui les séparaient de ces végétations, les premières qu'ils voyaient depuis sûrement plusieurs semaines. Il ne savait pas, ils n'avaient pas compté.
En quelques instants ils s'étaient enfermés dans leur tente et dévêtus de leurs couches de vêtements superflues. Minho retira son masque et quelques mèches de cheveux vinrent se coller à nouveau à son front à cause de la sueur. Jisung le regarda faire, avant de passer la main dans ses cheveux pour les recoiffer, et Minho se laissa faire. Il aimait bien quand Jisung s'occupait de lui, quand il passait ses doigts fins entre ses mèches rebelles pour les démêler ou pour les replacer, avec précaution.
⠀⠀— Ils sont pas bien mes cheveux ? demanda Minho, l'air tout sauf sérieux.
⠀⠀— Si, répondit l'autre sans quitter des yeux sa chevelure. Ils sont parfaits maintenant.
⠀⠀— Tu serais resté avec moi si j'avais été chauve ?
⠀⠀— Hein ? Jisung le regarda cette fois-ci, les yeux plissés. Que- Quoi ?
⠀⠀— Les cheveux ça compte pour beaucoup dans le charme de quelqu'un. Les dents aussi d'ailleurs.
⠀⠀— D'accord, mais pourquoi tu me parles de charme là ?
Un ange passa, et Jisung d'un mouvement de tête, incita Minho à parler, à argumenter pour éclairer ses propos incompréhensibles.
⠀⠀— Non. Enfin si... Jisung arqua un sourcil. L'attraction tout ça.
⠀⠀— Tu penses que j'aurais pas accepté de vivre avec toi si tu avais pas eu de cheveux ?
Minho hésita un instant avant de répondre :
⠀⠀— Ouais, pas tout à fait mais...
⠀⠀— Peut-être pas. Qui sait, j'aurais peut-être eu peur de toi sans cheveux.
Cette fois, ce fut Minho le plus surpris des deux. Il suivit du regard chaque geste que Jisung fit par la suite, lorsqu'il sortit de son paquetage une boîte de pousses qu'ils conservaient comme encas, en cas de secours. Il se serait attendu à ce que le chatain l'accuse de poser des questions débiles — ce qui n'était bien évidemment jamais le cas — ou de ne pas se concentrer sur l'essentiel.
Il se servit une poignée de feuilles épaisses et encore fraîches de la boîte et se mit à les mâcher lentement, observant l'autre faire de même.
Minho adorait Jisung. En fait, ce qu'il ressentait pour lui dépasser l'admiration et l'adoration. C'était plus brut, plus sincère, plus personnel. Ils avaient tout traversé ensemble et il était quasiment son double malgré leurs différences extrêmes. Dire que sa cicatrice, l'élément qui caractérisait son visage et qui permettait de l'identifier sans aucun doute, il se l'était faite à cause de — ou plutôt grâce à, dans ce cas — sa rencontre avec Minho. Il ne pourrait exprimer avec exactitude comment il percevait Jisung ; mais simplement, il était son tout, son univers autour duquel il gravitait, son meilleur ami, son protecteur, son allié, son colocataire pour ainsi dire...
Et pourtant il avait quelque chose d'autre, un truc en plus. Il ne savait pas quoi exactement, mais il était persuadé que c'était relié au fait que Jisung le rendait ineffablement heureux, il chamboulait son existence de la meilleure des manières.
Si Minho aimait autant rire et sourire, c'était uniquement grâce à ce jeune homme au corps frêle et aux joues gonflées. Après tout il n'y avait aucune autre raison pour laquelle il aurait envie de sourire alors que le monde s'écroulait et se réduisait en cendres. Même si Jisung ne souriait pas beaucoup. Il était très, trop sérieux sûrement. Ça ne dérangeait pas toujours Minho. Jisung s'abandonnait rarement, alors quand il le faisait, c'était d'autant plus merveilleux, magnifique. Minho le ressentait.
Comme ce jour où par hasard, en passant par un village abandonné, ils avaient trouvé un appareil de musique datant de bien avant l'apocalypse, intact, fonctionnant encore à la perfection bizarrement.
Alors ils avaient dansé. Du moins Minho avait dansé, très mal, sa « danse » s'apparentait à des mouvements aléatoires dans tous les sens. Ce sentiment était libérateur. Il n'avait jamais été spécialement intéressé par la danse et il l'avait d'ailleurs regretté en s'emmêlant les pattes et en tombant. Jisung avait rigolé, pour la première fois depuis longtemps, et Minho avait senti son coeur battre extrêmement fort. D'autant plus lorsqu'ils avaient dansé cette fois-ci ensemble, face à face, sourires aux lèvres. Sourire qu'il ne voyait jamais, et qui révélait une rangée de petites dents dans cette bouche en forme de cœur. Sourire qui creusait les joues rebondies de son Jisung.
Ce jour-là, il avait compris que Jisung était et serait le seul humain qu'il n'aimerait jamais. Le seul à qui il donnerait son coeur, en qui il avait entièrement confiance et en qui il pouvait avoir totalement confiance. Il pourrait confier sa vie entière à Jisung, la placer entre ses mains abîmées et rêches, et savoir qu'il serait en sécurité. Ce sentiment drôle le travaillait et le torturait de la plus douce des manières, sauf quand leurs vies étaient en danger. Car si Jisung mourrait, il se retrouvait seul face à ce monde en lambeaux, et c'était impensable. Mourir à deux, survivre à deux, ou le néant. Il n'y avait pas d'autres options.
Il s'était déjà demandé si c'était de l'amour. Car même si cela s'en rapprochait, et qu'il se l'avouait à lui-même, Minho était conscient du fait que dans une vie comme la leur, comme celle qu'ils menaient et qui était plutôt semblable à de la survie, il n'y avait pas de place pour l'amour. Il ne savait pas vraiment ce qu'était l'amour, il n'avait pas eu le temps de le savoir que le monde s'était effondré. Mais c'était une futilité stupide, seule la loyauté était un sentiment important. L'honnêteté tout autant. Mais l'amour ? Aucune valeur, aucune utilité, aucune place pour l'amour.
Peut-être était-ce simplement le fait que Jisung était la personne qu'il n'avait pas quitté, même pas une minute, en plusieurs années d'existence dans ce monde en ruines. Ou peut-être étaient-ce simplement ses envies animales qui lui faisaient penser ces bêtises.
Non, il était sûr de l'aimer. Mais qu'en ferait-il ? Rien. Jisung ne devait pas savoir, il s'en ficherait de toute manière. Et puis, c'était ridicule, de se mettre à nu ainsi, de parler de la raison pour laquelle son coeur pourrait battre un peu plus fort alors que chaque jour était peut-être leur dernier et qu'ils devaient se battre contre Mère Nature pour rester en vie, que chaque minute de leur existence pouvait être fatidique. Ses sentiments n'étaient pas un problème.
⠀⠀— Tu penses que... il commença, hésitant. Que... même en temps d'apocalypse, c'est possible de trouver l'amour ?
⠀⠀— Tu veux trouver l'amour Minho ? le taquina Jisung.
⠀⠀— Bah qui sait, on est encore jeune et on a toute la vie devant nous. Son ami n'osa pas le contredire sur ce point. Ça serait nul de terminer ses jours en n'ayant connu que la peur et la solitude toute sa vie quand même.
Jisung soupira et se laissa glisser, calant sa tête contre le flanc de l'autre châtain.
⠀⠀— C'est vrai. Mais en choisissant d'aimer, tu choisis aussi d'avoir peur.
⠀⠀— Hm ?
⠀⠀— Pour toi, pour vous, mais surtout pour l'autre.
⠀⠀— Comme... nous ? Non ?
La notion que Minho avait de la subtilité n'était pas la même que celle de Jisung. Celui-ci redressa la tête et planta son regard dans le sien.
⠀⠀— Comme, il insista sur ce mot, nous. Mais pas nous... si ?
Il semblait confus.
⠀⠀— Y'a tous les signes qu'on est le grand amour l'un de l'autre, Minho haussa les épaules, le regard presque fuyant.
⠀⠀— C'est comme ça que tu vois les choses ?
Minho osa un regard dans sa direction, et lorsqu'il aperçut le rictus discret qu'arborait Jisung, il sentit son coeur louper un battement. Jisung esquissant un semblant de sourire voulait dire beaucoup de choses.
⠀⠀— Oui. Tu vois ça comment toi ?
L'autre soupira et gigota pour s'installer un peu plus confortablement. Minho le sentit glisser sa main dans la sienne, le contact de sa paume brûlante le fit tressaillir. Jisung entrelaça leurs doigts, jouant avec, laissant sa question en suspens.
⠀⠀— Je sais pas vraiment ce que c'est le grand amour, il lâcha finalement après une grande inspiration.
Minho se mordit le coin de la lèvre, les yeux toujours posés sur leurs dextres jointes.
⠀⠀— Quelqu'un... quelqu'un que t'aimes pour toujours, sa voix se fit plus faible, dont t'es amoureux plutôt. Il toussota. Une sorte d'âme sœur je pense.
⠀⠀— Ah, c'est ça alors. On doit être des âmes sœurs.
Jisung releva la tête et planta son regard dans celui de son ami.
⠀⠀— Et y'a beaucoup de différence entre les deux ? demanda Minho, incertain de ce qu'il voulait dire.
⠀⠀— Je pense pas, murmura Jisung.
Minho sentit ses tempes le brûler. Jisung n'était pas le genre à avoir des sentiments, et encore moins à les exprimer. Pourtant ses mots avaient tout l'air d'un aveu. Maladroit et plutôt flou, mais révélant un attachement plus fort pour Minho que ce qu'il aurait imaginé.
Leur mutisme fut combler par leur intense échange de regard. Ils le savaient, une multitude de questions brûlait leurs lèvres, des non-dits persistaient, mais aucun des deux n'oserait poser le doigt dessus et approfondir cette conversation stérile.
Qu'avait-il à conclure de tout ça ? Que Jisung le trouvait beau ? Sûrement, mais de toute façon il s'en fichait un peu d'à quoi il pouvait ressembler. Que Jisung l'aimait comme un ami ? Ça, il n'avait aucun doute là-dessus. Que Jisung le considérait comme son âme sœur ? Il semblait bien que oui, et cette révélation troublait Minho. Quelles conclusions pouvait-il tirer de ces simples mots ? Aucune à vrai dire. Il n'était pas plus éclairé sur ses sentiments, car l'attachement et la passion n'avaient rien à voir.
Minho se sentit fatigué. Il n'aimait pas trop réfléchir, c'était contraire à ses habitudes. C'était pathétique, et surtout pour ce genre de choses. Il était pathétique. Il bailla et secoua la tête, pour se remettre les idées en place. Il était persuadé que ce genre de pensées n'avait pas, ne serait-ce qu'effleurer l'esprit raisonné de Jisung.
Il devait se faire une raison. Dans un monde au bord de l'effondrement, il n'y avait pas de place pour l'amour, il n'y avait pas de place pour un sentiment aussi pernicieux, destructeur et déroutant que l'amour.
Jisung le laissa s'assoupir à ses côtés lorsqu'il s'écroula de fatigue. À croire que les émotions de Minho l'éreintaient davantage que des heures et des heures de marche sans pause. Il veilla sur lui durant sa courte sieste, une main posée sur le corps qui lui faisait dos, le pressant tendrement, comme pour le rassurer dans son sommeil. Il commençait à comprendre quels doutes tourmentaient autant son ami, il le connaissait et savait presque lire en lui comme dans un livre ouvert.
⠀⠀— Qu'est-ce que tu me fais, Minho, il murmura dans un souffle.
⊹
Ils ne perdirent pas de temps lorsque Minho émergea de son somme. Ils exécutèrent leur routine en quelques minutes à peine : ils rangèrent leurs affaires, se rhabillèrent, et enfilèrent leurs masques.
Ils traversèrent ce qui semblait être la fin de ce désert immense. Des buissons et des cactus pullulaient, un peu partout, et le paysage se transformait à l'horizon. La zone aride et inoccupée devenait une campagne, au bout de plusieurs heures de l'herbe poussait sous leurs pieds et remplaçait le sable où s'enfonçaient sans cesse leurs chaussures. Ils marchaient sur de la terre ferme, sur de la verdure et donc sur des sols irrigués. La surprise se lisait sur leurs visages, combien de temps avaient-ils parcouru le désert pour en arriver ici ?
Bientôt, ils furent loin du désert. Ils traversaient un brouillard assez sombre mais rafraîchissant, marchant sur de l'herbe fraîche et au milieu de grands arbres, trop grands pour ne pas se douter que des produits chimiques avaient modifié leur capacité de croissance. Ils surveillaient régulièrement au dessus de leur tête, au cas où une quelconque menace se pointerait.
Cela faisait partie du mystère de la planète Terre dans son état actuel, un désert pouvait se situer à côté d'une forêt, des montagnes enneigées à côté d'un volcan en activité, ou encore une ville abandonnée dans une grotte sous un lac. Le monde était devenu bien trop étrange.
Ils arpentèrent ces nouvelles terres si longtemps qu'ils se perdirent quasiment. La végétation était plus qu'abondante et s'ils apercevaient une plante comestible, ils ne se gênaient pas pour en piocher et se sustenter.
Ils restaient proches, pour ne pas se perdre de vue dans cet épais nuage vaporeux.
Soudainement, Minho arrêta Jisung du bras. Celui-ci fronça les sourcils, puis suivit du regard ce que Minho semblait observer. Il plissa les yeux, tentant de discerner une forme dans le brouillard.
⠀⠀— C'est quoi ça ? murmura Jisung.
Ils s'approchèrent prudemment.
⠀⠀— Je rêve ou... On est dans une ville tu penses ?
Face à eux, un mur de brique se dressait, recouvert de lierre. Et en baissant les pieds ils virent de vieux rails en sale état, recouvert par la rouille, de mauvaises plantes et bon nombre de roches. Ils suivirent des yeux la direction qu'ils suivaient. À gauche, les rails continuaient dans le brouillard, et à droite, ils pénétraient dans un tunnel au fond sombre.
Minho détacha son sac et y fouilla pour trouver sa lampe torche, tandis que Jisung tentait d'y distinguer quelque chose, en vain.
⠀⠀— Il va falloir qu'on fasse très attention, il déclara. On voit rien du tout là-dedans et on rentre en terrain inconnu.
⠀⠀— T'en fais pas je suis pas un débutant, assura Minho.
Jisung se retourna et le vit équiper d'une de ses longues lames et de sa lampe, prêt à explorer le passage.
⠀⠀— Prêt ?
⠀⠀— Plus que prêt, Minho souffla en roulant des yeux. Toi par contre t'y vas les mains dans les poches, il esquissa un sourire, tant pis, c'est marrant un peu de danger.
⠀⠀— Minho...
⠀⠀— Un peu d'adrénaline, il siffla presque entre ses dents, remuant les épaules.
L'idée d'un potentiel danger le réjouissait un peu. Minho aimait se défouler, il était un peu allumé sur les bords. Et Jisung craignait qu'ils ne se fassent vraiment attaqués.
⠀⠀— Pas de bêtises, il menaça Minho de l'index.
⠀⠀— C'est mal me connaître.
Il n'attendit même pas la réponse de Jisung et trottina pour s'enfoncer dans le tunnel, sa lampe allumée. Jisung le vit partir au trot et soupira, avant de le suivre. Il ne manquerait plus qu'il le perde de vue.
Il n'y avait rien dans ce tunnel, rien d'extraordinaire. Des plantes grimpantes, quelques rats bien moins gros que ceux qu'ils avaient pu apercevoir dans le désert et plus sales, des cadavres de voitures et des squelettes animaux comme humains, qui ne les effrayèrent pas plus que ça. Ils passèrent non loin de la carcasse d'un animal, que Minho éclaira un instant, et malgré leurs masques l'odeur nauséabonde vint chatouiller leurs narines, désagréablement.
Un puit de lumière se trouva sur leur chemin. Le tunnel était en partie détruit, et s'ouvrait sur un paysage urbain dont la nature avait reprit possession. Jisung écarquilla les yeux en voyant quelques immeubles détruits sur sa gauche, qui se dressaient en hauteur, recouvert de végétations. Ils n'eurent même plus besoin de s'éclairer de la lampe lorsqu'ils atteignirent l'autre extrémité du tunnel, au bout d'un long moment de marche.
Les rails s'arrêtaient là, à leur pieds, et devant eux un éboulement avait bloqué le chemin. Des rochers formaient une colline, et ils se voyaient déjà remonter la pente à leur gauche plutôt que de descendre vers le fossé plongeant sur leur droite.
La montée ne fut pas si raide, alors il leur fallut peu de temps pour en atteindre le sommet. Minho se frotta les mains pour en enlever les morceaux de terre, il avait dû prendre appui sur le sol pour ne pas glisser. Il releva la tête et le spectacle qui s'offra à lui l'époustoufla.
⠀⠀— Oh putain, il laissa échapper.
⠀⠀— C'est quoi cet endroit ?! s'exclama Jisung.
⠀⠀— Je sais pas mais j'ai jamais rien vu comme ça, assura Minho.
Ils échangèrent un regard confus et admirèrent la vue.
Des constructions en béton, des carcasses d'immeubles sombres un peu partout, de toutes tailles, constellaient les terres. Comme avant, la flore était comme une fortification qui recouvrait presque intégralement les traces de cette civilisation disparue. Un pont en hauteur traversait cette ville fantôme, étonnement il était encore en bon état. Les sous-terrains étaient parfois à découvert, les sols avaient été éventrés par des tremblements de terre sans doute.
Ils longèrent un peu plus la colline sur laquelle ils étaient perchés et parvinrent à atteindre l'un des étages supérieurs d'un immeuble à demi écroulé contre l'amas gigantesque de roche et de terre.
Mais soudainement, Jisung se fit tirer en arrière, perdant presque l'équilibre.
⠀⠀— Putain regarde ! Regarde ! s'écria Minho, et sa voix résonnante fit s'envoler quelques oiseaux effrayés.
Il pointa quelque chose du doigt, en contrebas. Les yeux de Jisung doublèrent de volume lorsqu'il aperçut une rivière serpenter entre les blocs de bétons et les arbres au milieu d'anciennes avenues.
⠀⠀— C'était ça ce bruit !?
⠀⠀— C'est incroyable Jisung ! Une rivière ! il s'extasia, les yeux brillants de bonheur et un sourire révélant toutes ses dents.
Jisung était sous le choc. Il fixa le courant d'eau, incrédule. Il avait peur que tout ceci ne soit qu'un mirage, et pourtant ce paradis était bien réel. Il n'y croyait pas. Minho s'agita et il lui jeta un œil.
⠀⠀— Non mais qu'est-ce que tu fais ?
Il s'inquiéta en voyant son camarade tenter de retirer son masque. Minho ne lui répondit pas et se libéra de son outil de respiration artificielle.
Il leva la tête, les yeux clos, et huma l'air lentement. L'atmosphère était très humide, mais il fut frappé par l'odeur d'herbe fraîche qui titilla ses sens. Il pouvait sentir la verdure, les différentes fragrances de la Terre et des plantes. C'était fou.
⠀⠀— Retire ton masque, il suggéra à Jisung.
⠀⠀— C'est dangereux.
⠀⠀— L'air est tellement pur que tu me remercieras.
Jisung roula des yeux mais décida d'écouter son conseil, même s'il doutait du fait que l'air puisse être pur dans un tel endroit.
Il défit la lanière qui enserrait son crâne et se libéra du lourd objet. De suite, les mêmes effluves le frappèrent. Il fut pris de court par les exhalaisons de la nature, par tous ces parfums différents qu'il n'avait pas dû sentir depuis plusieurs années, et qu'il avait oublié à force. Il sentit son coeur battre un peu plus. Ce qu'ils vivaient était assez exceptionnel.
⠀⠀— Mon dieu...
Il haussa les sourcils, toujours sous le choc. Il en était presque ému.
⠀⠀— On a réussi à trouver un endroit vivable, constata Minho en lui souriant.
Jisung hocha la tête.
⠀⠀— On peut être fiers de nous.
Puis il indiqua à Minho de le suivre.
Ils durent descendre par cet immeuble dont il ne restait pas grand chose. Le parcours fut assez dangereux mais ils n'avaient pas d'autre chemin. À gauche le courant d'eau s'écoulait jusqu'en bas, formant une cascade, ils semblaient y en avoir plusieurs au centre de la ville.
Une fois qu'ils arrivèrent en contrebas, ils furent dans la ville, au milieu de cette zone fantomatique. Ils pouvaient entendre le clapotis de la rivière, quelques oiseaux siffler et l'herbe se froisser sous leurs pas. Ils en avaient oublié la sécurité, ils levaient les yeux pour admirer cet endroit unique.
Ils ralentirent le pas et suivirent le long du cours d'eau, qui partaient en plusieurs branches dans la ville. L'eau ne semblait même pas si sale, simplement côtoyée par quelques bestioles et arpentant des zones marécageuses, sableuses et pleines de plantes aquatiques, mais rien de dissuadant. Elle ne semblait pas toxique, et c'était un véritable miracle.
Minho s'accroupît, retira son gant et se permit d'y plonger la main. Le contact de l'eau contre son épiderme fut comme de la soie.
⠀⠀— L'eau est tiède, il s'étonna, elle est pas froide. Elle est même presque chaude. C'est quoi ce délire ?!
Il n'en croyait pas ses yeux, et jubilait à chaque chose nouvelle qu'il découvrait. Rien que la présence d'animaux volants l'excitait, pour une fois que les bêtes ne se jetaient pas sur eux pour les dévorer...
Ils continuèrent leur exploration et découvrirent que toute la ville était ainsi.
Ils suivirent une allée assez dégagée et finirent rapidement par arriver devant une construction pas complètement finie. La structure était en partie détruite et ses murs manquants n'arrangeaient rien à son apparence. Cependant, la porte d'entrée de l'immeuble était en fer et avait résisté à tous les dégâts. Ils la passèrent — non sans difficulté, la pousser était une véritable épreuve étant donné son poids — et après avoir traversé quelques couloirs, ils arrivèrent dans une cour rectangulaire, très spacieuse, ouverte sur tous les étages et vers le ciel. La tête levée, ils regardaient les piliers de béton se dresser en hauteur et supporter les six ou sept niveaux, pour atteindre cette ouverture sur les nuages et le ciel presque bleu.
Un petit escalier menait à un hall assez vaste, et continuait aux étages supérieurs, de manière régulière. Certains niveaux étaient ouverts sur le grand hall tandis que d'autres étaient séparés par un mur, sur différentes façades. À croire que l'architecte qui avait conçu cet immeuble avant l'apocalypse avait dessiné les plans aléatoirement.
Mais Minho et Jisung ne purent pas profiter du silence et de la tranquillité du bâtiment : soudainement, plusieurs hommes les braquèrent avec des armes à feu ou pointaient leurs armes blanches dans leurs directions. Ils étaient presque sortis de nulle part, avaient jailli des rembarres qui séparaient la cour du hall surélevé.
Les deux jeunes hommes sursautèrent. On leur hurlait de ne pas bouger, alors ils levèrent les mains en l'air, pour montrer qu'ils étaient innofensifs. Ils avaient peur de se prendre une balle perdue ou de se faire blesser.
Les hommes se rapprochèrent, les encerclant.
Et finalement, l'un d'entre eux sortit du cercle et s'adressa directement à eux.
⠀⠀— Vous êtes qui ? Et vous faites quoi ici ?
Sa voix était grave, celle d'un homme âgé, et qui avait eu le don de calmer les autres. Il devait sûrement être leur chef ou quelque chose du genre.
Jisung et Minho se regardèrent, confus.
⠀⠀— Mais toi t'es qui ? répondit Minho sur un ton mordant.
⠀⠀— Répondez-moi ! fit l'inconnu, haussant la voix un peu plus, et celle-ci résonna dans la cour.
⠀⠀— Vous braquez des armes sur nous et vous voulez qu'on soit polis en plus !?
⠀⠀— Je vais pas me répéter. Vous êtes qui, il demanda à nouveau. Vous êtes sur notre territoire. Vous êtes des pilleurs c'est ça ?
⠀⠀— Ils ont pas l'air très offensifs Juan, lança un des hommes, qui se détendit légèrement.
Jisung comprit que Juan était l'homme qui s'adressait à eux. Celui-ci haussa un de ses sourcils grisonnants et regarda les deux jeunes hommes de haut en bas, les yeux plissés.
⠀⠀— On est pas des pilleurs, soupira Jisung, voulant calmer le jeu. On vient d'assez loin et... et on est tombés sur cette ville alors on a simplement exploré.
⠀⠀— Vous êtes nomades ?
⠀⠀— Des quoi ? s'étonna Minho.
⠀⠀— Si vous voulez, souffla Jisung.
⠀⠀— Pour nous trouver ici il fait vraiment le vouloir, lança un autre homme derrière eux, vous êtes pas tombés ici par hasard quand même. J'y crois pas.
Ils tournèrent la tête dans sa direction.
⠀⠀— On explorait juste ! C'est dingue ça, on vient de vous le dire ! Minho haussa le ton, agacé. Faut bien qu'on trouve de la nourriture et un endroit où dormir quand même.
⠀⠀— Hm. Je vous crois.
L'affirmation du dénommé Juan eut le don de faire lentement baisser leurs armes à quelques uns des hommes, les autres restant hésitants.
⠀⠀— Bah j'espère bien...
Jisung fusilla Minho du regard en entendant son murmure.
Juan incita les autres à baisser leurs armes.
⠀⠀— On fait très attention à la sécurité.
⠀⠀— La sécurité de...? Jisung plissa les yeux.
L'homme gardait son air méfiant. Le point positif était qu'aucune arme n'était dirigée vers eux, mais ils ne comprenaient pas vraiment sur quoi ils étaient tombés.
⠀⠀— Bon, soupira l'homme. Je vais décider de vous faire confiance, parce que vous avez pas l'air de pilleurs.
⠀⠀— Merci Juan, fit Minho, une pointe de sarcasme dans la voix.
⠀⠀— Vous même vous l'avez dit, se défendit Jisung, on est deux nomades. Rien de plus.
Juan hocha la tête après un instant d'hésitation. Puis il laissa son arme pendre dans son dos, au bout de la lanière qui la tenait et tendit sa main rude dans leur direction. Jisung la lorgna, puis regarda l'homme, avant de la serrer promptement.
Un climat de paix et de confiance s'installait. De toute façon ils n'avaient pas le choix, c'était ça ou la violence. Jisung avec le temps, avait appris que l'être humain pouvait être bon et pouvait avoir un instinct redoutable pour deviner les véritables intentions des autres.
⠀⠀— Jisung, il se présenta.
⠀⠀— Moi c'est Minho, continua le prénommé en serrant à son tour la main massive de ce fameux Juan.
Minho loucha un instant sur son crâne dégarni, puis se permit un sourire lorsqu'il croisa son regard. Il avait ce visage et cette aura de figure paternelle, cette carrure imposante qui aurait pu en effrayer plus d'un.
Minho toussota et se tourna vers les autres hommes, qui eux aussi, avaient laissé leurs armes pendre dans leurs dos.
⠀⠀— Et vous... vous êtes ?
Une scène de présentations à tour de rôles débuta. C'était presque ridicule, et ils finirent par en rire doucement. Ils ne remarquèrent pas quelques têtes dépasser des niveaux supérieurs, curieuses.
Minho et Jisung apprirent sans grande surprise qu'ils étaient tombés sur le Village, un campement et une colonie de survivants qui vivaient ensemble, dans le bâtiment abandonné avant même la fin de sa construction, d'un hôtel certainement. Ce qui les surprit fut d'entendre qu'ils étaient plus d'une soixantaine à vivre ensemble. Chacun participait, ils étaient très organisés. La nourriture était rationnée, et ils arrivaient d'ailleurs à en trouver en assez grande quantité pour nourrir autant de bouches, et même à en produire eux-mêmes.
Juan et quelques hommes — certains montèrent ils ne savaient où — leur firent visiter les parties les plus importantes du bâtiments. Ils leur expliquèrent comment fonctionnait leur organisation, plus ou moins, ils leur posèrent quelques questions pour en savoir plus sur les deux étrangers qu'ils s'apprêtaient à accueilllir pour une durée indéterminée. La confiance devait aller dans les deux sens et Jisung le comprit. Chacun joua le jeu et ils furent surpris de voir qu'en un lapsus de temps ridiculement petit, ils avaient baissé complètement leur garde, et se laissaient aller à la discussion. Juan leur assura sans retenue qu'il les croyait et qu'il ne doutait pas du fait qu'il pouvait leur faire confiance. Ils avaient l'air de bons gars selon lui, mot pour mot.
Alors il leur fit visiter le bâtiment. Il y avait encore des bâches de chantiers un peu partout, des blocs de béton abandonnés ou des outils, que les hommes avaient entassés et regroupés pour leurs besoins.
Plusieurs fois Jisung dut ramener Minho sur terre, qui se perdait dans sa contemplation de Juan : il fallait dire que son teint très mate et son oreille droite déchiquetée l'intriguaient beaucoup, sans parler de sa carrure titanesque. Il comprenait aisément comment un homme comme Juan pouvait s'en sortir et guider un groupe de femmes, hommes et enfants, sans oublier sa survie à l'apocalypse.
Ils découvrirent donc les étages habités, et leurs nouvelles têtes firent chuchoter les plus curieux, étonnés de les voir.
Les pièces communes où tout le monde se regroupait et mangeait étaient séparées des tentes et des lits. Les espaces étaient assez aérés, seule la moitié d'entre eux était totalement fermés. Mais apparemment le froid n'était jamais un problème et de toute manière, ils n'avaient pas vraiment de choix.
Ils stockaient la nourriture dans les sous sols car il y faisait plus frais. Et lorsqu'on longeait un couloir, au rez de chaussée, on arrivait dans un endroit tout à fait étonnant.
⠀⠀— Oh putain... souffla Minho en admirant l'endroit, sa voix y faisant légèrement écho.
⠀⠀— Ici on a deux bassins, un où on se baigne et un où on filtre l'eau qu'on boit, expliqua Juan.
Face à eux, au dessous d'une grande percée dans le plafond, se trouvaient deux larges bassins, pas profonds mais assez pour qu'en y étant, l'eau dépasse le niveau des hanches. Pas celles du grand Juan, bien entendu, mais facilement celles de Jisung.
La rivière qui coulait non loin d'ici s'y déversait et — ils ne savaient pas comment mais ils ne demandèrent pas — les survivants avaient trouvés un moyen de recycler l'eau en la filtrant. C'était la même eau d'une tiédeur étonnante qu'ils avaient vue en venant.
Ils continuèrent leur tour. Et à leur plus grande surprise, ils eurent droit à un repas, délicieux. Ils purent manger de la viande fraîche et ce fut un luxe qui les firent halluciner. Décidément, ce groupe de survivants étaient bien plus débrouillards qu'ils ne l'avaient pensé et ils ne cessaient de surprendre les deux jeunes hommes.
Beaucoup s'étaient rassemblés autour d'eux, rares étaient les étrangers qui avaient leur apparences ou leur âge, et surtout il y avait rarement de nouvelles têtes dans le Village.
Ils installèrent un peu plus tard leurs affaires. Comme beaucoup d'autres ils dormaient dans leur tente et c'était parfait ainsi. Minho était tout excité, comme un enfant ayant découvert une autre merveille ordinaire du monde. Ils ne réalisaient qu'après autant de temps à avoir marché seuls dans le désert ils avaient enfin trouvé un endroit où faire escale, avec d'autres humains sains d'esprits et de corps à en juger par leur mode de vie. Ils pourraient enfin se reposer.
Jisung avait laissé échapper un petit rire en le voyant sautiller partout et Minho avait senti ses organes fondre. Le rire de Jisung était doux, et il l'entendait rarement, alors encore une fois c'était magique, c'était la plus belle chose au monde à écouter.
La nuit était définitivement tombée, le Village s'endormait alors qu'un homme montait la garde, ils se relayaient chaque soir.
Alors Minho et Jisung décidèrent de partir se balader un peu et d'explorer le bâtiment. Ils l'avaient déjà vu mais une brève fois, lors de leur visite finalement.
Ils se dirigèrent instinctivement en direction des deux bassins qu'ils avaient vu auparavant. Après tout la chose était extraordinaire, de l'eau pure à profusion. Ils n'avaient jamais vu ça depuis le début de l'apocalypse. Et ils eurent raison de venir ici car l'atmosphère était idyllique. La Lune pleine éclairait l'endroit et sa lumière se reflétait sur l'eau, les murs étaient comme couverts d'étoile le bassin était semblable à un tapis de velours ou de satin selon les endroits.
L'envie de piquer une tête les titilla et ils se regardèrent hésitants. Ils étaient silencieux, admirant la pièce. Ils étaient en train de vivre une expérience si unique qu'elle leur coupait le souffle et les clouait au sol. Alors que ceux qui les avaient accueillis dormaient, ils en profitaient pour explorer leur habitation. Ils ne savaient pas si c'était correct mais ils admettaient qu'ils pouvaient se permettre, après des mois de solitude et de sécheresse.
Jisung pointa du doigt le bassin face à eux.
⠀⠀— On peut ? il murmura, comme si on risquait de l'entendre.
⠀⠀— Personne va savoir de toute façon, assura Minho sans s'en soucier.
Il ne perdit pas plus de temps à admirer l'endroit et se mit à se déshabiller. Il laissa ses vêtements s'écraser au sol les uns après les autres, à ses côtés. Le vent frais qui s'engouffrait par le puit gigantesque caressa sa peau mise à nue et il frissonna, avant de s'asseoir au bord du bassin pour y tremper ses pieds.
Jisung se faisait plus hésitant. Cela faisait si longtemps qu'il ne s'était pas baigné qu'il redoutait la sensation étrange que cela lui procurerait. Il jeta un œil à son ami, qui n'avait même pas pris la peine de garder une seule couche de vêtements sur lui. Alors il se résigna, souffla un bon coup, et commença à retirer son haut avec lenteur.
⠀⠀— Voilà, là, tu prends une bonne décision, le taquina Minho. En plus tu vas voir, elle est chaude.
Il esquissa un sourire en agitant ses pieds dans l'eau. La sensation était étonnante, très agréable. La dernière fois qu'il devait avoir nager devait sans aucun doute remonter à plusieurs années, avant ou après Jisung, il ne savait même pas. D'ailleurs il ne savait pas nager non plus, à proprement parler. Il savait patauger plutôt. Et il s'estimait chanceux de constater que dans ce bassin il avait largement pied.
L'eau n'était pas claire, ni translucide et loin de là. Elle n'était pas sale, mais le béton qui formait le bassin la rendait plus sombre. À certains endroits de la mousse poussait, et sa chaleur la blanchissait légèrement.
Le bruit que Jisung fit en plongeant tout entier dans le grand bain lui fit relever la tête. Quelques bulles remontaient à la surface alors qu'il distinguait difficilement le corps de Jisung, déformé par les mouvements de l'eau. Le silence qui suivit ne le dérangea pas, il observa son ami qui traversait tout le bassin dans sa longueur, en apnée, les bras tendus devant lui pour éviter de se prendre l'autre côté du mur.
Il ressortit de l'eau après l'avoir atteint. Minho inspira lourdement et sans le quitter des yeux, se laissa glisser en douceur dans l'eau. Jisung est un peu plus loin, dos à lui, se frottant probablement les yeux. Il avait du mal à détacher ses yeux de ses épaules musclées, de son épiderme griffé de cicatrices et de brûlures, de parts et d'autres. De son dos large et sculpté de deux omoplates mouvantes, et qui se terminait par un creux de reins et deux fossettes sur une taille étroite.
Il leva les yeux et tenta de ne pas y penser, de se concentrer sur l'eau qui lui arrivait jusqu'aux côtes — il avait mal calculé la profondeur du bassin — et qui caressait son corps à chaque mouvement, qui l'enveloppait chaleureusement et décontractait ses muscles encore endoloris par ces journées entières de marche. Il barbotait, laissait ses mains courir à la surface de l'eau et son corps flotter quelques instants. Il n'y avait pas meilleur sentiment que se baigner, finalement.
⠀⠀— Je crois qu'on a trouvé la clé du bonheur Jisung.
⠀⠀— Au moins, répliqua l'autre.
Minho esquissa un sourire. Puis il releva la tête en sentant Jisung s'approcher. Ses cheveux qu'il avait replacé en arrière collaient à son crâne, ça lui faisait bizarre de ne pas le voir avec ces mèches de cheveux rebelles lui tombant sur le front. Jisung nageait maladroitement dans sa direction, ses gestes étaient loin d'être coordonnés et il ressemblait à un petit animal découvrant l'eau pour la première fois.
Il s'arrêta à son niveau et resta face à lui. Il observa les traits du visage de Minho, ses joues humidifiés, dont l'une joliment marquée à jamais, et ses yeux plissés. Mais l'absence de sourire sur son visage le fit tiquer.
⠀⠀— On est en sécurité, alors qu'on est seuls... On se baigne dans une eau pure, naturelle, il insista sur ce mot, hésita un instant puis reprit. Alors pourquoi t'as pas l'air content ? Minho baissa la tête, évitant son regard. C'est toi qui me dit des trucs positifs comme ça d'habitude.
⠀⠀— Un mauvais pressentiment...
Minho avait marmonné cette phrase si bas que Jisung avait dû se la repasser dans sa tête, pour tenter de comprendre ce qu'il voulait dire.
Il fronça légèrement les sourcils et entrouvrit la bouche, comme pour respirer plus correctement.
⠀⠀— Pourquoi ? il demanda simplement.
⠀⠀— Je sais pas. Juste... il soupira et ne termina jamais sa phrase. On reste combien de temps ici ?
Minho se laissa tomber en arrière dans l'eau, mouillant sa chevelure et laissant le bruit des clapotis résonner dans ce grand espace.
⠀⠀— Le temps qu'on peut, Minho.
Jisung sentait qu'il voulait partir. Pas par soucis de confort mais plutôt par inquiétude.
Il savait que l'autre chatain avait souvent ce sentiment désagréable qui lui serrait la gorge ou lui donnait ces maux de crâne incessants,
qui lui prenait à chaque fois qu'il sentait un événement grave ou un danger approcher. C'était à croire qu'il était voyant. Il ne se trompait que rarement pour ne pas dire jamais.
Mais pour l'instant ils étaient en sécurité ici. Ils ne manquaient de rien et Jisung ne voulait pas risquer de partir maintenant, de laisser un village possédant peu de défense seul face à une menace si menace il y avait, alors qu'ils les avaient accueilli à bras ouverts. De quitter ce cocon dans l'empressement alors qu'ils ne craignaient peut-être pas grand chose.
Ils se laissèrent bercer par le silence, par le bruit des clapotis de l'eau. Allongé sur le dos et laissant le bas de son corps flotter, Jisung observait les reflets de l'eau contre les parois qui les entouraient. La pleine Lune les illuminait d'une telle force ce soir-là que ça le surprenait. Tout était étrangement calme, ils avaient l'impression que tous leurs problèmes et toutes leurs inquiétudes les avaient quitté l'espace d'un instant. Ils se demandaient si le paradis ressemblait à ça.
Jisung aimait bien cette tranquillité. Minho beaucoup moins, il aimait l'eau mais le silence et l'inactivité le rendaient très anxieux, et il lui arrivait de craquer mentalement à cause d'un manque de stimulation. Jisung le savait, mais il préféra laisser Minho se gérer seul et profiter encore un peu de cet endroit féerique. Ils se baignaient chacun de leur côté.
Jisung se redressa et se mit debout, et le soudain contact avec l'air lui provoqua un frisson. Il les sortit de l'eau et observa ses mains. Elles étaient flétries par sa longue baignade, pâles et légèrement enflées. Ça lui changeait de sa peau dangereusement sèche et éraflée.
Soudainement, deux bras s'accrochèrent lui, et l'encerclèrent. Son épiderme brûlante contrastait avec la fraîcheur de l'air, et c'était agréable, ça le réchauffait. Il hoqueta presque de surprise. Il ne s'attendait absolument pas à ce que Minho arrive par derrière et l'enlace. Car ils n'étaient vraiment pas du genre câlin, ou très tactiles. Ni du genre émotionnel, sauf quand l'un des deux faisait une crise de colère ou tout ce qui pouvait y ressembler. Lorsque l'un des deux craquait émotionnellement, à cause l'impact psychologique que leur faisait subir cette foutue apocalypse. Mais les câlins surprises ? C'était chose nouvelle.
Ils étaient immobiles, l'un respirant fortement, et l'autre ne le voyant pas étant dos à lui, confus.
⠀⠀— Qu'est-ce que tu fais ? murmura Jisung.
Minho inspira, puis expira, bruyamment. Il ne répondit pas, à la place il raffermit sa prise autour de son ami. Il nicha sa tête dans la nuque qui lui faisait face, et l'autre frissonna en sentant sa respiration irrégulière s'échouer contre sa peau.
⠀⠀— Ça va ? répéta Jisung, cette fois plus inquiet.
⠀⠀— Me quitte jamais, Jisung, lâcha fébrilement Minho, et le nommé sentit son cœur tomber dans son estomac. Vraiment je... je sais pas ce que je ferais sans toi. T'es la chose la plus précieuse à mes yeux. Me laisse jamais, m'abandonne pas.
Jisung tenta de desserrer la prise que l'autre avait sur lui, et il se tourna pour lui faire face. Les mains de Minho s'accrochaient toujours désespérément à ses côtés, et malgré la petite douleur qu'il ressentait, il n'en dit rien. C'était futile.
⠀⠀— Eh.
Il encercla ses joues de ses mains humides, et lui fit relever légèrement la tête. Alors il croisa le regard brillant de Minho, dont le visage pourtant toujours si pétillant, était déformé par l'angoisse. Il rapprocha davantage leurs visages, alors que la lèvre de son ami tremblotait, et il accrocha son regard, alternant entre ses deux pupilles sombres.
⠀⠀— Je... commença Minho, mais les mots restèrent bloqués dans sa gorge sèche.
⠀⠀— Quand je te dis que même la mort ne nous séparera pas, je suis sérieux, il chuchota, et une phrase n'avait jamais sonné aussi sincère. Y'a pas de Minho sans Jisung, et vice versa. Jamais, tu m'entends... jamais, ni rien, ni personne, ne nous séparera.
Minho expira une nouvelle fois, comme si la voix de Jisung l'avait tenu en apnée, comme si l'inquiétude pendant un instant avait pris possession de lui, comme s'il avait redouté la réponse de Jisung. Mais ses doutes s'étaient allégés, et son cœur battait un peu trop fort.
⠀⠀— Jisung...
Celui-ci secoua la tête, sachant pertinemment ce que lui demanderai le garçon à la chevelure auburn face à lui.
⠀⠀— Minho, je t'aime, n'en doute jamais. Je tiens plus à ta vie qu'à la mienne, je me sacrifierai mille fois pour toi, je t'aime plus que tout. C'est toi mon tout. Sans toi, je suis rien.
Le silence résonna alors que Jisung termina sa phrase. Il avait débité ces mots sans une once d'hésitation.
Jisung n'était pas du genre à parler de ses sentiments, de ses émotions, ni de parler tout court d'ailleurs. Mais que Minho soit dans un tel état d'angoisse, et qu'il puisse douter de ce qu'il ressentait pour lui, de comment il le considérait, c'était insurmontable. C'était trop douloureux. Il devait le rassurer, lui assurer que la seule chose, la seule personne qui était importante à ses yeux était Minho. L'apocalypse, la faim, la soif, le danger, les intempéries, la maladie... Toutes ces choses qui menaçaient sa vie n'étaient rien, pas même une poussière, contrairement à l'idée de perdre Minho.
Affectueusement, il dégagea le front de Minho et y déposa un baiser. Puis naturellement, d'un commun accord, ils se prirent dans les bras l'un de l'autre, réduisant la distance qui les séparait. Leur nudité complète ne les arrêta pas, ils n'y firent même pas attention. À cet instant, ils avaient besoin d'être proches, de sentir le cœur de l'autre battre contre leurs corps. De sentir leurs cheveux mouillés s'égoutter lentement sur leurs épaules frisonnantes. De sentir leur souffle s'échouer sur leur épiderme humide.
Jisung avait besoin de sentir les bras de Minho faire le tour de sa taille, les resserrant à chaque fois que sa prise se défaisait. Minho avait besoin de sentir les mains de Jisung caresser tendrement son dos, de la pulpe de son pouce. Il ferma les yeux et se laissa bercer par les lents mouvements que faisait Jisung pour calmer ses tremblements.
⠀⠀— Ça va aller, bafouilla Minho, comme pour se rassurer.
⠀⠀— Ça va aller, répéta Jisung, avec plus d'assurance. On va survivre- non, on va vivre, et heureux. Je te promets.
Ils restèrent là, silencieux et étreints, pendant un long moment. De temps en temps ils se murmuraient que tout irait bien, qu'ils resteraient ensemble, et c'était la plus belle des promesses.
⊹
TW : plusieurs descriptions
graphiques de blessures dans
la prochaine partie
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