cinquante-et-un.
JIHUN AVAIT BIEN COMPRIS que son grand frère s'échappait le temps d'une longue semaine du foyer familial pour partir avec tous ses copains, dans le sud apparemment, dans une grande maison lumineuse et au jardin doté d'une piscine. Il n'était pas jaloux, quoiqu'il rêvait lui aussi de partir avec pleins d'amis pendant les vacances d'été, et de passer des journées entières à jouer aux jeux videos, à manger des glaces à se baigner. Pas à accompagner sa mère voir ses grands-parents ou des expositions dont il n'avait franchement pas grand chose à faire.
Il n'avait pas spécialement envie de se retrouver seul avec sa génitrice. Même s'il savait qu'il aurait plusieurs occasions d'aller faire les boutiques avec elle, et de négocier pour se faire gâter, de Lego s'il avait un peu de chance, ou de voiturettes. Ou peut-être même d'un costume de Spiderman.
Mais Jisung ne serait pas là, et il avait beau se chamailler souvent avec lui, il ne se sentait en sécurité qu'en sa compagnie. Il avait parfois un peu trop peur que sa mère ne s'énerve contre lui sans qu'il ne comprenne trop pourquoi. Alors il préférait quand Jisung râlait car il devait s'occuper de lui plusieurs jours d'affilée.
Il s'approcha à pas feutrés de la chambre de Jisung, dont la porte était fermée. Il souffla un coup, et ouvrit la porte, avant d'arborer un sourire mesquin.
⠀⠀— Jisung ?
Le nommé soupira fortement, déjà agacé, et décolla les yeux de son téléphone pour les poser sur son petit frère venu le déranger.
⠀⠀— Oh tu me fais chier à rentrer dans ma chambre comme si c'était la tienne. Bouge !
Jihun inspira longuement, la mine choquée, puis il pointa son frère du doigt.
⠀⠀— Je vais dire à maman que tu dis pleins de gros mots devant moi !
⠀⠀— On montre pas du doigt.
⠀⠀— Sauf si tu m'achètes une glace.
⠀⠀— Espèce de petit roublard.
⠀⠀— J'suis pas petit, il bougonna. Ça veut dire quoi roublard.
⠀⠀— Que ta glace tu l'auras dans tes rêves si tu pries assez fort. Tu me laisses tranquille maintenant ?
⠀⠀— Je peux te demander un truc ? Il rallongea la dernière syllabe, se tortillant sur lui-même, par peur que son aîné ne refuse sa demande.
Jisung soupira.
⠀⠀— Demande toujours...
⠀⠀— On peut aller chez l'antiquaire ? Et on se balade après. Et tu m'achètes une glace.
La mine de Jisung se fit de suite plus sérieuse.
⠀⠀— Pourquoi tu veux aller chez l'antiquaire ?
⠀⠀— Parce que y'a l'ange, et ça fait longtemps qu'on y est pas allés. Il se redressa soudainement, sourire aux lèvres. Pourquoi on achète pas l'ange ?
Jisung leva les yeux au ciel.
⠀⠀— Parce qu'on a pas les moyens d'acheter une ancienne décoration d'église à plus de neuf cent balles, Jihun. Jihun ne sembla pas vraiment comprendre sur le moment. En même temps, à son âge, comment pouvait-il comprendre la notion de l'argent et de la préciosité. Puis, Jisung reprit. Tu veux y aller cet après-midi ?
⠀⠀— Ouiii ! s'exclama le plus petit en reprenant sa mine enjouée.
⠀⠀— Okay...
Jisung ne bougea pas. Il resta immobile et plissa les yeux, regardant toujours son petit frère, qui s'impatienta, et le supplia d'y aller.
⠀⠀— Allez Jisung....
⠀⠀— Une seule boule de glace par contre faut pas déc- il marqua une pause, s'empêcher de jurer de justesse. Faut pas abuser non plus.
Jihun poussa une exclamation et disparut du champ de vision de son frère, courant dans sa chambre pour se préparer à sortir.
Jisung souffla. Il n'avait pas assez d'énergie pour sortir mais bon, il fallait bien qu'il s'occupe de son petit frère à un moment donné.
Il se leva lentement, assailli par la lassitude, et fouilla dans ses tiroirs pour en sortir un large pantalon noir. Il risquait de mourir de chaud mais il s'en fichait, il n'était pas d'humeur à exhiber ses petites jambes. Avec sa paire de baskets vertes et un t-shirt sans manches plus ou moins dans les mêmes tons, cela ferait parfaitement l'affaire. Puis il fourra ses affaires essentielles dans sa petite sacoche, enfonça une casquette sombre sur son crâne, et rejoignit son petit frère qui attendait déjà devant la porte d'entrée grande ouverte.
⠀⠀— Mais laisse moi mettre mes chaussures quand même !
Il lui fallut peu de temps pour nouer ses lacets, récupérer ses clés et fermer la porte à double tour derrière eux.
Ils marchèrent un peu, peut-être beaucoup, environ vingt minutes qui permit au plus jeune de se dégourdir les jambes. Jisung se sentait tranpirer mais il s'en fichait un peu. Il dut tenir la main de Jihun pour traverser la rue, avant qu'il ne parte pas en courant sans regarder les feux de circulation destinés aux piétons. Jihun avait du mal à rester calme là plupart du temps.
Puis enfin, il aperçut de loin la boutique. Cette fameuse boutique d'antiquaire où son père l'amenait souvent quand il était petit, et où il emmenait maintenant Jihun, comme pour perpétrer une tradition qui avait à peine eut le temps d'exister.
Ils passèrent la porte d'entrée et celle-ci tinta, annonçant leur présence. Une odeur de vieux bois et d'objets anciens les frappèrent, mais pas de manière désagréable. Au fond, un homme apparut d'une ouverture exiguë qui donnait il ne savait où, et en reconnaissant les deux frères, il ne put réfréner un sourire et vint les saluer chaleureusement. Puis il les laissa explorer la boutique, comme à chaque fois. Ils étaient bien les seuls à ne jamais rien acheter qu'il tolérait dans sa boutique.
Ils s'avancèrent dans le fond de la boutique qu'ils connaissaient bien, constatant que certains objets manquaient, remplacés par d'autres nouvelles acquisitions tout aussi vintage que les précédentes.
Mais lorsqu'ils s'arrêtèrent devant le dernier coin de la pièce, là où l'ange en bois laqué se tenait habituellement, ils froncèrent les sourcils.
Il n'était plus là, seul le socle en bois restait, une trace marquée sur sa surface.
⠀⠀— Il est où l'ange ? demanda innocemment Jihun.
Jisung sentit son coeur louper un battement.
⠀⠀— Euh, je sais pas... Il fit quelques pas en arrière et s'adressa un peu plus fortement au propriétaire de la boutique, pour qu'il l'entende. Monsieur ? Vous avez vendu la statue de l'ange ?
Celui-ci arriva au bout de quelques secondes, ses lunettes rectangulaires au bout de son nez.
⠀⠀— L'ange ?
⠀⠀— Oui, celui-ci qui était là, Jisung montra l'endroit vaquant du doigt.
⠀⠀— Ah oui ! Effectivement, un collectionneur d'objets liturgiques, un vrai personnage... Il commençait à ajouter des statues et des moulures à sa collection... Il fronça les sourcils en remarquant l'air penaud des deux garçons. Pourquoi, vous le vouliez ?
⠀⠀— Hein ? Ah non ! Vous en faites pas, c'est pas vraiment ça, le rassura Jisung avec empressement.
L'homme se sentit coupable. Il savait pertinemment que les deux garçons avaient perdu leur père plusieurs années auparavant, mais il ignorait tout du fait que cet ange représentait sa dernière présence sur terre. Il se sentait coupable en voyant leurs mines déçues cela dit. Alors il adressa un sourire désolé à Jisung et s'isola à nouveau.
Jisung se pencha vers Jihun après un cours moment de réflexion.
⠀⠀— Bon. Disons que... que l'ange est reparti dans le ciel pour veiller sur nous, à côté de papa. C'est son boulot d'aller voir les gens au paradis après tout. Je t'avais dit, tu sais.
⠀⠀— Oui, oui... murmura le plus jeune.
⠀⠀— On le reverra plus, mais c'est pas une mauvaise chose tu sais, il assure à Jihun.
Parce que son père lui avait répété que de la haut, il serait leur ange gardien. Sur son lit d'hôpital, avec ses joues creusées et son teint pâle à en faire peur, il lui avait juré qu'il n'abandonnerait jamais ses fils. Qu'il ne l'abandonnerait pas.
⠀⠀— Papa non plus on le voit plus, mais c'est une mauvaise chose ?
Jihun leva les yeux vers son grand frère, incertain de ce qu'il disait. Cette phrase fut comme un coup de poing dans l'estomac de Jisung, qui sentit quelques larmes lui monter aux yeux. Il sentait cette boule désagréable se former dans sa gorge et les souvenirs flous de son père réapparaître.
Il bégaya quelques mots incompréhensibles puis se reprit.
⠀⠀— Bon allez, on y va... On va se balader.
Il salua l'antiquaire, de sa voix chevrotante, et lorsqu'il poussa la porte, l'air de la rue lui fit du bien. Il sentait sa respiration devenir difficile et il n'aimait pas cette sensation désagréable qui le prenait et qui lui donnait envie de rentrer chez lui, de s'arracher les poumons et de pleurer jusqu'à en être desséché.
⠀⠀— Jisung, Jihun tira légèrement sur son pantalon, et il baissa la tête vers son petit frère. Tu sais je suis pas bête, je sais que c'est juste une statue. Mais j'aime y croire, comme au Père Noël. Parce que je me dis que papa il est heureux là-haut, et c'est trop cool qu'un ange vienne te rendre visite quand même.
Jisung haussa les sourcils, choqué par les mots de son frère. Il ne s'attendait pas à une réaction aussi mature de sa part. À une compréhension aussi rapide de la situation. Il lui adressa un sourire chaleureux.
⠀⠀— Si tu savais comme je suis fier de toi, il souffla difficilement, et une larme perla au coin de son œil.
Il l'avait sous-estimer à force de le protéger,
⠀⠀— Il te manque à toi, papa ?
⠀⠀— Oui, beaucoup, ricana nerveusement Jisung, alors qu'il commençait à pleurer.
Alors Jihun le prit dans ses bras, l'entoura de ses petits bras. Et Jisung pleura encore plus fort, une main sur l'épaule de son petit frère et l'autre cachant son visage, essuyant du revers les grosses larmes qui ne voulaient pas s'arrêter de couler.
⠀⠀— Tu t'occupes tout le temps de moi, continua Jihun de cette voix calme et rassurante, qui ne ressemblait pas à celle d'un enfant de huit ans. Mais moi aussi je peux m'occuper de toi.
⠀⠀— Oui, oui bien sûr, ria Jisung entre deux sanglots.
⠀⠀— Et au pire t'en fais pas, papa il veille sur moi mais il veille sur toi aussi de là où il est.
Jisung essayait de protéger son petit frère, et en vain. Il l'aimait de tout son cœur et pourtant, il ne supportait le poids de cette responsabilité qui pesait sur ses épaules et alourdissait son esprit. Vraiment, il devait voir un psychologue, il en était persuadé. Et peut-être convaincre sa mère qu'elle devait s'occuper de son deuxième fils, pas laisser la charge à son aîné.
Le fait était que Jisung détestait son enfance. En fait, il détestait le souvenir qu'il en avait, parce qu'il ne se rappelait que de ses mauvais moments. Il ne se souvenait que de la maladie de son père, des enfants qui se moquaient de lui dans la cour de récréation et des stylos qui lui cognaient l'arrière du crâne, alors qu'il pleurait silencieusement à sa table au deuxième rang. Il se rappelait les crises de colère de sa mère qu'il ne comprenait pas, ou plutôt qu'il interprétait mal du haut de ses dix ans à peine. Il se souvenait qu'il pensait être une erreur, être la raison pour laquelle sa mère allait si mal, qu'elle le détestait et que si il n'était pas là, sa famille se porterait sûrement mieux. Il pensait bêtement que c'était de sa faute tout ça, la mort de sa grand-mère aussi, qu'il avait dû encaisser seul.
Les rires à la cantine alors qu'il n'aimait jamais la nourriture dans son plat, qui marinait dans une sauce écoeurante, les rires avec ses soi-disants meilleurs amis qu'il aimait de tout cœur avant de comprendre qu'il ne les reverrait plus jamais et pas seulement à cause de la distance et des différents établissements scolaires, il ne s'en souvenait plus. Les côtés négatifs de son enfance refaisaient sans cesse surface et le noyait dans une colère sourde impossible à calmer. Ses souvenirs réveillaient sa tristesse et son éternelle solitude se faisait sentir, même s'il savait qu'il n'était pas seul.
Simplement, cette période lui manquait. Cette époque où il ne comprenait pas, où il ne ressentait pas toute cette peine.
Toute cette insouciance.
Parce que si jeune, il n'avait pas réalisé et était passé au dessus de tout ça, de tout cet amas d'émotions négatives. Aujourd'hui, il réalisait tout, et chacune de ses réalisations était une fine lame qui glissait sous sa peau et le faisait lentement saigner de quelques gouttes. C'était du regret, des remords. Il se détestait de ne pas avoir compris toutes les fois où il n'était pas le problème. Il se détestait, aujourd'hui, tout court. Et c'était la pire des sensations.
Alors il voulait épargner ces souvenirs à son frère. Il ne voulait pas le protéger de tout mais au moins lui laisser profiter de cette innocente insouciance, avant d'affronter la violence de la vie d'adulte.
⠀⠀— On va chercher une glace ?
ᨒ
super joyeux je sais 😋
j'espère vraiment qu'il
vous a plu ce chapitre,
il devait être court mais
bon, je trouve qu'il était
nécessaire <3 (g pas relu)
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