Lorsqu'un doux soir de juin, M. Choi rentra chez lui et annonça à son épouse d'une voix claironnante qu'ils partaient en croisière, cette dernière lui ordonna avant toute chose de baisser d'un ton.

"- Tu vas réveiller Soobin !"

M. Choi baissa la voix, ce qui ne diminua nullement son excitation. Ils allèrent s'installer au salon et Madame Choi sortit des verres et une bouteille de soju du buffet.
Impatient, son mari commença son récit :
Il avait eut une avance au travail et avait aussitôt pensé à se servir de cet argent pour réaliser leur rêve de jeunes mariés : une croisière.

"- Nous partons après-demain !"

Mme Choi étouffa un cri de stupeur et sauta au cou de son mari, renversant au passage le verre rempli qu'elle avait posé sur la table basse devant elle. Aucun d'eux n'y prêta attention. À cet instant, ils oubliaient le verre brisé mais aussi les cris du vendredi soir, les journées entières sans se parler, les portes claquées...
Le couple Choi savait que son mariage battait de l'aile et cette croisière était peut-être la première étape qui apaiserait les tensions. Pour un temps, en tout cas.

"- Soobin !"

Debout dans l'encadrement de la porte du salon, son doudou lapin Kookie sous le bras, le petit garçon regardait ses parents, un air interrogateur dans ses yeux ensommeillés. Ses chevilles dépassaient du pantalon de pyjama que sa mère avait pourtant acheté deux tailles au-dessus car "cet enfant grandissait à vue d'oeil".

"- Qu'est-ce qui se passe ?

- Ne t'en fais pas mon chéri. Nous t'expliquerons tout ça demain."

Madame Choi raccompagna son fils se coucher et le borda. Le petit garçon ferma bien vite les yeux et la mère sortit doucement.

Aussitôt qu'elle fût partie, Soobin rouvrit les yeux. Allongé sur le dos, le regard fixé sur son plafond au papier peint étoilé, il réfléchit. Il réfléchissait beaucoup pour son âge. Son environnement le menait à des réflexions que beaucoup de ses camarades n'envisageraient que bien plus tard.

Maman et Papa avaient l'air heureux, ce soir. Soobin préférait ça. Ces temps-ci, ils avaient eut tendance à beaucoup crier. À se disputer pour des choses qu'il ne comprenait pas vraiment mais souvent pour des choses bêtes comme le repassage dont Maman avait assez de faire. Maman parlait souvent de "prendre un emploi" mais Papa trouvait l'idée "déraisonnable".

Quand Soobin avait raconté tout ça à son amie Arin à la récréation, elle lui avait expliqué :

"- Ta maman veut travailler.

- Mais pourquoi Papa ne veut pas ?

- Parce que pour certains, le travail c'est pas pour les filles."

Face à cette révélation, Soobin était resté perplexe et Arin lui avait raconté ce qu'elle savait sur les inégalités entre les filles et les garçons.

"- Mais si ton papa et ta maman ne sont vraiment plus d'accord sur rien alors il ne restera plus qu'une solution." avait-elle fini par dire.

"- Ah bon ? La quelle ?

- Le divorce." avait-elle répondu.

Depuis, ce mot flottait comme une menace au-dessus de Soobin chaque fois que ses parents élevaient un peu la voix. Il ne comprenait pas complètement sa signification mais il saisissait l'essentiel, c'est à dire la séparation. À ses yeux, le DIVORCE était une espèce de gouffre de part et d'autre duquel ses parents se trouvaient, et lui, juché sur un pont branlant, tiraillé entre les deux.

Oui. Le DIVORCE était ce qui pourrait arriver de pire.

Mais ce soir, ils avaient l'air heureux. Et quand ses parents étaient heureux, Choi Soobin l'était aussi.

⋆⭒˚.⋆

Une petite foule empressée se massait sur le quai du port de Incheon.

Parmi les femmes aux robes froufrouteuses, les hommes en smoking et leurs bagagistes, la famille Choi patientait elle aussi, certes sans valet mais d'aspect non moins respectable. 

Monsieur portait trois malles de voyage, Madame son fourre-tout et Soobin tripotait nerveusement les boutons de son gilet. Deux jours s'étaient écoulés l'annonce de ce départ.
Quand ses parents lui avaient exposé leurs projets, il leur avait fait son plus beau sourire qui ne laissait pas douter de son ravissement. Il n'avait cessé de le regretter depuis. En effet, on a omit de mentionner un détail en ce qui concerne Choi Soobin.

Du haut de ses cinq ans trois quarts, Choi Soobin éprouvait une immense aversion, teintée de terreur envers l'eau, ou plutôt de ce qu'elle pouvait faire.

Tout avait commencé quand il avait à peine quatre ans. En jouant, il avait glissé dans la piscine gonflable destinée aux plus âgés du jardin d'enfants. Déstabilisé par cet élément inconnu, il avait été paralysé de panique, incapable de respirer, et se serait sans doute noyé si, Arin, déjà protectrice avec lui à l'époque ne l'avait pas tiré la tête hors de l'eau.
Cet épisode hantait ses pires cauchemars mais, honteux de sa faiblesse, il n'avait jamais osé en parler à personne, même à sa propre mère. Seule son amie Arin était au courant et elle avait juré-craché d'emporter ce secret dans la tombe.

On comprend donc que la perspective de se trouver pendant plusieurs jours entouré du fruit de ses plus grandes terreurs n'enchante guère Soobin. Il n'avait pas peur de l'eau. C'était la sensation d'impuissance qu'il avait ressentit allongé seul dans cette maudite piscine gonflable qui le terrifiait tout simplement.

"- Ah, le voilà !"

En effet, le bateau approchait. C'était un impressionnant paquebot à étages. Soobin plissa les yeux pour déchiffrer ce qui était inscrit sur sa coque. Le Vagabond.

"- C'est le nom du bateau." expliqua M. Choi à son fils.

Bien vite, Le Vagabond accosta dans le port et la famille s'embarqua pour une croisière qui promettait d'être riche en événements.

⋆⭒˚.⋆

"- Mon lapin, tu ne veux pas visiter le bateau avec Papa ?"

Soobin avait passé la dernière heure à regarder la terre s'éloigner, et avec elle tout espoir d'échapper à ce séjour sur les flots.

Ils se trouvaient dans la cabine qu'ils partageraient les dix prochains jours.
C'était le concentré douillet d'un salon et de deux chambres, le tout complété par une salle de bain.

Mme Choi s'était déjà approprié les lieux en défaisant ses bagages et à présent, elle brodait soigneusement un mouchoir, tâche dans laquelle elle s'interrompit pour parler à son fils.

"- Je n'en ai pas très envie." répondit très honnêtement Soobin. "Je me sens bien ici.

- Oui, laisse-le un peu tranquille, Hyerin." intervint sèchement M. Choi. Apparemment, l'euphorie du départ s'était évaporée et l'air était de nouveau électrique entre le couple.
Soucieux d'éviter la dispute, Soobin se tourna vers sa mère.

"- Il est joli, ce mouchoir. Oh, tu as brodé un S ! Un S... pour... Siwon ?" il se tourna vers son père. "Maman te fabrique un mouchoir, c'est pas chouette, Papa ?

- Non non mon chéri..." rectifia Mme Choi d'une voix douce. "C'est le S de Soobin.

- Ne sois pas stupide, fils. Il ne viendrait jamais à l'idée de ta mère de me faire un cadeau !

- Oh, ne commence pas !"

En évitant une première explosion, Soobin en avait provoqué une autre. Alors que l'un et l'autre élevaient la voix, le petit garçon descendit de sa banquette, attrapa la patte de son doudou lapin et boutonna lui-même son gilet.

"- Allons nous promener, Kookie."
Évidemment, la peluche ne répondit pas mais Soobin la serra contre lui pour se donner du courage.
Tous autres les passagers s'installaient dans leurs propres cabines, laissant le pont désert. Incertain, Soobin le traversa et longea la balustrade.
Le coeur gros, il s'y accouda et risqua un coup d'oeil par-dessus bord. Comme irrésistiblement attiré par la source de ses cauchemars, il se pencha un peu plus. Son estomac se contracta désagréablement et il se demanda s'il allait vomir.

"- Ne te penche pas comme ça !"

Soobin sursauta si fort qu'il tomba en arrière sur le sol de bois.
Près de lui, tranquillement assis sur la rambarde, un garçon qui devait avoir son âge le regardait. Soobin s'étonna de ne pas l'avoir remarqué. Il tenait la barre de fer forgé d'une seule main et laissait ses jambes fines balancer dangereusement dans le vide. Il les passa de son côté et sauta lestement à côté de Soobin à qui il tendit la main. Il la prit.

"- Heureusement que tu es tombé de ce côté-ci... Comment tu t'appelles ?

- Soobin." répondit Soobin en époustant ses vêtements avant de ramasser Kookie qu'il avait lâché dans sa chute, heureusement pas par-dessus bord. "Et toi ?" demanda-t-il au garçon.

"- Yeonjun." répondit celui-ci. "Tu as encore une peluche, Soobin ?

- Oui." répliqua-t-il, un peu sur la défensive en serrant Kookie contre lui.

"- Et en plus, tu as boutonné Pierre avec Paul." ajouta l'autre avec un petit sourire moqueur. "Tu es vraiment un bébé.

- Je ne suis pas un bébé !" s'exclama Soobin, indigné, rougissant légèrement en voyant que le garçon avait raison. "J'ai cinq ans trois-quarts je te signale ! Tu as quel âge, toi ?

- Six ans et des patates." répondit tranquillement Yeonjun. "Je suis plus grand que toi. Alors écoute ton hyung et arrête de t'approcher du bord comme ça."

Ne trouvant rien à répondre, Soobin suivit son aîné qui s'éloignait nonchalamment et en profita pour boutonner correctement son gilet. Les deux garçons longèrent la balustrade ensemble et parvinrent sur le pont avant. Yeonjun marchait d'un pas assuré, absolument pas perturbé par le rythme des vagues contre la coque.

"- Tes parents sont avec toi ?" interrogea le plus jeune, avide d'en apprendre plus sur son aîné.
Celui-ci bomba fièrement le torse.

"- Mon père est le capitaine de ce bateau. Ma mère est restée à Séoul.

- Waouh !" fit Soobin, impressionné.

"- Je connais Le Vagabond comme ma poche. Je te fais visiter, si tu veux.

- C'est vrai ? Super !

- Suis moi !"

À présent dénué de toute crainte, Soobin emboîta le pas à son nouvel ami, son pauvre doudou lapin ballotté au bout de son bras.

⋆⭒˚.⋆

Ce soir là au dîner, la table réservée de la famille Choi au restaurant du navire était plutôt silencieuse.

Madame et Monsieur ne se parlaient pas. Madame voulu assaisonner son plat, Monsieur également et tous deux se foudroyèrent du regard au-dessus de la tête de leur fils, la main tendue vers la salière. Pas perturbé le moins du monde, Soobin croisa proprement ses couverts dans son assiette vide.
Madame l'imita alors que sa propre assiette était encore à moitié pleine. Elle appela un serveur qui débarrassa leur plats, laissant Monsieur finir. Elle commanda également le dessert pour Soobin.

"-Je vous prendrais aussi un café." le serveur hocha poliment la tête et se retira.

"- Depuis quand bois-tu du café le soir ?" interrogea Monsieur. Le serveur revint, servit à Soobin la panacota comprise dans son menu enfant et la tasse de café avec sa soucoupe devant Madame.

"- Depuis que supporter ta présence me demande tant d'énergie."

Le ton était froid mais le café brûlant et elle y ajouta un sucre avant de remuer. Monsieur s'était crispé. Et entre eux, Soobin dégustait sa panacota. Il pensait à son nouvel ami Yeonjun, à ce qu'ils avaient fait aujourd'hui et ce qu'ils feraient demain.
Si on faisait abstraction de la tension croissante entre ses parents, cette croisière ne serait peut-être pas si terrible, finalement.

⋆⭒˚.⋆

"-... et alors, Arin m'a sorti de l'eau, de justesse." La voix de Soobin tremblait légèrement et il serra Kookie contre lui. "J'en fais encore des cauchemars..."

Yeonjun leva la main et tapota gentiment l'épaule de son cadet.

"- Ne t'en fais pas.

- Tu me trouves ridicule, hein ?

- Pas du tout." répliqua aussitôt Yeonjun. "Tu as été très courageux." Et il lui sourit. "Je suis le seul à être au courant, alors ?

- Tu es le seul avec Arin."

Ils restèrent silencieux un moment.

"- C'est la première fois que je vois d'aussi haut." remarqua Soobin.

"- Tu as le vertige ?

- Pas du tout."

Ils étaient tous deux dans le nid de pie condamné, utilisé sur ce bateau comme une espèce de décoration, souvenirs de temps révolus.
Si sa mère le voyait ainsi à une quinzaine de mètres du sol, elle ferait sans doute une belle crise cardiaque. Mais elle devait être en train de se promener à Kyushu avec des amies qu'elles s'était faite.
Le Vagabond avait fait escale à cette île japonaise, où les passagers avaient la possibilité de se promener durant une demi-journée. Prétextant une grande fatigue, Soobin avait pu éviter cette sortie pour rester avec Yeonjun.
Il était infiniment plus intéressant que n'importe quel monument. Il savait beaucoup de choses et Soobin adorait l'écouter parler. Il lui avait déjà raconté l'histoire de Moby Dick, le terrible cachalot.

"- Est-ce qu'il y a des cachalots près d'ici ?

- Des cachalots, je ne pense pas mais au large de Jeju, on peut voir des dauphins et parfois même des baleines ! C'est rare mais je suis sûr qu'au moins une viendra te dire bonjour !"

Soobin frissonna.

"- Je ne sais pas si serais assez courageux pour faire face à une baleine. J'aurais trop peur qu'elle m'emporte..." il se mit à trembler encore plus fort.

"- Ne t'en fais pas, je serais là pour te protéger. Et puis, les baleines sont très gentilles..."

Yeonjun passa un bras autour des épaules de son dongsaeng et tous deux profitèrent de la vue.

⋆⭒˚.⋆

Au beau milieu de la nuit, Soobin se réveilla en sursaut. Quel horrible cauchemar. Tandis que le mauvais rêve s'estompait déjà, il jeta un regard circulaire autour de la cabine plongée dans la pénombre.
Son coeur failli alors s'arrêter de battre. Dans l'obscurité des formes imprécises se mouvaient. Devant ses yeux, un cétacé phosphorescent se forma. Soobin le reconnu aussitôt : Moby Dick !

Il voulu crier mais aucun son ne passa la barrière de ses lèvres. Des larmes de peur roulèrent sur ses joues. Paniqué, il sauta de son lit et, fendant la masse des fantômes muets, il tâtonna pour trouver la porte. Parvenu dehors, il se mit à courir, pieds nus sur le sol de bois froid. Il voulait fuir. Fuir loin d'ici. Il se heurta brusquement à la rambarde et il sentit une véritable terreur le saisir aux entrailles. Il était coincé, il-

"- Soobin !!"

Cette voix... puis une vive douleur à la joue droite. C'était comme si Soobin émergeait d'un long sommeil. Yeonjun le tenait par les épaules et le secouait comme un prunier.

"- Soobin, tu m'entends ?

- Je...

- Tu as été somnambule, Binnie." murmura Yeonjun d'une voix douce. "Calme toi, respire."

Soobin obéit, inspira un grand coup puis éclata en sanglots alors que Yeonjun nouait ses bras fins autour de lui.

La nuit était claire, la mer calme. On n'entendait rien mis à part les clapotis de l'eau contre la coque du bateau. Le Vagabond dormait, tout comme ses passagers. Et réfugiés tout là-haut dans leur nid de pie, Soobin écoutait Yeonjun avec passion.

"- Tiens, tu n'as pas prit Kookie avec toi." remarqua le plus âgé.

"- Ah oui... j'imagine que j'avais trop peur pour penser à lui...

- Tu tiens beaucoup à lui, n'est-ce pas ?

- C'est vrai. Il est mon meilleur ami avec Arin. Ils sont toujours là pour me réconforter."

Yeonjun parut se renfrogner.

"- Tu parles beaucoup de cette Arin. Elle doit savoir beaucoup de choses sur toi que j'ignore...

- Ce n'est pas vrai." répliqua Soobin. "Elle ne sait pas que je fais des cauchemars pareils..."

Son aîné eut un petit sourire. Sourire qui s'élargit quand son cadet demanda :

"- Tu peux m'en dire plus sur les baleines ?

- Bien sûr. Tu savais que leur cœur faisait la taille d'une petite voiture ? Il paraît qu'il bat seulement huit à neuf fois par minute, tu te rends compte ?

- Et notre cœur à nous, il bat à quelle vitesse ?" demanda Soobin, intéressé, oubliant peu à peu son mauvais rêve.

"- Je dirais entre 50 et 150 battements par minute... Attends." Il se pencha. "Tu as encore mis Jean avec Jacques." Il boutonna correctement le gilet de Soobin qui le laissa faire, les yeux brillants.

"- Et voilà." Yeonjun sourit. Soobin ne savait pas à quelle vitesse battait son cœur à cet instant. Mais il était certain que cela dépassait les 2000 battements par minute...

Soudain, un bruit étrange s'éleva dans la nuit. Terrifié, Soobin saisi le bras de Yeonjun qu'il serra avec force. Celui-ci le sentait trembler. Lui ne tremblait pas. Passant un bras autour des épaules de son cadet, il l'amena contre lui pour le rassurer.

" - Chut... écoute.

- Hyung, qu'est-ce que c'est...?" Soobin était au bord des larmes.

"- Le chant des baleines." Soobin écarquilla les yeux et se tut complètement.

Le chant des cétacés semblait résonner à la fois autour d'eux et en eux, faisant vibrer leurs cœurs. Serré contre Yeonjun, Soobin ne tremblait plus. Le plus âgé regarda la mer. Il vit une immense ombre passer sous la surface éclairée par la pleine lune. Les clapotis contre la coque du Vagabond devinrent plus sonores. Le paquebot tangua doucement sur le passage des immenses mammifères marins. Quand leur chant se tut, Yeonjun jeta un œil vers Soobin. Le plus jeune s'était endormi, sa tête basculant sur son torse. Son visage exprimait une telle quiétude, une telle sérénité qu'il n'osa pas le réveiller. Avec un sourire attendri, le garçon enleva sa veste et en recouvrit son cadet. Puis, le tenant par le menton, il posa délicatement sa tête sur sa propre épaule. Resté en t-shirt, Yeonjun sourit de plus belle. Il n'avait pas froid. Un doux sentiment avait germé dans son cœur, le réchauffant tout entier.

⋆⭒˚.⋆

"- Ça va mon lapin ? Tu m'as l'air patraque ce matin." Soobin triturait sans grand appétit les quelques céréales qui se battaient dans son bol de lait.

"- D'ailleurs, ou est Kookie ? Tu l'as perdu ? C'est pour ça que tu es triste ? Je suis sûr qu'on va le-

- C'est pas ça." rétorqua sèchement le petit garçon. Mme Choi parut surprise. "Je n'ai plus vraiment besoin de Kookie, tu sais. Je n'ai pas très faim. Je peux sortir de table ?"

Sa mère hocha la tête et regarda son fils traverser la salle de restaurant. Elle trouva qu'il avait beaucoup grandit.
"Espérons qu'il ne ressemble pas trop à son père..."
Elle se tourna vers son mari. Monsieur lisait son journal. Mme Choi soupira. Oui. Espérons.

⋆⭒˚.⋆

Si Soobin était resté une seconde de plus en compagnie de ses parents, il aurait fondu en larmes en hurlant haut et fort qu'il ne voulait pas partir.

Le capitaine Choi avait annoncé la veille qu'ils seraient de retour à Incheon avant le surlendemain.
À cette nouvelle, Soobin avait sentit son cœur se serrer douloureusement. Les jours à bord du Vagabond étaient passés à une vitesse...

Yeonjun et lui n'avaient pas osé aborder le sujet de ce qui arriverait une fois que chacun serait de retour chez soi.
Soobin rentrerait chez lui et Yeonjun suivrait son père à bord du Vagabond ou ils mettraient le cap sur Séoul.

"- Binnie !"

Il leva la tête. Yeonjun lui faisait signe de la main. Aussitôt, sa peur de l'après le quitta et il se précipita vers son aîné.

"- Salut, Yeonjun Hyung !"

Et, tout comme s'ils allaient se revoir le lendemain, les deux enfants profitèrent de leurs derniers moments ensemble.

⋆⭒˚.⋆

La Austin Healey familiale roulait en direction de la maison. Monsieur conduisait. Dans le rétroviseur, il pouvait voir sa femme assise sur la banquette arrière. Elle caressait doucement les cheveux d'un Soobin endormi, la tête sur ses genoux.

Pour une raison qu'ils ignoraient tous deux, leur fils, qui avait disparu pendant qu'ils faisaient leurs bagages, était réapparu juste au moment ou ils entraient dans le port, l'air sombre. Au début, il était resté stoïque, puis il avait fondu en larmes une fois dans la voiture.

Et maintenant, sans doute épuisé par ses pleurs, il dormait.

"- J'imagine qu'il s'est attaché au Vagabond." suggéra Monsieur, rompant le silence. "Choi Minho, le capitaine m'a raconté que son fils était aussi très sensible au charme de ce bateau.

- Était ?" s'étonna Madame Choi, sa main se promenant toujours dans la chevelure de son fils endormi.

"- Le pauvre garçon est mort l'année dernière. Il a fait une chute terrible du nid de pie du navire..."

Choquée, Mme Choi regarda le visage de son fils. Des larmes coulaient sur son visage. Même endormi il pleurait. Elle se demanda alors ce qu'elle-même aurait ressenti si son enfant avait disparu de la sorte.

"- Ce garçon avait l'air vif. Il se serait bien entendu avec notre Soobinie."

Ils restèrent silencieux. Pour une fois, ils n'avaient aucune raison de se disputer. Soobin dormait toujours. Il rêvait. Il rêvait de ce garçon qui lui avait raconté des histoires, qui l'avait changé à jamais. Ce garçon qui n'était plus là, qui n'avait jamais été là. Mais quand il se réveillera, il grandira avec son souvenir au fond de son cœur. Et quand la douleur de l'absence se sera atténuée, il vivra avec la garantie de le retrouver sous d'autres cieux.

fin.