AU CRÉPUSCULE

Sous la lueur d'une chandelle vacillante, un roi au regard pensif observait ses deux fils, Jisung et Yongbok. La chambre était plongée dans une douce pénombre, tandis que leurs chamailleries étouffées, des murmures et de petites disputes troublaient la tranquillité du lieu. Jisung, l'aîné des jumeaux, tirait sur la couverture d'un geste obstiné alors que son frère, Yongbok, tentait de lui arracher un coin pour s'y blottir et échapper à la froideur hivernale.

Le roi souriait devant leur agitation mais son expression faciale finit par se fondre en une gravité douce. Il prit un instant pour observer le visage de ses garçons, dont les yeux curieux s'illuminèrent à la moindre histoire de sa part. Cette fois-ci, il avait choisi une histoire qui lui tenait tout particulièrement à cœur : il souhaitait que ses jumeaux comprennent l'importance de la fraternité, du lien si précieux qui les unissait malgré les désaccords du quotidien.

Avec une voix basse et apaisante, le roi conta : 

— Il était une fois, dans un empire pas si différent que celui dans lequel vous grandissez, deux frères bien particuliers ; l'un s'appelait Seungmin, il était destiné à régner dès son premier cri et l'autre, Minho, était l'aîné par la naissance mais à demi-sang. Il n'était pas né de l'Impératrice Seolhwa, mais d'une femme libre, une roturière, une âme vagabonde et courageuse que la noblesse méprisait.

Soudainement captivé, Yongbok cessait de tirer sur la couverture et Jisung le rejoignit, se tournant vers leur père afin d'écouter plus attentivement cette nouvelle histoire.

— Leur enfance aurait dû être marquée par la joie et l'innocence, les jeux et les rires. Mais pour Minho, chaque moment à la cour était teinté de mépris. Les nobles murmuraient des méchancetés à son passage, insinuant qu'il n'était qu'une tache, une erreur à rectifier. Il se tenait souvent en retrait tandis que son jeune frère, Seungmin, recevait toute l'attention et tous les honneurs d'un prince héritier.

Cependant, Minho ignorait que son plus grand tourment ne viendrait pas des regards froids des nobles mais de la douleur de sa mère. Dame Soyoung, fière mais isolée, ignorée de tous, souffrait en silence de cet univers si rigide, qui n'avait jamais voulu d'elle dans son monde.

Le roi observait le visage pensif de Jisung et poursuivit avec une voix plus douce, presque murmurante, comme s'il souhaitait confier un secret aux jumeaux.

— Un jour, alors qu'ils n'étaient encore que des enfants, Minho et Seungmin s'étaient échappés de l'œil vigilant des gardes. Ils s'étaient aventurés dans une forêt bordant le palais impérial, et s'étaient retrouvés près d'un lac. Ils avaient ri, couru comme des frères, oubliant durant un instant toutes les attentes silencieuses des adultes. Ce jour-là, Seungmin avait pris la main de Minho et lui avait dit que, quoi qu'il arrive, ils resteraient unis. Et Minho l'avait cru. Il avait cru, l'espace d'un instant, qu'ils pourraient être réellement frères, loin des regards et des préjugés.

Mais ce rêve s'effondra lorsque sa mère, la femme libre que les nobles méprisaient, fut retrouvée sans vie. Le poids du mépris, du rejet, avait fini par la consumer. Minho n'oublia jamais la promesse de son jeune frère, mais il ne pouvait pas non plus chasser de son cœur la douleur de voir sa mère brisée par ceux qui prétendaient défendre l'honneur de l'Empire.

Les deux petits garçons, Yongbok et Jisung, s'étaient blottis contre leur père, suspendus à ses mots. L'aîné des jumeaux murmura, ses yeux grands ouverts :

— Et... et Minho, il en voulait à Seungmin ?

Le roi souriait doucement, sachant à quel point ses enfants étaient capables de percevoir les douleurs enfouies.

— Il en voulait au monde entier, mais il n'en voulait pas à son frère... pas au début. Minho voulait simplement que son existence ait une valeur, que le souvenir de sa mère puisse être honoré ne serait-ce que par une personne supplémentaire. Mais au fil des années, il grandissait avec une autre idée en tête, celle de renverser l'Empire qui avait rejeté sa mère, de briser le trône sur lequel son demi-frère était destiné à s'asseoir.

— Et Seungmin ? demandait Yongbok d'une voix murmurante, un peu inquiète.

— Seungmin, lui, grandissait dans la lumière, aimé et respecté comme un parfait prince, et il ignorait l'obscurité qui consumait son frère aîné. Il ne savait rien de la tempête qui grondait dans l'ombre dans son cœur. Et puis, il y avait quelqu'un d'autre... un homme loyal et courageux, un chevalier au cœur pur comme le décrivait le peuple. Un homme qui, bien que de sang commun, avait su gagner la confiance de l'Empereur Taeyang. Cet homme se nommait Chan.

Les jumeaux échangèrent un regard surpris, et Yongbok lança avec un sourire espiègle :

— Comme toi, père !

Chan ne put retenir un léger rire devant l'excitation de ses fils, le regard perdu dans un lointain souvenir.

— Oui, comme moi, en effet. Le chevalier Chan n'avait aucun lien de sang avec les princes mais il les admirait d'une manière qu'ils ne pourraient jamais comprendre. Il voyait en eux à la fois la fragilité et la force, la bonté et la colère, et pour l'amour qu'il portait à l'un des deux... il aurait été prêt à tout. A se battre, à mentir et même à trahir.

Yongbok murmura, fasciné :

— Et qu'est-ce qu'il voulait faire, le chevalier Chan ?

Le roi prit ses fils dans ses bras, leurs regards innocents ne manquaient pas de troubler son cœur d'acier.

— Eh bien Chan rêvait de prendre le trône, mais pas pour lui. Il voulait offrir ce pouvoir à Minho pour apaiser sa douleur, pour le sauver de lui-même mais il savait qu'en tentant cela, il risquait de tout perdre. Son honneur, sa loyauté et même le cœur de son bien-aîné...

Le silence retomba, lourd et plein de non-dits, tandis que Chan laissait les mots se glisser dans le cœur des jumeaux. Puis il posa sa main sur l'épaule de chacun et leur dit d'une voix profonde :

— Vous voyez, Jisung, Yongbok, les liens sont précieux. Ils sont la force qui vous soutiendra toujours, peu importe les querelles, peu importe les différences. Ne laissez jamais l'ombre dévorer l'amour qui vous unit.

Les deux garçonnets se regardèrent, le regard complice, comme pour sceller un pacte. Chan leur sourit, satisfait et attendri, avant d'ajouter :

— Restez attentifs, les enfants. Cette histoire ne fait que commencer. Ecoutez bien, car les événements qui vont suivre changeront à jamais le destin de l'Empire...

Et tandis que les jumeaux fermaient peu à peu les yeux, bercés par l'intensité du récit, Chan se replongea dans ses souvenirs, ceux d'une histoire où l'amour, la haine et la soif de justice se mêlaient au point de transformer un simple homme frappé par la flèche d'Eros en roi.