³/₆ - 𝙻𝙰 𝙲𝚄𝙻𝙿𝙰𝙱𝙸𝙻𝙸𝚃𝙴́
Définitions
Mots imposés -
Alacrité : Bonne humeur mêlée de vivacité
Némésis : Colère, jalousie - ennemi juré
Sardonique : A propos d'un sourire, qui provoque des contractions
musculaires du visage donnant une impression de moquerie acerbe.
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Termes complexes -
*Munificent : Qui est d'une générosité grandiose
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Étape du deuil : La culpabilité - étape pendant laquelle la personne
endeuillée se sent responsable, par un manque d'attention ou d'actes,
du décès de son proche.
___
Huit ans.
Ce sont les années écoulées depuis qu'ils ne s'étaient plus vus, à l'époque du lycée, des erreurs de jeunesse et de l'alacrité propre à l'adolescence.
Huit ans de silence, après toute une enfance partagée sur tous les bancs de l'école, les trottoirs de la ville et les terrasses des cafés.
Des jours et des mois d'affinités, de secrets aussi, parsemés de quelques conflits et de bruyantes disputes. En dépit de tout ce qui pouvait les éloigner, et malgré leurs caractères diamétralement opposés, leur amitié perdurait à travers chaque obstacle.
Il existait même, entre eux, un lien encore plus fort que ça.
Katsuki connaissait déjà Izuku bien avant de pouvoir en garder des souvenirs, avant même de prononcer son premier mot et de marcher à quatre pattes.
Vingt-six ans plus tôt, Inko Midoriya, aussi frivole que peut l'être une jeune femme de vingt-et-un ans, fêtait sa jeunesse et sa liberté de salles de concert en boites de nuit, elle traversait tous les bars posés sur sa route, et chaque rencontre devenait une potentiel aventure passagère.
C'est de cette manière, au hasard d'une de ces soirées, qu'Izuku a été invité à prendre place dans son ventre. Il s'y est installé discrètement, si discrètement qu'elle n'a pas deviné sa présence avant le cinquième mois de sa grossesse.
Fruit de son union avec un père absolument inconnu, qu'elle ne retrouvera jamais par ailleurs, Izuku s'est imposé à elle un matin, et il lui a fallu accepter sa fatalité.
Célibataire et sans emploi, vivant de fêtes et de musique, elle a vu les portes de sa maison familiale se fermer devant elle en guise de punition, pour ce que ses parents appelaient "un intolérable accident". Et pour ne pas donner naissance dans la rue, honteuse et sans soutien, elle s'est réfugiée chez la seule personne qui lui a tendu la main : une vieille amie de l'époque du collège. Mitsuki.
Agée de tout juste un an de plus, celle-ci s'en sortait avec beaucoup plus de maturité.
Déjà fiancée, propriétaire d'un bel appartement en centre-ville, elle vivait aux côtés de Masaru, et ensemble, le couple attendait leur premier enfant, Katsuki, qui lui, n'avait rien d'un accident.
A peine quelques semaines séparaient le terme prévu de leurs grossesses respectives, et il semble que cette colocation leur a permis à toutes les deux d'affronter plus facilement tous les désagréments liés à la présence d'un être humain en soi.
Katsuki est né six semaines avant Izuku, et durant leurs premiers mois de vie, ils ont grandis sous le même toit, dormis dans les mêmes lits, partagés les biberons, les hochets, les pleurs, les rires, les nuits incomplètes, les purées, les compotes, et les premiers câlins.
Ce n'est qu'un peu après le premier anniversaire de son fils qu'Inko a repris son indépendance et quitter le couple, dont elle n'oubliera jamais le soutien et la bienveillance, pour s'installer dans son propre appartement à quelques kilomètres à peine de son point de départ.
Cette distance ridicule n'a certainement pas séparé les deux enfants, dont la relation n'a fait que grandir, devenir plus solide encore au fil des années, il semblait même que rien au monde ne pouvait entacher leur amitié, encore moins la briser.
Mais l'ennemi commun de tous les hommes demeure le plus dangereux, il finit toujours par frapper, cruel et sans pitié : le temps.
Au cours de leur dernière année de lycée, à l'heure où tous se préparaient à emprunter des voies différentes, ils s'étaient pourtant tous promis de garder le lien, de ne pas se perdre complètement de vue. Mais il parait que, parfois, la vie prend elle-même certaines décisions à notre place.
Deku, tel qu'il le surnommait depuis la première fois qu'il a pu prononcer son nom, s'est évaporé dans des études de communication, pendant que Katsuki s'en allait à l'autre bout du pays pour y apprendre l'ingénierie.
Quelques semaines après son départ, il apprit la grande nouvelle : Hanta et Izuku formaient enfin un couple, après s'être tournés autour pendant près de deux ans.
Sans en faire la démonstration pour autant, il s'est senti heureux pour son ami d'enfance, et en même temps, un peu attristé de se trouver si loin de lui dans ces moments importants. Aussi, une pointe de jalousie s'est installée en lui, songeant qu'Hanta passait ses jours et ses nuits à ses côtés, alors que lui perdait progressivement le contact avec Deku.
Et puis, huit ans sont passés.
Huit ans, pour le retrouver ici, ainsi, déchiré par le deuil, arraché à son existence, et tout brisé de l'intérieur.
Huit ans pour le voir s'effondrer dans ses bras, trempé de larmes, et plus impuissant que jamais.
À son tour, Katsuki se brisa, son cœur vola en éclat à la seconde où Izuku lui apparût en pleurs, prenant tout à coup conscience de la douleur qui submergeait son ami.
Il se l'avouera bien vite, la souffrance de Deku le torturait plus encore que la mort d'Hanta en elle-même.
Ils étaient tous les deux ses amis, mais malgré tout, il songeait que, de là où il se trouvait, Hanta n'avaient plus besoin de lui. Et Izuku était celui qui reste, celui qui porte le fardeau du deuil pour les années à venir, celui qui avait besoin de lui.
Le temps ne faisait plus peur à Katsuki, les années de vide disparaissent au moment d'être présent.
Alors ce jour là, il resta tout au long de la cérémonie d'inhumation, légèrement en retrait pour laisser les proches de Hanta lui souffler leurs dernières paroles, observant de loin les tremblements d'épaules d'Izuku et les larmes envahissant tous ces visages.
Un long discours résonna entre les murettes du cimetière, un cri de désespoir s'envola en même temps que le cercueil descendait sous terre, et puis des étreintes par dizaines.
Plus tard, la foule s'évapora progressivement, grain par grain, jusqu'à ce que l'après midi ne s'impose, et qu'il ne reste plus sur place qu'Izuku et sa mère, à quelques mètres de lui.
Celle ci semblait attendre qu'il soit prêt à détourner le regard, tandis qu'il continuait de pleurer, les yeux rivés sur les gerbes de fleurs et les plaques décoratives.
De loin, Katsuki voyait Izuku se livrer à un interminable monologue. Sans l'entendre, il percevait les mouvements frêles et discrets de ses lèvres, semblant s'adresser au marbre immobile, comme s'il pouvait encore se faire entendre du fantôme de son bien aimé.
Inko le laissa faire un long moment, avant de forcer la barrage invisible qui le séparait de son fils, imposant sa voix calme pour l'ancrer de nouveau à la réalité.
_ Chéri, tu vas attraper froid, il faudrait qu'on rentre maintenant.
_ Tu peux rentrer maman, ne t'en fais pas pour moi. Je me débrouillerai.
_ Tu ne vas tout de même pas rentrer à pieds ? De toute façon je ne veux pas te laisser seul ici, ce n'est pas bon pour toi.
Discrètement, Katsuki s'approcha davantage pour atteindre leur hauteur, s'invitant sans brusquerie dans la conversation.
_ Je le ramènerai Inko, ne t'inquiète pas.
La presque cinquantenaire tourna vivement la tête vers lui quand sa voix la surprit, juste avant que ses yeux ne s'écarquillent, puis se remplissent d'humidité.
_ Katsuki ! Oh que ça me fait plaisir de te voir, même si j'aurais préféré une autre occasion, malheureusement .. Ça fait tellement longtemps.
Soucieux, il se retint de lui demander comment elle allait, conscient que la réponse ne pouvait qu'être d'ordre négatif.
_ J'aurais préféré aussi.
_ Alors .. hésita t-elle un instant. Je peux te confier Izuku ?
_ Oui.
Lentement, elle acquiesça en balançant la tête, rassurée de se sentir soutenue et de voir son fils entre de bonnes mains.
La fatigue se lisait sur son visage de mère, les cernes camouflés de maquillage réapparaissaient malgré elle, et Katsuki sentait d'ici qu'elle tomberait bientôt d'épuisement.
Ainsi, elle enlaça longuement son enfant brisé, lui chuchota des mots secrets au creux de l'oreille, sécha quelques larmes sur ses joues rougies, avant de s'accorder le droit de faire demi tour.
Ne resta plus que les deux amis d'enfance, côte à côte face à une tombe.
La vie n'avait elle donc rien de mieux à leur réserver ?
_ Katchan.. renifla Izuku entre deux spasmes respiratoires.
_ Je suis là Deku.
Le vent froid et agressif lui mordait la nuque, s'infiltrait sous sa veste, mais il resta stoïque, sans trembler, songeant qu'il ne pleuvait pas et que c'était déjà ça.
_ Il y avait forcément un moyen d'empêcher ça. grinça Izuku entre ses dents.
_ Tu n'aurais rien pu faire pour empêcher ça.
_ Je sais pas .. Tu sais, ils avaient toujours la possibilité de dormir sur place quand ils intervenaient de nuit. Hanta rentrait quand même à la maison pour que je ne sois pas seul trop longtemps. Alors peut-être que si je-
_ Tu n'es pas responsable. Ça sert à rien de te torturer avec des "si", tu n'aurais pas pu empêcher ça, et personne ne l'aurait pu.
Izuku se perdit dans une nouvelle salve de pleurs, et sa voix se mélangea aux gémissements de douleur qui grondaient dans sa gorge.
Katsuki le vit perdre l'équilibre une demi seconde, signe que l'épuisement pesait sur son corps, menaçant sûrement de le faire tomber de fatigue d'ici peu.
Ses bras réagirent avant son cerveau pour poser, sur son épaule, une main solide et réconfortante en guise de soutien.
_ Tu devrais rentrer te reposer Izuku.
_ Encore cinq minutes, s'il te plaît ...
_ Je pense que tu ne devrais pas rester tout seul ce soir. ajouta t-il en fixant le vide.
De sa vie, il n'avait connu Izuku qu'à travers sa bonne humeur naturelle, toujours transmise autour de lui par son sourire incorruptible et sincère.
Son altruisme coruscant, son émerveillement perpétuel pour le monde entier, et ce bonheur infini qui émanait de sa personne. Izuku était une porte vers la joie et la sérénité. Une porte grande ouverte, qui accueillait quiconque passait à côté.
Mais ce jour-là, il faisait face à un être brisé, en proie à sa némésis, la culpabilité qui dévorait son cœur. Son âme en ruine ne reflétait plus que ses larmes, ses cris silencieux qui perçaient le ciel, l'impuissance sans frontière d'une vie égarée.
_ Je suis terrifié, Katchan.
Et il ne savait pas quoi répondre à son effondrement, conscient qu'aucune parole ne saurait faire entrer le moindre rayon de lumière dans le tas de débris qu'il restait de lui.
_ Il- Il faudra du temps .. improvisa t-il sans certitude.
_ Du temps. répéta Izuku, la voix secouée d'un rire sardonique. J'ai perdu mon existence. J'ai perdu les moments partagés, j'ai perdu ses mots et son sourire, j'ai perdu notre histoire. Il n'y aura pas de sutures ni de réconfort quand il ne sera plus là le soir, quand je serai tout seul dans notre maison, quand je ne sentirai plus sa présence. Le temps ne comble pas la solitude, et il ne le fera pas revenir non plus.
Que doit-on dire à un homme qui se noie, quand on a rien à lui jeter pour lui venir en aide ?
C'est vrai, lui conseiller le temps lui serait bien inutile.
Le temps. Pour attendre quoi ?
Que la mer se vide ?
_ Je suis désolé. avança Katsuki.
_ Désolé de quoi ?
_ De ne rien pouvoir faire.
Izuku se tenait là, juste là, à moins d'un mètre de lui, à portée de ses mains, de ses mots, de ses bras et de son soutien. Pourtant, il demeurait bien impuissant, incapable de le faire remonter à la surface.
C'était comme observer un animal à l'agonie, frappé par les roues d'un trente trois tonnes, qu'on ne peut que regarder mourir sans agir, démuni et privé de toute solution viable.
_ Deku, je veux t'aider. Je ne sais juste pas comment ..
Personne ne lui avait jamais appris à faire ça.
Ni l'école, ni ses parents, ni la vie ne lui ont indiqué la marche à suivre pour faire face au désespoir d'un autre, entrer dans la souffrance de quelqu'un pour aller le repêcher, faire passer la lumière à travers une porte blindée.
_ Je ne sais pas ce que je dois faire non plus. souffla Izuku sur un énième sanglot. J'ai l'impression que je ne m'arrêterai jamais de pleurer, j'ai la sensation que le reste de ma vie va se résumer à ce vide, et à cette angoisse qui me cloue ici.
Il conclut sa phrase en désignant les lieux d'un geste du menton, s'avouant piégé dans le cimetière.
Alors Katsuki pensa, il ferma les yeux, en se demandant ce qu'aurait fait Izuku lui-même si les rôles avaient été inversés. Convaincu que son ami, lui, aurait su trouver les mots à mettre sur ses plaies, il imagina la situation sous un autre angle, il chercha les mots de Deku dans ses souvenirs et son esprit.
Il ne trouva pas de réponse parfaite, mais il sut qu'il ne l'aurait simplement pas laissé s'enfoncer dans les sables mouvants, qu'il ne l'aurait pas autorisé à couler, ni même à se résigner.
Sans doute lui aurait-il proposé une phrase de son cru, de celles qu'il improvisait parfois dans les moments de doute, pour rappeler à chacun que la vie est un prisme.
Il faut quelques fois revoir sa façon de l'analyser.
_ Tu ne les a pas perdu. relança t-il alors. Les moments de partage, les souvenirs, ou votre histoire. Ils sont là, ils existent puisque tu t'en souviens. Ce qui est à l'intérieur de toi ne disparait pas.
Finalement, il ne suffit pas d'être un ingénieur diplômé pour comprendre des émotions, et toutes ses connaissances sur le fonctionnement du monde ne lui servaient à rien face à la détresse de son ami d'enfance.
Parce que le cœur et ses blessures ne répondent à aucune science promise, il n'est pas possible de corriger sa trajectoire avec des calculs quand il dérive.
_ J'ai mal tu sais. J'ai peur, je ne sais pas où je vais.
_ Je sais.
_ J'ai peur de ne pas réussir à continuer à vivre, de ne plus trouver mon chemin. C'est comme si .. comme quand la lumière est éteinte, et que tu marches sans savoir où tu mets les pieds.
Katsuki hocha la tête, il comprenait l'image qu'Izuku lui présentait, et il se figura les risques encourus s'il le laissait tout seul dans sa pièce sombre. Pour sûr que, sans guide pour déblayer le terrain devant lui, il s'entraverait dans tout ce qui s'imposerait sur sa route, il tomberait probablement à chaque obstacle.
A deux, on n'avance pas forcément plus vite, mais on avance mieux.
_ J'ai pas de lumière à te donner, Izuku. Pas pour l'instant. Mais je peux avancer avec toi. Je vais avancer avec toi. Même si je ne sais pas comment faire, je peux improviser, je peux essayer, et si tu ne sais pas où tu vas, tu n'auras qu'à me suivre. Même si je ne sais pas non plus où je t'emmène ..
_ Tu ne peux pas .. Tu ne peux mettre ta vie de côté. Tu ne vis même plus ici. Ma mère est avec moi, et .. Je ne sais pas comment font les autres pour s'en sortir, mais s'ils y arrivent, alors je .. je ne sais pas. Je ne sais plus ce que je dis, je suis fatigué.
_ Je suis chez mes parents pour quelques jours. Et pour te dire la vérité .. je ne travaille plus.
Voyant Izuku s'écrouler dans sa propre fatigue, il lui épargna les précisions concernant les restrictions budgétaires de l'état, le licenciement économique d'une flopée d'ingénieurs ces derniers mois, et son projet de reconversion professionnelle.
Au lieu de ça, il inspira son courage pour se mettre face à lui et lui tendre sa main, bien ouverte paume vers le haut, témoin de sa détermination à l'accompagner dans sa douleur.
_ Viens avec moi, on peut passer la nuit chez mes parents.
_ Je préfèrerais rentrer chez moi Katchan. Je ne veux pas .. dormir chez tes parents.
_ Alors laisse moi te ramener, et rester avec toi. De toute façon je ne t'autorise pas à t'enfermer tout seul là-bas.
La tête basse, les joues toujours noyées de larmes, Izuku contracta sa poitrine pour retenir un hoquet supplémentaire, assailli par le besoin interminable de pleurer encore et encore, tandis qu'il s'agrippait à cette main tendue.
Il la serra si fort, si fort que Katsuki cru ressentir une parcelle de sa détresse lui parvenir comme un message surnaturel, et ce geste l'invita à le prendre totalement dans ses bras.
Izuku entra dans son étreinte comme on se jette dans l'eau, subitement et sans réfléchir. Il s'accrocha à ses omoplates, braqua son front sur son épaule, et s'effondra contre son torse.
Katsuki devait réellement le retenir pour ne pas le voir tomber à genoux à ses pieds, vidé de toute sa force au point de ne plus pouvoir rester debout, le corps alourdi de tant de maux.
_ Merci. pleura encore Izuku. Merci Katchan.
Enfin, il pût l'emmener hors de ces terres de deuil, un bras dans son dos pour l'accompagner dans ses pas difficiles, jusqu'à le faire entrer dans sa voiture.
Il se devait maintenant de faire durer sa promesse, de le ramener chez lui et de s'y inviter, de le suivre dans les jours et les mois à venir, faire tout ce qui se trouvait en son pouvoir pour dégager le chemin vers la sortie des ténèbres.
Oh que la route allait être longue et épuisante, mais pour rien au monde il ne l'aurait évitée, pas alors que son ami le plus cher risquait de s'y perdre.
Pas alors qu'il risquait de ne plus jamais revoir son véritable sourire illuminer ses tâches de rousseur et les nuances de quetzal de ses iris munificents.
Certainement pas alors qu'il avait, plus que jamais, besoin de lui.
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