Chapitre 3
You're so pretty,
it hurts.
La porte s'ouvre sur une grande femme robuste, qui me dépasse d'une bonne tête, la peau sombre et les cheveux lâchés en auréoles autour de sa tête.
Elle me jette un regard sceptique, n'exprimant ni joie, ni colère à ma vue et entre chez elle, laissant la porte ouverte. J'entre en silence, la tête à deux doigts d'exploser et referme le battant derrière moi. Je la suis d'un pas traînant, alors qu'elle se dirige vers la cuisine.
– Tu ne devineras jamais ce que Charlène a dit lors de la réunion du club de couture. Elle a dit que je devrais penser à me lisser les cheveux, et qu'à mon âge, je devrais au moins faire un effort avant de monter au ciel. Cette pétasse, jure-t-elle sans préambule.
Nana ne devait pas avoir plus que soixante-dix ans, enfin, je crois. Son visage présente à peine une ride, et ses cheveux qu'elle teint constamment en noir n'aident pas à deviner son âge. Je ne lui ai jamais demandé, elle m'attaquerai sûrement avec une poêle si j'ose lui rappeler qu'elle n'est plus toute jeune. Malgré qu'elle soit l'une des seules personnes que je chéris sur cette terre, nous ne sommes pas si proche au sens littéral du terme. Enfin, nous avons une manière bien à nous d'exprimer notre affection.
Elle est irritable, susceptible et elle jure à longueur de journée. Elle partage son temps entre club de danse Sabar, où elle est inscrite depuis plus de vingt ans et club de cuisine. Elle a hérité de son appartement de son fils, qui est décédé quelques années auparavant. Moi, je peux seulement me permettre de vivre ici, parce qu'Ashley m'a offert mon quatre pièces, dans un bâtiment respectable à Brooklyn.
– Tu arrives à y croire, toi ? Me faire conseiller par une quadragénaire qui mets encore du zébré à l'aire d'aujourd'hui ? Au moins, je ne ressemble pas à un putain de clown quand je bouge mon popotin.
Je hoche la tête, essayant de suivre le rythme des pensées de Nana, qui saute souvent du coq à l'âne. Malgré son caractère rentre-dedans, un peu effrayant aux premiers abords, elle ne lésine jamais sur les preuves de tendresse et d'affection. Elle me nourrit, me gronde lorsque je me perds dans mes sombres pensées, et me remets sur le droit chemin lorsque je me noie. Elle est l'ancre qui me rattache à cette vie, et il n'y a rien que je ne ferais pas pour qu'elle reste en vie et en bonne santé. Même épouser un inconnu. Même me jeter dans la fosse aux lions.
Elle n'a peut-être rien d'une grand-mère traditionnelle, elle ne tricote pas, ne se balance pas sur une chaise à bascule, mais que ce cliché aille au Diable, Nana est est franche, suit toujours ses principes et ne flanche jamais devant quiconque. je donnerai tout, pour être ne serait-ce qu'un peu comme elle. Forte et infaillible. Mais je ne suis que moi, une timide, invisible fille, qui a trop de bagages émotionnelles pour se permettre de vivre normalement.
Elle fait glisser une part de tarte aux pomme devant moi, que je fourre dans ma bouche en trois crocs, alors qu'elle continue à faire claquer la vaisselle, dans une tentative vaine de ranger la surface du plan de travail. Elle est malheureusement trop absorbée par son récit pour remarquer que le café de la veille vient de se renverser, et qu'elle a allumée le four pour je ne sais quel raison.
Je me lève, éteint le feu et essuie le café avec un chiffon, Nana s'arrête un instant pour m'observer, se penche pour nettoyer avec moi et reprends son récit.
***
– Qu'est qui t'arrive, alors ? Dit-elle plus tard dans la soirée alors que nous sommes assisses dans ces vieux fauteuils en imprimés fleurs, qu'elle garde autour de la cheminée.
J'ai signé un accord de confidentialité avant de quitter le bureau de Shane, alors je ne peux lui dire que la première chose qui me passe à l'esprit :
– J'ai rencontré quelqu'un, murmure-je presque timidement.
Je n'ai jamais eu l'occasion d'avoir des partenaires amoureux, et je n'ai jamais eu de parents assez respectables à qui présenter qui que ce soit. Je ne connais pas mon père, jamais vue, ma mère ne sait pas qui il est, non plus. Je m'estime chanceuse, au moins mon père n'est pas le dealer de ma mère qui la battait tous les jours, y a quelques années. Ni ce mec qu'elle s'est dégotée il y a quelques temps, et qui a les mains enfoncés dans un trafique d'organes.
Ma mère, elle, c'est une autre histoire, plus sombre, plus tragique. Une mère qui n'a jamais vraiment étais une mère.
Nana explose de son rire atypique, rocailleux et comme à chaque fois, ça me tire un sourire.
– Toi, rencontrer quelqu'un ? Il serait plus probable que je me remarie, la blague ! Comment pourrais-tu ? Tu ne sors jamais de chez toi.
Et elle continue à rire et je me tais, la laissant à sa joie fugace. Qui peut prédire quand un malheur peut nous tomber dessus ? J'ai grandis dans une maison toxique, une mère obsédé par les hommes et par l'argent, une mère qui serait prête à vendre son enfant pour de l'argent. Alors, la joie, je sais que ce n'est pas facile, je sais combien on doit sacrifier afin d'être heureux.
Le rire de Nana se tarit, alors qu'elle m'observe, ses yeux bruns sombres prennent une expression sérieuse. Tout son corps se tends, sa bonne humeur oubliée.
– Tu as vraiment rencontré quelqu'un ? Dit-elle et une sévérité que je ne lui connaissais pas apparaît sur son visage. Je veux le rencontrer, continue-t-elle.
Nana rencontrer Shane ? Ça me donne des frissons d'horreurs rien que d'y penser.
– Je te le présenterai bientôt.
Il est trop tôt, je ne le connais même pas assez pour pouvoir faire semblant d'être folle amoureuse de lui. Et puis, merde, je n'ai toujours pas dépassé mon problème de contact. Je devrais lui en parler...
– Je veux son nom, son numéro de téléphone, son adresse et son numéro social. Et puis, il a quel âge ? Il n'a vraiment pas intérêt à être vieux, pervertir ma pauvre enfant comme ça, je vais lui faire avaler ses boules...
Et elle continue son babillage, alors que je détourne les yeux un instant.
Ma pauvre enfant.
Si ma propre mère ne peut m'aimer, qui pourrait ? Elle me nourrissait à peine, m'habillait seulement que lorsque mes anciens vêtements étaient trop déchirés pour sortir sans attirer l'attention. Je n'ai jamais fais partie d'une famille. Je n'ai jamais été aimée. Jamais personne ne m'a considéré comme sien, comme si j'appartenais à une famille. Et ce sentiment, bien qu'éphémère réchauffe une place dans ma poitrine qui ne s'émeut jamais.
***
Je vérifie encore une fois l'adresse sur mon téléphone, pour être sure de ne pas m'être trompé. Mais non, pas de doute, je suis au bon endroit. Un simple dinner, dans les abords de Brooklyn. Compte tenue de ce que je sais sur Shane, je m'attendais à quelque chose de plus luxueux, de plus voyant, de plus effrayant pour moi. Et maintenant, je me retrouve positivement surprise devant la façade vitrée, illuminé par des néons rouge et violet.
J'inspire profondément, et ouvre la porte. Une cloche sonne à mon entrée, alors que je dévore l'endroit des yeux. Le dinner est plus grand que ce que je pensais, des tables rondes entourés de canapé violet sombre, un bar en demi-cercle au fond, des dizaines de petits lustres en forme de tête de morts, diffusent une douce lumière jaune, au-dessus de ma tête, le plafond est plein de dessins de gargouilles, des chauves souris, des sorcières et des chaudrons. Les seules lumières de la salle, rendent l'atmosphère intime, plus privée qu'elle ne devrait l'être à cette heure de la soirée. Mais ce n'est pas étouffant, bien au contraire, ça rends cet endroit bien plus attractive et mystérieux. Et un point de plus, parce qu'il n'y a presque personne.
Avant que je n'ai pu le chercher, il est devant moi, une main tendue devant lui, un sourire charmeur sur ses lèvres. Il porte une chemise blanche, dont la cravate est desserré, les cheveux légèrement ébouriffé. Qui aurait cru que Shane Lewis pouvait ressembler à un humain. Et même ainsi, je n'ai jamais vue un homme aussi... parfait que lui. Tout de son visage, à son corps, ses yeux, même ses mains pâles. Tout en lui, est un appel de pouvoir, de beauté, de richesse. Et encore une fois, je m'étonne de pouvoir tenir devant lui sans bégayer.
– Tu es venu, dit-il et ce qui semble être de la satisfaction s'écoule de ses lèvres.
Je hausse les épaules, et il baisse sa main, voyant que je ne la serrerais pas, avec un sourire contrit.
– Tu ne parles pas beaucoup, dit-il alors qu'on s'assoit à la table où sa veste est négligemment jeté sur le dos de la banquette.
Je fais extrêmement attention à ne pas m'asseoir pile en face de lui, mais légèrement à sa diagonale, ce qui lui fait lever un sourcil.
– Tu parles et je me tais, tu souris alors que je soupire, je crois que ça pourrait marcher comme dynamique de couple, souffle-je. L'un d'entre nous doit bien jouer les potiches, et ça ne sera pas moi.
Un rire surpris s'échappe de sa gorge, alors qu'il tends son bras sur le dossier de la banquette. Mes yeux glissent, se posant trop longtemps sur ses avant-bras, que les manches de sa chemise révèlent.
– Et quand tu parles, c'est seulement pour m'insulter, reprends-t-il alors que je me concentre sur ses yeux.
– Qu'est que je fais, ici, Shane ? Repris-je essayant pour la première fois son prénom sur ma bouche.
– Nous avons certaines choses à discuter.
Il ne me quitte pas des yeux, ses sombres yeux qui semblent me disséquer, m'analyser sous toutes les coutures.
– Laisse-moi deviner, tu vas encore me menacer, sortir des dossiers épais comme mon bras et me faire signer des contrats sans les lire ? Siffle-je sans pouvoir m'en empêcher.
Peu importe si je peine à respirer en sa présence, je n'oublie pas ce qui nous lie, de base. Un contrat, des menaces, des morts, un dossier.
Son expression joyeuse s'efface pour laisser place à de l'irritation.
– Je ne suis pas une si mauvaise personne, tu as une trop haute estime de moi, lance-t-il en reprenant son faux sourire.
J'aurais préféré qu'il cesse de sourire sans raison. Son sourire est bien trop beau, pour qu'il continue à l'offrir à tout le monde. Il est trop beau pour continuer à se cacher derrière des mensonges.
– Tu n'es peut-être pas une mauvaise personne, Shane, mais tu es quelqu'un de déterminé, tu feras ce qu'il faudra pour protéger ta famille et finir tes investigations. C'est pour ça qu'on est ici, dans ce lieu, bien loin de ce que tu fais habituellement. Parce que tu manies parfaitement l'art de manipuler les gens. Parce que tu sais qu'un endroit comme celui-ci, ferait pencher la balance vers toi. Tu as deviné que je déteste les foules, que je déteste le bruit, que je déteste le contact de la peau. C'est pour ça que tu as loué ce lieu pour toute la soirée. Peut-être même pour toute la nuit.
Je jette un regard lent aux quelques personnes assisses de l'autre coté de la salle, des acteurs payés pour jouer discret, ne pas nous déranger, ne pas bouger de leurs chaises jusqu'à ce que nous soyons parties.
La capacité de Shane à lire si facilement en moi me terrorise presque. Comprendre que j'ai de l'anxiété n'est pas bien difficile, mais comprendre que je me sentirais bien plus mal à l'aise si nous étions seules dans la pièce, ça dépasse l'entendement.
Je rive mes yeux aux siens, le trouvant déjà en train de m'observer.
– Je ne joue pas à ce genre de jeu, je déteste devoir me battre chaque instant, parler en langage codé et devoir rester sur mes gardes dans les seules moments où je ne devrais pas l'être. J'ai accepté ta proposition, alors j'aimerai que tu sois honnête avec moi. Je sais déjà ce que je risque, pas besoin de m'amadouer pour faire passer la pilule plus facilement.
Ses épaules se tendent, du fait que j'ai pu si facilement lire en lui.
– Tu es bien trop perspicace, marmonne-t-il le regard perdu dans son verre.
– Si tu dois mentir, fais-le bien. Ou je ne joue plus, murmure-je toute mon attention rivé sur lui.
À mes mots, il semble s'animer, encore plus de tension semble coincer ses muscles.
– Tu as signé un contrat, souffle-t-il en se penchant vers moi.
– Reparle moi de ton contrat lorsque j'aurais quitté le continent et amené Nana avec moi.
Ses doigts tapent contre la table, à un rythme que lui seul entends, mais ses yeux sombres ne quittent pas mon visage.
– Où que tu ailles, je te retrouverai, tu le sais.
Je ris, d'un rire moqueur, on me l'a déjà faîtes celle-là.
– Je ne te demande pas de me faire hériter de la moitié de ta fortune, je te demande d'être honnête avec moi. J'en ai rien à foutre que tu mentes à toute la terre, ne me mens pas à moi. Ou du moins, pas sur quelque chose qui me concerne. Quelque chose qui nous concerne, dis-je d'une voie plus faible en jouant avec mes cheveux.
Ma tirade honnête a achevé toute ma confiance en moi. Je n'ai pas beaucoup d'énergie à offrir au monde, mon anxiété toujours à la surface me rappelant sans cesse que je ne suis qu'une hypocrite, une menteuse moi-même, une âme qui n'appartient à aucune case, à aucune famille.
Shane semble tourmenté, comme si je lui avais demandé de sauter en enfer avec moi, je comprends comme ça doit être dure de faire confiance, de cesser de mentir un instant, de montrer son vrai visage au monde. Et si personne ne m'aime ? Et si personne n'aime la vraie moi ?
– Passons un marché, dit-il soudainement et je me tiens plus droite, redoutant la suite. J'arrête de tenter de te manipuler, si tu acceptes de répondre honnêtement à quelques questions par jours.
– Mais je suis toujours honnête, souffle-je avec un faux visage innocent.
– Tu es une menteuse née, Kin, tu mens si bien que quelqu'un de moins attentif n'y verrai rien.
Je souffle et détends mes épaules. Qu'est qu'il pourrait demander ? Quel est ton vrai nom ? Qui es-tu vraiment ?
– Une seule question par jour.
– Trois, reprends-t-il avec un vrai sourire, qui montre une denture parfaite.
– Deux.
– Marché conclue, lance-t-il satisfait de soi-même en tendant la main.
J'observe sa main un instant, et me demande à quel moment il abandonnera. À quel moment il cessera de me tendre la main, sachant que je ne la prendrai jamais.
– Ça nous laisse toujours beaucoup de chose à discuter, repris-je, et j'ai un problème.
– Tu es chanceuse, c'est mon boulot de régler les problèmes.
Son expression curieuse ne m'échappe pas, alors que je me mets à tripoter les manches de mon sweat-shirt noir.
– Je ne...
Je prends une grande inspiration, me demandant comment aborder le sujet. Tout cela est de ta faute ! C'est de ta faute, tu l'as laissé te faire ça ! Tu n'avais qu'à pas mettre cette robe qui te fais ressembler à une putain ! Tu as encore tout foutu en l'air !
La voix de ma mère émerge du fond de mon esprit et je peine à respirer, comme à chaque fois que ces mots me reviennent en tête. J'aurais pensé qu'elle aurait réagis différemment à mes pleurs, à mon désespoir, à ma peine, mais non. Elle m'a hurlée que c'était de ma faute. La mienne.
C'est de ma faute si j'ai été dépossédé de mon consentement, de mon innocence, la mienne.
Je sens mon nez piquer, signe que je risque de pleurer, alors je passe mes doigts devant, dans l'espoir de débloquer ma gorge serrée. Dans l'espoir qu'un jour j'oublie tout ceci.
Je sens une légère pression et j'ouvre les yeux pour voir les doigts de Shane, pousser légèrement quelques boucles qui obstruaient ma vue. Lorsque je rive mes yeux à son visage, un sanglot se bloque dans ma gorge. Son visage exprime la plus pure des compassion, la plus pure des compréhension.
Je tousse dans l'espoir de débloquer le sac de nœuds, qui bloque ma voix.
– Je ne peux pas te toucher, dis-je, je sais que nous devons faire semblant et que c'est contre-productive, mais je ne peux vraiment pas, à chaque fois qu'un homme me touche, ça me fait tellement mal que j'ai l'impression qu'on me brûle à l'acide. Là, n'est pas le problème, c'est que je vomis aussi, lorsque je...
Je suis coupée dans mon monologue essoufflée alors que ses doigts qui ont touchés mes mèches, effleurent légèrement le dessus de ma chevelure. Une chaleur inconnue traverse mon corps, réchauffe mes joues.
– Kinsey, je ne te forcerai jamais à faire quoi que ce soit, je le jure devant Dieu. Nous irons à ton rythme et nous ferons de notre mieux. S'il le faut, nous prétendrons être un couple pudique qui refuse de se toucher en publique. Je ferai ce qu'il faudra, mais je ne te forcerai jamais, je ne te ferais jamais mal. Je te le jure.
Et pour une raison totalement inconnue, je le crois. Parce que, parce que...
Parce que c'est lui.
écrit : 24/08/2024
modifié : 16/11/2024
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