*Point de vue Yann*

En me levant ce matin et pour la première fois depuis ces dernières semaines, je n'ai pas eu envie d'aller en cours. Jusque-là, j'y allais sans en avoir vraiment envie, mais dernièrement, je ne loupais pas une seule journée parce que je savais que je la verrais, elle. C'est la reprise après les vacances de Noël et je ne l'ai pas revu depuis la fête... Celle où elle s'est barrée, sans se retourner et sans hésiter.

Je me suis dit que j'avais été con et je lui ai envoyé un message pour son anniversaire, sans m'excuser, juste « Bon anniv princesse furie ». Elle n'a pas répondu. Finalement, je pense que j'ai réussi, je l'ai éloignée... C'est ce que je voulais... Alors bordel, pourquoi ça me convient pas !

Je ne suis donc pas allé au bahut et sors de dessous la Camaro 1968 que je me suis mis en tête de rénover. Une carcasse complètement défoncée que j'ai sauvée de la casse et cogne violemment la clé à molette que je tiens sur la carrosserie. Une bosse de plus à faire disparaître...

J'enlève mon t-shirt blanc, ruiné par le cambouis et enfile ma combinaison de cross. Faire quelques tours de piste me fera du bien. Quoique ces derniers temps, plus rien ne fonctionne correctement, alors j'en doute. Tout ce qui régulait un minimum ma vie semble foutre le camp.

Je me place sur la ligne de départ, visualise chaque virage, chaque saut, chaque figure, puis déclenche le chrono et fonce. J'enchaîne les figures... Hart attack, back flip, whip, et j'en passe. Toujours plus vite, toujours plus haut, toujours plus loin. Repousser mes limites, la seule chose qui me fait me sentir vivant... Pourtant, jusque là, mon cœur n'avait jamais cogné aussi fort que lorsque je la vois elle. Putain, même là je pense à elle ! Si je manque de concentration, la moindre chute pourrait être fatale, mais c'est plus fort que moi.

J'entame le dixième tour, arrive à pleine vitesse face à l'une des plus hautes butte de terre de la piste et entame un back flip. Figure qui consiste à faire une sorte de salto arrière avec la moto. Je décolle dans les airs, entame ma pirouette... Et, je la vois, plantée là, juste en face. Bordel de merde ! Ce con rate une mesure et je me concentre sur la réception. Heureusement que je reste quasi imperturbable quand je pilote...

Putain, mais qu'est-ce qu'elle fout là !

Je continue d'enchaîner les tours. Il m'en reste une dizaine, je tente de battre mon propre record et je ne peux pas m'arrêter maintenant. Au moment où j'entame l'avant-dernier, je me rends compte qu'elle n'est plus là. Mon cœur rate un battement, tandis que ma respiration se coupe et je freine brutalement. Ma cross se traîne sur plusieurs mètres, je regarde les millièmes de secondes défiler sur le chrono et ma mâchoire se serre. Fais chier ! J'enlève mon casque, le passe à mon bras et accélère vers le chemin de terre. Je finis par la rattraper au moment où elle passe le portail de chez moi.

Ses écouteurs aux oreilles, elle ne m'entend pas. Je décide de mettre un coup d'accélérateur à côté d'elle, elle sursaute et je me retiens de rire. Mais, rapidement, je reprends un air sérieux. Elle enlève ses oreillettes, se tourne vers moi, sans rien dire, puis se remet à marcher comme si je n'étais pas là. Me revoilà devenu muet... Je la suis, en roulant au pas, incapable de dire quoi que ce soit.

J'essaye de prendre sur moi et de contrôler les questions qui s'enchaînent dans ma tête, mais je sens que malgré moi, elles vont se pointer sans que je le veuille vraiment.

– Qu'est-ce que tu fais ici ?

Voilà... Et, je n'aurais pas pu être plus froid que ça !

Elle s'arrête, tourne son visage vers moi et plante son regard dans le mien. Elle me fixe un bref instant, mais ne répond pas et se remet à avancer.

– Comment t'as eu mon adresse ? demandé-je, toujours sur le même ton alors qu'elle continue de marcher.

Elle m'ignore et enfile de nouveau ses écouteurs. Elle se fout de moi là ! Elle m'énerve, autant qu'elle m'intrigue et m'attire... Sans réfléchir, je fous un coup d'accélération et lui barre la route. Je coupe le moteur et tire sur le fil de ses écouteurs.

– Putain, bordel, tu vas répondre ?! Pourquoi t'es là ? grogné-je.

– Et toi, pourquoi tu te comportes comme ça, t'es même pas venu me dire bonjour ? réplique-t-elle.

Je lui explique que j'étais en train de me chronométrer et un sourire se dessine malgré moi sur mes lèvres. Voir la tête qu'elle tire me fait marrer... Et, apparemment, elle, ça ne l'amuse pas. Elle tente de contourner la moto et je l'en empêche en reculant.

– Je suis venue te rapporter ton livre ! C'est bon maintenant j'peux y aller ? s'impatiente-t-elle.

– C'est tout ?

Elle me balance qu'elle était venue pour discuter et me compare à son chat, me disant qu'il a plus de discussion que moi... C'est vraiment une chieuse...

– Tu voulais parler de quoi ?

Elle ancre ses yeux aux miens et me revoilà à les détailler, sans m'en rendre compte

– De tout ! De ta façon d'être avec moi, je comprends pas ce que tu veux.

– Y'a rien à comprendre ! Et, je veux rien du tout.

La seule chose sur le coup que je suis capable de sortir... La première partie est à moitié vraie, qu'elle comprenne est la dernière chose que je veux. Pour la deuxième partie... Je suis même pas sûr moi-même de ce que je veux, alors lui répondre...

– Ouais, j'crois que j'ai capté, c'est pour ça, j'me casse, s'énerve-t-elle, mais maintenant que c'est clair, arrête d'agir comme tu le fais dans ce cas.

Elle se casse ? Non ! Fin... Merde ! Je lui demande dans la foulée de m'éclairer parce que je ne comprends pas vraiment.

– Tu veux pas qu'on soit amis, OK, c'est comme tu veux, mais dans ce cas arrête de faire comme si c'est ce que tu es. Me raccompagne plus, me défend plus et continue de m'éviter apparemment, c'est ce que tu sais faire le mieux, lâche-t-elle.

C'est vraiment une habitude chez elle de balancer tout d'un coup comme ça ? Puis, mon esprit bute sur ce qu'elle vient de dire... L'éviter ? Vraiment ?

– Qui a dit que je voulais pas l'être ? demandé-je.

– Toi, par ton comportement.

Sa réponse me coupe le souffle et l'autre recommence à faire des siennes. C'est pas comme si j'étais pas conscient que je faisais tout pour l'éloigner... Mais, imaginer que ça commence à fonctionner...

– Au fait, il suffisait juste de me dire que le jeudi les messages que tu recevais étaient ceux de Chloé !

Putain de merde ! Comment elle...

– Comment tu sais qu'elle s'appelle...

– C'est bien ta copine, non ? m'interrompt-elle.

Je fronce les sourcils et inspire un grand coup, silencieusement. Mon but est de la tenir à distance... Je me le répète plusieurs fois et me lance.

– Ouais, mais qu'est-ce que ça peut foutre ?

Je fuis son regard dans la foulée et j'ai l'impression qu'en le quittant, quelque chose s'éteint... Je maudis ce que je ressens, il ne faut pas... Pas maintenant...

– Rien, t'as le droit d'avoir une copine, à moins que t'assumes pas, lâche-t-elle.

Mes yeux se plantent dans les siens, sans m'obéir et me voilà maintenant comme un con à détester la réponse que je lui ai donnée. Mais qu'est-ce que j'aurais pu répondre d'autre à ça ? Et, si ça permet qu'elle reste loin de moi, alors...

Elle reste silencieuse un moment et de mon côté, je ne dirais jamais ce qu'elle aimerait entendre... Hors de question. Finalement, elle contourne la moto, j'hésite, puis me résous à la regarder s'éloigner.

Mes mains se serrent autour des poignées de ma bécane et j'accélère comme un taré, pour retourner vers la piste. Je range mon cross sous le hangar, puis mon regard se pose sur le livre qu'elle à laissé sur l'un des barils métalliques. Je le récupère, l'observe un bref instant et le glisse dans la poche de mon sweat.

La colère commence à m'envahir et mon poing finit par s'écraser sur la colonne de pneus, rangée près du mur. Putain, fait chier !