
Yann #41
Voilà presque une heure que j'enchaîne les tours de piste après avoir pris soin de bien arroser le circuit. Comme je me le suis promis hier, j'ai enfourché ma cross dès que j'ai pu. La nuit a encore été laborieuse, mais je n'arrive pas à rester en place.
J'entame mon dernier tour et des sauts plus dingues les uns que les autres. Lazy Boy, Back flip,Hart Attack, Shaolin, Rock Solid, Superman et j'en passe. Des figures que j'ai appris à perfectionner aux fil des années. Je freine brutalement, le pneu arrière part dans un dérapage que je contrôle à la perfection, puis j'arrête le chrono. Mon temps est plutôt pas mal, j'esquisse un léger sourire. Je suis prêt pour la prochaine compétition et je compte bien me rattraper. Comme pour le Karaté, je n'ai pas pu y participer à cause de ma blessure.
J'observe le soleil qui commence à disparaître derrière les arbres qui encadrent la piste, puis accélère sans ménagement. La poignée tournée au maximum, un nuage de terre s'envole derrière moi et je file à toute vitesse sur le petit chemin de terre qui me ramène chez moi. Je m'arrête devant le garage, descend de ma bécane, l'observe et vérifie ma combi'. Je suis plein de boue et je sais ce qu'il me reste à faire. Si je traverse la baraque comme ça, je vais en foutre partout.
Je vire tout mon équipement pour me retrouver en short et attrape le tuyau d'arrosage afin de me lancer dans un nettoyage minutieux de l'engin qui me permettra surement de remporter la prochaine compèt' et fini par m'asperger afin d'enlever la boue que j'ai foutue sur moi en la lavant.
Une fois terminé, je la laisse sécher au soleil, puis traverse le jardin en trottinant avant d'entrer, tandis que je dégouline et laisse de l'eau sur le carrelage à mon passage. Je me marre en imaginant ma mère en train de gueuler si elle me voyait faire. N'empêche que c'est toujours mieux que de la boue.
Je vérifie l'heure et file dans la salle de bain pour une douche rapide en constatant que les invités ne vont pas tarder à arriver pour l'avant-dernière soirée. Elle, ne va pas tarder à arriver.
Mon cœur fait une embardée rien que d'y penser, alors que je songe déjà à ce qu'il va se passer et ce que je vais devoir supporter. Lorsque j'ai quitté la boite vers cinq heures trente du mat', au moment où Chloé a décidé qu'il était temps pour elle de rentrer, je n'ai pas pu m'empêcher de rouler jusque chez Nine. Je me suis arrêté, j'ai coupé le contact, enlevé mon casque pour le posé sur le réservoir, puis j'ai remarqué avec soulagement que de la lumière filtrait à travers les volets de la fenêtre de sa chambre. J'ai hésité un moment à recommencer le coup des petits cailloux, mais j'ai renoncé. Finalement, je suis resté là, les avants bras posés sur mon casque à observer, le cœur lourd, puis suis reparti une demi-heure plus tard.
J'enfile un short de sport, refusant toujours de mettre un haut que de toute façon je finirai par virer à la moindre occasion, puis dévale les escaliers. J'attrape une pomme, croque dedans à pleines dents, puis rejoint le bord de la piscine où je m'assois, les pieds dans l'eau.
Rapidement, j'entends la porte d'entrée et aperçois Kév à travers la baie vitrée qui m'adresse un signe rapide en passant devant.
‒ J'te pique un paquet de chips ! gueule-t-il, depuis la cuisine.
‒ Question d'habitude ! me marré-je, t'as même plus besoin de me le dire !
Il m'a appelé dans la mâtinée, pour, selon lui, faire un bilan sur la situation. Il sait comment je me sens. Vraiment. Étonnement, alors que je pensais ne plus jamais pouvoir parler aussi facilement que je le faisais avec Antho, Kév c'est avéré devenir la personne vers qui je me tourne et à qui je balance tout sans aucun filtre. Faut dire qu'il ne me laisse pas vraiment le choix. Il a une façon d'aborder les choses, qui me surprend à chaque fois et il ne tourne pas autour du pot. Donner son avis et dire les choses, même s'il sait que ça peut faire mal, ça ne le dérange pas.
Mon pote se laisse tomber à côté de moi après avoir viré ses pompes et m'imite plongeant ses pieds dans l'eau.
‒ Alors, t'as réfléchis ? Tu comptes faire quoi ? me demande-t-il, directement.
Qu'est-ce que je disais...
‒ Je fais que ça de cogiter, bougonné-je. Et tu veux que je te dise ? J'ai aucune putain d'idée de comment rattraper mes conneries.
Il ricane et m'observe levant un sourcil. Ça sent le conseil tellement évident que je soupire et me contente d'attendre de voir ce qu'il va me sortir.
‒ Ce qui est bien, c'est que t'es conscient d'avoir déconné. Et pourquoi t'irai pas la voir, lui dire que tu veux lui parler et lui avouer ce que tu ressens ? C'est aussi simple que ça, souffle-t-il. Tu te rends malade, alors que tu pourrais vraiment avoir ce que tu veux ! Elle attend que ça, mec !
Il a raison, je le sais, comme toujours. Mais, encore faudrait-il que je trouve le courage de le faire. Si seulement il n'y avait que le fait de vouloir la garder en sécurité. Mais non, ça va bien plus loin que ça, c'est beaucoup plus complexe.
‒ Je flippe, soufflé-je, tandis qu'il glisse un regard sur moi et fronce les sourcils tentant de décoder l'info que je viens de lui donner.
‒ Tu sais que t'es déjà attachée à elle, pas vrai ?
Je me contente d'acquiescer. Je le suis oui, la question ne se pose pas.
‒ Alors si demain il lui arrivait quelque chose, j'pense que ce que tu ressentirais ne serait pas différent. J'veux dire... ça te ferai pas moins mal que si tu la laissais vraiment prendre plus de place dans ta vie et que tu venais à la perdre.
‒ C'est pas si facile, j'veux dire... c'est pas comme si je pouvais faire disparaître en un claquement de doigt cette peur qui me ronge.
Il réfléchit un instant, tandis que ses paroles tournent en boucle dans ma tête.
‒ Tu veux que je sois franc ? Si ça venait à arriver alors que t'as jamais eu la force de lui dire que tu l'aimes, tu regretterais de pas avoir profité de chaque moment avec elle comme t'en avais vraiment envie, souffle-t-il, bienveillant.
Encore une fois, ses paroles me percutent et je l'observe sans qu'un mot ne puisse franchir la barrière de mes lèvres, puis il m'adresse une tape sur l'épaule en se redressant. Il sait que j'ai besoin d'analyser ce qu'il vient de me dire.
‒ Réfléchis-y, mais je serai toi, j'me magnerai, ajoute-t-il, avant de s'éloigner pour aller accueillir les premiers invités qui viennent de franchir la porte.
Perdu dans mes pensées, j'entends le brouhaha des personnes qui commencent à s'entasser dans le salon. Il faut à tout prix que je trouve le moyen de faire taire cette trouille qui m'empêche d'agir comme je le voudrais vraiment.
Lorsque je lève les yeux, je m'aperçois que Nine vient d'arriver. Elle se tient devant la baie vitrée, David à ses côtés. Son bras est posé sur le bas de son dos, lui tenant la taille. Mon regard accroché à cette scène, je ne peux m'empêcher de me demander s'ils ne seraient pas mis ensemble entre temps. Ils sont vraiment proches. Et toi, mec, comment t'étais quand vous vous entendiez bien ? Je comprends maintenant ce que notre entourage voyait et ce qu'il pouvaient en déduire.
Au moment où son cavalier remarque que je les observe, il enlève doucement son bras et je fronce les sourcils. Pourquoi il fait ça ? Est-ce qu'elle lui aurait dit quelque chose me concernant ? Il n'est pas du genre à se formaliser, ni à s'embêter avec ce genre de détails et me provoquer lui plaît. Je ne comprends pas.
Je les suis du regard, alors qu'ils s'installent côte à côte sur le bord d'un transat. Les invités commencent à s'agglutiner dans le jardin, mais je n'y prête pas vraiment attention. Je continue de me repasser la discussion que j'ai eu avec Kév. Je me triture le cerveau pour essayer de me convaincre que cette peur que j'ai, finira par me faire perdre de Nine de toute façon. Même si ce ne sera pas de la manière dont je le redoute. Il faut que je réagisse ! Et vite !
C'est un vrai combat que je dois mener contre moi-même. Mais j'aime cette fille, bien plus que tout le reste, je dois l'accepter.
Un coup d'œil vers Kévin qui apparaît et qui tient le tapis de Twister sous son bras puis je fronce les sourcils, réalisant que je n'ai même prit la peine de savoir ce qu'il avait organisé pour cette soirée. Tout ce dont je suis au courant, c'est que c'est axé sur les jeux.
Nine discute tranquillement avec ses amis tandis que l'autre à côté la bouffe du regard encore une fois et je soupire. Soudain, elle se lève, demande qui veut se joindre à elle, puis rejoint la table installée contre le mur de la maison où sont posés tout un tas de boisson et gâteaux, David sur ses talons.
– Moi bien sûr ! s'écrit une voix que je reconnais immédiatement.
Emi. La soirée promet en rebondissement et je me demande comment Nine va finir, ou ce que son amie va bien pouvoir me balancer à la gueule. Elles se prennent dans les bras, puis Emilie lui chuchote quelque chose à l'oreille, sans se gêner pour glisser un regard vers moi et me faire comprendre que ça me concerne. Elle s'écarte ensuite d'elle et lui adresse un clin d'œil qui n'annonce rien de bon. Ça craint.
Elles enchaînent les verres depuis quelques minutes et je vois très bien que Nine n'est déjà vraiment plus maître d'elle-même. Je grimace, anxieux, puis me redresse lui jetant un coup d'œil avant d'entrer dans la maison. Il faut que je trouve un moyen de garder mon calme, sinon je risque bien d'exploser au moindre geste que l'autre con pourrait avoir envers elle.
Je descends dans le Dojo, observe les appareils de muscu' me demandant lequel pourrait bien faire l'affaire et porte mon dévolu sur la barre de traction. Je vire mes pompes, traverse la salle et me hisse avant d'enchainer une série. Plus je me dépense sur ce truc, plus je sens la tension redescendre. Vu comme c'est parti, je sens que je vais me retrouver souvent ici ce soir.
Je relâche la barre après ma cinquième série et mon palpitant bat comme j'aime qu'il le fasse. La respiration heurtée, je remonte, puis traverse le salon pour rejoindre le jardin au moment où Kév lance le jeu du Twister.
Mes yeux tombent immédiatement sur elle, comme pour me rappeler que de toute façon, j'aurai beau faire tout ce que je veux, je ne pourrai pas échapper à ce qu'il en est vraiment. J'inspire profondément et la suis du regard, alors qu'Emi l'entraîne à sa suite et que Nine attrape la main de David dans la foulée, pour l'embarquer avec elles.
Je ricane nerveusement en comprenant ce qui se trame quand Nico les rejoint. Ils comptent faire une partie ensemble. J'imagine déjà son corps se contorsionner, toucher celui de ce type et mon sang recommence à bouillir, alors que la partie n'est même pas encore commencée. Je me force à m'assoir sur le bord d'un des transats et observe ce qu'il se passe en silence, tandis que mon pote leur explique les règles. Si je l'ouvre de toute façon, je risque encore de dire de la merde.
Les tours d'aiguille défilent, leur désignant à chacun le rond de couleur qu'ils doivent atteindre et jusque-là, j'arrive à me contrôler. Mais, au moment où Emilie et Nico sont éliminés en se cassant la gueule et que je comprends qu'elle va se retrouver seule avec lui sur le tapis, c'est une autre histoire. De toute façon, pour moi, ils sont déjà beaucoup trop proches.
Mes yeux, comme des aimants, refusent de la quitter. Ma jambe hoche de plus en plus rapidement à mesure que la colère monte et mes poings, sur lesquels j'ai posé mon menton se crispent.
Le DJ se tourne pour atteindre le rond que Kévin lui a désigné et la voilà au-dessus de lui. Je vois ses yeux glisser sur son torse, tandis que lui, dévore ses lèvres du regard. Quelle putain d'idée de merde il a eu en pensant à ce jeu ! Et lui, il n'aurait pas pu boutonner sa chemise, bordel ?
J'ai envie d'aller claquer des doigts juste devant leur nez pour leur rappeler qu'ils ne sont pas seuls et que le jeu n'est pas terminé. Ouais, maintenant je veux qu'il continue et se termine. Vite, très vite ! Ma mâchoire se crispe et s'en m'en rendre compte, je me redresse pour m'éloigner un peu. Je m'adosse contre la façade, les bras croisés sur mon torse, comme un réflexe naturel que mon cerveau m'aurait imposé afin de ne pas rester trop proche, au cas où la rage que je retiens ne vienne à exploser.
J'ai toujours été impulsif, d'aussi loin que je me souvienne, il m'a toujours fallu de quoi me canaliser. C'est aussi pour ça que mon paternel n'a rien trouvé à redire lorsque je lui ai dit que je voulais qu'il m'enseigne le karaté. Malgré ça, je n'ai jamais vraiment réussi à me maîtriser. Je reste une putain de bombe à retardement. Il suffit d'un déclencheur et c'est foutu. Et là, clairement, c'est pas ce qu'il manque.
Lorsque kév annonce qu'elle doit poser sa main droite sur le rond rouge, instinctivement je le cherche du regard. Quand je remarque qu'il se trouve au-dessus de la tête de David, j'esquisse un sourire amer en comprenant ce que ça implique. Elle va devoir remonter sur lui et lui a dû certainement déjà le comprendre puisqu'un rictus amusé étire le coin de ses lèvres. Efface ton putain de sourire à la con ou je m'en charge, connard !
– C'est une blague ! râle Nine, qui repère à son tour le point qu'elle doit atteindre.
Apparemment non, pas du tout !
Elle adresse une grimace au mec qui semble faire battre son cœur ces derniers jours, comme pour s'excuser à l'avance de ce qui va se passer, puis amorce son ascension vers l'objectif. La peau de son cou frôle presque les lèvres de ce type que je hais de plus en plus, puis, il ne se gêne pas pour pencher légèrement sa tête de côté et la détailler.
Soudain, elle perd l'équilibre et s'écroule pour finir allongée sur lui, alors qu'il se laisse tomber sur le dos et que ses mains se posent sur sa taille. Je serre les dents tellement fort, que s'en est douloureux. Respire, mec.
Ils rient de bon cœur, alors qu'il l'observe avec cette lueur dans le regard qui ne laisse pas vraiment de doute sur ce qu'il ressent. Ce rire, il me manque tellement. J'aimais l'entendre résonner dans les pièces de la maison. Lorsqu'on jouait à la console, qu'on regardait un film marrant, où encore quand on chahutait. Maintenant, c'est à peine si elle me regarde. Pourquoi est-ce qu'il a fallu que tout ça s'arrête ? Parce que t'es con, quoi d'autre, mec !
Il la garde contre lui, pas vraiment décidé à vouloir la lâcher et elle, ne semble pas vraiment gênée. Cette proximité à même l'air de lui... plaire. Putain ! Est-ce que c'est vraiment trop tard ? J'ai vraiment réussi à griller toutes mais chances ?
– Désolée, s'excuse-t-elle, en lui souriant tandis que son regard à lui oscille entre ses yeux et ses lèvres.
S'il ose, je le bute !
– Je dirai pas ça, lui souffle-t-il, en se redressant légèrement pour s'appuyer sur ses coudes, tandis qu'elle ne bouge pas et qu'il glisse un regard explicite sur son corps contre le sien.
Malgré la chaleur, je la connais, j'ai assez détaillé ses traits et ses expressions. Elle rougit. Si personne ne s'en aperçoit, moi ça ne m'échappe pas. Ce qu'il lui dit l'atteint, d'une façon dont j'aimerai pouvoir le faire. Une douleur broie un peu plus mon cœur.
Puis, ses yeux se lèvent sur moi et rencontrent les miens. Nos regards restent accrochés ainsi quelques brèves secondes et elle s'écarte de lui, après lui avoir souri avec douceur une dernière fois. Pourquoi est-ce qu'elle a réagi en me voyant l'observer ? Est-ce qu'elle se rend compte que ça me fait un mal de chien ? Je me rends compte à ce moment que je suis tendu à l'extrême. En même temps, n'importe qui pourrait le deviner rien qu'en un coup d'œil.
Elle rejoint ses amis, David sur ses pas. J'ai bien l'impression qu'il ne compte pas la lâcher. Elle enchaîne les verres une fois de plus, elle rit, discute et j'aimerai tellement me tenir à ses côtés, échanger des regards complices comme ils le font en ce moment. À quel point ils sont complice au juste ? C'est vrai en y repensant. Cette nuit quand je suis allé vérifier si elle était bien rentrée, j'ai constaté que la lumière été allumée dans sa chambre mais... Qui me dit qu'il n'était pas avec elle ? Un frisson désagréable dévale le long de ma colonne vertébrale et je me surprends à prier pour que ce ne soit pas arrivé. Je la connais et je suis sûr de ne pas dire de conneries en affirmant que ce n'est pas son genre. Mais lorsqu'on ne va pas bien, on a tendance à faire les choses différemment, je sais de quoi je parle. Et comme moi, elle est loin d'aller bien, c'est une évidence. Le pire là-dedans c'est que je suis conscient que c'est à cause de moi. Peu importe la façon dont je la laisse entrer dans ma vie, elle sera blessée. Et ce constat me fout en l'air.
Je suis le mouvement de foule et entre pour rejoindre la pièce principale où tout le monde c'est réuni. Ils décident de jouer à "Je n'ai jamais" et je ne sais pas pourquoi, mais je le sens moyen cette fois encore.
Je m'assois sur le bras du canapé et écoute d'une oreille distraite, me demandant soudain ce que je ferrai une fois la dernière soirée passée. Tout le monde retournera à ses occupations et moi qui ai toujours des plans, je me rends compte que cette fois je n'en ai aucun. Je n'aurai plus non plus aucun prétexte pour la voir. Sauf si tu te bouges d'ici là, mec !
Je vais certainement passer une bonne partie de mon été à retaper cette Ford Mustang Shelby GT 500 de 1967, qui tombe en ruine et trône au milieu de mon garage. Bon nombre de personnes ne verrait qu'une épave. Moi, je ne vois que le bijou qu'elle va devenir. La mécanique m'est venue comme passion sans vraiment que je ne comprenne comment, ni de qui je la tiens. À vrai dire, j'ai appris sur le tas. Comme beaucoup de chose, j'ai appris en autodidacte, comme la guitare. Mon cerveau assimile et une fois que c'est fait ne les oublie jamais. J'avoue que pour pas mal de choses ça aide.
Des éclats de rire me sortent de mes pensées. Je lève le nez vers la table de la salle à manger qu'ils ont investie et remarque qu'Emi avale son verre cul sec. Je n'ai même pas suivit et n'ai aucune idée de ce qu'elle vient d'avouer. Mais voir Nine rire comme ça, réchauffe un peu mon cœur.
Je continue de les écouter cette fois un peu plus concentré et sans savoir pourquoi je me retrouve à stresser d'apprendre quelque chose sur elle que je ne saurais pas déjà. Elle est clairement éméchée et je ne suis même pas sûre qu'elle souhaiterait que n'importe quoi sorte. Son regard se plante dans le mien, me transperce alors que c'est son tour et je comprends que ça va faire mal.
– Je n'ai jamais embrassé personne, sans en avoir vraiment envie ! balance-t-elle.
Le souffle coupé, j'encaisse, accuse le coup comme je peux. Est-ce qu'elle est toujours convaincue que je n'en avais pas envie ? Si elle savait à quel point pourtant c'est quelque chose qui m'obsédait depuis un moment. Est-ce que je devrais lui ? Et si je décidais de le faire, comment je suis censé lui avouer ça ?
L'estomac noué qu'elle puisse penser que je n'ai jamais désiré ce qui c'est passé, je me redresse et traverse la pièce pour sortir. J'ai besoin de prendre l'air. J'ai l'impression d'étouffer, d'être prisonnier d'une situation qui m'échappe complètement. Elle m'échappe.
Je lève le nez vers les étoiles et l'immensité me redonne un semblant de liberté. J'inspire profondément, lorsque je sens une tape amicale sur mon épaule.
‒ C'était violent, soupire Kév.
Je hausse les épaules, doucement.
‒ Je suppose que je l'ai mérité, j'ai jamais vraiment démenti.
Il acquiesce d'un léger mouvement de tête et avale une gorgée de sa boisson.
‒ Il serait peut-être temps de le faire. Ça arrangerait beaucoup de choses. Elle est persuadée que tu l'as fait à contre cœur.
Je serre les dents.
‒ Putain, j'en crevais d'envie !
Il m'observe et grimace.
‒ Je sais, j'en doute pas. Mais c'est pas à moi qu'il faut le dire, souffle-t-il, alors qu'il commence à allumer le feu de camps et que je lui donne un coup de main.
Perdu dans mes pensées, je remarque du coin de l'œil les invités s'installer un peu partout dans le jardin, tandis que Nine et ses amis prennent place autour du feu que nous venons d'allumer. Je les imite, alors que Kév réapparaît avec un énorme saladier de marshmallows qu'il confit à Emi, avant qu'il ne commence à faire le tour avec des piques en bois qu'il distribue. Le regard rivé sur les flammes qui dansent devant moi, je me concentre pour ne pas regarder en face là où je sais qu'elle se trouve, David à ses côtés.
– David, Action ou vérité ? demande soudain Nico après quelques minutes où je m'étais à peine rendu compte qu'ils avaient commencé à jouer.
– Vérité.
– Pourquoi avoir accepté d'accompagner Nine, malgré ce qui s'est passé la dernière fois avec Yann ?
Je lève les yeux sur lui, tout à coup intéressé par la réponse qu'il va donner. Il esquisse un sourire en coin et je me doute qu'il ne va pas y aller par quatre chemins. C'est pas son genre.
– Je suis toujours partant pour une fête, lance-t-il, et... Parce que Nine me plaît... beaucoup.
Malgré moi, je serre les dents. À quoi je m'attendais ? Il ne m'apprend rien. La réponse était évidente, bien sûr qu'elle lui plaît. Je plante mon regard noir dans le sien et il ne sourcille pas. Même si je m'en doutais, l'entendre est différent. Ça rend les choses plus... Réels.
Du coin de l'œil je remarque Kév qui se tourne vers Nine lorsque c'est son tour et je le connais assez bien pour savoir qu'il prépare quelque chose.
– Nine, action ou vérité ?
Ses émeraudes perdues sur les flammes qui leur donne encore un tout autre reflet, elle réfléchit brièvement avant de lui donner sa réponse.
‒ Action, souffle-t-elle.
Mon pote semble satisfait et je fronce les sourcils, attendant qu'il se décide à lui donner son gage.
– Ok, alors tu dois embrasser Yann... sur la bouche, annonce-t-il, alors que je me tends et reporte mon attention sur elle.
Il est sérieux ? Il pense vraiment que ça va arranger les choses ? Et si ça aggravait la situation ?
Elle m'observe et semble peser le pour et le contre, puis se redresse. Je l'imite, mon palpitant s'emballe et mes yeux ne peuvent se détacher d'elle. Je plonge mon regard dans le sien, pour lui faire comprendre que si elle refuse je comprendrai, mais elle n'en tient pas compte et ses lèvres chaudes viennent s'écraser sur les miennes sans même me laisser le temps de quoi que ce soit. Je goute à peine leur goût sucré que mon souffle semble revenir et que je me sens vivre à nouveau. C'est ça, cette fille qui me rend dingue à ce pouvoir sur moi. Depuis qu'Antho m'a abandonné, je ne me contentais que de survivre. À ses côtés, c'est comme si je reprenais vie.
Cette connexion prend fin bien trop vite à mon goût et alors que je cherche son regard, elle le fuit avec subtilité. Elle s'éloigne et la bouffée d'oxygène à laquelle j'ai eu le droit s'évanouie par la même occasion. Elle se rassoie aux côtés de son cavalier qui l'observe soucieux et elle ne laisse rien paraître. Impossible de décoder quoi que ce soit, alors que j'ai toujours réussi à lire en elle comme dans un livre ouvert.
Pourquoi est-ce qu'elle fuit mon regard ? Est-ce que m'embrasser cette fois, c'est elle qui n'en avait pas envie ?
Le jeu continue et je n'y prête plus aucune attention. Les questions se bousculent, les doutes aussi. Et ce sentiment que j'ai d'être vraiment en train de la perdre, me fait flipper comme un malade.
– David, action ou vérité ? demande Emilie, ce qui a le don de me ramener sur terre.
Il hausse les épaules, indifférent et l'observe.
‒ Action.
Emi affiche un sourire satisfait et je sais que ce qui va suivre va me foutre encore un peu plus en l'air.
– Très bon choix ! Dans ce cas, tu dois rouler une pelle à Nine !
Mon cœur fait un bond, puis cogne tellement douloureusement contre ma cage thoracique qu'il me donne l'impression de vouloir s'enfuir pour ne pas assister à ce spectacle. David, lui, ricane, amusé. Je ne peux m'empêcher de fusiller Emi du regard et elle me toise, l'air accusateur. Je sais ! J'ai merdé !
– Chacun son tour Yann ! Je te rappelle que ta langue s'est amusée avec celle de Chloé !
Sans rien contrôler, je pète le pic en bois que je tenais entre mes mains. Vaut mieux ça plutôt que je me lève et que j'explose la gueule de ce connard. Encore que le risque que ça arrive n'est pas tout à fait éloigné. Mes pupilles trouvent celle de Nine et comme si elle me laissait une chance d'intervenir, elle laisse écouler quelques secondes avant de se tourner vers lui.
Il se penche vers elle, pose sa main sur sa joue et l'interroge du regard. Je me surprends à prier pour qu'elle finisse par reculer, mais elle n'en fait rien, alors que dans la seconde qui suit, il l'embrasse d'une façon qui laisse peu de doute à la manière dont lui, lui permet d'entrer dans sa vie, là, maintenant. Elle le connait pas ce mec, putain ! Elle lui laisse le bénéfice du doute, sans être sûr qu'il soit sérieux. C'est pas ce qu'elle à fait avec toi, mec ? Si, elle est comme ça. Et si elle ne l'était pas, jamais on aurait pu en arriver à avoir cette relation, ni même cette proximité si spéciale et importante à mes yeux.
Soudain, je perds le contrôle et je me redresse pour les rejoindre en quelques enjambés. J'envisage une seconde de pulvériser ce petit con, mais me ravise et prend sur moi en me disant qu'elle m'en voudrait à mort. Au lieu de ça, je saisis son bras et la relève. David serre les dents, prêt à intervenir, mais en un regard, elle lui fait comprendre de laisser faire. Qu'est-ce qu'elle espère ? Que je franchisse les limites que je me suis imposées ici, maintenant ? Je le pourrais. Mais je ne m'en sens pas encore capable, même si les paroles de mon pote résonnent toujours dans mon esprit. Je pourrai la perdre n'importe quand et cela qu'elle soit dans ma vie, peu importe la place qu'elle occupe. Elle est de toute façon déjà trop importante pour que ça ne m'atteigne pas. Mais il me faut encore du temps. T'en à plus, mec !
Je la traîne derrière moi et l'attire un peu à l'écart dans la salon, puis me plante devant elle.
– Putain, mais à quoi tu joues là ! grogné-je, alors qu'elle me scrute incompréhensive.
Par pitié, ne me sors pas que t'es tombée amoureuse de lui, ou une connerie de ce genre. Je le supporterai pas. Pas maintenant, pas alors que je suis sur le point de céder.
– Tu le connais à peine bordel ! aboyé-je, en voyant qu'elle ne réagit pas.
– Ho, c'est donc seulement ça ? C'est seulement le fait que je le connaisse à peine qui te gêne ?
Bordel, non ! C'est pas seulement ça ! Je suis fou de toi ! T'imaginer avec lui me fait péter un câble !
Lui dire ça ? Je pourrai. Pourtant, je ne le ferrai pas.
– C'est qu'un putain de jeu, Yann !
– Pas pour lui !
– Et alors ! Et même s'il me plaisait, ça ferrai quoi ? C'est pas comme si tu ressentais quelque chose pour moi, si ? Sinon, t'aurai pas été assez con pour le laisser m'embrasser !
Faut croire que je le suis, si. Pourquoi j'ai pas réagit avant qu'il ne l'embrasse ? J'en ai aucune putain d'idée ! Et putain, si, je t'aime ! T'imagine même pas à quel point et comme ça me tue de ne pas arriver à te le dire !
Ça aussi je pourrais lui avouer. Mais je le ferrai pas non plus.
Au lieu de ça, je fuis son regard, les dents serrées.
– Je te rassure, David est un mec très bien, s'il n'y a que ça qui t'inquiètes !
Les sourcils froncés, je trouve son regard. Pourquoi elle me dit ça ?
– Quoi, c'est bien toi qui as dit que si je me mettais avec un mec, il avait intérêt à être putain de sérieux, non ? Alors je te rassure, il est A.DO.RA.BLE !
Là, c'est tout un cataclysme qui se lève dans ma tête. C'est donc ça. Je me rappelle ce moment où je lui ai dit. Mais c'était des conneries ! Je pouvais pas juste... te demander de m'attendre. D'attendre que toute cette merde que je me traîne disparaissent ! Que j'arrive à faire fasse à mes peurs ! Je suis comme un gamin après un cauchemar, j'ai peur que ça recommence ! Attends-moi, s'il te plaît.
Oui, je pourrais lui confier ça et lui demander de patienter. Elle le ferrai certainement. Mais je ne peux pas être égoïste avec elle.
‒ Putain, mais...
Ces mots m'échappent, malgré moi et je me retiens de justesse de lui déballer la suite.
– Une objection ? me questionne-t-elle, avec cette lueur d'espoir dans ses iris.
J'ouvre la bouche et la referme aussitôt. Pourtant, j'aimerai tellement que ça sorte. J'aimerai vraiment arriver à lui confier ce qui pèse sur mon cœur et mon esprit. Je baisse les yeux et lorsque je les relève la seconde d'après, je m'aperçois qu'une larme s'échappe des siens. C'est un coup de poignard en plein cœur. Je lui fais du mal. J'ai horreur de la voir comme ça. Quoi que je fasse, je suis égoïste.
Je tends la main vers sa joue, mais me ravise. Si je fais ça, alors tout pourrai bien se casser la gueule. Mais, c'est ce que tu veux non, pulvériser cette armure qui te protège ? C'est vrai... Mais.
– Tu fais chier, Yann !
Je sais et je suis tellement désolé... Mais si tu savais à quel point c'est dur...
Sans un mot, elle met rapidement le plus de distance possible entre nous, puis glisse un regard vers moi, avant de passer la baie vitrée, au moment même où mon poing s'abat avec rage contre le mur du salon.
Elle disparaît et je reste planté là, à observer l'endroit où elle vient de se volatiliser. Mon cœur se remet à hurler, ma liberté et la sensation qui me permet de me sentir en vie s'évanouie. Je manque d'air, j'étouffe. Sans elle, c'est plus possible.
Je reste un moment le regard perdu dans le vide, à essayer de me recentrer sur moi-même. La tâche n'est pas facile. Tout se bouscule dans ma tête. C'est un véritable chaos.
Finalement, au bout de quelques minutes, je rejoins le jardin et comme une piqure de rappel, mon regard tombe immédiatement sur eux. Au milieu de la piste, ils dansent un slow et il l'embrasse. Cette fois, je suis en colère oui, mais contre moi-même. Si cette crainte de la voir disparaître n'était pas ancrée aussi profondément en moi, si j'étais assez fort pour la surmonter, alors je lui aurais dit ce que je ressentais vraiment. Au lieu de ça, je lui ai donné envie de s'éloigner un peu plus. Depuis le départ, je veux qu'elle me fuie et c'est en train de se produire. Mais ce n'est plus ce que je veux.
Mon regard croise les prunelles de Nine et cette fois, je baisse les yeux. Kévin m'avait prévenu. Elle aussi. Elle m'a donné l'opportunité à plusieurs reprises de lui avouer ce que je ressens, mais je n'ai pas pu m'y résoudre. Je ne peux m'en prendre qu'à moi-même.
Je ne sais pas combien de temps exactement je reste planté là, mais je finis par suivre le mouvement, quand ils se rendent tous au salon. Comme un automate, je m'installe dans le gros pouf juste à côté du canapé où elle vient de prendre place et nos iris se trouvent comme irrémédiablement attirés l'un vers l'autre. Je l'observe et je n'essaye même plus de cacher la tristesse qui me ronge. David passe son bras sur ses épaules et elle se cale contre lui sans hésiter. Une nouvelle décharge atteint mon cœur et je grimace. Machinalement et surtout pour que ça fasse moins mal, je perds mon regard sur l'écran de télévision où mon pote lance un film, tandis qu'au passage, il m'adresse un coup d'œil, l'air désolé.
Malgré toute la force que je mets pour éviter de tourner la tête vers elle, mes yeux finissent toujours par être attirés. Au bout d'un moment, je la vois commencer à lutter pour ne pas s'endormir et David, qui la sent certainement se détendre referme son bras sur elle pour la maintenir contre lui. Il me lance un regard en biais, ni provocant, ni désolé. Ce mec reste un mystère. Elle tombe dans les bras de Morphée et je donnerai n'importe quoi pour que ce soit dans mes bras qu'elle s'abandonne. Comme avant. Ça me manque.
Ils s'endorment tous, tour à tour et à force de lutter, je finis moi aussi par sombrer, le cœur serré, me promettant juste avant, de faire ce qu'il faut pour la retenir. Il faut que je lui dise. Que je lui avoue tout.
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Hello ! ^^
J'espère que vous allez bein ! :) Me concernant je commence à me sentir mieux et je vais donc pouvoir me pencher sur l'interview de kévin (enfin). Il a beaucoup de succès auprès des lectrices et a donc reçu pas mal de questions. Il y répondra avec sérieux... ou pas... Après tout, c'est de kév dont on parle haha XD
J'espère que ce chapitre du point de vue de Yann vous a plu ! ^^ Il n'en reste plus que deux avant la fin de ce tome un et ça me fait tout drôle de me dire que je vais y mettre un point final. Je vais donc ensuite me lancer dans la correction tout en avançant sur le tome 2. J'ai aussi tout plein d'autre projets dont je vous parlerez au fur et à mesure.
Pour ne manquer aucune infos sur ToFo, la révélation de la cover du tome 2 par exemple, ou bien où va me mener mon imagination sur d'autres histoires (car oui j'ai tout plein d'idées), n'hésitez pas à me rejoindre moi et mes nombreux personnages sur Insta : the_idylyne_feather
Je vous dis à bientôt ! :)
Des bisous ! :D
IDY
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