J'ai ouvert les yeux il y a plusieurs minutes et depuis je n'ai pas bougé. Sa tête est posée sur mon torse et elle dort encore profondément. Je fais donc l'impasse sur ma séance de sport quotidienne... Après tout, ça va pas me tuer. Le fait est que j'aime ces moments, lorsqu'elle est contre moi. En fait, j'aime tous les moments que je passe avec elle.

Après quelques minutes, je me dégage doucement, en faisant attention de ne pas la réveiller, puis au lieu de sortir du lit comme je l'avais prévu, mes yeux sont attirés par son visage. Elle est si paisible et tellement belle... Voilà, ça recommence !

Je me mets sur le côté, m'appuyant sur mon coude, la tête posée sur ma main et l'observe. J'ai beau essayer de comprendre, je n'y arrive pas... À quel moment, elle a choisi de s'intéresser à moi et pourquoi ? Je suis le genre de mec que la plupart des filles fuient, mais pas elle.

Alors que je suis en pleine réflexion, elle ouvre lentement les yeux, puis râle avant de mettre sa tête dans l'oreiller lorsqu'elle s'aperçoit que je la regarde.

– Qu'est-ce que tu fais ? me demande-t-elle en sortant la moitié de son visage du coussin, pour jeter un coup d'œil vers moi.

J'esquisse un sourire en coin, amusé par sa réaction. Elle a horreur qu'on l'observe quand elle dort. Me concernant, c'est encore quelque chose que je ne peux plus contrôler. J'aime détailler son visage, les petites mimiques qu'elle fait quand elle dort, ce petit sourire aussi parfois qui se dessine sur ses lèvres pendant son sommeil. Cette fille me captive à un point que je ne saurais expliquer.

– J'essaye de comprendre, lancé-je, avec le plus de sérieux possible.

Elle sort cette fois complètement sa tête de l'oreiller, pour m'observer avec curiosité et lève un sourcil, interrogateur.

– Pourquoi moi ? l'interrogé-je.

Cette fois, elle les fronce les sourcils et se tourne vers moi pour prendre la même position, attendant que je précise.

– J'veux dire, je suis pas comme Nico, je suis loin d'être le mec posé et sans histoire... Et j'ai un putain de caractère de merde, alors pourquoi moi ?

Elle me sourit et j'ai l'impression que je me consume de l'intérieur.

– Parce que je n'écoute pas les rumeurs. Parce que je savais qu'au fond, tu étais quelqu'un d'extraordinaire et au final j'avais raison, explique-t-elle.

Je fronce les sourcils. Je ne me définirais pas comme un mec bien et comment peut-elle dire que je suis ce genre de personne alors que...

– Pourtant, tu n'as vu que les mauvais côtés de ma personnalité.

Elle rit doucement, sans cesser de m'observer. Ok, alors ce que je viens de balancer est drôle apparemment...

– Je ne dirais pas ça... Il n'y a qu'à voir comment tu te comportes avec les gens que tu aimes, rien que ça, ça en dit beaucoup sur la personne que tu es, tente-t-elle de m'expliquer.

Elle soupire, semblant réfléchir, puis reprend.

– Tu dis ne pas être quelqu'un de bien, ne m'apporter que des ennuis... Mais à la façon dont tu veilles et te préoccupes des autres... De moi... C'est tout le contraire, même si ton côté protecteur est parfois assez déroutant, précise-t-elle.

Je grimace et détourne les yeux. Je savais bien que cette facette de moi, qui prend énormément de place, poserait problème un jour où l'autre.

– Désolé, si je le suis trop, j'ai... Je changerai pas.

Ouais, ça c'est clair que je changerai pas et maintenant elle sait pourquoi.

– Je sais ! Et je chercherai jamais à te changer, c'est juste qu'aux yeux des autres... Ça porte à confusion...

Ce n'est pas la première fois qu'on aborde ce sujet, mais plus ça va, plus j'ai l'impression que c'est quelque chose qui lui pèse.

– Parce que tout le monde pense qu'on est ensemble, c'est ça que tu veux dire ?

Elle hoche faiblement la tête et voilà que j'ai la trouille qu'elle veuille que ça change.

– Ça te dérange ? demandé-je, même si je redoute sa réponse.

– Tu sais bien que ça me passe au-dessus, réplique-t-elle en souriant. Mais...

Je savais bien qu'il finirait par y avoir un mais... Il y en a toujours un qui vient foutre la merde.

– Mais ? osé-je, inquiet.

– Mais tes parents commencent à le croire aussi et parfois... On dirait que t'es jaloux.

Outch... Que répondre à ça franchement ? C'est pas comme si c'était faux.

– J'le suis, lâché-je sans détour, tandis qu'elle scrute mon regard.

Elle reste silencieuse, semblant assez surprise et nerveuse. Bordel, j'aurais dû la fermer.

– J'ai peur que quelqu'un finisse par prendre ma place, expliqué-je.

Fait chier... Je balance ça, alors que je ne voulais que le penser.

– Ta place ?

Je grimace, mais à vrai dire, je ne regrette pas de lui avoir dit, parce que putain, c'est vrai... Je flippe. J'ai franchement les boules que quelqu'un finisse par me remplacer et qu'un mec finisse par avoir tout ce que j'aime, parce que je ne peux pas lui apporter ce qu'elle souhaite pour le moment.

– Ouais, toi et moi, on a une relation assez... spéciale, j'aime ça ! Même si c'est compliqué et que pas grand monde nous comprend, tenté-je d'expliquer.

– J'aime aussi ce qu'on est, mais il faut que ce soit clair entre nous deux... On peut pas...

– Tu veux dire qu'il va falloir qu'on prenne une décision... la coupé-je.

Elle hausse les épaules, alors que de mon côté, je me maudis d'avoir engagé cette discussion. J'ai carrément pas envie de prendre cette décision, mais je peux comprendre qu'elle ai besoin que les choses soient plus clair entre nous... Même si je sais où ça va mener, parce que je ne changerai pas d'avis. Tant que ma vie sera un chaos permanent, hors de question de la laisser prendre cette place auprès de moi. Ce qui est ridicule parce qu'elle occupe déjà une place importante...

– Qu'est-ce que tu veux ? m'interroge-t-elle, alors que je ne m'y attendais pas.

Toi... Tout simplement, mais c'est impossible, pas pour l'instant et il est évident que je ne peux pas lui balancer ça.

– Je veux que rien ne change, soupiré-je, en me laissant retomber sur le dos pour fixer le plafond.

– Je sais pas si...

– Attends, laisse-moi finir, l'interromps-je.

Elle m'observe, toujours dans la même position, tandis que je préfère continuer de scruter la surface blanche au-dessus de moi.

– J'aime ce qu'on est et j'aime celui que je suis quand je suis avec toi, même si parfois j'abuse clairement... Et je sais que si on était ensemble, on serait bien, peut-être même mieux que maintenant ! Tu me plais, la question se pose même pas... Et putain, je pense que t'es même pas consciente d'à quel point tu plais aux mecs !

Je reste silencieux un bref instant et me tourne vers elle pour trouver ses iris vert, ceux qui me font perdre tous mes moyens.

– Mais se mettre ensemble... c'est prendre le risque de tout faire foirer, de s'éloigner si quelque chose vient à merder, on en a déjà parlé, et j'y ai réfléchis, soupiré-je, et je veux pas prendre ce risque... je t'aime trop pour ça.

Putain de merde ! Même si c'est vrai, c'était pas prévu que ça sorte, pas comme ça, pas maintenant... Elle fronce les sourcils, tentant certainement de décoder le message et je sais qu'il va falloir que je rattrape ce que je viens de balancer.

– Tu...

– Ouais, c'est c'que j'ai dit, t'es ma meilleure amie, plus que ça même ! C'est normal que je t'aime, me justifié-je. Je suis un peu perdu, je sais plus où j'en suis... Il faut que je remette de l'ordre dans ma vie avant de te laisser y entrer complètement... Je suis pas prêt à m'attacher de cette façon, pour le moment...

Elle s'assoit tout à coup en tailleur sur le lit et je me tends. Je l'ai forcément déçue. Sinon pourquoi elle s'éloignerait comme ça de mon regard ? Elle ne dit pas un mot et franchement ça me fout la trouille.

– Je tiens à toi et moi aussi, je t'aime ! Nôtre « nous » compte plus que tout, affirme-t-elle.

Ma respiration se bloque. Le fait qu'elle prononce ces mots me rassure, même si pour le moment, ce n'est que quelque chose d'amical et même si on est d'accord ça dépasse légèrement ce stade, mais j'en avais besoin.

– Et si ce que Kévin a dit vient à arriver ?

Je fronce les sourcils, ne comprenant pas à quoi elle fait référence.

– Quoi ? demandé-je, en me mettant assis à ses côtés, l'air grave.

– Si quelqu'un...

Elle ne finit pas sa phrase, nerveuse et je devine maintenant à quoi elle fait allusion.

– Si tu plais à un mec et que tu viens à te mettre avec ?

Elle acquiesce, sans me regarder, les yeux rivés sur ses doigts qu'elle triture nerveusement. Dans mon esprit, à ce moment précis, c'est l'apocalypse et si je plonge mes yeux dans les siens, j'ai peur de dire ce qu'il en est vraiment et je peux pas. Alors j'inspire profondément et me lance, je ne serais pas égoïste avec elle, je m'y refuse.

– Bah, il a intérêt d'être putain de sérieux et de pas faire le con, sinon j'le défonce sans pitié, balancé-je, en serrant la mâchoire.

Je regrette immédiatement la bombe que je viens de lâcher, parce que si elle se met avec quelqu'un, franchement ça me tuera... Mais je soupire et passe mes bras sur ses épaules pour l'attirer vers moi.

– Je changerai pas, je s'rai toujours là pour toi, toujours aussi chiant et protecteur, que ça plaise ou non, affirmé-je, pour que ce soit clair. Et pour la suite on verra...

– La suite ? s'étonne-t-elle.

Je glisse un regard sur elle, esquissant un sourire en coin.

– Je serais peut-être jaloux, mais ça tu l'sais et faut s'attendre à tout avec moi, précisé-je, préférant être franc, avant de me redresser pour échapper à toutes autres questions, ayant atteint mon quota pour aujourd'hui.

Elle m'observe m'asseoir sur le bord du lit l'air soucieux.

– Alors, si je me mets avec quelqu'un, ça ne te posera pas de problèmes ?

Elle me lance ça comme une perche qu'elle me tendrait afin d'être sûr que je ne regrette pas. Bordel... Bien sûr que ça me posera problème ! L'imaginer dans les bras d'un autre... Rah, fait chier ! Mais je peux pas lui demander de m'attendre, ce serait pas juste pour elle, ma vie ne doit pas entraver la sienne.

– Je peux pas t'empêcher de te mettre avec qui que ce soit, ni t'obliger à attendre que mes problèmes se règlent, lancé-je, en évitant son regard.

J'ai l'impression de la pousser dans les bras d'un autre et mon cœur se serre, mais c'est mon choix et il va falloir que j'assume, même si ça ne me plait pas.

Je me redresse, récupère des fringues propres puis me dirige vers la salle de bain sous son regard qui me suit.

– Yann ?

– Mmh ?

– Et moi ? Pourquoi moi ?

Je connais la réponse, elle est évidente, même si je ne peux pas encore me l'avouer à moi-même. Mais j'ai envie de faire retomber la pression.

– Parce que t'es une emmerdeuse, lâché-je, en en souriant comme un gamin.

Elle secoue la tête en soupirant.

– Parce que tu es toi et pour qui tu me fais devenir, lui confié-je.

Je disparais dans la salle de bain, la seconde qui suit, le cœur lourd, tentant de mettre de côté cette discussion, tout en enlevant mon t-shirt que je balance énervé dans la panière de linge sale.

– Faut pas traîner, on a le match de basket, ce matin ! crié-je pour qu'elle m'entende.

Voyant qu'elle ne répond pas, je fronce les sourcils et ressort. La dernière fois, Thomas a clairement joué au con et c'est clair qu'elle n'a pas envie d'y aller. Ou bien, elle m'en veut de tout ce que je viens de lui dire ?

– T'inquiètes, ça va le faire ! Tu seras dans mon équipe, la rassuré-je, en lui adressant un clin d'œil, avant de disparaître à nouveau évitant de revenir sur ce qu'on vient de se confier.

Je me plante devant le miroir, les mains crispées sur le rebord du meuble vasque, le cœur battant, comme s'il S'était retenu tout le temps où nous avons parlé. Mes démons sont encore là, ils me rappellent chaque jour que si je m'attache alors je pourrais la perdre à tout moment. Cette peur, ne me lâche pas et même si je crève d'envie de passer cette porte pour lui faire voir à quel point j'ai envie d'elle près de moi de cette façon-là je ne peux pas.

Putain, mais qu'est-ce que je peux être con !... Si elle se trouve un mec, je suis censé faire quoi maintenant ?