
Yann #13
* Point de vue Yann *
Je passe la porte vitrée qui donne sur la cour du bahut et immédiatement, mes yeux se posent sur elle. À croire qu'ils ont un super pouvoir, qui me permet de la détecter automatiquement.
Elle est assise sur notre banc, celui où il y a encore peu de temps, je me trouvais seul. Depuis, à chaque fois que je m'y assois, c'est avec elle. Lorsque je m'approche, elle me sourit, de ce sourire, qui j'ai l'impression, m'est réservé... J'ai beau l'observer, elle ne l'adresse à personne d'autre... Il a quelque chose de... différent.
Je m'assois sur le banc, une jambe de chaque côté et comme un réflexe qu'elle a prit, elle se tourne et glisse jusqu'à coller son dos contre mon torse... Bordel, c'est peut-être une habitude qu'on a prise, mais l'autre tambourine comme un grand malade ! Ce simple contact me fait frissonner... Elle me tend un de ses écouteurs, comme souvent, que je visse à mon oreille, puis dans un geste qui devient presque indispensable, j'enfouis mon visage dans son cou, l'encercle de mes bras et ferme les yeux.
Son parfum m'apaise, j'ai l'impression d'être ici, mais de ne pas avoir la vie merdique que j'ai. Elle a le don de me donner le moyen de m'évader. J'enroule une mèche de ses cheveux bruns autour de mon doigt et joue avec, comme à chaque fois. Tout est si naturel quand je suis avec elle... C'est déstabilisant, effrayant, réconfortant... Un mélange d'émotions, que jusque-là, je n'avais jamais connu.
Je resserre mes bras autour d'elle, tandis qu'elle bascule légèrement sa tête en arrière, pour la caler sur mon épaule. L'autre abruti rate encore un battement et une chaleur encore inconnue m'irradie de l'intérieur. Putain, je pourrais rester comme ça indéfiniment... Si on me demandait en cet instant de choisir un pouvoir, sans hésiter, j'arrêterais le temps. Ouais, je me la jouerais carrément à la Hiro Nakamura.
Soudain, elle me donne un léger coup de coude et me sors de mon état presque second. Je redresse la tête, quittant la chaleur de son cou à regret et remarque Kévin, qui s'est assit à côté de nous. Il nous observe avec insistance et je sais déjà à quoi il pense.
- Qu'est-ce qu'il y a, mec ? demandé-je.
- Qu'est-ce qu'il y a ? T'es sérieux ?
Je hausse les épaules, faisant mine de ne pas comprendre.
- Bah, explique...
- Mec, tu vas pas me la faire à moi, me lance-t-il.
- Quoi ?
- Vous deux, il se passe un truc, affirme-t-il.
Nine me jette un coup d'œil par-dessus son épaule et nous levons un sourcil, de façon presque synchro. Putain, il recommence... Elle et moi on a discuté, elle sait que pour le moment, je ne veux impliquer personne dans ma vie de cette façon. C'est compliqué... Enfin, c'est ce qu'on arrête pas de se répéter et d'un côté, c'est vrai. Bordel, on est bien comme on est, lâchez-nous !
- Pas du tout, qu'est-ce qui te fait dire ça ? tenté-je d'esquiver.
- Vous vous êtes vu ?
- Ouais, et ?
- On dirait un putain de couple, c'est comme si vous étiez ensemble depuis trois ans, mec. Et encore, j'suis gentil, argumente-t-il.
- On est bien comme ça, c'est tout. On est proche, on s'entend bien, mais on est amis, rien de plus, répliqué-je.
Il fronce les sourcils. Il va enchaîner et je ne préfère pas lui en laisser le temps.
- Et au pire, on n'a pas à se justifier, grogné-je.
- J'te demande pas de te justifier, mais d'être clair.
- Bah, c'est clair, elle et moi on est pote, pour le reste, elle fait ce qu'elle veut.
Intérieurement, je me fais marrer tout seul, puis la seconde d'après je flippe comme un con et j'espère qu'elle ne prendra jamais ça au sérieux... Elle fait ce qu'elle veut hein ? Pfff et ta connerie !
- OK, donc si un de mes potes me demandait de prendre la température, pour voir si y'a moyen avec elle, tu dirais rien ? m'interroge Kévin.
Bordel de merde ! C'est quoi ce délire ? Qui l'envoie pour savoir ce qu'il en est ? Malgré moi, mon cœur commence à accélérer et je me tends. Le calme que je ressentais, il y a encore à peine deux minutes, s'est envolé.
- C'est le cas ? demandé-je.
Mes poings se crispent légèrement, alors qu'elle est toujours dans mes bras et qu'ils sont dans la poche de son sweat, juste au-dessus de ses mains.
- Peut-être, ou pas, mais là n'est pas la question mec, tu dirais quoi ? insiste-t-il.
Je suis sûr qu'elle s'est rendu compte de quelque chose... Qui ne s'en apercevrait pas ? Je suis tendu, mon cœur bat plus fort qu'il ne le devrait et son dos contre mon torse ressent à coup sûr les battements de cet abruti qui me trahit à chaque fois. Elle observe Kévin avec insistance, comme pour lui faire comprendre de lâcher l'affaire... C'est sûr, elle m'a grillé...
- Elle fait ce qu'elle veut, je peux pas être plus clair, répété-je.
Putain de merde ! Pourquoi je m'obstine à balancer ça ?
- OK, alors si je l'invite ce week-end, ça pose pas de soucis, lance-t-il. Nine ?
Nan, mais il est sérieux là ? Ma patience s'envole et j'ai l'impression que les jointures de mes poings vont péter tellement je les serre. Je la pousse légèrement en avant, avec douceur. La chaleur et le poids de son corps contre moi laisse aussitôt un vide qui me déplaît. Je me redresse rapidement et fait face à Kévin, le menaçant du regard de continuer.
- Putain, mec, tu cherches quoi là ? aboyé-je.
- Rien, je voulais juste savoir, lâche-t-il. Mais, ta réaction parle d'elle-même !
Sans me laisser le temps d'ajouter quoi que ce soit, il part rejoindre ses potes. Je me retrouve comme un con et capte seulement maintenant qu'il vient de me griller en beauté. Je reprends lentement ma place sur le banc, à califourchon et cette fois, elle se tourne complètement vers moi, pour me faire face et pose ses cuisses sur les miennes. OK, respire ! Et, toi arrête putain ! On dirait que tu vas exploser, bordel...
- Qu'est-ce qui lui prend ? s'étonne-t-elle.
- Je sais pas, mais il m'a soûlé, m'énervé-je.
- Je pense qu'il veut juste comprendre où on en est, t'es son pote, c'est normal.
- Y'a rien à comprendre, on est comme ça point.
- Tant qu'entre nous, c'est clair, tout va bien, affirme-t-elle.
Clair ? Ouais... Je crois... J'sais pas... Oui, pas le choix. Sa main frôle la mienne. Bordel, elle est gelée ! Dans un geste dont je ne suis pas vraiment maître, mes mains saisissent les siennes, pour les envelopper et je les ramène vers ma bouche pour souffler dessus et les réchauffer. Elle esquisse un sourire... Ce sourire... Et, je cherche toujours à comprendre ce que je viens de faire. C'est pas comme si j'avais décidé quoi que ce soit.
Je retrouve un semblant de sérénité, mais voilà que l'autre connard qui l'a poussé pendant le match de basket, s'arrête à côté de nous et nous observe, avec un sourire qui annonce les emmerdes. Malgré moi, je serre un peu plus fort ses mains dans les miennes et je reste les yeux rivés sur le pendentif qu'elle porte autour du cou, pour essayer de faire abstraction. Ça va partir en couille, c'est obligé...
- Ça y est, t'es son chien de garde personnel ? se moque-t-il.
Je quitte mon point d'ancrage et le fusille du regard, toujours les mains serrées autour des siennes.
- Ta gueule, Thomas, bouge de là, craché-je, pour lui donner une dernière chance, sentant la colère monter.
Au lieu de ça, il affiche un rictus provocateur.
- Ou bien, s'est fait, tu te l'es tapée ? balance-t-il.
Putain de merde ! Ce connard, vient d'anéantir en une seconde tout le calme qu'il me restait. Il a vraiment balancé ça ? J'abandonne ses mains, me redresse et me plante face à lui, mon front presque collé au sien, tandis qu'elle nous observe tendue. Mon regard le transperce. S'il bouge d'un millimètre ou s'il la regarde, j'le finis. Jusque-là, j'ai pris sur moi, parce qu'elle me l'avait demandé. Mais là... J'esquisse un sourire mauvais. Au fond, je sais que c'est déjà foutu, pas de marche arrière possible, pas à ce stade.
- Répète, le défié-je.
- Elle est bonne ? balance-t-il, en jetant un œil amusé à ses potes de chaque côté de lui.
Mec, t'es dans la merde... Je fronce les sourcils. S'il pense que je vais me défiler parce que ses potes sont là, il est loin de la vérité, il ne me connaît pas. Pour moi, c'est qu'un putain de détail insignifiant. Pour moi, c'est... Où je veux, quand je veux et peu importe le nombre.
Je saisis son col, puis l'entraîne en arrière, pour le plaquer contre le mur, violemment. Je place mon avant-bras sur sa gorge, pour l'immobiliser et quoi qu'il arrive, plus rien ne pourra m'arrêter, c'est trop tard. J'ai une sorte de point de non-retour. Et, une fois franchie, c'est mort.
Quelqu'un tente de me tirer en arrière, mais je ne bouge pas, mes pieds sont comme ancrés au sol. Il tente une deuxième fois et je me retourne pour le pousser avec puissance, pour ensuite faire de nouveau face à Thomas.
- Tu parles encore une fois d'elle comme tu viens d'le faire et j'te jure que tu passeras des semaines sans pouvoir parler !
L'un de ses potes me saisit par-derrière en passant son bras autour de mon cou. Il ne se rend même pas compte de l'erreur qu'il vient de faire et que si je voulais, je pourrais le faire voler. Je saisis son poignet et appuie fortement sur un point stratégique, qui lui fait lâcher prise, puis me retourne et le défie d'un regard mauvais.
Du coin de l'œil, j'aperçois Nine qui s'approche. Je sais que son intention est de m'arrêter. Mais, elle ne pourra pas... Et, si elle venait à se prendre un coup perdu, je jure que je pourrais vraiment finir l'un d'eux.
- Restes où t'es ! lui ordonné-je.
- Yann, laisse tomber, c'est rien !
Bien sûr que si ! J'ai vu son expression quand il a sorti ça... Et, putain, je sais qu'au fond, ça l'a atteinte. Mon attention étant focalisée sur elle, je ne vois pas le coup arriver et me prend une droite. Surpris, je manque de perdre l'équilibre, mais je me redresse aussi vite. Je passe ma langue sur ma lèvre inférieure et reconnais le goût ferreux du sang. J'en ai l'habitude. C'est con à dire, mais ça me fait plus rien, j'ai tellement appris à encaisser, que je ne sens quasiment plus la douleur.
Un sourire prend forme aux coins de mes lèvres. J'ai reçu le premier coup.
Je réplique et écrase mon poing sur la mâchoire du type qui vient de me frapper, puis me tourne vers Thomas pour le soulever afin de le faire tomber. Son dos heurte le sol et je l'immobilise pour planter mon regard dans le sien. Je veux lui faire comprendre qu'il a merdé.
Quelqu'un saisit mes bras avec force et me tire en arrière, pour me bloquer, tandis que Thomas se redresse et me donne un violent coup dans l'estomac. J'encaisse, je sais faire, j'ai tout fait pour y arriver. J'enchaîne pas toutes ces séries d'abdos le matin, pour qu'un simple coup comme celui-là puisse m'atteindre.
Je fais lâcher prise au gars qui me retient fermement, puis fonce à nouveau vers Thomas, là encore, je n'ai pas donné le premier coup et je vais pouvoir répliquer.
J'aperçois Kév qui se pointe avec sa bande pour me prêter main forte et je remarque que Nine s'approche dangereusement. Ça va dégénérer, il faut pas qu'elle reste là.
- Bouge ! gueulé-je.
Elle recule finalement et rassuré, je peux faire ce que je fais de mieux... Cogner.
En quelques secondes, ça devient un vrai bordel et du coin de l'œil, je vois Nico dans la mêlée. Merde, mais qu'est-ce qu'il fout là ? Je me concentre de nouveau sur Thomas, lui donnant enfin ce qu'il mérite.
Il réussit à me donner un coup au niveau de l'arcade et je sens un liquide chaud s'écouler presque immédiatement. Une fois de plus où une fois de moins...
Dans tous les cas, je jure qu'il ne parlera plus jamais d'elle comme ça... Pas devant moi, pas devant elle, je ne le permettrai pas. Quelque chose a traversé ses yeux à ce moment-là et je ne veux plus jamais voir cette expression dans son regard.
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