
Chapitre 75
Avec tout ça, je n'ai même pas eu le courage d'aller récupérer mon sac de cours chez Aurore. Elle m'a donc proposé de me le ramener ce matin, directement devant le lycée, ce que j'ai accepté sans hésiter.
Lorsque j'arrive devant mes amis, ils me regardent avec inquiétude, mais restent silencieux. Nico se contente de me saluer comme il l'a toujours fait et Aurore me prend brièvement dans ses bras avant de me rendre ce qui m'appartient. Je leur ai téléphoné pour leur expliquer ma rencontre avec Yann hier, il me semblait normal de les mettre au courant. Ils n'ont rien trouvé à redire, seulement qu'ils me comprenaient et qu'ils étaient là si j'en avais besoin. Nico a simplement ajouté que Yann avait grave déconné, ce qui n'est pas un scoop.
Ce dernier n'est d'ailleurs pas très loin de nous, mais ne nous rejoint pas comme il le faisait depuis maintenant un moment. Il m'adresse seulement quelques coups d'œil que j'évite et reste à proximité, comme pour me faire savoir que malgré tout, il est là.
La sonnerie retentit et je salue Kévin au moment où nous entrons dans l'établissement, sous le regard de Yann, mais ne lève à aucun moment mes yeux vers lui... Je n'en ai pas la force.
Bizarrement, moi qui espère toujours que la journée passe vite, cette fois, je pris intérieurement pour qu'elle dure le plus longtemps possible. Demain, je vais devoir pousser la porte de ce fameux gymnase et assister au combat. Autant dire ce qui est, il s'agit bien de ça de toute façon.
Lorsque la pause déjeuner arrive, je rejoins le réfectoire avec mes amis, puis nous nous asseyons à une table libre. Je n'ai pas pris de plateau-repas, je me suis juste contenté d'attraper une pomme, sous le regard réprobateur de mes amis.
Alors que je ne m'y attends pas, nous sommes vite rejoints par Kév et Yann. Ce dernier hésite à s'asseoir à notre table, mais finit par s'exécuter lorsque son ami l'invite à poser ses fesses sur l'une des chaises en fronçant les sourcils.
Il est assis à côté de Nico, qui, lui, est en face de moi et il ne me quitte pas des yeux. Quant à moi, mes yeux sont rivés sur cette pomme. À croire que je tente d'en connaître le moindre aspect.
Yann pioche ici et là quelques frites dans son assiette. Apparemment, lui aussi manque d'appétit. Il ne prend pas part non plus aux discussions des autres. Finalement, au bout d'une quinzaine de minutes, je fourre le fruit dans mon sac, puis me lève sans rien dire, pour rejoindre la cour sous son regard désolé. En me voyant m'éloigner, il balance sans ménagement sa fourchette sur son plateau, en lâchant un juron.
Je m'installe sur un banc et me résigne tout de même à ingurgiter le fruit défendu, en envoyant quelques messages à Émilie. Elle est au courant de la situation et essaye de me convaincre depuis ce matin, de la rejoindre à une soirée où elle se rend samedi... Après le... vous savez quoi. C'est dingue comme j'ai du mal à prononcer ce mot.
Elle cherche juste à me changer les idées et je finis par accepter. Après tout, une soirée à me déhancher et à me lâcher un peu me fera penser à autre chose.
Malheureusement, le sort s'acharne contre moi, car lorsque je franchis de nouveau les portes du lycée en fin d'après-midi, j'ai l'impression de n'y avoir passé qu'une simple matinée. J'avais pourtant bien souhaité que la journée s'éternise...
Je ne traîne pas et salue Nico, puis Aurore, avant de filer vers mon bus. Moins je le vois, moins j'y pense... Ouais, enfin ça, c'est ce que je me dis. La réalité en est tout autre... Il me manque.
Alors que je suis chez moi devant l'une de mes séries favorites, mon téléphone vibre sur la table basse et je l'attrape paresseusement.
Kév : * Demain, je t'attendrais à l'arrêt de bus, vaut mieux que t'arrives pas seule au gymnase et puis y'a le parc à traverser tout ça... *
Cette idée ne vient pas de lui... Non pas qu'il ne soit pas du genre à escorter une jeune fille pour sa sécurité, mais plutôt que je sais très bien qu'il est avec Yann en cet instant. Ce dernier doit le tanner depuis un moment pour qu'il m'envoie un message afin de me proposer cette solution. De plus, en le relisant, c'est pas du tout le genre de Kévin. Si l'idée était venue de lui, il m'aurait plutôt écrit un truc du style : « Salut, RDV à ton arrêt de bus demain, on ira ensemble au gymnase. » Net et précis. Sur celui qu'il m'a écrit, il argumente et trouve des excuses à sa proposition pour que j'accepte. Il n'est pas du genre à argumenter et tourner autour du pot, il va droit au but, comme moi.
Je finis par lui répondre.
Moi : * OK, ça marche, je t'envoie un message quand je suis sur la route.*
* Ho et tu peux dire à Yann que c'était pas la peine, j'ai traversé ce parc des centaines de fois comme une grande. *
Ce deuxième SMS n'était pas vraiment prévu... Mais, mes doigts se sont déchaînés sur les touches sans prévenir. Droit au but et sans détours... Et merde !
Mon portable vibre à nouveau.
Kév : * Je vois pas de quoi tu parles... *
Moi : * Bien sûr que si...*
Je les imagine à se prendre la tête. Kévin doit être en train de lui dire : « Tu vois je t'avais dit qu'elle allait nous griller ! ».
Kév : * Bref, bonne nuit. *
Du Kévin tout craché. Comment mettre fin à une discussion rapidement, pour ne pas s'étendre sur le sujet.
Je finis par rejoindre mon lit et m'enroule dans la couette. En ce moment, le mode rouleau de printemps est ce qui me convient le mieux pour dormir. Peut-être une façon de pallier au manque de ses bras, à son odeur et à la chaleur de son corps... Shhht, allez, pense à autre chose et dors.
J'avise mon téléphone. 20 h 00. Ce moment sera finalement arrivé bien plus vite que je ne l'aurai voulu.
Je ferme la porte de chez moi à clé et monte dans le bus à contrecœur. Une fois installée au fond, j'envoie un message à Kév comme prévu, pour lui dire que je suis en chemin et il ne tarde pas à me répondre qu'il est déjà presque arrivé. Si le clonage humain existait, j'aurais bien envoyé l'un des miens à ma place... Je n'ai clairement pas envie d'assister à ce genre de truc. Non pas que je n'ai pas confiance en Yann pour remporter le combat, mais que de le voir recevoir d'éventuels coups, me donne la chair de poule.
Lorsque je descends du car, Kévin est là. Il approche, me fait la bise et m'observe curieusement.
- T'as une sale tête.
- Merci, Kév, moi aussi je t'adore.
- Tu sais très bien c'que je veux dire.
- Ouais... Il est où ?
- Déjà là-bas.
- OK.
Il me jette quelques regards en biais tandis que nous traversons le parc et que je commence à sentir l'angoisse monter.
- Il m'a expliqué ce que vous vous êtes dit, quand t'es passé chez lui.
- Pas envie d'en parler.
Il fourre nerveusement les mains dans les poches de sa veste de survêtement. Le connaissant, il doit être exaspéré de voir ses deux têtes de mules préférées s'amuser au jeu du « Qui tiendra le plus longtemps ». Le problème, c'est qu'à ce stade je ne sais même pas si on en est encore là.
- Tu sais, il va pas super bien.
- Parce que moi je pète la forme, c'est évident...
- C'est pas c'que j'ai dit !
- C'est pas moi qui ai merdé, lui rappelé-je sèchement.
- On est d'accord.
- Encore, il m'aurait dit qu'il en avait eu envie, mais il m'a sorti un truc du genre, désolé, je voulais pas.
- Et t'es sûr que par là il voulait dire qu'il en avait pas envie ?
- Bah en tout cas, il a pas essayé de démentir.
- Votre relation est d'un compliqué ! Le pire, c'est que vous savez que vous n'arriverez pas à rester comme ça très longtemps.
Je me contente de hausser les épaules, le cœur battant, lorsque je me rends compte que nous sommes à quelques pas du gymnase. Il remarque mon expression tendue et se tourne vers moi.
- Ça va ?
- Pas vraiment, grimacé-je.
- Aller, t'inquiètes, tout va bien se passer.
Il pousse la porte métallique, qui laisse échapper un couinement aigu et me file de désagréables frissons, puis me laisse entrer la première. Il pose ensuite une main sur mon dos, puis nous trouve une place sur l'un des bancs en bois disposés autour de la zone de combat. Je constate, reconnaissante, qu'il évite avec soin de me traîner tout devant et choisit le quatrième rang. Émile, qui a voulu venir me soutenir, nous rejoint peu de temps après notre arrivée.
Il est prévu que je passe chez elle après, pour me changer afin de nous rendre à la soirée où elle souhaite me traîner. Elle s'installe à côté de moi et me salue chaleureusement en posant un bisou sur ma joue.
- Je t'ai sorti une robe de mon placard, elle est divine, tu vas tous les faire tomber, lâche-t-elle.
Kévin, surpris, se tourne vers nous.
- Pourquoi, vous allez où après ?
- À la soirée de Damiano, répond-elle.
Ne me demandez pas qui c'est, je ne le connais pas, contrairement à Em', qui connait tout le monde au Blocks.
Il lève les yeux au ciel, l'air exaspéré.
- Super, ça promet, soupire-t-il.
Je ne relève pas et Émilie non plus. Je compte bien décompresser et profiter de ma soirée, surtout après ce qui m'attend. La nuit tombe et la lumière tamisée du gymnase s'allume tout à coup. La même ambiance que la première fois que j'y ai mis les pieds, imprègne soudain l'endroit et j'aimerai disparaître.
C'est à ce moment-là, que Yann rejoint le centre de la zone de combat. Il s'assoit sur l'un des bidons en métal, puis commence à recouvrir ses poings d'une bande de boxe noire. Son torse, nu, légèrement transpirant, luit sous la lumière. Il a dû se défouler avant d'arriver, c'est certain.
J'ai l'impression que mon cœur va jaillir hors de ma poitrine. Nos regards se croisent et restent un bref instant accrochés. Il est contrarié et n'affiche pas l'air déterminé que je lui connais si bien. Kévin, qui semble le remarquer aussi, soupire en secouant légèrement la tête... Super, ça me rassure.
Yann saute du baril et avance d'un pas. Je croise à ce moment le regard d'Echo, qui m'adresse un clin d'œil. Kév qui le surprend se penche à mon oreille.
- Fait pas attention à lui.
- Facile à dire.
Soudain, un mec d'une vingtaine d'années prend place face à Yann. Il est de la même taille, arbore quasiment la même carrure, mais à la différence de lui, affiche une expression déterminée. Je soupire lourdement en voyant le regard qu'il lui lance.
- T'en fais pas, ils se sont déjà battus tous les deux et Yann en avait fait qu'une bouchée. Bon, depuis, il s'est entraîné et a pris du muscle, mais ça veut rien dire.
Je lui jette un bref regard, mais ne réplique rien.
Echo se place entre les deux garçons, puis demande le calme avant de s'exprimer.
- OK, je pense que ce n'est pas la peine de faire les présentations, vous les connaissez tous les deux. Malgré tout, il y a une nouvelle parmi nous ! D'ailleurs, merci à toi d'être venue, sourit-il en m'adressant un clin d'œil sous le regard de Yann qui semble à deux doigts de lui sauter dessus.
Par réflexe, je serre le tissu de la manche de mon pull dans mon poing, tout en le fusillant du regard.
- Vous connaissez donc tous Yann, à ma droite, plus besoin de le présenter, ni de vous détailler son palmarès, continue-t-il. Et à ma gauche Gaëtan, qui s'est déjà fait battre par notre champion, mais qui voulait sa revanche. Les paris sont ouverts !
Le dealer, rejoint la même table métallique que lorsque nous sommes venus le voir et il y prend place. Il reçoit un par un ceux qui souhaitent miser sur le combat. Le temps semble se figer. J'ai l'impression d'être là depuis au moins une demi-heure, pourtant, lorsque j'avise mon téléphone, cela ne fait que cinq minutes que je me suis assise.
Après un petit moment, tout le monde reprend sa place et Echo s'assoit à son tour sur l'un des tonneaux. Il m'adresse un rictus provocateur, puis un regard de défi à Yann.
- OK les gars, c'est quand vous voulez ! annonce-t-il.
Gaëtan, lance un sourire carnassier à Yann, qui reste imperturbable. Ils s'avancent vers le centre et les chuchotements dans la salle cessent subitement pour laisser place à un silence pesant. Quant à moi, la seule chose qui me vient à l'esprit, c'est de savoir qui va réussir à donner le premier coup.
Ma réponse ne se fait pas tarder, Yann reçoit une droite sortie de nulle part en plein dans l'arcade, ce qui m'arrache une grimace, puis mon cœur se serre lorsque je remarque qu'il saigne.
- T'inquiète, tente de me rassurer Kév, il ne tape jamais en premier, c'est un de ses principes. Soit il évite le premier coup, soit il l'encaisse pour répliquer direct derrière.
Émilie, qui remarque mes doigts qui serrent toujours le tissu de mon pull, pose sa main sur la mienne, sans rien dire. Mais qu'est-ce que je fous là bordel.
Contrairement à ce que Kévin vient de m'expliquer, Yann ne réplique pas. Il se contente de tenir sa garde et encaisse un deuxième coup qu'il bloque avec ses avant-bras. En le voyant faire, Kév grimace et je comprends que ce n'est pas normal.
Gaëtan s'éloigne, légèrement, lance un regard à Echo qui semble perplexe, puis revient à la charge. Yann ne bouge pas et le type lui envoie un crochet du droit dans les côtes. J'entends alors Yann expirer, puis le vois grimacer et serrer les dents.
Son adversaire, perd patience en voyant qu'il ne réplique pas et jette un coup d'œil agacé au dealer. Quant aux personnes qui étaient venues dans le but d'assister à un combat digne de ce nom, elles commencent à faire entendre leur mécontentement.
- Pourquoi il fait rien, demandé-je a Kévin, paniquée.
Il affiche une grimace se doutant de quelque chose, mais semble hésiter à me le confier.
- Kév, qu'est-ce qui se passe ?
- Il a dû te dire qu'il voulait pas que tu le vois comme ça, il t'avait même demandé de jamais venir...
- Ouais.
- Alors il encaisse... quand il se bat ici, c'est pas vraiment lui, c'est pas le même genre de baston qu'au lycée ou quoi. On est dans les Blocks, c'est l'endroit où son meilleur pote est mort, il se bat pour lui, il a la rage.
Je plonge mes yeux dans ses iris bleus nuit et je prends conscience de ce que qu'il vient de me révéler. Nous reportons notre attention sur Yann et au même moment, il manque de tomber à terre. Le mec en profite pour lui asséner un coup de pied au niveau des côtes, là où il avait encore son bleu il y a peu et je me crispe.
- Et il va encaisser longtemps comme ça ? m'inquiété-je.
- Pour ça, il sait encaisser, je me fais pas de soucis, mais le mec face à lui, va pas lui faire de cadeau, c'est le nouveau favori d'Echo, celui qui doit le remplacer.
- Alors il compte pas se défendre ?
- Il en a pas l'air en tout cas, répond-il aussi soucieux que moi.
Émilie, qui me tient toujours la main, se penche vers nous.
- Je vois qu'une solution, c'est bientôt la fin du premier round, va falloir que t'ailles le voir et que tu le secoues.
Je l'observe, pas sûr de ce que je viens d'entendre.
- Attends quoi ?
- Ouais, ils vont se rendre chacun dans une salle derrière, histoire de se soigner vite fait avant le deuxième round. Profites-en, va le voir.
- C'est pas une mauvaise idée, affirme Kévin.
Yann écrase à ce moment-là son poing droit sur la pommette gauche de Gaëtan et ce dernier semble lui sourire, enfin satisfait.
- Il a l'air de se réveiller, lancé-je.
- Non, c'est juste pour faire diversion, mais crois-moi, il ne compte pas se battre.
- Je suis pas sûr que ce soit le meilleur moment d'aller lui parler, j'veux dire je suis fâchée contre lui, il le sait...
- Va falloir que tu fasses abstraction, m'interrompt-il, j'te demande pas de t'expliquer avec lui, ni de le pardonner, juste de laisser ça de côté le temps de lui dire de se bouger. S'il ne gagne pas, Echo aura pas son fric et il aura des problèmes, surtout s'il perd volontairement.
Je perds mon regard face à moi et observe la scène sans vraiment le faire, puis les mots qu'Echo a prononcés lorsque nous avons été le voir résonnent dans ma tête. Ce que Yann redoute, c'est que je prenne la fuite si je venais à le voir tel qu'il est quand il se bat ici... Alors je dois le persuader que ça n'arrivera pas.
La voix du chef de gang retentit tout à coup dans le gymnase et annonce enfin la fin du premier round. Son ton est cassant, il est clairement mécontent et le regard qu'il adresse à Yann ne présage rien de bon.
Ce dernier se redresse, baisse sa garde sans y prêter attention, puis quitte la zone de combat pour disparaître par une petite porte. Kévin me fait signe de la tête pour me faire comprendre que c'est le moment de le rejoindre.
Je me lève, hésitante, puis lui lance un dernier regard.
- Traîne pas, t'a cinq minutes, précise-t-il.
J'acquiesce et prends alors mon courage à deux mains, puis me fraie un chemin jusqu'à la pièce où Yann s'est engouffré. Une fois devant la porte, j'inspire, expire, saisis la poignée et ouvre.
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