
Chapitre 55
Kévin ne me lâche pas du regard, et il est à la fois doux et plein de reproches. Il a les bras croisés sur son torse lorsqu'il s'avance vers moi.
- Franchement, je crois que tu m'épateras toujours, je m'attendais à tout sauf à te voir débarquer comme ça un soir, lance-t-il.
Je l'observe à mon tour, il est loin d'approuver ce que j'ai fait. Voyant que je ne réponds pas, il s'approche, les bras toujours croisés.
- Tu sais que tu viens de le foutre dans une sacrée merde, quand même ? me demande-t-il. Non pas qu'il y était pas déjà, mais on se serait bien passé d'ça, tu vois.
Je le regarde cette fois en fronçant les sourcils. Je comprends que Yann soit son ami et que cette situation l'inquiète, mais s'il pense que je ne suis pas au courant que j'ai merdé, il se trompe.
Kévin a toujours été juste envers moi, c'est la première fois qu'il me parle comme il le fait.
- J'en suis consciente, pas la peine d'en rajouter, je me sens déjà assez mal comme ça.
Il décroise les bras, puis s'avance l'air un peu adouci.
- J'veux juste que tu saches que c'que t'as fait, c'est pas rien et que c'était stupide, ajoute-t-il.
- Crois-moi j'pense avoir compris.
- Je serais toi, j'en serais pas aussi sûre.
Je le fixe, déconcertée, tandis qu'il s'approche de la fenêtre et que son regard se perd dehors, avant de revenir sur moi.
- T'as faim ? me demande-t-il.
Avant de partir, je suppose que Yann a dû lui dire que j'avais sauté le petit-déjeuner.
- Merci, mais j'ai pas faim.
- Yann a dit qu'il fallait que tu manges quelque chose.
- Ouais, bah j'avalerais peut-être un truc tout à l'heure, quand il sera revenu.
Il fronce les sourcils et comprend que je me fais vraiment du souci.
- Tu sais, t'as pas à t'en faire, il a dû te dire qu'Echo ne lui ferait rien.
- Ouais, en effet.
- Bah alors ?
- Alors j'en pense qu'il a quand même prit le temps de prendre son couteau, et je me demande quel genre d'accord ils vont trouver.
Il baisse les yeux, comme s'il avait une idée du marché qu'Echo pourrait lui proposer, mais à vrai dire, je ne préfère pas savoir. Ce ne serait que des suppositions qui ne feraient que m'inquiéter davantage. Il ne prend pas la peine de relever quant au fait que Yann ai emmené son couteau et ne paraît même pas étonné une seule seconde.
Voyant que je n'arrête pas de cogiter en faisant les cent pas, il s'assoit sur le canapé, puis me défit du regard.
- Allez viens, que j'te mette ta pâtée à Tekken ! s'exclame-t-il.
Je l'observe, comme s'il avait proposer quelque chose d'absurde. Je n'ai pas la tête à m'amuser...
-J'pense pas que...
- Moi j'pense que si, m'interrompt-il, allez ramènes ton joli derrière.
Je hausse un sourcil, tandis que de son côté, il se rend compte de ce qu'il vient de dire. Il détourne alors les yeux, afin de se concentrer au lancement du jeu.
Je me décide à m'asseoir près de lui et saisis l'une des manettes. Je ne suis pas vraiment d'humeur à jouer, mais je me persuade que cela peut aider à faire passer le temps plus vite.
- Si tu pouvais juste éviter de répéter c'que je viens de te dire à Yann, lâche-t-il.
Je l'observe cette fois amusée, tandis qu'il semble sérieux.
- Y'a pas eu de meurtre hier et j'aimerais bien que ça continu, t'as vu, ajoute-t-il.
Je me retiens de rire en voyant son expression, je sais bien qu'il essaye de me changer les idées, et à vrai dire il y arrive plutôt bien.
- Il en est pas à ce point non plus ! m'exclamé-je.
Il se contente de me regarder en biais, peu convaincue, puis soudain, son air change, et son visage prend une expression que je connais plus que bien maintenant. Je vois l'interrogatoire arriver, et une lueur espiègle illumine tout à coup ses iris.
- Et sinon, vous deux ? demande-t-il.
- Quoi nous deux ?
- Bah, ça avance ?
- On est plus fâchés, annoncé-je.
- Ouais, ça merci, j'ai cru comprendre, mais sinon ?
- Kév, va droit au but s'il te plait.
- OK, ok, ça va ! Lui et toi, vous êtes toujours dans l'optique amicale ou y'a moyen que ça évolue ? Ou alors ça a déjà évolué et j'le sais pas ?
Je glisse un regard sur lui, et il s'adresse de nouveau à moi avant que je ne réponde.
- Quoi ? J'm'informe c'est tout, y'a rien de mal si ?
- Tu devrais juste assumer le fait que t'es aussi curieux que moi ! me moqué-je.
- J'vois pas de quoi tu parles ! Y'a juste que mon pote dort avec une fille dans la même chambre et qu'ils veulent juste rester amis... Y'a un truc qui m'échappe, souffle-t-il, en me regardant de haut en bas, pour me faire comprendre que ce serait lui, il envisagerait une relation autre qu'amicale.
En voyant son air complètement perdu, qui me ferait presque exploser de rire, je décide d'en ajouter une couche.
- Maintenant, on dort dans le même lit, mais il est grand donc ça va, lâché-je, le plus sérieusement possible.
Il met le jeu en pause, se tourne vers moi, et écarquille les yeux.
- Vous êtes pas humains, soupire-t-il. Ma parole y'a un truc qui cloche chez vous !
Il relance la partie, et se concentre de nouveau sur le combat, en secouant la tête de gauche à droite, complètement décontenancé.
- Et genre il se passe rien de rien ?
- Bah non, réponds-je, avec sérieux. Je m'endors dans ses bras, mais rien de plus.
Il quitte une nouvelle fois l'écran des yeux, tout en remettant le jeu sur pause, et m'observe comme si ce que je disais était impossible.
- Je savais qu'il avait un mental de malade, mais là il bat des records ! s'exclame-t-il.
Nous passons ensuite une trentaine de minutes à enchaîner les rounds, et nous sommes à égalité. Eh oui, a sa grande surprise, je suis une fille qui se débrouille plutôt bien aux jeux vidéo et il ne s'y attendait visiblement pas.
Alors que nous sommes en plein combat, où il ne fait que répéter le même enchaînement pour la septième fois, ce qui a le don de me foutre en rogne, je le pousse avec mon épaule. Ce qui me permet de placer une attaque qui met son personnage K.O.
- Hey ! Tu triches là ! râle-t-il.
- Tu peux parler, t'as tellement peur de perdre que tu te bats comme une fille, lâché-je.
Il se tourne vers moi, l'air indigné, puis il lance un autre round, prétextant une revanche.
Alors que nous nous affrontons sans pitié tout en rigolant, je ne peux m'empêcher de penser à Yann. Nous n'avons toujours pas de nouvelles, et je jette un œil sur le téléphone de Kévin posé sur la table basse juste devant nous... J'espère que tout se passe bien.
Il remarque mes yeux posés sur portable et s'adresse à moi sans quitter l'écran des yeux.
- Il a dit qu'il enverrait un message, arrête de stresser comme ça, tu vas me rendre nerveux !
L'une de nos conversations me revient soudain, et j'ai besoin de lui en parler, j'ai besoin de savoir. Je détourne les yeux du jeu, ce qui me vaut de recevoir un coup de mon adversaire, mais ce n'est pas grave.
- Tu pourrais m'en dire plus sûr ce que tu m'as dit l'autre jour ? Pourquoi Yann a si peur de s'attacher ?
Sans attendre, il met la partie en pause une nouvelle fois et se tourne vers moi.
- C'est réglé non ? Enfin, je veux dire, tu sais qu'il tient à toi maintenant.
- C'est pas le souci, je voudrais juste... Enfin, tu vois quoi... Je tiens vraiment à lui...
Il me scrute un instant, et je remarque dans ses yeux qu'il pèse le pour et le contre sur le fait de me révéler ce qu'il sait.
- D'un côté, tu connais son plus gros secret maintenant... Alors je suppose que te raconter toute l'histoire ou du moins une partie n'est pas si grave.
Je suis surprise par sa réponse, je pensais qu'il me faudrait batailler plus longtemps pour le convaincre. Mais Kévin a conscience que pour moi Yann compte beaucoup et que si je lui demande ça, ce n'est pas par curiosité... Mais bel et bien parce que je veux vraiment le comprendre.
Il pose alors sa manette sur la table basse, et j'en fais de même, tandis qu'il pivote sur le canapé pour me faire face.
- Si Yann est comme ça, c'est qu'il a ses raisons... Il faut que tu saches que chaque comportement qu'il a ou aura, se justifiera par rapport à ce qu'il a vécu ou ce qu'il ressentira sur le moment. C'est un mec droit, je connais personne d'aussi juste que lui. Il s'emporte très vite, il est impulsif, mais là aussi, ce n'est pas pour rien.
Il marque une pause, baisse ses yeux vers ses mains, l'air nostalgique.
- Yann avait un meilleur ami... Anthony et lui, c'était comme deux frères, ils se connaissaient depuis la maternelle, et ils avaient grandi ensemble. On ne voyait jamais l'un sans l'autre, et Yann était toujours là pour le défendre.... D'ailleurs quand je vous vois lui et toi ça me rappelle ces deux-là.
Il me regarde de nouveau, et attrape nerveusement son téléphone pour y jeter un coup d'œil, puis le pose sur le canapé à côté de son genou.
- À l'époque, Yann veillait beaucoup sur lui et vice versa. Mais Antho a fini par devoir aller vivre dans les Blocks, son père avait perdu son travail, et les loyers y sont beaucoup moins chers. Bref, Antho c'est rapprocher de personne dont il n'aurait pas dû... Echo en faisait partie. Il s'est retrouvé dans des situations plus ou moins graves, mais malgré ça, Yann été toujours là pour lui et il essayait de le sortir de toute ces histoires...
Kévin se lève calmement, approche de la fenêtre, et s'appuie au mur pour regarder dehors, tandis que je reste sur le canapé à l'observer, et à l'écouter sans l'interrompre.
- Un jour, Antho s'est mis à bosser pour Echo, et il a commencé à dealer pour lui. Yann avait beau essayé, rien y faisait, ça lui rapportait de l'argent et Antho était du genre à ne pas vraiment penser aux conséquences. Jusqu'au jour où il s'est fait voler les doses qu'Echo lui avait fournies, et il y en avait pour un paquet de fric.
Il glisse son regard vers moi, l'air grave, puis reprend.
- Autant te dire que ça n'a pas plu à Echo... Il y a un peu plus d'un an, un jour où Yann était pas là pour surveiller les arrières d'Antho, il y a eu un règlement de compte entre dealers, une bagarre a éclaté, et ça a mal tourné. Deux jeunes des Blocks sont morts ce jour-là... Antho était l'un d'eux. Quand Yann est arrivé sur place, il était déjà trop tard, Antho est pratiquement mort dans ses bras en attendant que les secours arrivent.
Un frisson me parcourt le dos, et je comprends alors tout. Je repense à mon accident de karting et à l'expression de Yann à ce moment-là, à sa façon d'être. Dans mon esprit, apparaît la plaque qu'il porte, avec la lettre « A » et cette date, gravée. Une boule se forme dans ma gorge, et des larmes commencent à monter.
Kévin s'éloigne à nouveau de la fenêtre, puis attrape les gants de boxe de Yann, qui sont accrochés après sac de frappes. Il les observe, comme si à eux seuls, c'est ce qui représentait le plus Yann dans cette pièce.
- À l'époque, je ne connaissais pas beaucoup Yann, c'était l'ami d'un ami, enfin tu vois quoi. Mais quand Antho est mort... Il a complètement changé. Les Blocks sont à ce moment-là devenus son quotidien, il a cassé la gueule à certains dealers qui étaient dans la bagarre ce jour-là, puis il a fini par devoir se rapprocher d'Echo.
Un léger sourire se dessine sur ses lèvres, comme s'il se remémorait un souvenir, puis il reprend.
- Une fois, il m'a sauvé la mise face à des mecs qui me cherchaient sans raison. Et je me rappelle ce jour, c'était la première fois que je voyais quelqu'un se battre avec autant de rage. Depuis, j'le suis comme son ombre, non pas parce que je lui dois quoi que ce soit, lui et moi on a réglé tout ça depuis, mais juste que... Pour moi y'a pas meilleur pote.
Il raccroche les gants de boxe à la chaîne, avant de se diriger vers moi, et de se rassoir.
- Pourquoi il a dû se rapprocher d'Echo ? demandé-je, toujours avec cette boule de tristesse au fond de la gorge.
- C'est à lui de t'expliquer, il le fera mieux que moi, répond-il. Mais maintenant, tu comprends pourquoi il ne s'attache pas facilement, et pourquoi je t'ai dit que pour lui, s'attacher à toi impliquait d'envisager pouvoir te perdre un jour.
- En effet, ça explique beaucoup de choses, dont le fait qu'il soit autant impulsif et protecteur.
- Il l'est avec tous ceux qui compte pour lui, mais te concernant, je sais pas, là aussi il bat des records. Y'a vraiment un truc en plus avec toi, explique-t-il, en temps normal il est pas vraiment contrôlable, mais quand il s'agit de toi, c'est pire... Il était invivable quand vous ne vous parliez plus !
Je comprends mieux maintenant la plupart de ses réactions. Je pensais que le fait de ne pas s'attacher, était dû à ses relations passées, à ses filles qu'il a connues dont Kévin m'avait parlé et qui ne s'intéressaient qu'à son argent. Pour moi, il avait fini par ne plus s'attacher parce qu'il avait été lassé d'être déçu... Mais j'en étais loin.
Alors que nous sommes en fin de matinée, et que je pioche quelques chips de temps en temps dans le paquet que Kévin est allé se chercher dans la cuisine, son téléphone bip.
- Il va pas tarder, annonce-t-il, après avoir jeté un coup d'œil à son portable.
Toute la tension que j'ai accumulée depuis que Yann a quitté la chambre s'estompe, et Kévin a l'air plus serein également.
Dix minutes plus tard, nous entendons la moto tourner au coin de la rue, et rugir lorsqu'il accélère pour la rentrer dans le garage.
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