
Chapitre 52
Encore sous le coup de l'émotion, je ne réponds rien. Mon cerveau n'est pas en mesure de lui apporter les réponses qu'il souhaite pour le moment. Ce dernier tourne à plein régime, emboîtant toutes les informations les unes dans les autres, afin de tout faire correspondre.
- Mec, faut qu'on bouge, panique Kévin, en désignant Echo du menton qui est occupé à saluer des personnes ici et là, mais qui se rapproche très vraisemblablement de nous.
Yann attrape alors mon avant-bras, puis commence à me tirer vers la sortie, Kévin nous emboitant le pas.
C'est alors que la même voix grave et autoritaire que tout à l'heure s'élève.
- Yann ! appelle Echo.
Yann se fige, et par réflexe, la main avec laquelle il tient mon bras, glisse vers la mienne, la chaleur de sa peau, m'apaisant.
Il ne prend pas la peine de se tourner vers le chef de gang, mais son regard n'en est pas moins menaçant.
- Elle est pas censée être là ! aboie Echo.
En entendant cette phrase, Yann serre ma main un peu plus fort dans la sienne.
- Va falloir régler ça, menace-t-il.
Yann l'observe par-dessus son épaule, et lève sa main libre à son intention, comme pour lui dire que ce sera chose faite, puis nous avançons vers la sortie.
Une fois dehors, il jette un regard autour de nous, comme pour vérifier que personne n'est là, puis il se tourne vers moi.
- Tu comptes m'expliquer bordel ! grogne-t-il, tandis que Kévin exécute des vas et vient, nerveux.
- Je... J'ai fini par tout découvrir, marmonné-je.
Il peste entre ses dents, puis se tourne vers Kévin.
- On va y aller mec, surveille nos arrières cinq minutes, le temps qu'on prenne un peu d'avance.
- J'peux te laisser ma caisse mec, je rentre à pied, c'est pas un souci, propose Kév.
- Nan, c'est bon, on va prendre un bus, affirme Yann.
- Comme tu veux, mais faites gaffe, c'est pas bon là...
Yann lui adresse un regard entendu, puis il m'entraîne à sa suite, me tenant toujours par la main.
Il marche d'un pas soutenu, comme s'il fuyait. La petite rue que nous empruntons est peu rassurante et éclairée par quelques vieux lampadaires fatigués, pourtant, je ne suis pas effrayée, je sais qu'il est là, et juste ça, ça me va.
À chaque fois que nous passons sous la lumière de l'un d'eux, je lève les yeux vers son visage pour essayer d'apercevoir son expression, et de ce que je perçois, il est clairement dépassé par les événements. Il semble réfléchir, son regard est imperturbable.
Soudain, alors que nous passons devant une petite boutique, fermée à cette heure, il s'arrête, et relâche ma main brusquement.
- C'était quoi le but du jeu ? demande-t-il, froidement.
Le but du jeu ? Il pense vraiment que je prends tout ça pour un jeu ?
- C'est pas un jeu, je voulais juste...
- Quoi, tout savoir ? Mettre ton nez où il ne fallait pas ? m'interrompt-il, en colère.
Je le regarde à ce moment très sérieusement, sûrement autant que lui.
- Parce que tu crois que ça m'a amusée ? m'étonné-je.
Sans que je m'y attende, il s'approche brusquement du petit rideau métallique protégeant l'entrée de la boutique, puis se déchaîne dessus à coups de poing encore et encore, laissant échapper un cri de rage qui me fend le cœur.
- Putain de bordel de merde !
Je l'observe, impuissante, tandis qu'il cogne dans ce défouloir de fortune, et qu'il s'y abîme les poings.
Je m'approche de lui, sans tenir compte de la rage qu'il dégage, puis pose ma main sur son bras.
- Arrête, chuchoté-je.
Mais il ne semble pas m'entendre, et continue de plus belle.
- Yann, arrête ! m'exclamé-je, les larmes aux yeux.
Il s'interrompt, aussi brusquement qu'il a commencé, puis m'observe brièvement en serrant la mâchoire, avant de fourrer ses mains dans les poches de son jeans, et de se remettre en route.
Nous marchons cette fois à presque un mètre l'un de l'autre, sans un mot. Alors que nous croisons le chemin d'une malheureuse poubelle en métal, Yann juge bon de se défouler une ultime fois en y balançant un coup de pied violent, qui la fait décoller. Elle atterrie sur la route, dans un fracas métallique qui résonne dans cette rue déserte où aucun bruit ne se fait entendre depuis tout à l'heure, mis à part celui de nos pas.
Nous finissons par monter dans un bus, prenant place dans le fond, toujours sans un mot. Tandis que je suis assise à ses côtés, préférant ne rien dire, je remarque les phalanges de ses mains abîmées. Elles saignent, et témoignent de la violence des coups qu'il a porté à ce rideau de fer.
Tandis que je suis perdue dans mes pensées, il attrape son téléphone, puis écrit rapidement un message à l'intention de Kévin. Surement pour lui dire que nous sommes bien dans le bus.
Lorsque le car s'arrête à l'angle de la petite ruelle menant chez lui, nous descendons, puis marchons sous la légère pluie qui commence à tomber. Il ouvre la porte d'entrée, prenant soin de la refermer derrière lui à double tour, puis il se met à vérifier que toutes les entrées sont bien verrouillées.
Je ne l'ai jamais vu faire ce genre de choses depuis que je viens ici, il a l'air méfiant en temps normal, mais là, c'est comme si ça virait à la paranoïa.
Il monte à l'étage et rejoint sa chambre, tandis que je le suis sans un mot, puis il disparaît dans la salle de bain.
J'entends l'eau couler au robinet, puis il ressort, le visage et les cheveux trempés. Il se dirige vers le dressing pour y attraper un tee-shirt noir, qu'il enfile après avoir retiré sa chemise.
Je reste plantée au milieu de la pièce, et l'observe faire les cent pas. Il n'a rien dit depuis que nous sommes arrivés, et jette un œil à son téléphone toutes les deux secondes, comme s'il attendait un message important.
Soudain, il se tourne vers moi, le regard dur.
- T'imagine même pas dans quoi tu viens de te fourrer !
Je sursaute en l'entendant crier, l'observe un bref instant, puis ouvre la bouche dans l'intention de lui répondre, mais il ne m'en laisse pas le temps.
- Pourquoi tu fais tout ça ? Pourquoi t'a pas lâché l'affaire hein ? ... C'était pourtant pas compliqué.
Je le regarde à mon tour sérieusement, plantant mon regard dans le sien.
- Parce que t'en vaux la peine... Et parce que même si tu penses ne pas être un mec bien, moi je sais que c'est faux, lancé-je.
Yann s'avance alors vers moi, et nous voilà à quelques centimètres l'un de l'autre. Il me transperce de son regard azur, à la fois bienveillant, et inquiet, mais également empli de colère. Il approche encore d'un pas, et m'observe cette fois avec douceur, puis tend lentement sa main vers moi, mais se ravise aussitôt. Les muscles de sa mâchoire tressautent, puis il s'éloigne brusquement, comme s'il s'empêchait un quelconque contact, comme s'il s'imposait une limite.
Il se remet alors à faire les cents pas, tantôt en me jetant un coup d'œil, tantôt en regardant son téléphone de façon nerveuse.
Au bout d'un moment, il reçoit un message, le lit attentivement, puis s'adresse à moi de nouveau.
- Echo est rentré chez lui, il ne fera rien de plus, annonce-t-il.
Il a l'air de se détendre un peu, et laisse tomber son portable sur son lit.
- Y'a rien à craindre pour ce soir, souffle-t-il. J'irais le voir demain, j'vais arranger ça.
Je sors de mes pensées, puis m'approche légèrement, tout en respectant cette limite qu'il s'impose.
- Tu comptes faire quoi ?
- Ça, crois moi ça ne te regarde pas, t'en sais déjà beaucoup trop. J'aurais de la chance si je trouve un arrangement avec lui.
- Tu pourrais lui dire que je ne parlerais de ça à personne, il a pas besoin d'exiger quoi que ce soit de toi ou je ne sais quoi.
- Putain, mais je lui dirais rien du tout qui vienne de toi ! s'énerve-t-il.
Il s'éloigne de nouveau, passe une main dans ses cheveux, puis les croise derrière sa tête en me regardant.
- Le mieux c'est que t'y ailles, balance-t-il.
Il me demande vraiment de partir ? Cela ne lui ressemble pourtant pas du tout. Je m'approche encore d'un pas, puis il me jette un regard en froid.
- Tu...
- J't'ai dit de rentrer chez toi ! grogne-t-il, en me regardant froidement, avant de me tourner le dos.
Je recule, en entendant sa voix rauque et sérieuse, puis fait volte face à mon tour, pour rejoindre la porte de sa chambre. Je me retourne une dernière fois vers lui, mais il ne me regarde toujours pas, et je vois ses poings se serrer tandis que je ferme la porte.
Lorsque j'arrive dehors, la pluie fine qui tombait tout à l'heure a laissé place à une pluie battante. J'avance lentement sous les gouttes, sans pour autant mettre ma capuche, comme déconnectée de la réalité, et je me retrouve rapidement trempée. Une fois à mon arrêt, je m'y abrite, afin d'y attendre mon bus qui ne devrait pas tarder.
Les larmes me montent aux yeux, tandis que j'envoie un message à Nico pour lui dire que je vais bien. Elles finissent par rouler sur mes joues, mais se mêlent aux gouttes de pluie qui glissent déjà sur mon visage. Quelqu'un me croiserait, qu'il ne saurait même pas que je suis en train de pleurer.
Le bus ne tarde pas à arriver, il ralentit pour stationner à mon niveau, et je me lève, pour me diriger vers la porte qui s'ouvre. Alors que je pose un pied sur la première marche, je m'arrête. Il me semble avoir entendu que l'on m'appelle, mais avec le bruit du moteur et de la pluie qui tombe, je n'en suis pas très sûre. Je me penche alors légèrement en arrière pour regarder vers l'endroit où il me semble avoir entendu cette voix.
C'est à ce moment, que je vois Yann passer le coin de la rue en courant.
- Nine, attend ! crie-t-il.
Je descends mon pied de la marche, hésitante, et recule d'un pas. La pluie tombe toujours aussi fort, tandis que je regarde Yann courir vers moi depuis le bout de la rue.
- Vous montez Mademoiselle ? me demande le conducteur, alors que j'ai reculé de quelques pas.
Je l'observe, tandis qu'il a le doigt prêt à appuyer sur le bouton refermant la porte, et j'amorce de nouveau un pas vers le bus, ne sachant pas vraiment si je veux rester.
- Attends ! répète Yann, dans un cri désespéré.
Je laisse tomber mes bras le long de mon corps, en signe de renonciation, et m'adresse au chauffeur.
- Non merci, je prendrais le prochain, annoncé-je.
- Comme vous voulez, lance-t-il, avant de refermer la porte.
Je regarde rapidement le bus s'éloigner, puis me tourne vers Yann, restant plantée là sans bouger. Voyant que je ne compte plus partir, il ralentit, puis arrive en trottinant face à moi.
Il est complètement trempé, et ses cheveux gouttent sur son visage. Il n'a même pas pris le temps de mettre une veste, il est en tee-shirt, sous la pluie, et cela n'a pas l'air de le déranger.
Il est un peu essoufflé, et je me demande pourquoi il a fallu qu'il court aussi vite. Est-ce qu'il y aurait un problème avec Echo ? Avec Kévin ?
Il plonge sans prévenir son regard dans le mien, et même si la colère y est encore présente, j'y entrevois une sorte de soulagement, et une immense douceur.
- Tu te trompes sur toute la ligne, je suis pas quelqu'un de bien, et je vais t'apporter que des ennuis, prononce-t-il, faiblement, et encore essoufflé.
Je m'avance alors d'un pas, tout en pensant encore une fois à respecter cette distance qu'il a instaurée entre nous.
- Moi je suis sûr du contraire, et comme pour le reste tu ne me feras pas changer d'avis, réponds-je.
- Tu sais pas dans quoi je viens de t'embarquer, soupire-t-il, en baissant les yeux.
- Peu importe, j'ai confiance en toi, tu seras là, assuré-je, tandis qu'il fronce les sourcils et semble surpris par ce que je viens de lui dire.
Il s'avance alors vers moi, faisant tomber cette barrière qu'il avait érigée, puis me prend dans ses bras, pour me serrer contre son corps qui reste brûlant malgré la pluie. Je relève la tête vers lui, tandis qu'il m'observe avec bienveillance, et que quelques gouttes s'échappent de ses cheveux pour tomber sur mon visage.
Il recule ensuite légèrement, attrape la capuche de mon manteau pour la mettre sur ma tête, puis me saisit la main.
- Allez, viens, on rentre.
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