
Chapitre 51
Il y a parfois des retournements de situations inattendues dans la vie. Comment peut-on un jour être aussi proche, et l'instant d'après avoir la sensation de ne pas compter autant qu'on ne le pensait aux yeux de quelqu'un...
C'est ce que je me suis demandée hier soir, après cette discussion avec Yann. J'ai tout simplement l'impression de ne pas compter assez, pour qu'il puisse se confier à moi. Alors que moi je suis prête à lui parler de tout, sans détour, lui, prend la fuite dès qu'il le peut. Lorsque nous faisons un pas en avant, nous en faisons parfois trois en arrière l'instant qui suit.
J'ai été dure hier, et je me suis détestée pour ça, mais même si je ne connais pas Yann depuis très longtemps, je sais que le seul moyen pour qu'on avance lui et moi, c'est de le pousser dans ses retranchements. Il n'y aura qu'à ce moment-là, que notre amitié pourra vraiment être construite sur de bonnes bases, qu'il me fera confiance, et qu'il saura qu'il peut tout me dire. Peut-être qu'à un moment il réalisera que je compte plus que toutes ces embrouilles dans lesquelles il est fourré... Et si ce n'est pas le cas, alors c'est que je me serais trompée.
Alors même quand j'ai vu cette tristesse dans son regard lorsque je suis partie, même si j'avais juste envie de le serrer dans mes bras pour lui dire que je tiens à lui, autant qu'il tient à moi, je ne pouvais pas céder. Si je l'avais fait, dans quelque temps nous nous serions retrouvés au même point. Et à force, nous aurions fini par nous éloigner définitivement... Parce que oui, je suis persuadée que cette situation, cette distance et cette dispute, tout cela n'est que temporaire.
Il ne peut pas en être autrement, nous comptons trop l'un pour l'autre. Les paroles qu'il a prononcées, raisonnent dans ma tête, personne ne m'avait encore jamais dit ce genre de chose, et c'est pour ça que je ne renoncerais pas... Il en est hors de question.
J'ai tout de même pris la peine de téléphoner à Aurore puis à Nico, pour leur expliquer ce qu'il s'était passé. De leur côté, ils m'ont confié que lors de la pause de l'après-midi, après que j'ai fuis le lycée, ils avaient vu Yann. Il était assit sur le banc où il avait l'habitude de s'asseoir avant que je n'aille le voir pour la première fois, et que, comme avant, il était seul. À cette annonce, et en l'imaginant ainsi, mon cœur s'est serré.
J'ai aussi confirmé à Nico que je comptais faire comme prévu, c'est-à-dire me rendre à l'endroit indiqué sur le message. Il n'a pas caché son inquiétude, mais il sait que c'est la seule façon de tout découvrir.
Je ne sais pas ce qui m'attend, et on peut tout imaginer. Le fait est que nous y sommes, et que je ne ferais pas marche arrière. Nous sommes samedi, le fameux jour indiqué sur le sms, et en cette fin d'après-midi, je me prépare, afin de rejoindre les Blocks.
Je suis un peu nerveuse, et en avance, ce qu'il ne faut surtout pas que je sois. Si j'arrive avant l'heure prévue, alors Yann pourrait me remarquer, il pourrait prétexter quelque chose, ou noyer le poisson, pour faire en sorte que je n'apprenne rien.
Le message précise vingt heures trente, et lorsque je regarde l'heure sur mon portable avant de monter dans le car en bas de chez moi, il n'est pas loin de vingt heures. En comptant toutes les stations auxquels va s'arrêter mon bus durant le trajet, il ne devrait pas prendre plus de trente minutes. Il me restera cinq petites minutes pour arriver à l'endroit prévu... Ça devrait le faire.
Sur le chemin, pour passer le temps et surtout éviter de trop penser, j'écoute de la musique, et je chante les paroles dans ma tête. Mais lorsque je reçois un message de Nico qui me demande d'être prudente, la nervosité refait surface, c'est comme un retour à la réalité. Je lui réponds sans rien laisser transparaître que tout ira bien, essayant de m'en convaincre moi-même.
Lorsque j'aperçois l'arrêt auquel je dois descendre, j'ai comme l'impression que le trajet a duré beaucoup moins longtemps que d'habitude, ce qui bien entendu n'est qu'une simple fausse idée. Je descends, fourre mes mains dans les poches de mon manteau, puis commence à marcher en direction du gymnase à l'abandon.
Les rues et le parc, son étonnement calme, il y a beaucoup moins de monde ce soir. Je n'ai pas pour habitude de voir les Blocks ainsi, en temps normal c'est toujours très animé. Je surveille l'heure, de façon à ne pas arriver en avance, et le timing est parfait. Dans deux minutes, j'y serais, il sera vingt heures trente, un peu passé... C'est ce qu'il faut.
Une fois sur place, les alentours du gymnase sont déserts, mais des cris tantôt enthousiastes, tantôt énervés, me parviennent depuis l'extérieur. Je jette un œil alentour, cette partie des Blocks craint pas mal... Surveiller ses arrières, à tout prix. Je pousse la lourde porte métallique et c'est toute une ambiance qui s'impose à moi.
La première chose que je remarque, c'est une foule qui se dresse devant moi. Elles me tournent le dos et semblent captivées par quelque chose qui se passe face à eux. Les quelques lampadaires industriels suspendus ici et là, dégagent une lumière presque mystérieuse, leurs ampoules vieillit par le temps, diffusent un éclairage tamisé, tirant sur le jaune orangé.
À cause de la foule tellement dense, je ne parviens pas à voir ce qui se passe au centre et qui retient l'attention de tous le monde.
Je décide alors de la contourner, trouvant ainsi une légère brèche parmi un petit attroupement. Je repère Echo, dans un coin, assis sur un gros baril métallique. Il tient entre ses mains une liasse de billets, qu'il semble compter avec attention. Il en rajoute quelques uns, en prenant des sommes plus ou moins importantes que des personnes lui tendent... Apparemment il serait question de paris.
Je me fraye un chemin non sans peine à travers la foule, quand, j'aperçois Kévin. Il est assit sur l'un des bancs entourant l'endroit de la salle où tout semble se dérouler. Il a l'air nerveux, et regarde droit devant lui, tandis que moi, je ne perçois pas encore ce qu'il s'y passe.
Soudain, il se retourne, comme s'il attendait l'arrivée de quelqu'un. Il se penche, cherchant ici et là, puis son regard s'arrête sur moi. Il fronce les sourcils, tandis que je me dirige vers lui. La surprise et la désapprobation se lisent sur son visage. De toute façon, je ne m'attendais pas à ce que l'on m'accueille avec le sourire.
Il se lève rapidement, puis me rejoint, traçant à travers toutes ces personnes un couloir bien plus facilement que moi. Alors que les gens s'écartent pour le laisser passer, j'entrevois dans un interstice, la silhouette de Yann.
Kévin m'attrape par le bras, puis me tire un peu à l'écart.
- Putain, mais qu'est-ce que tu fous là ! s'étonne-t-il
Je ne réponds pas à sa question, venant de me rendre compte que de là où nous sommes, j'ai une vue d'ensemble sur ce qui est en train de se passer.
La silhouette que j'ai aperçue juste avant était bien celle de Yann, il se tient debout, à l'une des extrémités délimitées par les spectateurs. Il est torse nu, et porte un pantalon de jogging noir, ainsi que des baskets. Il sautille sur la pointe des pieds, puis secoue ses bras comme pour se détendre. Ses muscles sont tendus, et son expression est impassible. Je n'avais encore jamais vu cette expression sur son visage, et cela lui donne un air dur, presque terrifiant.
Il s'avance alors vers le milieu, puis tape dans les poings d'un autre mec en face de lui. Ce dernier fait à peu près sa taille, bien qu'il soit plus fin, il n'en reste pas moins bien bâti. Ses cheveux, châtains, sont coiffés en arrière et son regard et tout aussi déterminé que celui de Yann. Ils se défient tous deux, et aucun ne consent à baisser les yeux.
- OK tout l'monde, les paris sont fermés ! Que les choses sérieuses commencent ! annonce Echo, d'une voix grave et autoritaire, avant de donner ce qui semble être un coup d'envoi.
Je tourne alors la tête vers Kévin en comprenant ce qu'il se passe.
- Tu vas me dire c'que tu fais là bordel !
- Je... J'ai fini par avoir l'info que je cherchais, prononcé-je avec du mal, tout en dirigeant une nouvelle fois mon regard vers Yann.
Kévin m'appelle, mais je n'arrive pas à lâcher des yeux la scène qui se joue face à moi. Yann et l'autre mec, essayent de s'atteindre de plusieurs coups de poing.
C'est donc ça... Il participe à des combats organisés par Echo. Jamais je n'aurais imaginé ça, et je me demande qu'est-ce qui fait qu'il en est arrivé à prendre part à ce genre de chose.
Alors que Yann a clairement le dessus, et qu'il atteint le visage de l'autre mec d'une droite en plein sur la mâchoire, Kévin, qui n'arrive pas à me faire lâcher du regard cette scène, m'appelle bien plus fort cette fois.
- Nine, bordel !
À ce moment, Kév ne se rend pas compte qu'il a crié tellement fort, que Yann l'a entendu. Il détourne les yeux vers nous, quittant de ce fait son adversaire du regard.
Lorsque qu'il m'aperçoit, son regard impassible, se transforme en inquiétude, comme si pour lui, ma présence et le fait que je le vois ainsi soit comme une punition ou un jugement. En une fraction de seconde, son adversaire en profite pour lui asséner une droite en plein dans l'arcade. Yann qui ne s'y attendait pas, perd l'équilibre, mais se rattrape aussitôt très agilement. Au lieu de répliquer, il lance un coup d'œil rapide vers Echo, puis de nouveau vers moi.
Suite à ça, et comme s'il devait vite en finir, il se déchaîne sur le type en face de lui, ne lui laissant plus aucune possibilité de l'atteindre. Il le met rapidement à terre, et lui donne un ultime coup, qui le met K.O.
Echo, qui semble trouver le comportement de Yann suspect, tourne la tête vers l'endroit où il a regardé un instant plus tôt, et nos yeux se croisent. Aussitôt, il m'observe avec insistance, l'air à la fois en colère et satisfait, puis il saute du baril où il est assis pour rejoindre Yann.
- Sans grande surprise, nous avons notre gagnant ! Et pour le moment, il reste invaincu !
Il enserre l'épaule de Yann, comme pour le féliciter, puis pose ses yeux sur moi, et m'adresse un clin d'œil. Yann s'en rend compte, et lui lance un regard froid, tandis que sa mâchoire se crispe.
Kévin, quant à lui, n'a pas lâché mon bras tout ce temps, et ne sait apparemment pas quoi faire. Soudain, il m'entraîne encore un peu plus à l'écart, comme pour me mettre à l'abri du regard d'Echo.
Quant à moi, je reste comme submergée par ce que je viens de voir. Tout prend enfin un sens logique, et je sais maintenant pourquoi certains lundis, Yann arrive blessé au lycée.
Comme si tout était réglé à la seconde près, la foule commence à sortir du gymnase. Donnant l'impression que toutes traces de ce qui vient de se passer, doit disparaître au plus vite.
C'est alors que Yann fonce sur nous. Il n'a même pas pris le temps de vraiment se rhabiller. Sa chemise à carreaux noir et rouge est encore ouverte, laissant apparaître son corps trempé de sueur. Et son arcade, est légèrement abîmée.
Il se plante devant moi, ses yeux sévère plongés dans les miens, et serre la mâchoire.
- Putain, qu'est-ce que tu fous là ! aboie-t-il.
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