Ce surnom a donc commencé à me suivre partout et certaines personnes, avec qui je n'entretiens pas vraiment de relation amicale, commence même à l'utiliser. Nico, Aurore et Kevin s'y sont mis aussi. C'est devenu naturel. Comme s'il avait toujours existé.

Quant à la relation entre Yann et moi, en très peu de temps, elle a évoluée de façon assez étonnante. Nous sommes devenus très fusionnels, et cela, même s'il ne s'agit que d'une relation purement amicale. Elle paraît aux yeux de nos amis et des autres, assez ambiguë. Même Kév qui est de nature très ouverte et très je-m'en-foutiste, se pose lui aussi des questions.

Je peux les comprendre, car quand j'ai froid, Yann me prend dans ses bras, et nous n'hésitons pas à nous balader bras dessus bras dessous. Lorsque nous nous asseyons sur le banc où il n'est désormais plus seul, il s'y met à califourchon, tandis que je m'assois entre ses jambes, de façon à pouvoir appuyer mon dos contre son torse. Nous lisons ainsi ensemble le même livre, ou bien écoutons la même musique en partageant nos écouteurs. Il s'amuse souvent avec mes cheveux, fait tournoyer une mèche entre ses doigts. Lorsque la fin de la journée est là et que je rejoins mon bus, il me prend dans ses bras brièvement et m'embrasse sur la joue. Chose qui jusque-là n'était réservée qu'à Nico, mais qui s'est faite tellement naturellement, que nous ne nous posons plus de questions.

Cela attise la curiosité de pas mal de monde et entre autres du groupe des « populaires ». Vous savez ce genre de clique où la plupart des personnes qui en font partie ne se prennent pas pour de la merde. Oui, je préfère être franche, je ne les porte pas vraiment dans mon cœur. La plupart, jugent les autres et plus particulièrement ceux qui ne font pas partie de leur bande et tout cela gratuitement. Ils ont l'insulte facile, et ne se sentent forts qu'en groupe et seulement en groupe. Une fois isolés, il suffit de les regarder un peu méchamment, et là il n'y a plus personne. J'en ai fait l'expérience.

Je n'ai jamais eu peur de ce genre de personne, d'ailleurs, ils ne m'ont même jamais impressionnée. Ils m'ont abordé un jour, et m'ont demandé si je voulais traîner avec eux. Je me souviens encore de ma réponse et de leur réaction. J'ai cru à ce moment qu'Aurore allait nous faire un malaise, elle avait littéralement arrêté de respirer, de peur de leurs représailles. Quant à Nico, il avait tout simplement éclaté de rire.

J'avais répondu que faire partie de ce genre de pétasses superficielles, qui comptabilisent le nombre de mecs à leur actif comme s'il s'agissait d'un concours, qui se donne une allure ridicule en marchant, tout ça dans le but de se faire reluquer le plus possible par la gent masculine, dans l'espoir d'en attirer un de plus dans leur filet. Merci, mais ce sera sans moi, je vous laisse ce rôle, il vous va à la perfection.

Depuis ce jour, ils ne m'ont plus jamais demandé quoi que ce soit. Et, ça me convient.

Alors que nous sommes posés sur notre banc, à écouter tranquillement de la musique, moi appuyée contre lui et lui jouant une fois de plus avec quelques mèches de mes cheveux, Kévin s'assoit et nous observe. Je lève le nez et je vois à son regard qu'il ne va pas y aller par quatre chemins. Je donne un léger coup de coude à Yann qui a enfoui son visage dans mon cou et qui est limite en train de s'endormir. Il relève la tête et remarque enfin son ami.

- Qu'est-ce qu'il y a mec ? demande Yann.

- Qu'est-ce qu'il y a ? T'es sérieux ?

Yann se contente de hausser les épaules, totalement dans l'incompréhension.

- Bah, explique, insiste Yann, tandis que j'enlève mon écouteur.

- Mec, tu vas pas me la faire à moi, lance Kévin.

- Quoi ?

- Vous deux, il se passe un truc, affirme-t-il.

Je tourne la tête vers Yann, nous nous observons et haussons un sourcil. On s'attendait à avoir à un moment ou à un autre, ce genre de question de l'un de nos amis. Forcément et comme je m'en doutais, c'est Kév qui se lance le premier.

- Pas du tout, qu'est-ce qui te fait dire ça ? demandé-je.

- Vous vous êtes vu ?

- Ouais et ? s'impatiente Yann.

- On dirait un putain de couple, c'est comme si vous étiez ensemble depuis trois ans, mec. Et encore, j'suis gentil, argumente-t-il.

- On est bien comme ça, c'est tout, on est proche, on s'entend bien, mais on est amis, rien de plus, réplique Yann.

Kévin nous observe, sceptique. Yann le remarque et reprend avant qu'il ne décide de rajouter autre chose.

- Et au pire, on n'a pas à se justifier, lance-t-il.

- J'te demande pas de te justifier, mais d'être clair.

- Bah, c'est clair, elle est moi, on est pote, pour le reste, elle fait ce qu'elle veut.

- OK, donc si un de mes potes me demandait de prendre la température, pour voir si y'a moyen avec elle, tu dirais rien ?

Il est malin, je sais où il veut en venir, je le connais bien maintenant et prêcher le faux pour savoir le vrai c'est son truc.

- C'est le cas ? demande alors Yann qui se tend derrière moi.

- Peut-être, ou pas, mais là n'est pas la question mec, tu dirais quoi ?

J'adresse un regard désapprobateur à notre ami. Yann est clairement à deux doigts de l'envoyer balader. Lui et moi, on a déjà abordé ce sujet, et on en est venu à se dire que c'est compliqué. On se plait comme on est, on est tellement proche, qu'une relation plus qu'amicale pourrait tout foutre en l'air si ça venait à merder. Envisager de se mettre ensemble ? Bien sûr qu'on en a parlé, mais non, c'est impossible, on a trop peur de perdre tout ce qu'on a, puis Yann a cette limite qu'il ne souhaite pas franchir pour le moment, et que je me suis engagée à respecter.

Kévin ne lâche pas Yann du regard et attend sa réponse.

- Elle fait ce qu'elle veut, je peux pas être plus clair, gronde Yann complètement tendu derrière moi.

- OK, alors si je l'invite ce week-end ça pose pas de soucis, lance Kévin. Nine ?

Yann me pousse doucement vers l'avant, se lève du banc d'un coup et s'approche de son pote l'air menaçant.

- Putain, mec, tu cherches quoi là ? s'énerve Yann.

- Rien, je voulais juste savoir, lâche Kévin, apparemment satisfait de la réponse qu'il a obtenue. Et maintenant je sais, ta réaction parle d'elle-même.

Comme si de rien était, il s'éloigne en fourrant ses mains dans ses poches et rejoint ses amis non loin de nous, satisfait. Yann reprend sa place derrière moi, et je pivote vers lui pour me mettre à califourchon sur le banc, moi aussi, puis pose mes jambes sur ses cuisses.

- Qu'est-ce qui lui prend ? demandé-je.

- Je sais pas, mais il m'a soûlé, grogne-t-il.

- Je pense qu'il veut juste comprendre où on en est, t'es son pote c'est normal.

- Y'a rien à comprendre, on est comme ça point.

- Tant qu'entre nous c'est clair, tout va bien, affirmé-je.

Yann ne réplique pas, il se contente d'attraper mes mains froides pour les envelopper avec les siennes, de les ramener près de ses lèvres, puis de souffler dessus pour les réchauffer. Je l'observe faire, attendrie. Il peut bien dire ce qu'il veut, c'est peut-être un Bad boy, mais c'est aussi un mec adorable.

- Ouais, c'est clair, finit-il par répondre les sourcils froncés.

Soudain, le type qui m'a poussé pendant le match de basket, passe à côté de nous. Il nous remarque et s'arrête avec ses amis à notre hauteur. S'il te plait, passe ton chemin...

Au lieu de ça, il nous observe et affiche un rictus provocateur. Yann serre un peu plus fort mes mains lorsqu'il s'en aperçoit.

- Ça y est, t'es son chien de garde personnel ? demande-t-il.

- Ta gueule, Thomas, bouge de là, le prévient Yann en prenant sur lui.

- Ou bien, s'est fait tu te l'es tapée ? balance Thomas.

Je sens tout à coup les mains de mon meilleur ami relâcher les miennes. Ce mec a clairement choisi le mauvais moment, à croire que c'est fait exprès.

Yann se lève, se plante juste devant lui, et colle presque son front au sien.

- Répète, le menace-t-il.

- Elle est bonne ? insiste l'autre crétin, se sentant plus fort avec ses amis à ses côtés.

Yann, attrape à ce moment de ses deux mains le col de Thomas, et le repousse contre le mur, où il le plaque sans ménagement à l'aide de son avant-bras, en le plaçant sur sa gorge.

L'un des potes de Thomas approche immédiatement et attrape Yann par l'épaule pour le tirer en arrière, mais il ne bouge pas. Il essaye à nouveau, ce qui a pour effet de l'énerver encore plus. Yann se tourne vers le mec et le pousse violemment, tandis que deux autres le rejoignent. Il se retourne pour plaquer une nouvelle fois Thomas au mur, et lui demande de ne plus parler de moi comme il le fait.

L'un des amis de Thomas passe son bras autour de la gorge de Yann par derrière pour lui faire lâcher prise. Il se retourne alors pour lui faire face. Yann n'ayant encore frappé personne, je décide d'intervenir. S'il le fait il risque d'être renvoyé.

Je m'approche sans réfléchir du groupe, et Yann le remarque tout de suite.

- Restes où t'es ! m'ordonne-t-il.

- Yann, laisse tomber, c'est rien, tenté-je.

Mais au moment où je prononce cette phrase, il se prend une droite par l'un des amis de Thomas, et je m'en veux immédiatement d'avoir détourné son attention. Soudain, tout dérape, Yann réplique, et lui assène un coup de poing en retour. Il pivote, et attrape Thomas pour le soulever par la taille afin de le faire tomber et de le plaquer au sol. Il ne le frappe cependant pas, il le maintient juste, de façon à ce qu'il ne puisse pas se débattre.

Je vois tout à coup un mec assez costaud saisir Yann par les bras et le tirer en arrière. Il le maintient un bref instant, et cela donne le temps nécessaire à Thomas pour se redresser. Il approche, un sourire mauvais aux lèvres et donne un coup de poing dans le ventre de Yann, qui est toujours retenu par le type costaud.

Pourtant, Yann ne bronche pas, il fait lâcher prise au mec derrière lui, puis se rapproche de Thomas cette fois l'air vraiment menaçant. Yann n'a pas frappé le premier, tout le monde en est témoin.

Je me retourne tout à coup en entendant des voix qui s'élèvent, et je vois Kévin et ses amis courir en direction de la bagarre. Je m'approche légèrement, dans l'espoir que tout s'arrête, mais lorsque Yann s'aperçoit que Kév arrive avec du renfort pour lui prêter main-forte, il me lance un regard sérieux.

- Bouge ! m'ordonne-t-il.

Je m'exécute, et recule, consciente que ça va partir en bagarre générale, et rejoins Aurore et Nico qui se sont approchés. Nico me demande ce qu'il se passe et je lui explique rapidement ce que Thomas a dit, trop inquiète de ce qu'il se passe pour vraiment rentrer dans les détails.

Mon ami m'observe et lit l'inquiétude sur mon visage.

- Putain l'enfoiré ! lâche-t-il, avant d'enlever son sac et de me le tendre pour que je le lui tienne.

Il s'élance en direction de la bagarre, et se jette en plein dedans. Nico disparaît ensuite de ma vue, se noyant parmi les personnes qui participent à cette folie.