Chapitre 28
Suite à cet épisode un peu surprenant, où Kevin a voulu me prouver à sa manière que Yann tient d'une certaine façon à moi, je ne sais plus vraiment quoi penser, ni faire. Une des choses que Kévin m'a confiées à propos de Yann a retenu mon attention... Yann aurait selon lui, peur de s'attacher. Maintenant, la question que je me pose, c'est « pourquoi » ?
Cette discussion a eu lieu hier, et pourtant j'ai l'impression que je me la repasse en boucle depuis au moins une bonne semaine. Yann n'est pas venu me voir depuis, moi non plus, et on dirait bien que Kévin m'évite... Il m'adresse de discrets sourires, depuis ce matin, mais n'est pas venu me saluer... Allez savoir pourquoi... Yann n'aurait quand même pas vraiment pensé qu'entre Kévin et moi il se passe quelque chose ? Et, même si c'était le cas, il m'a dit à plusieurs reprises qu'il ne fallait pas que je m'attende à quoi que ce soit, et qu'il ne voulait rien... Alors où est le problème ?
La plupart de mes professeurs étaient absents aujourd'hui, et je me dirige pour la troisième fois depuis ce matin vers la salle d'étude. Je prends place à une table au fond, près de la fenêtre, et Aurore s'assoit à côté de moi avant que Nico ne le fasse. Celui-ci attrape dans la foulée la chaise juste devant, la retourne vers nous et se laisse tomber dessus en adressant un sourire exagéré à Aurore, qui lui tire la langue en guise de réponse. De vrais gosses !
Une table pour trois... Quelle bonne idée ! Ce n'est pas comme si les surveillants ne nous connaissaient pas. Ils savent qu'il ne faut surtout pas nous mettre ensemble.
J'entrouvre la fenêtre afin que de l'air frais me parvienne un peu, nous sommes en hivers, mais le chauffage dans la salle est étouffant. Je mets ensuite mes écouteurs, puis lance une de mes playlists, tandis que j'enfouis mon visage dans mes bras croisés sur la table. Aurore, essaye quant à elle d'expliquer à Nico un exercice qu'il n'a pas compris. Je pourrais faire comme lui et tenter de comprendre, mais... Comment vous dire... J'ai la flemme.
Sans m'en rendre compte, le sommeil me gagne et je finis par m'endormir. Je suis tiré de celui-ci au bout de quelques minutes lorsque des éclats de voix me parviennent. J'observe mon portable, celui-ci n'a plus de batterie, et je comprends mieux pourquoi je n'entends plus ma musique. Encore à moitié somnolente, je me redresse, et de nouveaux éclats de voix se font entendre. Ceux-ci proviennent de dehors, et je tourne machinalement la tête pour voir ce qu'il se passe.
Il s'agit de Yann et Kévin, ils ont une discussion assez animée juste en dessous de la fenêtre où je me trouve. Nico qui remarque mon attention vers l'extérieur se penche pour observer à son tour.
- Qu'est-ce qui leur prend ? demande-t-il.
- Je sais pas, réponds-je, ne lâchant pas la scène des yeux.
Soudain, je me lève d'un bond, faisant glisser la chaise sur le sol dans un bruit strident, lorsque je vois Yann pousser Kevin assez violemment, pour ensuite l'attraper par le col. Je saisis mon sac, puis sans rien dire, détale vers la porte. Le surveillant qui ne comprend pas vraiment ce qui se passe m'interpelle.
- Je peux savoir où tu vas comme ça ?
- Une envie pressante, lâché-je sans le regarder avant de sortir, rapidement.
Je dévale alors les escaliers aussi vite que mes jambes me le permettent, bien décidée à les empêcher de se taper dessus. Pourquoi diable sont-ils en train de s'engueuler ? Je passe la porte de sortie le pas pressé, sous le regard de plusieurs surveillants.
Une fois à l'extérieur, je contourne un peu le bâtiment, afin de rejoindre le dessous de la fenêtre où je me trouvais juste avant. Plus je m'approche, plus les voix se font claires, et je peux maintenant saisir ce qu'ils se disent.
- J'peux savoir en quoi ça te regarde ? demande Yann à Kevin alors que je suis encore à quelques mètres d'eux.
- T'es mon pote, mec, content où pas ça m'regarde, rétorque Kévin sereinement alors que Yann est tendu en face de lui.
- Pourquoi t'as été lui balancer ça, putain ! s'exclame Yann.
- Parce que tu te comportes comme un connard... C'est une fille bien, va pas tout gâcher à cause de tes conneries, réplique-Kevin.
Kévin m'a repéré de loin, tandis que Yann me fait dos et ne me voit pas arriver.
- Putain, mais tu comprends pas que je fais tout ça pour la tenir à l'écart ? s'énerve Yann.
- C'est ton excuse habituelle ! C'est pas comme ça que tu vas réussir à la protéger... Elle cherchera à savoir, elle est pas du genre à abandonner facilement, et si elle découvre tout d'elle-même tu connais la suite, réplique Kevin.
- Ça n'arrivera pas... répond Yann.
Quoi ? Mais de quoi il parle ? Me protéger de quoi ?
J'arrive enfin à côté d'eux, essoufflée. Yann m'observe, étonné, se demandant surement ce que je fais là. Les éclats de voix font alors place à un silence de plomb.
Je jette un œil discret en direction de la fenêtre, et je constate que Nico et Aurore ne sont plus les seuls à s'être rapprochés de celle-ci afin d'observer la scène. Ils espèrent tous une bagarre, c'est évident.
Les deux garçons me regardent alors avec insistance et ça en devient presque gênant.
- Bah quoi ? lâché-je.
- Qu'est-ce que tu fais là ? m'interroge Yann.
- Et vous, qu'est-ce qui vous prend ? Vous êtes pas potes à la base ?
- Comment t'as su ? me questionne à son tour Kevin.
Je désigne la fenêtre du doigt juste au-dessus de nous et ils comprennent tout de suite.
- Vous êtes pas discret, expliqué-je.
- Pourquoi t'es v'nu ? me questionne Yann.
- Parce que je me demande pourquoi deux potes sont à la limite de se bagarrer.
Yann fuit mon regard, tandis que Kevin soutient le mien, comme s'il m'encourageait à continuer cette discussion. Je décide de suivre mon intuition, et me tourne vers Yann.
- Qu'est-ce qui se passe ? demandé-je.
- Ça t'regarde pas, lâche-t-il froidement.
- OK, comme tu veux, si tu le prends comme ça, dis-je alors que je commence à reculer pour les laisser tranquilles.
- Putain mec, t'es con ou quoi ? lance Kevin, qui me voit sur le point de partir.
Yann se tourne alors vers moi, et m'observe, hésitant, tandis que je reste plantée là, ayant la sensation qu'il ne faut pas que je parte.
- Il t'a dit des trucs que t'étais pas censé savoir, balance Yann.
- Ouais, enfin lui au moins il me parle, répliqué-je alors que sa mâchoire carrée se crispe en entendant ces mots.
- Tu vois ? Elle est pas possible ! s'exclame Yann exaspéré à l'attention de Kevin.
- Bon moi j'vous laisse, à plus, lance alors ce dernier avant de nous tourner le dos et de partir.
Il est vraiment sérieux là, il se barre ?
Nous nous retrouvons d'un coup tous les deux, et j'observe Kévin s'éloigner, le maudissant de me laisser en plan comme ça. Je regrette presque d'être venue tellement le silence est pesant.
Alors que je ne m'y attends pas, Yann attrape mon sac. Je tente de le retenir, dans l'intention de m'en tenir à ce que je lui ai demandé, mais il me lance un regard dissuasif, tout en tirant dessus plus sèchement. Il le jette ensuite sur son épaule puis commence à avancer sans rien dire. J'avance à ses côtés, jusqu'à ce qu'il finisse par s'arrêter et s'asseoir sur le muret en pierre se trouvant devant l'établissement. Il pose mon sac à côté de lui. Je suis censé faire quoi ? Je m'assois ? Je m'assois pas ?... Allez je me lance, on verra. Je pose mes fesses à mon tour, sans rien dire.
Il reste silencieux un bref instant, les yeux rivés sur ses baskets.
- Excuse-moi, lâche-t-il alors que je ne m'y attends pas.
Wow ! J'ai bien entendu là ? Il vient vraiment de s'excuser ?
- Pas grave, c'est rien, dis-je encore sous le choc.
Comment ça, pas grave ? Bah si un peu quand même !
- Si, t'as rien demandé à la base, t'as raison.
- Je suis trop curieuse, affirmé-je.
- Ça, j'dirais pas le contraire... Mais, c'est moi qui suis pas clair avec toi, ajoute-t-il.
Avant qu'il n'ajoute quoi que ce soit, je préfère être clair de mon côté. Je prends mon air le plus impassible possible, et me tourne vers lui.
- Écoutes, si t'as pas envie de me parler, alors ne le fait pas, si tu veux pas qu'on soit pote, ne le soit pas, je peux rien te dire de plus... Mais, je te demande juste d'être clair.
- C'est pas ça, soupire-il tandis que je vois les muscles de sa mâchoire se contracter de nouveau.
- Alors, c'est quoi ?
- C'est compliqué, lâche-t-il.
Je baisse les yeux à mon tour vers mes chaussures, déçue par la réponse qu'il vient de me donner. Point positif, c'est la seule discussion qu'on ait eue jusque maintenant où le ton ne monte pas.
- Qu'est-ce que tu veux savoir ? lance-t-il alors que c'est la dernière chose à laquelle je m'attendais de sa part.
- T'es sérieux ? m'étonné-je.
- Profite avant que je change d'avis.
- Pourquoi tu m'as menti ?
- Pour Chloé ?
- Ouais.
- Pour te tenir à l'écart, explique-t-il, avoir une relation amicale ou autre, c'est pas envisageable, pas maintenant.
Il marque un petit temps de réflexion avant chaque réponse, comme s'il pesait le pour et le contre et les répercussions que celles-ci pourraient avoir. Je me demande ce qui peut le pousser à ce point à devoir faire attention à ce qu'il me dit.
- À l'écart de quoi ? le questionné-je.
- C'est la sœur d'Écho, normalement en sachant ça, t'aurais dû au moins avoir un peu la trouille, et t'éloigner.
- Et donc tu m'as menti pour que je m'éloigne ?
- Ouais, mais apparemment ça n'a pas fonctionné, soupire-t-il.
- Ça a un rapport avec les messages que tu reçois ? l'interrogé-je.
- Ouais, mais je peux rien te dire de plus là-dessus.
- C'est que des messages, dis-je.
- C'est bien plus que ça, explique-t-il en laissant échapper un petit rire nerveux tout en soupirant.
Un bref silence prend de nouveau place puis je reprends.
- Comment t'as eu mon numéro ? le questionné-je en fronçant les sourcils.
Il affiche un sourire en coin, laissant apparaître sa petite fossette. Il s'attendait visiblement à ce que je lui pose cette question.
- Le soir où je t'ai raccompagné, je t'ai demandé ton portable pour y rentrer mon numéro...
- Ouais...
- Je me suis tout simplement appelé avec ton téléphone et j'ai pu récupérer le tien, explique-t-il fier de lui.
- Tu pouvais aussi demander... annoncé-je.
- J'étais pas sûr que tu me le donnes... Et, puis c'est plus marrant comme ça non ? lance-t-il.
Je lui adresse un léger sourire, puis reporte mon attention sur mes baskets et mes pieds qui se balancent dans le vide.
Je répète en boucle une question dans ma tête depuis tout à l'heure, mais je ne suis pas sûr de devoir la poser. Parce que si je pose cette question, j'ai comme l'impression que c'est à double tranchant. Il y a de fortes chances pour que cette discussion ne finisse pas comme je le voudrais. Mais, alors que je me résigne à ne pas la lui poser, il s'adresse de nouveau à moi.
- Qu'est-ce que Kevin t'a dit d'autre ?
- Rien de spécial, préféré-je répondre.
- J'te connais pas depuis longtemps, mais il y a autre chose, alors dit, insiste-t-il.
Je pèse à mon tour le pour et le contre de cette question, essayant de savoir quelle répercussion elle aura. Yann tourne son visage vers moi, plantant ses yeux azur dans les miens... Ils sont à couper le souffle... Quelque chose a changé, son regard n'est plus le même c'est certain. Il me sourit légèrement, comme pour m'inciter à me lancer.
- Kevin m'a dit que tu es comme ça avec moi parce que t'as peur de t'attacher...
Je vois alors son regard changer du tout au tout, son humeur détendue depuis le début de notre conversation disparaît, son regard s'assombrit et sa mâchoire tressaute. Aïe, je savais bien que j'aurais pas dû !
- Il sait pas de quoi il parle, dit-il calmement à ma grande surprise, même si je vois bien que cela lui coûte quelques efforts.
Je ne cherche pas plus à comprendre que ça et préfère le laisser un moment tranquille, retrouver la sérénité qu'il avait juste avant. Mais, je suis sûr que Kévin sait de quoi il parle, c'est seulement que Yann ne veut pas en parler.
Une fois que je le trouve de nouveau détendu, je me tourne vers lui.
- Pourquoi t'as réagi comme ça quand tu m'as vu avec Kévin hier ? Et, pourquoi si tu veux me tenir éloigné de toi dans ce cas-là, tu me sauves la mise à chaque fois ?
- J'avais peur de ce qu'il ait pu te dire et puis j'me suis dit qu'en me voyant réagir comme ça, t'allais prendre la fuite, mais là encore ça a foiré, se justifie-t-il, pour le reste je sais pas trop, ajoute-t-il en haussant légèrement les épaules.
Je souris à son explication. Il pense donc que je suis ce genre de fille à détaller a la moindre complication ? Malheureusement, si c'est ce qu'il attend vraiment, il est mal barré.
- J'peux te proposer quelque chose ? lui demandé-je tout à coup, une idée derrière la tête.
- Vas-y dit.
- Je te propose qu'on laisse faire les choses. Ne t'attache pas si t'en as pas envie ou s'y t'y arrives pas. C'est pas grave, je te force à rien. J'te propose juste d'être là pour toi, comme toi pour moi... Mais, n'agis plus avec moi comme tu l'as fait jusque-là. Ne me parle pas pour ensuite m'éviter le lendemain, et si tu me sauves la mise... encore, fait le en connaissance de causes.
Il réfléchit sérieusement. La décision qu'il doit prendre en cet instant a l'air d'être un vrai dilemme. Puis, il se tourne vers moi, une lueur dans les yeux que je ne lui connaissait pas encore.
- Ça m'va, lance-t-il, mais va falloir que tu fasses quelque chose pour moi, ajoute-t-il avec sérieux.
- Quoi ? demandé-je surprise.
- T'approches pas d'Écho.
- OK, acquiescé-je sans réfléchir, de toute façon, ce n'est pas comme si j'avais l'intention de le revoir.
- Et sois moins curieuse !
- Impossible ! m'exclamé-je.
- J'aurais essayé, dit-il, en haussant les épaules.
Nous nous regardons alors à ce moment-là, puis rigolons ensemble de bon cœur et échangeons même un regard complice. Si on m'avait dit ce matin en me levant que lui et moi nous allions avoir une vraie conversation, jamais je ne l'aurais cru !
Pourtant, quelque chose a changé, maintenant j'en suis certaine.
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