
Chapitre 19
Nous nous élançons tous pour le premier tour, et je ne perds pas de temps, j'accélère sans hésiter. Nico et moi sommes au coude à coude, nous enchaînons les virages et les lignes droites, pied au plancher. Nous nous jetons quelques coups d'œil rapides histoire de nous défier un peu plus, mais j'ai pour habitude de rester concentrée sur le circuit. J'anticipe chaque trajectoire à prendre, chaque virage, essayant de prévoir ce que Nico va faire. Nous sommes déjà loin devant les autres, et d'ici deux tours, je pourrais même surement rattraper les derniers.
À la fin du premier tour, je suis devant lui, deux secondes d'inattention et il pourrait me dépasser. Je profite de la ligne droite pour prendre un maximum d'avance, mais il ne lâche rien et se trouve de nouveau à mes côtés. La seconde d'après il est légèrement devant moi, mais, le troisième virage arrive, et Nico freine avant chacun d'eux, je décide donc de ne pas ralentir, de faire ce que je fais le mieux... Foncer.
La voix de Mick se fait entendre dans mon casque via la radio.
- Ralentie championne, tu vas trop vite.
Il sait très bien que comme d'habitude je vais faire la sourde oreille.
- Ça va Mick t'inquiètes, réponds-je.
Je l'entends soupirer tandis que j'accélère de plus belle, me plaçant derrière Nico, un peu à sa droite. De cette façon lorsqu'il ralentira pour passer le virage, je n'aurais qu'à le dépasser tout en faisant glisser mon kart à l'intérieur de celui-ci comme je l'ai déjà fait des centaines de fois.
Alors que je me mets en position, je tourne la tête légèrement vers les gradins, allez savoir pourquoi, comme si mon subconscient était attiré vers eux. Et, je l'aperçois... Yann est là, debout, appuyé à la rambarde les deux mains serrant celle-ci. Il observe la course avec attention. Soudain, la voix de Mick retentit.
- Fais gaffe ! crie-t-il.
Il a suffi d'une seconde d'inattention, une seconde pour que Nico modifie sa trajectoire alors que j'avais la tête tournée. Nico, qui ne s'en rend pas compte à ce moment-là, me fait une queue de poisson et ma roue avant gauche se prend dans la sienne. Je mets alors un coup de volant sans réfléchir, pour éviter le pire à mon ami.
Mon karting commence alors, à partir dans des tourbillons infernaux, que j'essaie de maîtriser comme je peux. Je distingue tout de même Nico, que j'ai percuté, arriver à reprendre le contrôle tant bien que mal. Au bout de plusieurs tourbillons, mon karting s'immobilise en heurtant la rangée de pneus sur le côté et je sens que mon casque heurte quelque chose. Avec le choc, mon karting rebondit pour se retrouver au milieu de la piste. Quelques brèves secondes s'écoulent afin que je retrouve mes esprits, mais surtout pour que ma tête ne tourne plus.
Je remarque que Nico s'est arrêté en voyant que je perdais le contrôle, je lui fais donc signe que tout va bien en levant le pouce et lui donne le feu vert pour repartir. Je regarde de nouveau vers les gradins, Aurore s'est approchée de la rambarde, l'air totalement paniqué. Quant à Yann, il a un pied appuyé sur le deuxième barreau de celle-ci et ses mains sont crispées, comme s'il était prêt à sauter pour rejoindre la piste. L'inquiétude se lit sur son visage. Je leur adresse un petit signe à tous les deux et il me semble les voir soupirer de soulagement presque en même temps.
Reprenant mes esprits, je frappe un grand coup le volant de mon kart, me parlant à moi-même.
- Putain, merde, fais chier !
Tout à coup, j'aperçois les amis de Nico qui arrivent à pleine vitesse, ils ne m'ont pas vu perdre le contrôle et ne savent pas que je suis arrêtée en plein milieu du circuit. Ils risquent de me percuter si je ne bouge pas de là. Je vois Yann, toujours le pied posé sur la rambarde et il fronce les sourcils lorsqu'il se rend compte lui aussi de ce qui se prépare.
Ni une ni deux, j'enfonce la pédale de l'accélérateur et mon karting se propulse tout en faisant patiner les roues arrière. Lorsque je me retrouve dans le bon sens, j'aperçois Nico qui roule lentement devant, et je lui fais signe d'accélérer, s'il ne le fait pas, lui aussi risque d'être percuté par les autres.
Comprenant alors ce qu'il se passe, il remet les gaz, tandis que j'arrive à sa hauteur. Il m'adresse un regard désolé, puis abaisse sa visière et se concentre de nouveau sur la piste.
- Ça va championne ? me demande Mick.
- Ouais, t'inquiète.
- OK, soupire-t-il de soulagement.
Nous restons au coude à coude quelques minutes Nico et moi, puis, resserrant ma prise autour du volant, j'accélère de plus belle, le dépassant dans un virage, et le distançant, tandis qu'il tente de me rattraper. Les deux derniers tours se déroulent sans encombre, et j'aperçois la ligne d'arrivée ainsi que Mick qui remue le drapeau à damier, signe que la course est terminée. Je suis à quelques mètres devant Nico, et je passe la ligne d'arrivée en première position.
Je ralentis, rejoins la place où je gare habituellement mon karting et pousse le bouton de la ceinture de sécurité afin de m'en libérer. Je sors de celui-ci, tandis que Mick trottine déjà vers moi alors que j'enlève mon casque, et que je peste contre moi-même.
Il s'approche et m'examine sous toutes les coutures.
- Ça va t'as rien ?
- Non, ça va... J'ai merdé.
- Tu nous as foutu une sacrée frayeur ouais surtout !
- Désolée...
- C'est rien, le principal, c'est que tu ailles bien.
Je le regarde et lui adresse une moue d'excuse. Puis son regard s'arrête sur une partie de mon visage.
- Qu'est-ce que t'as là ? montre-moi voir ça.
Il observe ma pommette avec attention, c'est vrai qu'en y portant un peu plus attention, je ressens une légère douleur. Je porte ma main vers celle-ci, et en appuyant doucement, cela fait comme si j'avais un petit bleu.
- J'crois que pendant les tourbillons, mon casque a cogné quelque part.
- Je vois ça, attend là, je vais chercher un peu de glace.
- C'est pas la...
- Discute pas ! m'interrompt-il
Je soupire, alors que Nico arrive. Il se poste devant moi, et enlève son casque.
- T'as rien ? demande-t-il.
- Nan, je vais bien.
- Et ça c'est quoi ? me questionne-t-il en pointant du doigt ma pommette.
- C'est rien juste un bleu ! m'exclamais-je.
- Désolé, j'ai pas vu que j'allais te couper la route, et puis après j'ai vu ton kart partir en vrille et...
- Nico... Respire, ça va.
- Ouais, soupire-t-il.
Il s'approche et me serre dans ses bras alors que je ne m'y attend pas. Ce mec est vraiment à fleur de peau, et il panique très vite. Tandis que je suis toujours dans ses bras et qu'il ne compte apparemment pas me lâcher dans la seconde, j'aperçois Aurore courir vers nous à petite foulée.
- Putain, tu nous as fait quoi là ? s'exclame-t-elle presque en colère.
Je me mets à rire, sous son regard exaspéré, elle a toujours des réactions démesurées.
- C'est pas marrant ! lance-t-elle.
- OK, ça va !
- Et tu veux que je monte dans un de ces engins ? Bah, même pas en rêve, ajoute-t-elle.
Sa réaction me fait rire de plus belle, tandis que je cherche Yann du regard. Je le repère à quelques mètres, il s'est rapproché de nous, mais reste à distance.
- Nico, c'est bon, tu peux m'lâcher je suis en vie tout va bien, marmonné-je.
- Déconne pas avec ça, grogne-t-il alors qu'il me libère et se recule légèrement.
- J'ai gagné, tu m'dois un milkshake mec ! dis-je pour le narguer et faire retomber la pression.
Il grimace à ma réflexion, puis lève les bras en signe de renonciation. Alors qu'il commence à discuter avec les autres, j'observe l'objet de mon manque d'attention sur le circuit. Aurore remarque mon regard sur lui.
- J'en connais un qui avait l'air un peu tendu... mais j'dis ça j'dis rien... précise-t-elle en me taquinant.
Je la fixe, ne réagissant pas à sa remarque, puis observe Yann une nouvelle fois et nos regard s'accrochent brièvement. Ce que j'y lis à cet instant, je ne saurais pas vraiment le décrire. De l'inquiétude ? Du soulagement ? De la colère ? Peut-être un peu tout ça à la fois... Aurore me sort soudain de mes pensées.
- Il se passe quoi entre vous ?
- Rien, on est pote, c'est tout, enfin si on veut... Je sais pas trop en fait.
- Qu'est-ce qu'il fait là ? demande-t-elle.
- Aucune idée.
- Tu m'le dirais si entre vous...
- Tu serais la première au courant !
- OK, répond-elle avec un immense sourire aux lèvres.
Mick revient vers nous, et alors qu'il passe devant Yann, je vois celui-ci observer la poche de glace en fronçant les sourcils. J'attrape la poche, et je la pose à l'endroit où la douleur se fait ressentir, puis lance un regard à Yann, et lui adresse un léger sourire. Il se contente de me regarder sérieusement.
Nous restons quelques minutes à discuter, puis alors que tout le monde se prépare à s'en aller, je leur dis au revoir, expliquant que je ne les suis pas, afin d'aller voir Yann. Je les observe s'éloigner, et leur fais signe de la main alors qu'ils passent la porte.
Je me tourne alors vers lui. Il est appuyé dos au mur, une jambe fléchie, son pied reposant contre celui-ci. J'avance tranquillement le casque sous le bras et pose au passage la poche de glace sur un banc. Lorsqu'il m'aperçoit marchant vers lui, il se redresse puis se met à marcher dans ma direction.
Arrivé à ma hauteur, sans me demander quoi que ce soit, il attrape mon casque pour le porter. Il se met ensuite à m'observer avec insistance, saisit mon menton entre ses doigts, puis tourne légèrement ma tête de côté pour examiner le coup que j'ai reçu. Il grimace tout en soupirant.
Je lui propose d'aller s'asseoir dans les gradins, et il acquiesce d'un signe de tête. Nous prenons place sur l'un des nombreux bancs, puis un silence s'installe. Mon regard est perdu sur le circuit, quand tout à coup, il prend la parole, me faisant presque sursauter.
- T'es flippante... lâche-t-il.
- Hein ?
- T'es pas censée ralentir avant un virage ?
- À la base si...
- Mais ?
- Je ralentis rarement.
Il me lance un regard en coin, puis contemple ses baskets, l'air pensif.
- Tu devrais faire attention.
- C'est ce que je fais... répliqué-je.
- La preuve... m'interrompt-il.
Il me fait vraiment la morale là ? Je ne réponds rien et préfère garder le silence. Je me demande pourquoi il est comme ça. On ne se connaît pas vraiment, on est à peine amis. Et puis, qu'est-ce qu'il fait là d'abord ? Comment il a su où me trouver ? Je tourne la tête vers lui, déterminée à avoir quelques réponses.
- Pourquoi t'es comme ça ?
Surpris, il lève son regard vers moi, et lève un sourcil, n'ayant pas vraiment l'air d'avoir compris ma question.
- Comment ça ?
- Avec moi, pourquoi t'es comme ça ? L'histoire avec Raphaël, ou à la soirée quand t'es intervenu...
- Je suis comme ça, c'est tout, y'a rien à comprendre. Va pas croire quoi que ce soit, je suis pas le prince charmant qui débarque pour sauver la princesse ou quoi que ce soit, se défend-il.
- Pourtant t'es toujours là quand il faut et t'hésites pas une seconde, même si après t'as des ennuis...
- Tu veux que j'te dise quoi ?
- Je sais pas, je cherche juste à te comprendre... Un jour tu agis comme si on était amis et le lendemain tu m'ignores totalement.
- Y'a rien à comprendre... C'est moi, je suis comme ça, alors te fatigue pas, OK ?
Un silence s'installe à nouveau et je sens qu'il est nerveux, le fait que je lui pose ces questions le met dans un état que je ne comprends pas vraiment. Mais, je tente le tout pour le tout tant pis, au pire il va m'envoyer chier et fuir comme il le fait à chaque fois et c'est tout.
- Et ta lèvre l'autre soir à la fête, c'était quoi ?
- T'es vraiment une chieuse bordel !
- Je sais... Et donc ?
- Tu sais quoi ? Laisse tomber... s'énerve-t-il.
Sur ces mots, il se lève et commence faire quelques pas.
- Tu fuis ? Encore ? lancé-je un peu sur le ton de la provocation.
Il stoppe net sa marche et serre les poings, sans prendre la peine de se retourner vers moi. Je sens bien à ce moment qu'il mène un vrai combat contre lui-même, mais pourquoi ?
- Si t'as pas envie que je te parle, alors pourquoi t'es venu ? ajouté-je.
Il ne se retourne toujours pas. Silence total, il est complètement fermé à la discussion, et se contente juste de serrer les poings, dont l'un, tenant encore mon casque. Je perçois également sa mâchoire se contracter.
Sans plus attendre, et agacée par ses réactions, je me lève, et commence à me diriger vers les vestiaires pour poser mes affaires et rejoindre mon bus qui ne va pas tarder. Alors que je m'apprête à descendre les marches des gradins, il se tourne vers moi.
- Je t'attends, lance-t-il.
- Pas la peine... répliqué-je
- J'te ramène.
- J'peux rentrer toute seule, j'ai besoin de personne, m'énervé-je.
Il soupire, alors que je descends les deux premières marches, puis je me rends compte que j'ai oublié mon casque. Je pivote donc sur moi-même, un peu en colère, avance jusqu'à lui et lui arrache mon casque des mains sans ménagement. Il me regarde, tout d'abord l'air étonné, en fronçant les sourcils, mais la seconde d'après, je perçois comme un éclair de tristesse dans son regard, qu'il fait disparaître très vite, surement pour éviter que je m'en aperçoive.
Quelques secondes plus tard, j'entre dans les vestiaires, en bougonnant et en me parlant à moi-même.
- Faudrait savoir ce qu'il veut. Monsieur veut que je laisse tomber et la seconde d'après veut me raccompagner... C'est n'importe quoi...
Après m'être changée, je passe saluer Mick et pousse la porte de la sortie, constatant sans grand étonnement que Yann m'attend, appuyé contre sa moto. Il avance vers moi, mais je ne compte pas en rester là. Je plante alors mon regard dans le sien.
- Pourquoi t'es venu ? l'interrogé-je.
Il cherche ses mots, comme si ce qu'il allait me dire lui coûtait énormément.
- Tu comptes pas répondre à ça non plus ? lâché-je.
Il baisse les yeux sur ses clés de moto qu'il triture nerveusement dans sa main.
- À quoi ça t'avancerait de le savoir ? demande-t-il.
Encore une fois, il évite la question... Je commence à faire un pas afin de partir et il reprend la parole.
- Tu veux vraiment le savoir ?
Je ne réponds pas et attends simplement la suite, croisant les bras sous ma poitrine.
- J'avais envie de te voir, lance-t-il, me jaugeant du regard et guettant une réaction.
- Pourtant dès que je te parle tu te fermes complètement, me renfrogné-je.
- Tu poses toujours les mauvaises questions, réplique-t-il.
- Parce que je m'intéresse à toi.
- Bah, tu t'intéresses aux mauvais côtés d'moi.
Je m'approche, essayant de lire en lui, comme si par magie toutes les réponses allaient apparaître. Puis une autre question me vient à l'esprit.
- Comment t'as su où j'étais ?
- Celle-ci je peux y répondre, lance-t-il un léger sourire aux coins des lèvres.
Je l'observe lui et son air un peu moqueur, et je ne peux m'empêcher de sourire à sa réplique idiote. Il me tend alors une petite boule de papier que je déplie. Je reconnais tout de suite le mot que Nico m'avait passé en cours et qui nous a valu d'être collés. Je le regarde l'air interrogateur.
- Ça traînait sur ta table quand j'me suis assis à côté de toi pendant l'heure de colle, explique-t-il en haussant les épaules.
- Et donc tu l'as pris et tu l'as lu... Normal quoi.
- Je t'ai dit, j'ai mes sources, peu importe comment.
- Et comment t'as su sur quel circuit j'allais ?
Il m'observe une nouvelle fois, le regard plein de malice et me lance un sourire presque provocateur.
- Tes sources c'est ça ?
- T'as tout compris, répond-il amusé.
Il enfourche sa moto, et j'attrape alors le casque qu'il me tend, pour monter derrière lui. Je passe mes bras autour de sa taille et la sensation de sentir ce corps parfait sous mes mains me procure le même effet que la première fois.
- Accroche-toi bien ! lance-t-il.
Pour ça je gère, c'est un plaisir de le faire !
- Ouais, t'inquiètes ! Toi fait gaffe ralentit dans les virages ! répliqué-je amusée.
Il tourne alors la tête de côté, tout en la hochant négativement la tête, et j'imagine son expression exaspérée par ma remarque sous son casque. Il baisse sa visière, démarre et tourne la poignée d'accélérateur. La moto répond et part au quart de tour. Je ferme les yeux, tournant la tête et la posant contre son dos quelques secondes. Cette sensation est magique.
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