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Le rêve de Juan (OS hors concours #DEA1)

Un samedi soir à Los Angeles.

Comment tout ceci a-t-il pu arriver ?

Cette question tourne en boucle dans mon crâne alors que je pique un dernier sprint, mettant mes poumons de fumeur, déjà fortement sollicités par la course poursuite, à la limite de l'explosion. Les clameurs du bar sont loin derrière moi mais, par-dessus mon épaule, j'aperçois le grand brun tatoué qui me talonne, un couteau bien visible à la main, alors qu'un balafré chauve le suit. Deux ? C'est tout ? Les deux autres petites frappes ne se sont pas remises de la rencontre avec mes poings ou courent moins vite. J'ai pas le temps de vérifier et ma foulée s'allonge. Un espace moins éclairé, un éclairage public bousillé, attire mon attention à quelques mètres. Un dernier virage à gauche. Une ruelle sombre, aucun passant. Parfait. Je poursuis ma course. Pas très longtemps. Un mur.

¡Mierda !

Je me hisse à la force de mes poignets sur le sommet du mur qui ferme l'impasse dans laquelle je me suis engagée.

Putain ! Comment tout ça a-t-il pu arriver ?

¡Deja de pensar, gilipollas y saca el culo de ahí!*

(*Arrête de réfléchir, connard, et bouge tes fesses de là.)

J'obéis à la voix impérieuse qui résonne dans ma tête, j'ai remarqué que globalement ses conseils sont bons à suivre.

Arrivé en haut du mur de briques nues, je jette un coup d'œil rapide derrière moi. Ils sont encore là, pas très loin.

Sans même réfléchir, je bascule avec souplesse mes jambes de l'autre côté du mur, et saute dans une autre impasse aussi puante et sombre.

Dans un container métallique.

Le bruit de ma chute explose dans l'obscurité et dérange les chats du quartier qui dînaient tranquillement.

Je suis tombé dans une putain de poubelle. Pleine. De fureur, je frappe les rebords de celle-ci, éclaboussant mon unique chemise blanche.

Vive l'Amérique ! Qui m'offre ici ce qu'elle a de mieux : les restes abondants, odorants et pourrissants d'une société de consommation sans limites.

Bien hecho Juan Luis Esteban Mendes. ¡Tu padre estaría orgullosa de ti y de tu éxito!*

(*Bravo Juan Luis Esteban Mendes. Ton père serait fier de toi et de ta réussite ! )

Ouais, parfois la voix de ma conscience est légèrement sarcastique et agaçante. Mais elle n'a pas tort, je le maintiens.

J'entend mes poursuivants derrière le mur m'agonir d'injures et me promettre une mort prochaine et douloureuse dans un langage qui ferait rougir Camilla, la putain la moins stylée du bordel de Tijuana, à qui mon cousin Carlos rend visite tous les vendredi soirs.

Quelques injures encore.

Puis des bruits de pas qui s'éloignent.

Puis le silence revient. Mon coeur et mes poumons peuvent enfin reprendre un rythme normal alors que mon cerveau reprend son interrogation éternelle :

Comment en suis-je arrivé là ?

Comment tout ça a-t-il pu arriver ?


Une demi-heure plus tôt

Tout a commencé comme prévu. La journée est placée sous le signe du bonheur : le doyen de l'UCLA a accepté ma candidature après avoir attentivement examiné mes résultats plus qu'honorables au baccalauréat et m'avoir interrogé sur mes motivations. Il a fermé les yeux sur mes papiers "officiels" qu'il a mis de côté assez rapidement. Je pense qu'il considère que tout ça n'est pas son affaire et que le mur du Président Trump peut être poreux s'il lui permet de récupérer de bons éléments, même mexicains.

Donc la première étape de mon rêve est atteinte. Je vais enfin pouvoir faire mes études aux States et dans une université d'élite. Mais cela nécessite que je trouve rapidement gîte, couvert et... du fric. Pour cela j'attends, appuyé négligemment contre le mur, Leah, la belle blonde incendiaire, rencontrée la veille, enfin le matin même. Nous avons rendez-vous près du bar ce soir et elle sera, j'espère, la seconde clé de mon avenir aux States. Elle m'a dit hier, entre deux tequilas, que son père avait besoin d'un chauffeur et que je pourrais loger sans problème dans leur maison de Pacific Palisades.

Pacific Palisades, quartier luxueux proche de ma future université.

Le rêve.

Tout semble parfait.

Sauf que je commence à me poser des questions quand une décapotable rouge vif, très cliché, freine brutalement devant moi, suivi d'un SUV sombre. Ma belle blonde sort en trombe de sa voiture en claquant la porte. Vêtue d'un pantalon de cuir noir moulant ses cuisses et son postérieur appétissant et d'un petit haut en dentelle blanc très échancré, la demoiselle est nettement moins... engageante que la veille. Soit mon charme est inefficace lorsqu'elle est sobre. Soit il y a un malentendu entre nous.

Elle n'est pas venue seule. Quatre types, de grands costauds ressemblant à mes cousins du cartel l'accompagnent, extirpent leurs carcasses du SUV et se placent quelques pas derrière elle.

– Qu'en as tu fait ?

Ses premiers mots ne font pas étalage d'une politesse excessive et confirment mes craintes. Sa voix tranchante et ses traits tendus indiquent qu'elle ne plaisante pas. Tous mes sens sont en éveil et j'écrase lentement sur le sol ma cigarette. Je sens que ma réponse ne va pas lui plaire.

– Bonjour, ma belle. Je suis désolé mais je ne sais pas de quoi tu parles.

Elle tape du pied comme la gamine capricieuse qu'elle est.

- Tu te fous de ma gueule ? Putain, tu t'es servi dans MON sac. Tu m'as VOLÉE ! Et tu crois que je vais laisser passer ça ? Où est-elle ? Me dis pas que tu l'as déjà re-vendue, connard ?

¿Qué le robé?*

(*Je lui ai volé quoi ?)

Mon cerveau ne met que quelques secondes à analyser la situation. J'ai l'habitude. Drogue.

Je comprends que même si j'arrive à lui prouver mon innocence, mes chances de trouver un boulot chez elle se sont envolées. De toute façon une fille qui se drogue ou qui deale, non merci, j'ai pas quitté le Mexique et la merde dans laquelle la moitié de ma famille est impliquée pour recommencer ici. Dominant ma déception et ma colère d'être accusé à tort, je tente de la raisonner.

– Je te garantis que je ne t'ai rien volé, ma belle. Tu étais totalement ivre hier soir et le bar était plein à craquer, n'importe lequel des mecs contre qui tu t'es frottée aurait pu te piquer ta coke. Parce qu'il s'agit de coke, non ?

Bien sûr, mon discours ne la calme pas et après m'avoir adressé un dernier regard bleu glacé, elle fait un bref signe à ses gorilles avant de tourner les talons et de remonter dans sa voiture. Les quatre gros balauds s'avancent alors dans un bel ensemble décérébré vers moi, la mine fermée et les poings serrés. La plus chic de mes tenues, mise en l'honneur de la belle blonde, va souffrir et je vais devoir vendre ma peau assez cher.

Merde, c'était pas vraiment prévu au programme ça.

Comment tout ça a-t-il pu arriver ? me dis-je en esquivant le premier du balafré chauve qui ouvre les hostilités et m'éclate la pommette gauche.

- ¡Deja de pensar! ¡Ataca y corre, tonto !*

(*– Arrête de réfléchir! Frappe et fuis, idiot ! )


Le même jour, beaucoup plus tôt, à deux heures du matin

Il est deux heures du matin. Je suis crevé mais je dois tenir encore une heure. J'ai encore des clients à servir à quatre tables. Même si le bar est plus calme car on est en semaine, ils sont dans un sale état et pas très agréables. Je soupire en portant un énième plateau de bières et de vodka à un groupe de fêtards hipsters. Ils aiment mélanger. C'est leur problème s'ils veulent boire de la merde.

Moi, je veux juste rentrer dans le trou à rat qui me sert de chambre et dormir. Demain matin, enfin dans moins de 6 heures, j'ai rendez-vous avec le doyen de l'université de Los Angeles, avec mes faux papiers et mon diplôme mexicain. Il va falloir le convaincre de m'accepter et je dois déjà m'estimer heureux d'avoir décroché ce putain de rendez-vous. Reposant le plateau vide sur le bar,je m'adosse quelques secondes à celui-ci pour souffler un peu en parcourant la foule du regard. C'est là que je la vois.

Blonde, fine, avec des formes à faire baver mon cousin Carlos. Sa robe violette dévoile, plus qu'elle ne couvre, une poitrine qui doit avoir augmenté le capital d'un chirurgien de quelques milliers de dollars. J'en ai rien à fiche de ce genre de filles d'ordinaire mais....

Premièrement, elle ne me lâche pas de son regard bleu azur et c'est un peu déstabilisant.

Deuxièmement elle pourrait être ma chance

Troisièmement... et .... merde ca fait un bail que j'ai pas baisé.

Alors je fonce vers elle bien qu'elle ne soit pas encore installée à une de mes tables.

– Mademoiselle, je peux vous aider ?

Ma voix est la plus professionnelle possible, mon anglais le plus parfait. Cependant, concrètement, mon langage corporel, le fait que j'empiète délibérément dans son espace personnel, exprime autre chose, qu'elle comprend parfaitement..

Cálmate Juan, no la ataque*.

(*Du calme Juan, lui saute pas dessus.)

Sauf qu'elle est très réceptive et se colle à moi. Ce que mon corps entend comme un encouragement très net à aller plus loin. Il n'a peut-être pas tort mais ma priorité est autre et je prie intérieurement mon sexe de se calmer.

- Une téquila et ... quelques renseignements sur toi, beau gosse.

On est sur la même longueur d'onde. C'est juste parfait. Le rêve est peut-être à portée de main.

– Je m'appelle Juan. Je finis mon service dans...

Je consulte ma montre, celle héritée de mon père, avant de poursuivre dans un sourire enjôleur.

– ... dans 45 minutes.

Elle me sourit à son tour et, avec une petite moue boudeuse, s'approche encore plus près de moi, se haussant sur la pointe des pieds pour murmurer contre mes lèvres.

– Pour toi, je peux attendre.

Ses seins sont exposés, comme dans une vitrine, à mon regard et je dois faire un effort pour reculer et reprendre mon souffle.

Ensorceleuse.

En lui faisant un clin d'œil discret et je file lui chercher sa tequila. Sûrement pas la première de la soirée. Ce genre de fille est absolument ce que je cherche depuis deux semaines, en bossant dans ce bar plus ou moins miteux : fille à papa, riche et peu farouche. Ces filles-là, et leur famille, ont toujours besoin de quelqu'un, jardinier, chauffeur ou autre. Un second job, logé si-possible, c'est vraiment ce dont j'ai besoin aujourd'hui. Beaucoup plus que de la draguer.

Vraiment, j'ai de la chance d'en être arrivé là.


Deux semaines plus tôt

Nous sommes maintenant une trentaine à nous observer directement sans oser dire un mot. trente ombres apparues peu à peu dans le silence de la nuit. J'ai froid et je ferme la fermeture de mon blouson en cuir, relevant le col, comme pour éviter le regard des autres dans la pénombre. Ils me ramènent trop à mes peurs. El Lobo nous a rassemblés dans un parking à l'arrière d'un vieil entrepôt pourri de la zone industrielle. Les States sont à moins de quatre kilomètres, comme toujours, mais bizarrement j'ai l'impression qu'ils sont loin, très loin. J'ai réglé mon passage directement à El Lobo. Un privilège peut-être. Un privilège à quatre milles dollars... ça fait cher du kilomètre. Surtout quand j'imagine ce que mon père a dû faire durant des années pour préparer tout cela. Je meurs d'envie d'allumer une cigarette mais El Lobo a été strict : silence et obscurité. Rien ne doit trahir notre présence ici. Il circule de groupes en groupes donnant les dernières instructions.

J'ai dit au revoir à mes sœurs et à Carlos il y a une heure et mon cœur souffre déjà. Louisa a à peine 5 ans et Mia aura la pleine responsabilité de notre petite sœur. Pedro n'était pas là. Cela fait deux jours que mon jeune frère n'est pas rentré à la maison. Oncle Sandro a tenté de me rassurer en me disant qu'il veillerait à ce qu'il ne s'implique pas dans des trafics louches. J'ai peur qu'il ne soit trop tard. Pedro a la rage de s'en sortir, de ne pas vivre comme nos parents... et il n'a pas la même "chance" que moi : partir. Il a saisi qu'il doit construire seul son avenir à Tijuana, dans la pauvreté et sans aide. Je me demande si j'ai eu raison de me lancer dans tout cela. Les States peuvent- ils m'apporter ce dont je rêve ? Ce dont ma famille rêve ?

Un bref sifflement me sort de mes pensées. Nous nous rapprochons. El Lobo vient d'ouvrir la porte arrière d'un immense container chargé sur un camion.

– ¡Venga! ¡Sube rápido! Todos en la parte trasera del contenedor.*

(* – Avancez ! Montez rapidement ! Tout le monde au fond du container.)

Il surveille notre ascension. Le type devant moi tente de monter avec deux vieilles valises mais El Lobo d'un claquement de doigts lui fait signe d'en laisser une. Le deal était clair : pas de bagage. Toute ma vie est dans mon sac à dos désormais et mes papiers sont roulés et cousus dans le col de mon blouson. Je m'assoie dans la pénombre derrière une pile de cartons, serré contre un autre candidat à l'immigration clandestine. Il a l'air épuisé. Il a dû déjà traverser plusieurs pays avant d'arriver à cette dernière étape stressante. El Lobo grimpe à son tour , nous inspecte à la lueur de sa petite torche, puis complète la pile de façon à ce que nous soyons invisibles pour tout contrôle, peu approfondi, de la cargaison.

– Ahora no más ruido ni luz, apague sus teléfonos. NADA. De lo contrario, estás muerto. Buen viaje.*

(*Maintenant aucun bruit, aucune lumière, pas de téléphone. RIEN. Sinon vous êtes tous fichus. Bon voyage.)

Ce sont les derniers mots que j'entendrais au Mexique. La porte se ferme sans bruit nous laissant dans le noir le plus absolu. Moi qui espérais franchir la frontière en observant le pays que je quitterais pour un nouveau bien meilleur, c'est terré comme un rat, ballotté dans un camion bruyant et sale, accompagné de la misère du monde ou du moins du continent sud américain que je dois commencer à créer mon avenir et celui de ma famille. Pour la première fois je me demande comment tout ça a pu m'arriver ?


Un mois plus tôt à Tijuana

Je grimace en contemplant la poêle noircie que je récure. Les restes de tortillas carbonisés prouvent que mon jeune frère Pedro est passé par là. Ranger et nettoyer la cuisine, après avoir passé deux épreuves de bac et effectué mes six heures de service au restaurant de l'oncle Sandro n'est pas franchement engageant. Mais il est minuit et Carlos, mon cousin, et moi, avons faim. Il s'est installé sur le canapé défoncé du salon et a allumé la petite télévision en noir et blanc.

Il est déjà captivé par une quelconque série américaine et m'a, comme d'habitude, délégué la tâche de cuisiner pour nous. Les coudes posés sur les genoux, la tête calée dans ses mains, il est fasciné. Tout en cassant les œufs, je jette un œil à la télévision. Un beau mec, costume noir et chemise blanche impeccables, regard charbonneux, séduit une belle blonde sans cervelle (mais avec une tonne de maquillage) dans une boite de nuit. Ils montent dans un superbe loft au dernier étage d'une tour. Vue de rêve sur Los Angeles. OK. Classique. Carlos est fou de ces séries-là. Un vrai gosse totalement addict.

– T'as vu ? Lucifer a encore emballé la meuf. Elle a une poitrine d'enfer.

Oui, il regarde ça aussi. Ou surtout. Je hausse les épaules, il n'y a rien à dire.

– Tu crois qu'elles sont toutes comme elles à L.A ? Tu as une veine de cocu, mec ! Dans un mois, quand tu seras là-bas, tu vas toutes te les faire.

Je juge inutile de lui rappeler que notre grand voisin est le pays où le taux d'obésité est le plus élevé au monde, et casse quelques œufs dans la poêle avant d'épicer le tout. J'adore Carlos, il est plus que mon frère, mais ses raisonnements simplistes m'épuisent parfois.

– Beau gosse comme t'es, et avec ton cerveau de dingue, à toi les filles et les belles voitures. A toi Hollywood et la grande vie.

Il soupire, comme envieux. Je lui jette un torchon au visage.

– Moi ? Beau gosse ? Je te plais alors ?

Faire diversion avec Carlos, qui a les capacités de concentration d'un poisson rouge, ça peut marcher. J'ai pas envie de parler des States et de mon départ. Pas maintenant. Je dois passer le baccalauréat d'abord. Même si ce n'est qu'une formalité pour moi. Et gérer mon frère Pedro qui déconne depuis la mort de Papa. Et ranger la maison. Et m'assurer que mes frères et sœurs auront assez de fric jusqu'à mes premiers envois. Et surtout, surtout ne pas penser à ce qui m'attend là-bas.

- Sûr que tu me plais, beau ténébreux... mais t'aimes trop les filles et ... ma Camillia m'arracherait la peau si je lui étais infidèle.

Oui, Carlos est bizarre... Il est fidèle à sa prostituée. Il l'aime : c'est son côté fleur bleue. Trop bizarre.

Il soupire et continue en bon moulin à paroles qu'il est.

– J'aurais une chambre, rien qu'à moi, à l'année dans ta baraque sur les collines de L.A. ? Promis ? Et je pourrais conduire toutes tes bagnoles, bien sûr.

Il me voit déjà acteur, ou metteur en scène célèbre et richissime. Je secoue la tête et retourne en cuisine.

– Eh tu m'as pas répondu, beau gosse ? me crie-t-il du salon.

Je fais glisser deux tortillas express sur les assiettes, attrape deux canettes de cervezas dans le frigo et rejoins mon cousin. Je le pousse de l'épaule pour m'asseoir à côté de lui sur le canapé. Le fauteuil, c'est celui de papa et il est hors de question que je le prenne.

– Sérieux ? Tu veux aller à L.A. à ma place ? dis-je en commençant à picorer dans l'assiette.

- Dios mio ! Non. Je veux juste profiter de toi.

Il me fait un clin d'œil et dévore, avec nettement plus d'appétit que moi, l'omelette fumante.

– Sérieusement, mec...

Aie ! Que va-t'il me sortir ?

– Tu es prêt à partir ?

Suis-je prêt à partir ? A quitter ma famille qui a besoin de moi pour tenter un rêve un peu fou ? Nous sommes des milliers à y croire, des milliers d'hommes, de femmes et d'enfants traversant cette putain de frontière en espérant que ce pays nous offre une vie plus facile, la richesse, la célébrité peut-être.

Je mâchonne la nourriture qui soudainement a un goût de terre, en contemplant la table comme si cet objet sans conscience pouvait me répondre.

– Non. Mais il le faut. Tout est prévu, j'empoche mon bac, je quitte ce taudis avec le fric que Papa a économisé pour ça. El Lobo, le passeur est payé d'ailleurs. Je serais aux States dans 20 jours... si Dieu le veut.

The American Dream... c'est pour bientôt pour moi et je tremble de frousse plus que d'envie alors qu'une question commence à tourner dans ma tête : comment en suis-je arrivé là ?


Un an plus tôt à Tijuana.

La porte de la classe s'ouvre brutalement et Mme Juares, la secrétaire de direction fait une entrée remarquée dans la classe. Trente-cinq têtes d'adolescents, cessent leurs activités diverses, consistant rarement à écouter les équations de M Traverso et se fixent sur elle, la faisant rougir. Elle survole nos visages comme si elle cherchait quelqu'un en particulier mais elle ne nous connaît pas et, finalement, choisit de regarder M. Traverso qui s'est immobilisé le bras en l'air, une craie rouge entre les doigts.

- Juan Mendes. Vous devez prendre vos affaires et quitter le cours. On vous attend chez vous immédiatement.

Je me sens blanchir et me lève pour rassembler à toute allure mes affaires quand j'entends ce connard de Costero ricaner.

– Alors Mendès ? Dis-nous tout : c'est ton cousin Carlos, ton petit frère Pedro ou ton père qui s'est fait coffrer pour avoir dealer à ton avis ?

Pobre capullo*

(*Pauvre con.)

Je ne le regarde même pas malgré l'envie soudaine de lui enfoncer mon poing dans la figure. Je sais pourquoi je dois rentrer et je n'ai qu'une envie : y être le plus vite possible.

Le trajet dans le bus délabré passe comme un éclair. Pourvu que j'arrive assez vite.

Lorsque les vieilles portes jaunes et rouillées s'ouvre, je cours vers chez moi, sautant entre les flaques et esquivant la boue qui recouvre la rue non goudronnée. La pluie résonne sur les tôles qui recouvrent les baraquements du quartier.

J'ouvre la porte comme si je voulais l'arracher. Comme je le craignais, la maison est pleine à craquer de monde. Les cousins, cousines, oncles et tantes sont tous là. Les femmes en pleurs évidemment. Oncle Sandro sort de la chambre de mon père et me fait un geste de la main pour que je m'approche. Je bouscule de l'épaule quelques personnes dans ma hâte de le rejoindre et inspire fortement avant de rentrer dans la chambre.

Pedro, Mia et même la petite Louisa sont là bien sûr, à genoux au bord du lit de papa que je n'ose pas encore regarder. J'ai peur. Peur qu'il ne soit trop tard. j'essaie de déchiffrer dans le regard de ma sœur Mia, une réponse, un espoir mais elle a enfoui son visage dans les boucles brunes de Louisa. Elles se réconfortent mutuellement. Pedro, comme toujours, ne regarde personne, n'exprime rien. Il fixe le mur les mâchoires serrées et la pâleur inhabituelle de son visage me montre qu'il souffre comme nous tous.

– Juan ?

La voix qui m'appelle est tenue mais la force qu'elle contient me redonne espoir et me jette au pied du lit. Il est semblable à lui- même. Grand, impérieux. Mais il a tellement maigri depuis quelques mois, qu'il est plus décharné que mince et sa chevelure brune a entièrement blanchie. La maladie, ce cancer des poumons, dû à l'amiante, a marqué de ses griffes l'extérieur et surtout l'intérieur de son corps meurtri.

– Papa ?

– Mon grand. Il me reste peu de temps

– Non c'est ..

– Tais-toi Juanito ! J'ai peu de temps, ne le perdons pas à dire n'importe quoi. Juan, j'ai besoin de toi. Besoin que tu sois fort pour ton frère et tes sœurs. Tu vas être le chef de famille et ton oncle Sandro t'aidera. Tu n'as que 18 ans mais tu peux le faire. Tu vas passer ton baccalauréat dans quelques mois. Après....

Il s'interrompt quelques secondes pour reprendre son souffle.

– Après ... tu dois partir. Tu dois quitter cette putain de ville et aller là-bas. Comme ta maman le voulait. Elle voulait que son grand garçon réussisse et ne vive pas comme nous.

Là-bas. Encore cette histoire. Je n'ose pas l'interrompre et l'écoute poursuivre. Le souvenir de maman, si fatiguée, si maigre malgré sa grossesse, quelques jours avant d'accoucher de la petite Louisa, me souriant avec fierté et tendresse effleure mes pensées. Elle est morte peu après, en accouchant. Épuisée par une vie de pauvreté et de ménages chez les riches oisifs et exigeants.

– J'ai mis un peu d'argent de côté pour payer ton passage. Sandro, mon frère prendra en charge les petits mais toi, Juan, tu vas aller là-bas et réussir. Tu vas réussir pour nous tous. Pour les petits surtout. Bosser toute ta vie comme moi, comme Sandro, dans l'usine qui va te bouffer à petit feu, c'est pas possible, tu mérites mieux. Et touche pas à cette merde comme les cousins Sanchez.

Il souffle. Cherchant son souffle. Furieux comme à chaque fois que l'on évoque la moitié de la famille qui a réussi. En dealant.

– La-bàs, grâce à toi, notre famille a une chance de s'en sortir. C'est ce que voulait Maria, ta pauvre mère.

Il saisit ma main et cherche mon regard.

En saisissant sa main froide et si frêle, je maudis ces connards de profiteurs qui payent des villas de luxe et des fourrures à leurs femmes en faisant bosser leurs ouvriers dans de la poussière d'amiante sans les informer pour un salaire de misère.

– Promets mon grand. Promets ! Promets que tu iras aux Etats-Unis.

La gorge serrée, d'un signe de la tête, je promets. Que puis-je faire d'autre ?

Juan Antonio Mendes me sourit doucement et pose légèrement sa main sur ma tête comme une bénédiction, puis sur celle de mon frère et de mes sœurs.

Je jure que n'oublierai jamais cet instant où sa poitrine s'est soulevée sur un dernier souffle douloureux et où ses yeux se sont fermés.


Retour le samedi soir à Los Angeles, devant une poubelle.

Un petit rire me fait lever la tête et sortir de ma colère. Je cherche autour de moi et une petite silhouette, emmitouflée dans une grande veste en laine et surmontée de boucles rousses brillant sous les lampadaires, attire mon attention.

– Salut.

La voix de la fille est douce, légèrement moqueuse.

– Euh ... salut.

Realmente eres un gran orador Juan.*

(*T'es vraiment un beau parleur Juan.)

Je sors du container de la façon la moins ridicule possible et m'approche pour lui serrer la main avant de stopper brutalement. Je dois puer.

J'essuie mes mains sur mon jean un peu fébrilement en l'observant. Elle est belle. Simplement et magnifiquement belle. Un soleil en pleine nuit. Émergeant du col de la longue veste de laine verte, au niveau de sa poitrine, une petite tête féline me scrute de ses yeux phosphorescents. Je désigne du doigt l'animal.

– C'est ton chat ? Je l'ai dérangé, je pense. Désolé. Mais c'est dangereux pour une fille comme toi de traîner dans les rues la nuit.

Elle ne paraît pas relever, et tant mieux, ce qui semble être une sorte de condescendance machiste vis à vis des "filles fragiles" mais qui n'est que l'expression maladroite d'un curieux sentiment protecteur.

– Il s'appelle Dream, il a fugué, il adore les poubelles. Comme toi apparemment. Moi c'est Amber et... t'as une peau de banane sur l'épaule, me répond-elle en riant doucement.

Elle me tend la main avec un magnifique sourire franc. J'essuie une dernière fois ma main droite sur mon jean avant de saisir la sienne.

– Moi c'est Juan et je te promets que mon rêve, c'est vraiment pas de vivre dans une poubelle.

Je ne sais pas pourquoi j'ai dit cela mais cela provoque chez elle un nouveau petit rire adorable.

Soudain, savoir comment tout ça a commencé n'a plus aucune importance.

Ce qui compte, c'est que je sais que j'ai une putain de chance d'aller tout au bout de mes rêves.

FIN (4360 mots env.)

🔻🔻🔻🔻🔻🔻

Ce texte a été inspiré par le #DEA N°1 "Rêve américain" , vous l'aurez peut-être compris si vous me suivez. Il est bien entendu hors concours car, eh bien, je suis juge  😀,  et puis je n'ai pas respecté ma principale consigne "moins de 3000 mots"  😳.   J'espère que vous avez aimé cependant la rencontre avec Juan. N'hésitez pas à me le dire.

A bientôt.

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