Coeur de glace (OS - #DEA 5)
Résumé : Décembre 2020. Une femme marche seule dans la nuit glaciale de Calgary. Un homme la suit. Qu'a-t-elle à se reprocher ? L'homme se laissera-t-il vaincre par le devoir de vengeance ?Le gel régnant dans son coeur, en accord avec les températures extérieures, peut-il disparaitre ou s'atténuer ?
OS écrit dans le cadre du concours #DEA - Défi N° 5 "Froid et glace" (1ere place)Pour une fois...pas de romance.Mots imposés : ( éléphant -tornade- concept - verdir ) soulignés Mot ⛔️ : chaleur... absent ;) Nombre de mots : 3700
Cover by cocoblood777 - Photo de K. Mueller - Unplash
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27 décembre 2020
La fille accélère le pas. Ses talons, parfaitement inappropriés pour la saison, claquent dans le silence de la nuit sur le trottoir gelé. Sa silhouette s'éloigne de moi. Je souris lentement en remarquant qu'elle serre craintivement contre son corps frêle son petit sac rouge. Elle longe les murs de la ville, souhaitant passer inaperçue. Elle choisit soudain de s'arrêter à un carrefour, sous un lampadaire. Je me rencogne contre la porte d'un immeuble, surveillant ses faits et gestes. Je ne souhaite pas être vu. Pas maintenant. J'aperçois la vapeur de sa respiration s'échapper de sa bouche dans l'air glacial. Ses bottes en cuir piétinent le trottoir couvert de neige fondante. Elle remonte un peu plus la fermeture de sa veste en fourrure fauve espérant échapper au froid polaire qui recouvre Calgary depuis une semaine. Elle n'a aucune chance contre lui. Ou contre moi. J'attends juste mon heure. Elle sort son portable de sa poche, le consulte et envoie quelques messages. Je suis prêt à attendre. Par défi, j'allume même une cigarette et savoure tranquillement une tiède bouffée. La fille se fige en repérant l'odeur du tabac. Les rues sont désertes. Elle regarde de gauche à droite. Elle verdit de peur.
Il est deux heures du matin. Il fait environ moins dix degrés. Qui fume près d'elle, se demande-t-elle ?
Elle serre un peu plus son sac, s'appuie contre le mur comme si ses jambes ne la soutenaient plus. Je peux presque sentir son effroi. Cela suffit pour cette nuit. J'écrase ma cigarette sous mon talon, secoue la tête en lui jetant un dernier regard et m'éloigne sans bruit dans la nuit.
Nous nous retrouverons Iris.
*****Deux ans plus tôt *******
Le jeune adolescent sort de l'hôtel Canmore Inn en courant. Il porte sur son dos une jolie blonde qui rit aux éclats. Surpris par la neige éblouissante, il titube un peu et la fille crie de surprise se raccrochant à son cou.
– Billy, fais attention !
Comme attiré par les cris de sa compagne, un autre homme, un peu plus âgé, sort, plus posément, de l'hôtel. Il sourit doucement indulgent envers les pitreries de son jeune frère et de sa fiancée, mais place, par sécurité, ses mains autour de la taille de Cristal. L'adolescent avance encore un peu et glisse sur les marches gelées de l'escalier. Il tombe assez comiquement assis sur son postérieur alors que le grand brun récupère de justesse la fille et l'aide à se maintenir debout.
– Gareth ? Tu crois vraiment qu'on emmène ton frère avec nous pour l'ascension de Heart Mountain demain ?
Cristal éclate de rire en prononçant joyeusement ses paroles. Gareth contemple sa fiancée sans lui répondre. Elle peut lire dans les prunelles d'un bleu azur l'indulgence tacite qu'il a pour leurs gamineries. Pour Gareth, côtoyer Cristal est toujours synonyme d'éclats de bonheur et de chaleur.
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28 décembre 2020
Je me réveille en sursaut maudissant les éléphants qui marchent dans mon crâne. Je n'ai pas besoin de consulter mon réveil pour savoir qu'il est encore très tôt. J'ai mal dormi. J'ai froid. Un froid glacial me ronge jusqu'à l'intérieur de mes os. Instinctivement je remonte le drap sur ma poitrine et tourne doucement la tête pour consulter les chiffres phosphorescent sur mon réveil.
07h25. Louis dort paisiblement bras et jambes écartés comme toujours. J'ai envie de le faire basculer hors de mon lit, mais le souvenir du soulagement ressenti, lorsqu'il est venu à mon secours cette nuit, me retient. La peur de ma vie.
Pour rien. Il n'y avait rien. N'est-ce pas ? Je n'ai rien vu. Rien entendu. Juste senti une odeur de cigarette dans une ruelle déserte.
Louis m'a dit que j'étais folle, qu'il fallait que je me calme et que depuis ce jour-là j'étais bizarre. Comme si je voulais parler de ce jour-là ou même seulement y penser.
Je me rallonge et blottis mon corps glacé contre celui, tiède, de l'homme qui vit avec moi, couvrant ma tête avec la couverture.
Il n'y avait rien, ni personne. Il ne peut pas m'avoir retrouvée.
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Lorsque Iris sort de son travail à vingt-trois heures, je l'attends, posté à une cinquantaine de mètres du Diner où elle sert à longueur de journée des glaces. Même par ce temps, les clients sont curieusement là. Je l'ai vu circuler de table en table, distribuant sourires et banana-split pendant des heures. Je déteste la glace, mais la patience est un concept que je domine parfaitement. Elle choisit d'être accompagnée par ses collègues et le groupe de jeunes femmes piétinent en fumant et bavardant dans la neige fondue. Bien.
Cela ne change rien à mes plans. Lorsque le taxi qu'elles ont appelé arrive, je souris avec lassitude en jetant une énième cigarette qui crachote une dernière fumée sur le sol glacé. Elle est si prévisible.
Je monte dans ma voiture et démarre, refusant de jeter le moindre regard à la petite photo jaunie et froissée qui s'accroche au miroir de courtoisie. Je sais que Cristal et Billy, tête contre tête, y sourient, me fixant avec tendresse. Ils avaient confiance en moi. En nous.
J'arrive devant son domicile et me gare sur le parking. Pour la première fois, depuis que j'ai repris conscience et recouvré la mémoire, j'hésite. Dois-je prolonger ce petit jeu du chat et de la souris ou dois-je attaquer ?
Tapotant nerveusement mon volant du bout de mes doigts gantés, je me retiens d'allumer une autre clope et croise mon regard dans le rétroviseur. Je ne me reconnais pas. Quel est ce type brun, une petite trentaine, sans rides ni expressions dont le regard bleu sombre ne reflète rien ?
Je m'effraie moi-même parfois. Les chirurgiens ont fait du bon boulot. Je suis devenu... un beau gosse. Une belle enveloppe. Et quand j'en aurais terminé avec elle, je serais enfin vide. Mon cœur de glace se sera brisé.
***** Dix-huit mois plus tôt *******
L'homme a mal. Partout. La douleur lancinante dans ses membres et dans sa poitrine l'éveille. Ses yeux papillonnent. Autour de lui, tout est blanc et flou. Lorsque le coton qui semble le cerner s'écarte peu à peu, il prend conscience d'un bip régulier. Le moniteur qui trouble le silence s'affole soudain. Une porte claque et un parfum de femme, mêlé à une odeur âcre de désinfectant agresse son odorat.
– Gareth ? Gareth ? Vous m'entendez ?
La voix se veut rassurante. Mais Gareth ne peut bouger. Ou même articuler un seul mot.
— Tout va bien. Vous êtes de retour parmi nous.
Gareth voudrait croire la voix, mais il sent au plus profond de lui-même qu'Elle est partie. Rien n'ira bien. Jamais. Et les douleurs multiples qui réveillent son corps ne peuvent rien pour son cœur glacé et mort.
Plus tard, beaucoup plus tard, il observe dans le miroir l'inconnu qui lui fait face. Profil gauche, profil droit. Il est méconnaissable. À part le bleu profond de ses yeux. Celui qu'elle a vu avant qu'elle ne glisse dans le vide.
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29 décembre 2020
Le verre éclate dans un fracas assourdissant devant mes orteils parfaitement vernis. C'est le deuxième qui m'échappe aujourd'hui et Fred, le patron, me regarde de travers alors que je tente de reprendre mes esprits. Le client me fixe bizarrement, mais il sourit gentiment.
– Ce n'est pas grave, mademoiselle. La maladresse n'est pas un grave défaut. Je vais vous aider.
Sa voix, son accent me mettent mal à l'aise. Je le regarde avec plus d'attention alors qu'il s'accroupit à mes côtés. C'est la première fois que je le vois dans le coin, sinon je m'en souviendrais. Il est splendide : grand, brun avec une mâchoire carrée, une dentition parfaite et blanche, des fossettes adorables visibles malgré une barbe de trois jours. Et des yeux... putain ses yeux. Un vert sombre magnifique. Louis peut aller se rhabiller malgré son allure de mannequin désœuvré. Je ne peux pas laisser une occasion pareille ; ce nouveau venu me changera les idées.
– Ne vous inquiétez pas monsieur, je m'en occupe. Vous êtes gentil. Vous êtes nouveau ici ? Si vous voulez je peux vous aider, je suis une guide extraordinaire, tout le monde me le ...
Est-ce son regard fixe ou son silence, mais je cesse mon bavardage et mon regard glisse sur les mains de l'homme. Elles sont couvertes de sang. Des éclats de verre parsèment son pouce droit et son index.
– Oh mon Dieu, vous vous êtes blessé ! Je vais...
Je me relève alors qu'il secoue la tête, comme réveillé d'un mauvais rêve par mes cris. Il contemple à son tour ses doigts, surpris. J'ai l'impression qu'il ne ressent rien. Il attrape une serviette en papier sur la table, où je remarque qu'il n'a même pas entamé sa glace, et l'enroule autour de ses doigts sanglants masquant la blessure d'un geste habile.
Un peu décontenancée, j'hésite une seconde avant de lui proposer :
– J'ai terminé mon service... si vous voulez... j'ai chez moi ce qu'il faut pour désinfecter votre coupure.
Son regard oscille entre moi et sa main. Il semble peser le pour et le contre. Je veux qu'il m'accompagne. C'est un mec baraqué et il saurait me protéger contre l'autre taré. Enfin si l'autre taré était là. Ce qui n'est pas le cas. Car, évidemment, je me fais des idées.
– Vous habitez loin ? me demande-t-il comme si ce seul argument lui permettrait de se décider.
– Non, mais en plus j'ai pris ma voiture ce soir. Il fait trop froid pour marcher la nuit.
– Bien sûr. Il fait froid. Et puis être seule, la nuit, ce ne serait pas prudent pour une belle fille comme vous.
Curieusement, il prononce ces mots sans me regarder. D'ailleurs je ne me souviens pas qu'il ait détaillé ma jolie silhouette élancée comme le font tous les mecs. Il est peut-être homo. Il n'a pas d'alliance, il ne me regarde pas. C'est sûrement cela. Merde, j'ai vraiment pas de chance.
– OK, si ça vous dérange pas, j'accepte votre proposition. Je n'ai pas envie de chercher la pharmacie de garde. Vous êtes une gentille fille, Iris.
Je recule d'un pas sans bien comprendre pourquoi. Puis il me sourit et ce sourire éclaire presque ses yeux et me rassure. Il pointe alors son index sur ma poitrine en désignant mon badge. Je relâche alors ma respiration que je n'avais pas conscience d'avoir retenue. Franchement, le souvenir de Gareth me perturbe. Je refuse de penser à lui. Il doit tourner la page depuis le temps. Comme moi. Cela fera deux ans dans... un jour ou deux. De toute façon Gareth était un type gentil. Un beau gosse qui ne le savait pas. Musclé à point, avec des yeux bleus à faire fondre la banquise et un sourire adorable. Surtout quand il lui souriait à Elle. Il ne serait pas capable de me faire du mal. Si ?
– Mademoiselle ? Iris ? Vous allez bien ?
– Je... euh ... vous me parliez ?
Un sourire forcé crispant mes joues, je tente de revenir dans la conversation.
– Oui. Vous avez eu comme une absence. Je ne suis pas médecin, mais vous semblez avoir un problème.
Gareth était médecin. Mon sourire se bloque et je décide de me secouer.
– Non. Tout va bien. J'enlève mon uniforme, prends mon sac et je vous rejoins dans deux minutes sur le parking.
- Très bien. Le temps pour moi de régler mes consommations.
Il me sourit et j'essaie de faire de même avant de tourner les talons et de me rendre au vestiaire. Devant le miroir des vestiaires du personnel, je discipline ma crinière blonde puis mets un peu de gloss sur mes lèvres pulpeuses avant d'adresser un baiser au miroir.
– Ma petite Iris, la diversion est parfaite. Oublie Gareth, Cristal et Billy. Cette soirée est pour toi.
Je jette mes sandales dans mon placard et enfile mes bottes en cuir à talons. Elles me font des jambes superbes même si elles ne sont pas assez chaudes. Je referme mon blouson en cuir et claque la porte arrière du dîner derrière moi.
L'homme m'attend adossé à ma voiture. Je réalise que je ne connais même pas son nom.
Il lève la tête vers moi alors que je m'approche à pas lent.
– Iris, vous devriez être plus prudente. Vous ne me connaissez pas. Je pourrais être un détraqué, un violeur et ...
J'éclate de rire en déverrouillant ma voiture.
– Pas faux. Mais je ne connais pas de détraqué qui avertisse sa proie du danger. Donnez-moi juste votre prénom.
Il sourit lentement de ce sourire mystérieux et triste qui me séduit.
– Appelez-moi Franck.
– Très bien. Franck, entrez dans mon p'tit bolide. Il fait vraiment trop froid pour rester dehors cette nuit.
Quelques minutes plus tard, nous sommes devant chez moi et j'ouvre la porte de mon appartement. Louis ne sera pas là, cette nuit, je m'en suis assurée en lui envoyant un SMS depuis le vestiaire.
Il fait super chaud chez moi. Je jette mon blouson dans l'entrée et incite d'un geste mon bel invité à me suivre. Direction ma chambre. Logique : la salle de bains avec les pansements est juste à côté. Et je n'ai pas de temps à perdre, j'ai ferré une belle proie. Autant en profiter au plus vite. Comme il semble cloué sur le seuil de mon salon je le tire par le col de son blouson
– Viens par ici. Faut que je te soigne pour commencer.
Il me suit en silence et je le laisse près de mon lit pour aller chercher désinfectant, pince et pansement.
Lorsque je reviens, il est toujours planté là, immobile, laissant un regard curieux traîner un peu partout dans ma chambre. Je le pousse un peu afin qu'il s'assoie sur mon lit. Il se laisse faire et me permet d'attraper sa main meurtrie. Je grimace en enlevant la serviette en papier imbibée de sang. Je déteste le sang.
Une goutte tombe sur mon carrelage blanc. Comme au ralenti.
Et je les vois. Les trois corps désarticulés, allongés en bas de la falaise. Étendus sur la glace. Une flaque de sang rougissant la neige jusqu'ici immaculée. Je déglutis. Ferme les yeux. Chasse la vision.
Reste la tache de sang sur le carrelage.
Franck ôte sa main des miennes doucement. Il prend un pansement et adroitement me cache la vue des blessures après avoir ôté sans un mot les éclats de verre.
Le temps que je me ressaisisse, le pansement est fait et l'homme me contemple, debout à nouveau devant moi.
– Je dois partir Iris. Merci encore.
La porte d'entrée claque.
Une seconde passe. Ou une minute.
Que s'est-il passé ? Je m'entoure de mes bras.
J'ai si froid.
*****Deux ans plus tôt *******
Tout bascule en une seconde. Le jeune Billy glisse et son corps disparaît dans le vide entraînant avec lui Cristal. Gareth hurle et se précipite, retenant la corde entre ses doigts gantés. Fermement campés sur ses pieds ancrés dans le sol, il tire de toutes ses forces en appelant leur guide :
– Iris ! Viens vite. Aide-moi !
Iris, quelques mètres plus loin, le regarde. Paralysée.
Cristal pleure, suspendue dans le vide, elle bouge un peu. La corde céde. Gareth se jette à plat ventre sur le sol gelé et glissant, il tente de la rattraper.
En vain. Il disparaît à son tour en jetant un dernier coup d'œil désespéré à leur guide incapable de réagir.
Le bruit du corps de Billy heurtant le sol est écœurant, il résonne entre les montagnes splendides et indifférentes.
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Dernier jour. 30 décembre.
Lorsque je suis sorti de chez elle, j'étais calme. Le genre de calme qui règne dans l'œil de la tornade, celui qui précède le chaos.
Apparemment je n'étais pas prêt. Pas assez fort encore.
Apparemment elle n'avait pas oublié. J'ai marché d'un pas vif ignorant l'air glacé, rejoignant mon hôtel. Sous la douche brûlante, j'ai hurlé mon impuissance, ma lâcheté qui m'a empêché d'atteindre mon objectif.
Ils sont morts par sa faute. À cause de ses mensonges, de son incompétence.
Chaque nuit, j'ai rendez-vous dans mes cauchemars avec le corps sans vie de mon frère Billy, broyé par sa chute.
Chaque nuit, je retrouve Cristal, ma fiancée agonisante, se vidant de son sang malgré mes tentatives de compression sur sa blessure à la cuisse. Cristal est morte deux jours après sa chute.
Chaque nuit, je revis leurs morts et son silence.
Les secours ne sont arrivés qu'après trois jours. Iris n'était pas guide, elle avait juste emprunté le matériel de son frère. Elle a prétendu s'être perdue. Maintenant, la justice tarde à reconnaître sa culpabilité. Moi, je n'en plus plus d'attendre qu'elle paie.
Jamais je n'oublierais
Jamais je ne pardonnerais.
Jamais mon cœur ne se réchauffera.
Elle paiera.
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Je ne sais pas si j'ai dormi. Mais à sept heures du matin, je suis, je ne sais pas trop pourquoi, presque au sommet de Heart Mountain. Je n'y suis pas revenue depuis deux ans. Je ne fais plus de randonnées depuis deux ans. Mais j'ai besoin de comprendre. Un taré me suit la nuit. Je vois des corps disloqués dans une goutte de sang et mon comportement a fait fuir le seul beau gosse de Calgary.
Je dois comprendre.
Ce n'était pas de ma faute, n'est-ce pas ? Mon avocat m'a dit que Gareth ne pouvait rien prouver. C'est un déséquilibré. Il a été dans le coma pendant si longtemps. Et il a tout oublié aussi je crois. Essoufflée, je ne remarque ni les sommets enneigés ni les gouttes de glace qui tombent des branches de pin et glissent le long de mes cheveux, puis sur le sentier de randonnée. Je me retourne : mes empreintes sont déjà quasiment recouvertes par la neige qui tombe sans discontinuer.
Soudain, l'idée de me perdre dans cette forêt immense, qui recouvre les flancs de Heart Mountain, me vient à l'esprit.
Mais les arbres semblent s'écarter : le sommet est là. Gareth aussi. À quelques mètres de moi, debout au bord du vide, je reconnais sa silhouette puissante. Il ne m'a pas vu, car il fixe la falaise. Je dois fuir. Je fais un pas en arrière. Une branche craque. Il se retourne.
Je soupire de soulagement : ce n'est pas Gareth, c'est Franck. Je lui souris prête à lui sauter dans les bras de soulagement.
– Franck, c'est toi !
Il ne sourit pas et son regard bleu glacé me transperce. Bleu ?
Je secoue la tête. Impossible. Les morceaux du puzzle s'assemblent peu à peu.
Un lent sourire triste s'agrandit sur son visage pâle au fur et à mesure que je comprends et que la peur m'envahit.
– Mais tes... tes yeux.
Il fait la moue et hausse les épaules, semblant presque s'excuser.
– Lentilles teintées.
Mon cœur tape si fort que j'ai l'impression d'entendre l'écho résonner autour de nous.
Que me veut-il ? Pourquoi ? Je recule encore m'appuyant contre le tronc d'un jeune pin pour lui échapper.
– Que... que veux-tu ? Je n'y suis pour rien. Tu le sais. J'ai... j'ai appelé les secours, mais je me suis perdue. J'ai...
Il ne dit rien. Se contentant de fixer une longue corde enroulée et trempée. Il semble accablé.
– J'ai trouvé la corde juste ici sous la neige. Elle est là depuis longtemps. Depuis deux ans peut-être. Tu avais une corde supplémentaire ? Tu aurais pu me remonter et j'aurais aidé Cristal au moins. IRIS TU AURAIS PU LE FAIRE.
Il hurle maintenant.
Je me blottis contre l'arbre. Puis la fureur m'envahit : il n'a pas le droit de me reprocher cela. Oui j'avais une corde! Et alors ! Je me jette contre lui, martelant son torse de mes poings serrés.
– OUI. J'aurais pu. Mais je ne voulais pas. Cristal avait tout. Tu ne me regardais même pas. Elle méritait de te perdre. Je ne voulais pas qu'elle...
Je m'interromps sous son regard stupéfait et ma colère fond comme neige au soleil remplacée par la peur. L'instinct me dicte de me taire et de fuir.
Gareth secoue la tête comme s'il voulait effacer mes mots de sa mémoire. Attrapant mes poings crispés sur son blouson, il les détache avec horreur. L'horreur, la répulsion, c'est tout ce que je lui inspire maintenant. Gareth, Frank, j'ai perdu.
J'avance un peu plus vers lui espérant me tromper, mais il se détourne et plonge son regard vers le vide. Vers le lieu où ils ont disparu il y a deux ans.
En tremblant, je le rejoins au bord du vide. Je regarde cet homme si beau, si proche et si lointain que je n'ai pas perdu, je ne l'ai jamais eu. Je suis son regard vers...
Quoi ? Je me penche et me sens blêmir. Je ne peux plus respirer. Ce n'est pas possible ! Je ferme les yeux espérant faire disparaître l'image des corps. Mais ils sont toujours là.
– Gareth !
Mon gémissement plaintif le fait se retourner vers moi. Son regard clair m'interroge. La gorge serrée, je tente de lui montrer. Il les a vus. Forcément.
– Là, en-bas ...
Il regarde dans la direction que je lui montre et semble furieux.
– Quoi ? Oui, c'était là. Je le sais, j'y suis resté trois jours à mourir sur la glace, à petit feu, avec eux.
J'ose regarder à nouveau. Ils sont là. Billy, son blouson rouge vif, le corps disloqué dans une position qui ne laisse aucun doute sur son décès. Mais elle... Cristal, elle bouge un peu. Je l'entends gémir dans ma tête.
– Gareth, ils sont là. Cristal. Et le corps de Billy.
Il dégage d'un mouvement brusque son bras que j'ai agrippé.
– Tu es folle. Complètement folle.
Il soupire. Me contemple de son regard bleu glacier et semble prendre une décision. Il recule de quelques pas. S'éloigne du vide, de moi. Des corps qu'il faut sauver.
– Non, Gareth. Viens vite. Aide-moi. Aide-nous.
Je le supplie, mais il secoue la tête une dernier et s'éloigne encore, me tournant le dos. Il disparaît sous la frondaison enneigée.
Je suis seule.
J'avance d'un pas prudent vers la falaise. La glace qui dégèle sous mes pieds grince un peu.
En bas, le sang teinte la neige immaculée d'auréoles vives. Cristal gémit de plus en plus fort. Je serre la corde dans mes mains crispées. Je peux le faire. Je peux les rejoindre.
Un pas de plus. Ça grince, ça tremble sous mes pieds.
Je perds l'équilibre.
– AHHHHH
J'entends le cri horrifié d'une femme dans le lointain. Puis...
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