Namjoon fit stopper la voiture dans la voie menant à leur nid douillet. Un léger cliquetis de clés au creux de sa main ouvrit la porte de leur maison, laissant s'échapper une délicate fragrance de poulet frit. Le cœur de Namjoon tambourinait à tout rompre, comme un enfant à la veille de Noël. Il s'approcha de la cuisine en silence, impatient de retrouver l'autre moitié de sa vie, qui s'était tant fait désirer cette dernière semaine...

"Mon amour...chuchota-t-il", saisissant Jin dans ses bras, et l'attrapant par la taille, face à face. Les lèvres de Namjoon se collèrent doucement à celles de son mari, comme les bourgeons qui éclosent au printemps. Il murmura contre ses lèvres, "tu m'as tellement manqué..."

"Peut-être que je devrais partir plus souvent..."susurra Jin en lui adressant un sourire malicieux.

Le visage renfrogné, Namjoon retenait son souffle et fixait sa moitié avec un regard inquiet.

"Je ne te laisse plus aller nulle part", lança-t-il d'un ton faussement sévère, tandis que Seokjin s'éloignait lentement du corps de son époux. Ce dernier, rassuré par la réponse de son compagnon, bascula légèrement en arrière et s'appuya contre le plan de travail. "Et avec les enfants, ça s'est bien passé ?", demanda-t-il alors.

Seokjin, toujours affairé, brancha le cuiseur de riz sur le plan de travail.

"Comme d'habitude... Les cris, les chamailleries...", les mots sortaient de sa bouche comme une mélodie bien connue. Malgré tout, une pointe d'épuisement s'immisçait dans sa voix. "Cette année, j'ai emmené les plus jeunes avec moi. Heureusement que j'adore les enfants, sinon j'aurais pété un câble."

En effet, Seokjin était éucateur d'un manoir qui accueillait des enfants en difficulté. Grâce à des dons de toutes parts, le foyer organisait des voyages pour les enfants pendant les vacances estivales. Une merveilleuse initiative, qui donnait à tous ces petits cœurs en mal d'amour un peu d'espoir et de réconfort.

Jin avait attendu tout l'été pour enfin partir en vacances. Mais cette année, il avait été placé dans le dernier groupe, celui qui devait affronter la dernière semaine de congés.

Et depuis près de trois ans, il partageait la vie de Namjoon avec passion et dévotion. Namjoon retroussa ses manches, voulant tout faire pour aider son mari à préparer le dîner. Enfin, lorsqu'ils eurent fini, ils se mirent à table, savourant ce moment de tranquillité, rien qu'eux deux. Le temps où ils pouvaient partager ensemble ces instants se faisait de plus en plus rare. Chacun était accaparé par son travail et leurs emplois du temps ne concordaient plus. Jin était parfois obligé de rester tard pour aider sa patronne. Namjoon, quant à lui, devait traiter des dossiers jusqu'à tard dans la nuit. Mais le temps qu'ils pouvaient se retrouver, assis autour de la table de leur salon, valait tout l'or du monde.

"Comment ce garçon sauvé de son géniteur vit-il ?"

Namjoon répondit en songeant, "il ne parle toujours pas, pourtant il mime et montre du doigt ce qu'il veut. Il se tient à l'écart et reste vigilant."

"Serait-il muet ?" s'enquit Jin.

"Non, il ne l'est pas, dans les vidéos de son père qu'on a visionné pour l'enquête, il parlait..."

L'affaire taraudait l'inspecteur jour et nuit, chaque fois qu'il repensait à Taehyung, ses soucis empiraient..

S'il y pensait tant, son cœur saignait pour le jeune garçon, à peine entré dans cette période fragile qu'est l'adolescence, dont les yeux, jadis emplis de promesses et d'innocence, étaient maintenant malheureux et perdus. Son monde avait été piétiné par un père abusif, aveuglé par son propre pouvoir. Même le pire n'avait pas été suffisant pour le dissuader...

L'éducateur, se sentant coupable d'avoir suscité une telle conversation à table, s'excusa le plus sincèrement possible auprès de Namjoon. Il était clair que cette affaire le tourmentait depuis que le dossier avait été ouvert.

"Il est encore si jeune", soupira Namjoon, secouant lentement la tête de gauche à droite, le visage peiné. "Ces vidéos sont tellement horribles que je n'ai pas pu toutes les regarder. Et chaque jour nous rapproche de l'autre homme présent dessus. Mais son père reste indifférent à nos demandes. Nous allons devoir fouiller plus profond et espérer qu'un jour Taehyung puisse nous aider, en nous indiquant qui est l'homme que l'on y voit et où le trouver."

°

Le jeune adolescent déposa doucement son livre de poche, ses yeux bruns rivés sur la psychologue plantée près de sa porte. Sa chambre d'hôpital était devenue son refuge, loin de son père et de l'explosion de son monde, mais il était temps de partir. Les jours passés à l'hôpital avaient été longs et difficiles, des visites de policiers pour des explications déroutantes et des gens étranges qui tentaient de le soigner. Il se sentait épuisé, comme s'il avait perdu une partie de son âme.

Il espérait que ses jours seraient dorénavant plus légers, plus lumineux, loin des médicaments qu'il détestait tant. La psychologue lui adressa un sourire doux, laissant transparaître un soupçon d'espoir.

"Es-tu prêt?" demanda-t-elle.

Le jeune Taehyung récupéra ses maigres possessions, qu'il rangea soigneusement dans un grand sac à dos. Ses cheveux retombaient en cascade devant ses yeux, lui offrant un abri bienvenu pour éviter le regard inquisiteur des autres. Il ne se laissait approcher facilement par personne. Du haut de ses mètre soixante-deux et s'avança prudemment vers la porte, gardant une distance raisonnable avec la psychologue qui l'accompagnait.

Vêtu d'un ample pull gris aux manches longues, ses extrémités disparaissant dans les airs, Taehyung arborait un jean noir et des baskets usées de la même couleur. Sa posture était légèrement courbée, comme s'il craignait de se faire remarquer.

"Bonjour Taehyung," dit Namjoon, en souriant malgré la certitude que l'adolescent ne lui répondrait pas. Mais qui ne tente rien n'a rien.

Sur le parking de l'hôpital, l'inspecteur les attendait, pour les conduire jusqu'à leur destination ultime : le foyer. Il le savait bien, là-bas, son mari maintenait une impatience dévorante. Durant deux jours, leurs conversations avaient tourné autour du cas de cet adolescent. Jin avait besoin d'informations précises pour réussir au mieux sa mission de prendre soin de Taehyung.

L'adolescent sursautait au moindre bruit, à la moindre effraction de l'espace qui l'entourait. L'inspecteur connaissait cette tendance et en conséquence, il faisait toujours attention à ne pas brusquer Taehyung.

Le jeune garçon monta dans le véhicule et s'efforça de passer le plus loin possible de l'homme qui lui souriait amicalement. Durant tout le trajet, il contempla le paysage défiler, sa tête posée contre la vitre, ses yeux reflétant un vide infini.

Après de longues minutes à braver la route sinueuse, la voiture s'arrêta finalement devant un portail d'acier. Un interphone grinçant y était accroché, ainsi qu'une petite maison de gardien, mais cette dernière semblait bien vide. Namjoon se pencha vers la vitre et appuya sur le bouton, mais il fut interrompu par l'arrivée soudaine du gardien. Le vieil homme s'excusa platement en s'inclinant maintes fois, expliquant qu'il avait été pris d'une envie pressante. Le portail finit par s'ouvrir, et Namjoon put enfin démarrer pour franchir les lourdes portes d'acier.

Le foyer, majestueuse demeure au charme centenaire, se dressait fièrement sur deux étages, évoquant un petit château posé au cœur de la verdure. Les abords foisonnaient de fleurs chatoyantes, de pelouses bien entretenues et de haies parfaitement taillées. L'entrée était précédée de quelques mètres par une fontaine gracieuse, accueillant les visiteurs avec élégance.

Des grilles anciennes, légèrement rongées par le temps, enserraient la propriété, mais sans altérer la vaste étendue de verdure tout autour. Des lianes fleuries s'étiraient le long des murs, créant un aspect enchanteur à l'ensemble.

Taehyung leva le nez pour savourer la splendeur de l'endroit, avant de poser les yeux sur l'entrée.

Sur le perron, Jin et une petite dame dodue, à la soixantaine bien tassée, l'accueillaient avec sourire. La femme accueillante, le sourire aux lèvres, s'adresse à Taehyung.

"Bienvenue au manoir ! Je suis Nayung, et voici Seokjin qui travaille avec moi. Et toi, sans doute es-tu Taehyung ?"

D'un geste rassurant, elle tendit sa main mais il recula de deux pas, hésitant. C'est alors que l'inspecteur approche, couvant Taehyung de son regard bienveillant, avant de s'adresser à son mari et à sa collègue.

"Pardonnez son geste..".

Pourtant, ce matin encore, il avait expliqué qu'il ne supportait guère qu'on l'approche, sauf s'il s'en donnait la liberté... Il les laisse seuls, pour effectuer un ou deux appels. Pendant ce temps, peut-être, Taehyung aura-t-il trouvé le courage de s'approcher, pour visiter cet endroit où se dessine l'avenir ?

Lorsque les quatre entrèrent dans la première pièce, Taehyung suivait de près la psychologue, la seule personne qu'il avait connue pendant son séjour à l'hôpital. L'inspecteur était resté à l'extérieur pour répondre au téléphone. Jin, souriant chaleureusement, présenta le salon principal une fois les grandes portes en bois refermées derrière eux.

La pièce était vaste et accueillante, illuminée par un lustre étincelant suspendu au plafond. Plusieurs canapés joliment disposés étaient entrelacés de coussins moelleux, créant une ambiance de détente. Une grande télévision était fixée au mur, invitant les résidents à se rassembler pour regarder leurs émissions préférées. Les pieds nus s'enfonçaient dans une vieille moquette douce sous les pas des invités. Un majestueux escalier de bois massif régnait en maître, faisant face à l'imposante double porte menant sans doute à d'autres pièces du manoir. Ils empruntèrent ensuite un petit couloir pour arriver dans une autre pièce.

"Voici la cuisine", présenta Jin, désignant la grande pièce où s'affairaient deux personnes affublées de tabliers. Puis, il ouvrit une double porte battante et les invita à entrer dans une vaste salle à manger. Une longue table de bois massif trônait en son centre, encerclée par de nombreuses chaises, peut-être une vingtaine. "Ceci est notre salle à manger", précisa-t-il. Meena acquiesça d'un simple mouvement de tête, laissant ses mains glisser derrière son dos. Taehyung, quant à lui, restait silencieux, attentif aux propos de leur guide.

Ils franchirent un autre couloir, sombre et étroit, avant de pénétrer dans une pièce plus petite mais assez vaste pour accueillir une poignée de personnes. Des boîtes soigneusement alignées sur des étagères accueillaient les jouets, tandis qu'une moquette en laine d'un bleu profond recouvrait le sol. Les murs étaient les témoins muets de l'imagination débordante des enfants, qui y avaient laissé des dessins colorés. Une télévision trônait fièrement contre l'un des murs. Toutefois, dans un autre coin de la pièce, des consoles de jeux attendaient patiemment leur tour.

"Vous l'aurez compris, messieurs-dames, voici notre salle de jeu", lança leur guide en désignant la porte en face, de l'autre côté du couloir, avant de s'y engouffrer. La bibliothèque les attendait, majestueuse de son immensité. Un escalier en colimaçon menait à l'étage supérieur, où des milliers de livres étaient en attente. Une multitude de tables et de chaises tapissaient le sol en contrebas, offrant un espace propice au travail et à la réflexion pour les enfants.

Ils avancèrent vers le grand escalier en bois, face à la double porte d'entrée. Les grimpant avec aisance, ils atteignirent un long corridor aux murs ornés de clichés de personnes souriantes.

"Voici les visages de nos enfants actuels et passés," précisa Nayung, son sourire faisant écho à celui de la psychologue. "Noël approche et nous aimerions t'ajouter à notre album familial. Notre foyer est avant tout familial, comme une grande maison chaleureuse où règne un sentiment d'appartenance."

Meena hocha la tête, les yeux étincelants de satisfaction. Tout ici était différent, unique comparé aux autres foyers qu'elle avait visités.

"Sur l'aile gauche, les douches des garçons et sur la droite, celles des filles. Communes, malheureusement. Puis, au fond une pièce, un lieu réservé à la détente, où deux baignoires n'attendent que de se remplir." Jin les invita ensuite à le suivre, vers le deuxième étage. "Là-haut, nous trouvons les chambres des garçons, dans le couloir de droite, et celles des filles dans celui de gauche. Les éducateurs ont eux aussi leur propre espace, pour les nuits de surveillance. Mais Nayung reste ici, en permanence. Elle est la propriétaire de ce manoir." Jin se retourna et jeta un regard par la fenêtre au bout du couloir. "La pluie s'abat, malheureusement. Sinon, je vous aurais montré les jardins, le potager, et le poulailler."

La psychologue fut surprise en découvrant par la fenêtre le poulailler qui trônait fièrement au loin. Les éducateurs expliquèrent alors qu'ils privilégiaient les aliments sains en offrant des œufs frais aux enfants. Mais Meena, qui ne croisait aucun enfant depuis leur arrivée, s'inquiéta. Jin, souriant, leur promit que Nayung leur expliquerait tout en allant rejoindre l'inspecteur Kim, les yeux rivés sur son portable qui venait de recevoir un message de son mari.

Nayung sourit de sa voix douce en expliquant que les enfants étaient tous à l'école pour la rentrée du trois septembre. Dans quelques heures, ils reviendront. Taehyung se tenait en retrait, scrutant le monde à travers ses cheveux trop longs.

"Ici, c'est chez toi maintenant." Nayung ouvrit la chambre de Taehyung avec une clé argentine et invita l'adolescent à entrer. "Et tu as de la chance, tu n'auras pas à partager ta chambre avec quelqu'un d'autre. Nous t'avons donné une petite chambre pour une personne. Les autres sont pour deux ou quatre personnes, selon leur taille." Nayung entraîna Taehyung dans sa nouvelle maison avec un sourire amical.

La chambre étroite, mais confortable, accueillit Taehyung sans broncher. Les murs aux motifs floraux grisés savaient, à présent, captiver son regard. Au pied de la fenêtre, s'érigeait un lit spacieux, comme pour le faire retrouver l'emprise de la nature environnante. Une table de chevet et un bureau, lui conférant le rigorisme de l'étudiant studieux. Les portes de placard et des toilettes, discrètes et murées dans leur intégrité, s'épanchaient dans le silence de leur activité.

"Il y a un double des clés dans l'armoire de ton bureau". Rappela Nayung, attentive.

Taehyung se contenta de contempler la pièce avec une indifférence détachée. Il était enclin à rester impavidement dans ce qui lui était donné. Toutefois, un élan de joie aurait été de trop pour lui.

"Et combien d'enfants y'a-t-il dans votre foyer ?" demanda la psychologue.

"Vingt, maintenant que Taehyung nous a rejoints," répondit la voix douce de la gardienne. Et elle continua, en décrivant chaque âge avec amour : "Il y en a six qui ont entre cinq et dix ans, huit qui ont entre onze et quinze ans, et six plus grands, de plus de seize ans. Mais ici, chacun est un peu le parent de l'autre, et moi, je suis leur mère à tous." Puis, elle se tourna vers l'adolescent au milieu de la pièce et lui sourit avec bonté : "Tu es chez toi maintenant, Taehyung. Fait de cette chambre la tienne, à ton image. Bienvenue chez nous."