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De l'or au bout des doigts

𝐬𝐨𝐧𝐠 · burned out | will jay
𝐪𝐮𝐨𝐭𝐞 · shouldn't i be working all the time ?

𝐚𝐫𝐭𝐢𝐬𝐭 · bts
𝐠𝐞𝐧𝐫𝐞 · dystopie, science-fiction
𝐭𝐰 · mention de dépression & suicide, drogue

→ os écrit pour le recueil de asorlost « galerie des glaces », allez y jeter un oeil, y'a des pépites

→ j'ai fait de ce concept un roman à part entière (une trilogie à vrai dire, en cours d'écriture), disponible sur mon compte pro -dystrophia  ! n'hésitez pas à checker si ça vous intéresse

Une alarme stridente résonna et Yoongi se réveilla en sursaut, comme chaque matin, ou presque. Au moins, s'il se réveillait, c'était signe qu'il avait dormi cette nuit et c'était déjà pas mal.

« Bonjour, élève Min Yoongi. Il est l'heure de se lever, prêt pour une nouvelle journée ? Allez, le monde n'attend que vous ! Aujourd'hui, votre score est d-

Il n'en écouta pas plus alors qu'il se dirigeait vers la salle de bain, la mâchoire serrée. 17 ans qu'il entendait ce petit discours chaque matin, il était certain d'être capable de le réciter dans son sommeil, et pourtant cela ne manquait jamais de l'irriter. Il en était arrivé au point où entendre cette voix enjouée dégoulinante d'hypocrisie lui donnait une violente envie de se crever les tympans. Il le ferait s'il pouvait.

Après s'être rafraîchi et habillé dans la salle d'eau, il descendit les escaliers sans entrain pour déboucher dans la cuisine, où ses parents étaient déjà attablé.e.s devant leur petit-déjeuner. Son petit frère n'était pas là, étant plus jeune, il se levait toujours plus tard que lui donc ils se croisaient rarement le matin.
Il attrapa un fruit et se prépara un chocolat chaud pour ensuite s'asseoir face à elleux, ne brisant le silence que pour les saluer mollement. Il détestait parler le matin et iels le savaient bien donc iels ne s'en formulèrent pas, se contentant de lui communiquer leurs habituels « encouragements » après avoir jeté un oeil à sa main à la couleur inchangée et le score affiché dessus.

Travaille bien aujourd'hui, Yoongi. Tâche de ne pas faire baisser ton score aujourd'hui, Yoongi. Écoute en cours, sois sérieux, pense à ton avenir. Iels n'avaient que ça à la bouche, mais il ne leur en voulait pas vraiment. Après tout, ce n'était que ce que le gouvernement leur répétait depuis leur plus tendre enfance, comme à l'ensemble des citoyen.ne.s du monde.

« J'ai entendu que la fille des voisin.e.s était déjà à 5300 ! Un score aussi bas à seulement 8 ans, tu te rends compte ?

- Vraiment ? Elle ne risque pas de faire long feu. Pauvres parents, avoir une enfant aussi mauvaise, cela ne doit pas être facile. »

Yoongi manqua de s'étouffer avec le morceau de pomme qu'il venait d'avaler. Il savait pourtant qu'il devait éviter de prêter attention aux discussions de ses parents quand il n'était pas inclus dedans, mais il les écoutait toujours contre son gré.

Qu'est-ce qu'il haïssait ce système de score. C'était la chose la plus déshumanisante qui puisse exister. Leur nombre de points inscrit sur le dos de leur main, celle-ci colorée en vert, orange ou rouge selon leur perfomance à leur dernière évaluation.
C'était comme ça qu'iels vivaient jusqu'à la majorité, et c'était pour ainsi dire le point central de leur existence. 10 000 points attribués à la naissance, et le contrôle de compétences hebdomadaire leur retire autant de points sur leur score qu'iels en ont perdu à l'évaluation. Et si quelqu'un.e a le malheur d'arriver à 0 avant ses 18 ans, c'est game over. Iel disparaît purement et simplement, et on n'en reparle plus jamais.

Dégoûté, il alla jeter sa boisson dans l'évier et son trognon de pomme à la poubelle. Il fit quelques aller-retours dans la maison le temps de mettre sa veste, ses chaussures et attraper son sac de cours puis s'empressa de s'en aller, claquant la porte après avoir marmonné un vague au revoir.

Il inspira profondément l'air frais matinal en mettant son gant sur sa main gauche afin d'en cacher la couleur. Heureusement que cette abomination ne traversait pas les tissus, il ne savait pas comment il ferait sinon.

Les poings enfoncés dans les grandes poches de sa veste en jean et son casque audio bien vissé sur sa tête telle l'extension de son crâne qu'il semblait être, il s'engagea sur le chemin du lycée le pas traînant. Nul besoin de se dépêcher alors qu'il était sorti de chez lui bien trop tôt, comme chaque jour. L'ironie étant qu'il fuyait son foyer à cause cette même chose qu'il retrouvait une fois dans les rues de la ville ; cette pression ambiante, l'atmosphère effrénée entourant ces gens qui faisaient une course contre le temps et recherchaient désespérément la performance. Au fond, personne ne se débarrasse jamais de son score. Même après l'avoir vu disparaître, chacun.e semble en être hanté.e et vivre comme s'iels pouvaient disparaître à tout moment. Mais ça n'a rien d'étonnant, on n'oublie pas 18 années de conditionnement si facilement.

Conditionnement, c'était le mot juste. Tout était fait pour leur rappeler l'épée de Damoclès qu'était ce compte à rebours de points, des réveils personnalisés le matin jusqu'à ces grands panneaux publicitaires qui jonchaient la ville et le sidéraient par leur naïveté. À croire que le gouvernement les prenait pour de parfait.e.s imbéciles. Particulièrement celui-là, faisant la promotion des cours de rattrapage en période de vacances. Des jeunes souriant.e.s, le pouce levé, et le slogan Durant les congés scolaires, venez dans les centres de rattrapage afin de récupérer des points !. C'est ça, oui. Venez tenter vainement de retarder votre échéance !

Il était persuadé que personne n'avait jamais gagné quoi que ce soit en allant là-bas, hormis du temps perdu. Mais ça donnait de l'espoir aux élèves, alors c'était l'essentiel, n'est-ce pas ?

Eh bien, peut-être que dans un premier temps, iels pourraient faire en sorte que les élèves n'aient pas besoin qu'on leur rende l'espoir qu'iels avaient elleux-mêmes volé.

Frustré au possible, il sortit un instant sa main de sa poche pour replacer la lanière de son sac sur son épaule, et immédiatement, il sentit les regards des passant.e.s se diriger sur son gant. Des regards inquisiteurs, jugeurs, méprisants. Évidemment, dans un monde où la réussite scolaire était ce qui importait le plus, il arrivait souvent à celleux dont la main était rouge - signe ultime d'échec - de porter un gant pour le cacher, mais c'était presque aussi voyant que cette affreuse couleur sanglante. De toute façon, les yeux de toustes se portaient comme par automatisme sur les mains d'autrui, donc les gants ne changeaient pas grand-chose à leur situation, sinon qu'ils révélaient qu'iels se dissimulaient par honte.

Mais finalement, ce n'était même pas ces jugements sur sa main gantée qui le dérangeaient le plus. C'étaient les secondes qui suivaient, quand les gens se détachaient de cette partie de son corps pour analyser le reste, et grimaçaient en découvrant ses tatouages, ses piercings, ses chaînes et son uniforme négligé. Puis iels secouaient la tête d'un air résigné, l'air de penser que c'était naturel, un mauvais élève avait forcément une apparence de voyou. Oui, forcément...

·.·.

« ...et souvenez-vous bien : à élève studieux, avenir radieux. Belle journée à toustes, et surtout, travaillez bien ! »

L'annonce matinale s'éteignit dans un grésillement désagréable et toustes les élèves de la classe de Yoongi s'assirent dans un mouvement collectif, rodé par les années. Leur professeure ne perdit pas de temps pour s'installer à son bureau et tapoter rapidement sur l'écran incrusté avec aisance. Un bip retentit quand elle partagea son document de cours au compte scolaire de chaque élève, lequel s'afficha sur leur table numérique. Le jeune homme retint une plainte en baissant les yeux sur le sujet, sachant d'avance que ça n'allait pas lui plaire.

Apprentissage communautaire. La seule matière qu'il détestait encore davantage que les autres, parce que derrière son intitulé nébuleux, on pouvait aisément la renommer en « propagande déguisée en éducation politique » et ce serait bien plus adapté que son nom officiel.

« Dans la continuité de l'allocution de notre Présidente de l'Education, le cours d'aujourd'hui portera sur votre avenir radieux ! »

Ce ton enjoué lui donnait des envies de meurtre.

« C'est la finalité de votre persévérance depuis toutes ces années ! Cette récompense tant attendue est à portée de main pour vous toustes. Comprenez bien que chacun.e de vous ici est un.e futur.e membre honorable de la Société. Vos places sont méritées par vos efforts constants et votre travail acharné depuis votre plus jeune âge. »

Elle marqua une pause et balaya du regard la classe. Tout le monde était pendu à ses lèvres, comme de coutume. Ce qu'elle disait faisait office de vérité absolue. Et Yoongi donnait le change, même si dans son esprit, il s'était depuis longtemps enfui de cette salle étouffante.

« D'après les derniers chiffres sortis, 5 millions d'élèves de votre niveau ont disparu depuis septembre. Ça correspond aux statistiques habituelles à cette période de l'année, et comme toujours, il y a davantage de disparitions dans la 17ème année que dans les autres niveaux, hormis le 9ème évidemment. Vous êtes toustes des élu.e.s de- »

C'est là qu'il décrocha complètement. Les chiffres, il les connaissait. Ils passaient aux informations tous les soirs et prenaient un malin plaisir à s'ancrer dans son crâne pour venir hanter ses cauchemars. Oui, il n'y avait jamais de disparitions avant la neuvième année, la fameuse Chute des 500, qui était devenue, par une étrange dérive qu'il ne s'expliquait pas, un évènement international. La Chute des 500, c'était quand, dans leur 500ème semaine de vie, toustes les enfants non scolarisé.e.s disparaissaient d'un coup après avoir vu leur score réduire de 20 toutes les semaines, inexorablement.

Ainsi, du 10ème au 17ème niveau, le nombre de disparu.e.s augmentait sensiblement chaque année à mesure que les plus mauvais.es élèves atteignaient 0, mais aucun n'égalait l'extinction massive qu'était la Chute des 500.

Et ça ne posait de problème à personne, visiblement.

« Vous êtes donc arrivé.e.s jusqu'ici et en maintenant vos efforts encore quelques mois, la majorité d'entre vous sera en mesure de voir son score disparaître, et votre vie adulte commencer ! Vous verrez sur les documents que je vous ai transférés un petit aperçu des différents domaines dans lesquels vous pourrez vous orienter pour vos études supérieures. Il est temps pour vous de commencer à y réfléchir afin de choisir ce qui vous plait le plus. »

Yoongi ne put s'empêcher de lever les yeux au ciel face à ces inepties mais malheureusement, la professeure sembla le remarquer et l'interpella aussitôt, un sourire avenant aux lèvres.

« Qu'y a-t-il, Yoongi ? Un souci ?

- Pas grand-chose, je pense seulement qu'on me laissera sûrement pas choisir ce qui me plait le plus, fit-il sur le ton de la critique en reprenant ses mots.

- Ah bon, et pourquoi ça ? Qu'est-ce qui te plait ?

- L'écriture. »

L'enseignante ne se départit pas de son sourire mais ne sut cependant pas cacher la surprise qu'elle eut le temps d'un instant. Malgré tout, elle reprit, de son ton maternel insupportable.

« Je ne vois pas ce qui t'empêcherait d'accéder à ce dessein. Tu es libre de faire ce qui t'attire le plus. »

À ces mots, il ne put retenir un rire dédaigneux. Ignorant les regards méprisants des autres élèves sur sa personne, qu'il n'avait que trop l'habitude de supporter chaque jour, il se redressa sur son séant pour dire le fond de sa pensée dans des paroles pleines de sel et d'amertume.

« Je suis libre, vraiment ? il jeta un coup d'oeil à la ronde, rencontrant les regards de certain.e.s camarades de classe abasourdi.e.s de son audace. Je ne crois pas. Est-ce que vraiment personne ici ne se rend compte que le score ne nous quittera jamais ? Il ne sera plus visible sur notre main mais je vous assure qu'il va nous suivre, il nous suivra toute notre vie, jusque dans nos foutus cauchemars. »

Il fit une pause pour laisser le temps à ses paroles de pénétrer l'esprit des autres, et surtout reprendre son souffle ; il n'était pas accoutumé à parler autant, avec autant de personnes pour l'écouter. Une trentaine n'osant bouger d'un iota, et la professeure qui laissait enfin tomber ce masque de gaieté qu'elle s'efforçait de maintenir.

« Yoongi, tu ne—

- Non, j'ai pas fini, l'interrompit-il, peu soucieux de lui faire perdre son calme, ce chiffre, là, il partira jamais. Il déterminera tout, à commencer par cette orientation prétendument libre. Vous croyez vraiment qu'on vous laissera faire ce que vous souhaitez ? Jamais de la vie. Iels laisseront jamais un.e 2500 être PDG, tout comme iels interdiront à un.e 8100 d'être agent.e d'entretien. Vous serez poussé.e.s vers une voie que vous le vouliez ou non. Et après...

- Yoongi. »

Il prêta enfin attention à la professeure, qu'il avait vue arriver jusqu'à lui et qui était à présent devant sa table, son visage n'ayant plus rien d'avenant. Elle le toisait, les lèvres pincées, et il détourna le regard en appréhendant ce qu'elle allait dire.

« Ton gant, sa voix claqua, froide. »

Il secoua la tête, bredouillant un refus.

« Enlève ton gant. Je ne me répéterai pas. »

Fébrile, il tira doucement sur sa protection de tissu. Trop lentement au goût de l'adulte qui attrapa son poignet et le retira d'un coup sec, l'envoyant voler de l'autre côté de la salle de classe.

Dévoilant sa main dorée aux yeux de tous, avec sur son dos ces chiffres qui le narguaient chaque jour : 9638.

« Tu fais partie des 10 000, Yoongi. Et quand tu fais partie des 10 000, tu n'as aucun droit de te plaindre. Tu devrais faire preuve de plus de considération pour tes camarades avant de penser à critiquer ce système qui te mènera au sommet.

- Le seul sommet où ça me mènera, c'est celui d'un immeuble fade où je serai contraint de faire un travail que je déteste, jour après jour, enchaîné à un bureau. »

Son assurance précédente s'était évaporée après ce geste brutal de la professeure, mais maintenant qu'il avait commencé, il ne pouvait plus reculer. Alors il parlait, la voix tremblante, mais il parlait.

« Ton ingratitude est écoeurante. Tu n'as pas idée du nombre de personnes qui aimeraient être à ta place, et tu ne trouves rien d'autre à faire que de te lamenter sur ton sort. »

Elle repoussa sa main comme si son contact l'avait brûlée et retourna à l'avant de la classe, lui signifiant que leur échange se terminait ici, sans lui laisser la moindre chance de se défendre. Mais ça n'avait rien d'étonnant, jamais personne ne laisserait un.e élève donner son point de vue, et encore moins avoir le dernier mot.

Il se contenta donc de fourrer son poing serré au plus profond de sa poche, la mâchoire crispée. Il ne s'attendait pas à ce que ce bref moment de rébellion se finisse bien, évidemment, mais il n'imaginait pas que la professeure irait aussi loin et l'humilierait de cette manière. La montée d'adrénaline passée, il sentait que des larmes brûlantes menaçaient de s'échapper de ses glandes lacrymales, mais ce qui le brûlait encore davantage étaient les regards des autres élèves de sa classe qui demeuraient fixés sur lui, alors il se retint, la gorge nouée.

Il avait l'impression que cette boule dans sa gorge grossissait à chaque instant et menaçait de l'étouffer. Il se frottait le cou dû à l'inconfort, même si ça ne changeait pas grand-chose, et tentait de prendre des grandes inspirations mais ce n'était pas très effectif étant donné que même son souffle était tremblant. Mais il continuait de lutter pour se contenir, quel autre choix avait-il ?

Trois heures plus tard, à la fin du cours de maths, la sonnerie annonçant la pause de midi lui procura un soulagement incommensurable. Il se hâta de ranger toutes ses affaires et de balancer son sac sur son épaule pour sortir en trombe de la salle de classe, la main gauche toujours enfoncée dans la poche de son sweat.

Alors qu'il comptait se précipiter à l'extérieur, comme il le faisait la majorité des midis, une voix interpellant son nom retentit et c'était si rare qu'il s'arrêta immédiatement dans sa course, pris au dépourvu et quelque peu craintif de ce que lui voulaient la personne qui l'avait appelé.

Il se retourna vivement, en alerte, et se détendit partiellement en voyant que c'était un des élèves de sa classe qui n'avait jamais semblé lui témoigner d'hostilité. Le nom cousu sur son uniforme indiquait Kim Namjoon, et le doux sourire qu'il affichait calma définitivement son appréhension.

« Euh, oui ? Namjoon, c'est ça ?

- Oui ! »

Son sourire s'agrandit et Yoongi fut fasciné de voir que le simple fait qu'il sache son nom le rende aussi heureux. Il pencha la tête sur le côté, l'incitant à lui dire pourquoi il l'avait retenu.

« Je voulais te rendre... il extirpa quelque chose de son sac et le brandit devant Yoongi, ça ! »

Il écarquilla les yeux en voyant son gant et l'attrapa pour le remettre sur sa main, si rapidement qu'on n'eut le temps de ne voir qu'un éclat doré avant que le tissu ne le cache à nouveau.

« Merci... Merci beaucoup.

- Pas de quoi, elle l'a lancé dans ma direction, je me suis dit que tu aimerais le récupérer. »

Son sourire était toujours éclatant et Yoongi tenta alors de lui renvoyer la pareille, ne parvenant qu'à étirer un faible rictus. Même si cette discussion avait adouci son état, il se sentait toujours mal donc c'était compliqué pour lui d'être avenant dans ses expressions faciales. Mais l'intention était là.

Un autre élève qui se tenait en retrait depuis le début, probablement un ami de Namjoon, tapota d'ailleurs l'épaule de celui-ci, sûrement pour lui rappeler qu'ils devaient aller manger.

« Bon, on va devoir y aller, hm... il hésita un instant. Tu veux manger avec nous ? proposa-t-il plus timidement.

- Non, désolé, je... commença-t-il avant de se rectifier. Enfin, oui, pourquoi pas. Mais une autre fois peut-être ? Aujourd'hui je peux pas... Mais merci de proposer.

- Pas de souci, on se fera ça ! À plus tard alors, bon appétit, fit-il, soulagé, avec un geste de la main que Yoongi lui retourna.

- Oui, merci... Vous aussi. »

Il s'était adressé également à l'intention de celui qui accompagnait Namjoon, qui ne lui répondit que d'un vague signe de tête. Habitué, il ne s'en préoccupa pas plus que ça et reprit son chemin vers la sortie du lycée, le pas rapide.

Il se dirigea vers son endroit habituel, celui qu'il avait trouvé assez tôt dans sa scolarité en cherchant où il pourrait s'échapper le midi pour ne pas avoir à manger seul dans le bain de foule qu'était la restauration scolaire. Surtout qu'il préférait retirer son gant pour manger, et il n'aimait pas faire ça s'il n'était pas avec sa famille ou ses amis.
C'était le toit d'un parking à deux étages délabré où personne ne venait plus depuis longtemps, à quelques minutes du lycée. Il y accédait grâce à un petit escalier hélicoïdal en ferraille qui se trouvait contre l'une des façades du bâtiment. Il n'était plus très stable, mais ça avait fonctionné jusqu'ici donc il ne l'empruntait plus avec autant d'appréhension qu'au début, même s'il ressentait toujours cet insidieux sentiment de crainte se tapir dans son thorax en empruntant les marches bancales. Ce n'était pas une sensation désagréable, à vrai dire, il appréciait le petit frisson de peur qui le parcourait et l'adrénaline se diffusant en lui.

Il prit une grande inspiration en arrivant sur le toit, en plein air. Il faisait assez frais étant donné que le printemps n'était pas encore bien installé, mais ça ne le dérangeait pas. Il alla simplement récupérer le plaid qu'il gardait dans une boîte en carton, elle-même rangée dans deux boîtes plus grandes. Ce toit était juste une grande étendue de béton lisse, il n'y avait rien d'autre pour protéger sa petite couverture des intempéries, mais grâce à cette triple protection, il était rare que la pluie l'atteigne.

Il s'enroula dans son plaid, prit son panier repas et alla s'asseoir près du bord du toit, qui n'était protégé que d'un petit rebord. Mais personne n'était censé se trouver ici hormis, très occasionnellement, les agent.e.s d'entretien quand le parking était encore en fonction, donc cela paraissait normal qu'il n'y ait pas de rambarde plus sécurisante que ça.

On pouvait se demander pourquoi il se compliquait la vie à venir ici chaque midi, plutôt que d'aller s'installer au fond de la cour du lycée comme n'importe qui, mais les sensations qui l'emplissaient quand il était perché sur ce toit lui rappelaient à chaque fois combien c'était mieux que quelconque autre endroit. Il se sentait tellement libre, ici, en hauteur et sans rien pour cacher l'horizon de sa vue. Son établissement scolaire était un peu à l'écart du centre-ville donc même si le toit du parking n'était pas si haut que ça, il y avait tout de même peu de bâtiments qui le surplombaient dans les alentours. Le sentiment de puissance que procurait cette prise de hauteur était enivrant, mais avant tout, c'était un endroit qui l'apaisait. S'il n'avait pas pu venir ici, il se serait sûrement terré quelque part pour exploser en larmes après le trop-plein d'émotions de la matinée, mais être ici l'avait calmé et il ne sentait plus tellement le besoin d'évacuer toute l'eau de son corps.

Cette position lui donnait l'impression d'être seul au monde et d'être maître de ce qui l'entourait, privilégié par le simple fait d'être sur ce toit. Pourtant, il se doutait bien que d'autres personnes venaient ici, certainement la nuit pour faire des soirées. C'était même sûr, puisqu'il lui arrivait de retrouver des déchets traînant sur le béton, des bouteilles d'alcool ou des sachets de chips. Mais ce n'était, étonnement, pas si fréquent que ça, donc soit peu de personnes connaissaient cet endroit, soit celleux qui venaient nettoyaient bien après leur passage – et il trouvait cette deuxième possibilité hautement improbable. Quoi qu'il en soit, personne ne venait jamais aux mêmes horaires que lui, donc il se sentait tout de même favorisé.

Et puis, il espérait toujours se débarrasser de cette chape de plomb qui l'oppressait et pesait sur ses épaules en venant dans un lieu tel que celui-ci, mais c'était quelque chose que même le toit ne parvenait pas à faire. Il prenait souvent de grandes inspirations sans s'en rendre compte, et se mettait toujours debout en ouvrant grand les bras quand le vent soufflait un peu plus fort, mais rien. La boule de nervosité coincée dans ses poumons ne disparaissait pas à l'arrivée de l'oxygène, et ce manteau de pression continuait de peser sur son dos, le repoussant au sol.

Il savait bien que c'était inutile, qu'un peu d'air n'allait certainement pas calmer ses angoisses, mais elles paraissaient si matérielles de part les douleurs physiques qu'elles lui donnaient que c'était devenu une habitude pour lui d'essayer de s'en débarrasser à chaque occasion. Il lui arrivait très souvent, le soir quand il ne parvenait pas à s'endormir, de se lever pour ouvrir sa fenêtre et s'y accouder, peu importe la saison. Là encore, il respirait fortement et frissonnait à la sensation de l'air frais qui s'infiltrait dans ses narines et venait réveiller son cerveau hypertrophié. Il aimait ça, ainsi que l'engourdissement dans ses avants-bras quand il les posait trop longtemps sur la pierre froide de son bord de fenêtre.

Il laissait le vent froid secouer ses mèches alors qu'il observait les étoiles briller.

Et la souffrance demeurait blottie dans ses entrailles, mais ce n'était plus si intolérable, parce que les étoiles éclairaient la nuit.

C'était rassurant, parce qu'elles étaient là, et le seraient toujours la nuit d'après, la suivante, et à chaque fois qu'il aurait besoin d'elles. Éparpillées dans le firmament, il avait l'impression qu'elles le protégeaient et s'embrasaient pour lui depuis le passé.

·.·.

Sur le chemin du retour vers le lycée, Yoongi pressait le pas en espérant arriver à temps. Il avait passé un peu trop de temps à rêvasser et maintenant il risquait d'être en retard, ce qui ne l'arrangeait pas beaucoup, parce que c'était le meilleur moyen d'attirer l'attention sur lui.
Surtout qu'il avait déchiré son gant alors qu'il le remettait en descendant les escaliers du parking en catastrophe. Ces escaliers pas très stables qui n'avaient pas bien supporté sa course, ils avaient vacillé, et lui avait trébuché sous la surprise, se rattrapant comme il le pouvait aux barreaux qui cerclaient ce colimaçon. Mais évidemment, c'était délabré, donc un bout de métal saillant avait transpercé et déchiré le dos de son gant sur cinq centimètres. Heureusement qu'il ne l'avait pas encore complètement enfilé, sinon il aurait eu du mal à utiliser sa main avec une blessure aussi grosse ; mais ça lui avait seulement éraflé deux doigts, rien de trop handicapant.

Alors évidemment, sa main dorée se voyait à travers cette grosse entaille. Et il brillait, ce doré, il détestait ça, c'était impossible de le manquer. Quoique, même si ça n'avait pas été aussi voyant, ça n'aurait rien changé puisque tout le monde ne faisait attention qu'à ça. Il captait les regards des passant.e.s dirigés vers sa main, il remarquait que leurs yeux s'écarquillaient en voyant le scintillement à travers la crevée de son gant. Et ensuite, il voyait la déception dans les pupilles des gens qui relevaient la tête pour voir à quoi ressemblait un élève doré, et que son apparence ne correspondait pas à leurs préjugés. Honnêtement, il ne savait pas ce qu'il détestait le plus entre ce dépit et le mépris qu'on lui témoignait quand on pensait qu'il était un élève rouge. Mais il savait que dans tous les cas, ces gens n'étaient pas satisfaits, la société n'était pas satisfaite. Quoi qu'il fasse.

Il aurait dû être fier de la couleur de sa main. C'est ce que sa professeure lui avait fait comprendre le matin même, comme beaucoup d'autres avant elle. Il faisait partie des 10 000, comme elle l'avait si gentiment souligné. Ça signifiait que parmi les trois milliards de personnes de moins de 18 ans qui vivaient avec ce compteur, 10 000 seulement avaient la main dorée. Dans chaque niveau, il y avait 555 élèves doré.e.s. Celleux qui avaient le meilleur score, tout simplement. Et il était l'un d'elleux.

Alors oui, il devrait sûrement être fier. Mais ses camarades de classe le craignaient ou le détestaient, ses professeur.e.s n'en étaient pas loin, ses parents le prenaient pour acquis, il était devenu dépendant du travail comme si c'était la seule chose qui déterminait sa valeur et se sentait perdre pied à chaque seconde. Se réveiller était une torture, s'endormir était un tourment et il vivait en apnée tout ce qu'il se passait entre les deux.

Mais quelle importance ? Il avait un bon score et une main d'or.

·.·.

Renfrogné, Yoongi enfouit son visage dans ses bras croisés sur sa table. Les autres élèves étaient fébriles autour de lui, certain.e.s discutaient entre elleux, d'autres restaient silencieux.ses et attendaient avec nervosité le résultat de leur test hebdomadaire.

C'était aujourd'hui qu'iels le recevaient, le lundi après-midi. Le test hebdomadaire se déroulait toujours le vendredi en fin de journée, c'était là qu'iels devaient réussir à montrer qu'iels avaient acquis les apprentissages de la semaine écoulée. Il y avait un peu de chaque matière, toujours sur un sujet étudié en cours les jours précédents.

Iels avaient appris en cours d'histoire qu'auparavant, les professeur.e.s de chaque matière faisaient leurs contrôles comme bon leur semblait. C'était un système très aléatoire, avec des périodes plus chargées où il pouvait y avoir plusieurs évaluations par semaine, voire par jour. La plupart de ses camarades avaient été effaré.e.s en apprenant ça, et lui aussi au début. Maintenant, à force d'y repenser, il s'était habitué à l'idée, mais ça lui paraissait tout de même être un fonctionnement très étrange.

Mais il comprenait bien pourquoi c'était une pratique qui n'avait pas survécu à leur système scolaire actuel. C'était beaucoup trop inconstant, les examens dépendaient totalement du bon vouloir des enseignant.e.s et c'était complètement incompatible avec le compteur de points. Là, c'était une évaluation par semaine, aucune matière n'était laissée de côté et les résultats étaient toujours ponctuels, le lundi à la pause de 15 heures. Il ne saurait dire quelle façon de faire était mieux que l'autre ; après tout, chacune était adaptée au système scolaire dans lequel elle fonctionnait.

Ce qu'il n'aimait pas, en revanche, c'était quand le personnel enseignant utilisait ce système d'évaluation pour les culpabiliser. On le leur disait depuis l'entrée en primaire, quand ce fonctionnement s'installait : s'iels rataient le test hebdomadaire, iels ne pouvaient s'en prendre qu'à elleux-mêmes. Il n'y avait pas de surprise, tout le monde savait qu'une évaluation avait lieu en fin de semaine, et ce sur quoi elle portait. Donc s'iels n'y arrivaient pas, c'était entièrement de leur faute.

Un son strident retentit, annonçant à toustes les élèves de l'établissement que leurs résultats étaient disponibles. Ça ne servait pas à grand-chose étant donné que personne ne quittait son bureau à cette heure-là de toute manière. Simultanément, la surface informatisée de leur table s'alluma pour laisser apparaître leur copie corrigée, et le score sur leur main directrice s'effaça le temps d'une minute pour afficher le nombre de points soustraits à leur compteur cette semaine.

La tête toujours dans le creux du coude, Yoongi ouvrit un oeil pour aviser le 20 écrit distinctement en haut de sa copie, et le referma immédiatement. Comme toutes les semaines, il était partagé entre le soulagement et l'indifférence. Il n'avait pas perdu de points et ses parents seraient content.e.s de lui, certes, mais en même temps qu'est-ce que ça avait de si extraordinaire ? Rien. C'était normal, c'était ce qu'on attendait de lui. Ce à quoi il avait accoutumé son entourage et lui-même. Faire moins aurait été décevant, mais ça, c'était simplement banal.

Il gardait fermement la tête baissée en attendant la suite. Comme toujours, après avoir pris connaissance de leur résultat, toustes les élèves se levaient pour faire un tour de classe et zyeuter les notes des autres. Et comme toujours, il les entendait ralentir près de lui, se pencher légèrement sur son bureau avec un espoir qu'il imaginait bien, avant de souffler et de repartir en voyant son résultat parfait.

Il ne leur en voulait pas tellement. Iels étaient toustes habitué.e.s à vivre dans une dynamique compétitive depuis leur plus tendre enfance, c'était tout simplement normal de se comparer et d'aller s'enquérir des résultats des autres. Lui-même, malgré son aversion pour son statut de doré et le système dans son ensemble, ressentait toujours une pointe de satisfaction malsaine en voyant des 20 sur ses copies. Il s'en sentait immensément coupable et ne l'admettrait probablement jamais, mais c'était ainsi. Le climat dans lequel iels grandissaient était tel qu'il ne parvenait pas à se débarrasser de ce type de sentiment, il ne les maîtrisait pas.

Alors qu'il comptait attendre patiemment que tout le monde retourne à sa place pour se redresser, il perçut une agitation inhabituelle se propager parmis les élèves. Intrigué, il releva la tête et serra les poings en voyant de quoi il s'agissait ; quelqu'un était arrivé au bout de son compteur. C'était une fille repérable de part sa main droite qui avait tourné au noir, avec un gros zéro blanc inscrit dessus. Elle la fixait, les yeux écarquillés d'horreur, sachant très bien ce qui l'attendait pour avoir déjà vu des dizaines de personnes dans son cas au fil des années.

Il se mordit la lèvre pour retenir un sanglot mais ne put se résoudre à détourner le regard, tout comme le reste des élèves. La plupart semblaient indifférent.e.s au spectacle, et quelques un.e.s étaient tout de même ému.e.s, ses ami.e.s sûrement. Mais iels s'efforçaient de se contenir. Après tout, ce n'était pas une surprise. Tout le monde avait vu l'échéance se rapprocher, et ses proches devaient donc s'être préparé.e.s à cette issue inévitable.

Comme à chaque disparition, une ambiance empreinte de curiosité s'installa. Toustes assistèrent à la scène en silence, alors que leur camarade disparaissait sous leurs yeux. Sa silhouette se dissolut et s'évapora telle une volute de fumée, progressivement, sa main noire en dernier. Sans aucun bruit.

Il se doutait que les autres se posaient les mêmes questions que lui. Qu'est-ce que ça faisait de disparaitre ? Est-ce que les Évaporé.e.s ressentaient de la douleur ? Probablement pas, étant donné qu'iels ne sortaient pas le moindre son quand ça arrivait.

Finalement, tout le monde retourna à sa place, reprenant leurs discussions comme si de rien n'était. Quand iels étaient plus jeunes et qu'iels voyaient leurs premières disparitions, à 10 ou 11 ans, les enseignant.e.s leur disaient que c'était inévitable, qu'iels n'avaient simplement pas fait ce qu'il fallait pour mériter leur place, qu'iels n'auraient pas été de bon.ne.s citoyen.ne.s de la Société ; mais qu'elleux le seraient, qu'iels vivraient sans compteur après 18 ans, à condition de continuer leurs efforts.

Donc iels continuaient.

Yoongi avait accepté ça sans broncher au début, comme n'importe qui, comme la majorité des gens encore aujourd'hui. Après tout, c'était les professeur.e.s qui le disaient, ses parents qui le répétaient quand il rentrait le soir, alors ça devait être vrai. Puis quand c'était arrivé à son meilleur ami Jin, alors qu'ils avaient treize ans, et qu'on lui avait répété les mêmes paroles, puis qu'on l'avait grondé en voyant qu'il ne passait pas à autre chose comme on leur avait appris à le faire, il s'était posé des questions. Il avait caché sa tristesse pour qu'on arrête de le surveiller et petit à petit, au fil des années, ce qui était au départ de l'incompréhension s'était transformé en véritable haine envers ce système. Chaque disparition, depuis ce jour il y a quatre ans, lui procurait une amertume insupportable, mais il était complètement impuissant.

Le murmure des conversations se tut quand un professeur rentra en classe à la fin de la pause. Il jeta un bref regard vers la table de l'Evaporée, ayant été notifié de sa disparition, puis s'installa à son bureau et commença son cours sans se prononcer à ce sujet.

C'était ainsi, les Évaporé.e.s disparaissaient autant physiquement que de la mémoire commune, et on ne les mentionnait plus jamais.

·.·.

Yoongi entra dans le local en soupirant de soulagement, lançant son sac de cours quelque part dans la pièce avant de s'affaler sur un pouf.

« Mauvaise journée ? déduit Jungkook en haussant un sourcil inquisiteur, un joint aux doigts.

- Plutôt, ouais. La prof de propagande m'a démonté quand j'ai voulu souligner le ridicule de son système adoré, j'ai déchiré mon gant et une fille a disparu aux résultats de cet aprèm.

- Je sais pas pourquoi tu t'entêtes à essayer de protester, tu sais bien qu'iels en ont rien à faire. »

Il leva la tête vers Taehyung qui ne le regardait même pas, sa main orange plongée dans un paquet de chips.

« Je voulais même pas, j'ai juste levé les yeux au ciel et elle m'a vu.

- Dans tous les cas ça doit toujours être mieux que dans notre classe où personne dit jamais rien.

- Ça tient qu'à vous de changer ça, Yoongi haussa les épaules avant de changer de sujet. Il est pas encore arrivé Hoseok ?

- Non, répondit Taehyung, laconique. Sûrement encore retenu par un.e prof qui veut lui faire la morale.

- Ils abandonnent jamais, hein, pesta le fumeur, au bout de deux ans ils pourraient comprendre qu'il compte pas faire d'efforts pour être à nouveau vert.

- Bah non, ce serait pas marrant de me laisser tranquille, intervint le principal concerné. »

Les trois levèrent la tête pour saluer leur ami à la flamboyante chevelure rousse qui venait d'arriver. Il alla s'installer sur le dernier siège disponible en attrapant un snack traînant sur la table basse au passage.

« Ils te voulaient quoi cette fois-ci ?

- Toujours pareil... Reprends-toi, Hoseok, un grand avenir t'attend si tu retrouves tes bonnes notes... il ricana. Ça m'a soulé, j'ai dit non, je lui ai secoué ma main rouge sous le nez et je suis parti.

- Je sais même pas pourquoi ça les embête autant, rouspéta Jungkook, avec les notes que t'avais avant, ton score reste plutôt haut, même sans rien faire tu passes, c'est pas ça le but ?

- Non, pas vraiment. »

L'intervention de Yoongi, qui venait de retirer son gant pour laisser sa main respirer, attira l'attention des trois autres. Voyant leur regard interrogateur sur lui, il développa son propos.

« Le but, c'est surtout de prouver la viabilité de leur système de mérite. Que tu passes 18 ans ou pas, ça leur est complètement égal. Et le souci qui se pose là, c'est qu'il y a plein d'élèves qui se tuent au travail et disparaissent parce qu'ils ont quand même pas d'assez bons résultats, alors que Hoseok il va passer tranquille alors que ça va faire deux ans qu'il fait plus rien.

- Le truc c'est qu'ils font croire que c'est un système au mérite alors que c'est pas ça du tout, y'a que la performance qui compte. Le résultat, peu importe l'effort fourni pour y arriver, ajouta Hoseok.

- Complètement, acquiesça le doré. Mais du coup là, les cas comme celui de Hoseok, qui a assez bien bossé plus petit pour pouvoir se permettre de décrocher à la fin, ça fout tout en l'air. »

Le rictus ornant les lèvres du-dit Hoseok ne laissait pas de doute sur la fierté que cela lui donnait. L'idée que sa simple existence remette en question le système scolaire lui procurait une douce satisfaction. Ce système qui avait tué sa sœur, il espérait vivre assez longtemps pour le voir disparaître comme elle l'avait fait deux ans plus tôt.

Taehyung, en reposant le paquet de chips qu'il venait de vider, avisa le gant déchiré de son ami et sembla se rappeler qu'il voulait le questionner à ce propos.

« Ah, du coup, pourquoi tu t'es encore pris la tête avec ta prof d'AC ? C'est elle qui a déchiré ton gant ? »

Yoongi démentit ce fait et entreprit alors de leur raconter sa journée, toujours heureux d'avoir des gens avec qui partager sa vision des choses, en contraste avec ses parents qui, par alors, ta journée ?, sous-entendaient surtout alors, ta note au test hebdomadaire ?. Eux, ils l'écoutaient vraiment, et il le leur rendait bien. Ils pouvaient tout se dire en sachant que ce ne serait jamais jugé, et c'est ce qui faisait d'eux les êtres les plus précieux aux yeux de Yoongi. Honnêtement, sans ces trois-là, il aurait sûrement plongé depuis longtemps.

« Encore ce parking ! râla Jungkook quand il eut fini. Sérieusement Yoon, tous les midis je flippe en t'imaginant là-haut, sans savoir si on te verra le soir, ou si t'auras sauté de ce fichu toit.

- N'importe quoi, contredit-il, si je voulais vraiment faire ça, je trouverais un autre immeuble plus haut qui pourra m'assurer 100% de chances de réussite.

- Le sens pratique de ce mec m'impressionnera toujours.

- Bref, reprit le fumeur, arrête de me regarder comme si je venais de sortir la plus grosse des absurdités, va pas me dire que t'y as jamais pensé.

- Bah si, comme tout le monde, non ? »

Le silence lourd qui s'installa le détrompa bien vite et il leva les mains, paumes ouvertes devant lui en signe de repli.

« Ok, ok, j'ai rien dit.

- Hm... j'avoue que moi aussi, une ou deux fois.

- Ah, voilà !

- Seok, t'as perdu une belle occasion de la fermer. »

Sans se préoccuper du courroux de Jungkook, Yoongi et Hoseok se firent un check, leurs mains dorée et rouge que la société n'aurait pas aimé voir ensemble se rencontrant dans un claquement.

« À propos de ça, commença Taehyung en fouillant dans son sac, pour en sortir deux boîtes qu'il tendit à Yoongi, tes anti-dépresseurs pour ce mois-ci.

- Merci Tae. »

Alors qu'il se levait pour aller ranger les médicaments dans son sac jeté sans considération un peu plus tôt, il suivit d'une oreille la discussion des trois autres.

« Comment t'arrives à te procurer ça alors que ton psy a clairement diagnostiqué que t'étais pas dépressif, ça me dépasse... fit le roux.

- C'est pas compliqué, tu sais. Y'a mon score, qui est très près de 0, et mon compte en banque, qui en est très loin. Puis le psychiatre pas très intègre. Un peu de persuasion et boum, magie, une ordonnance.

- Corrompre un psy, on aura tout vu.

- Il est vieux donc tu sais, hein, le serment d'Hippocrate il est loiiin.

- Serment d'hypocrite, surtout, railla Jungkook. »

Yoongi rit à ces mots puis émit une autre hypothèse.

« Ou alors il a pitié de toi parce qu'il pense que tu vas pas atteindre les 18 ans.

- Ah, ça m'étonnerait, je pense plutôt qu'il me méprise pour ça. Mais bon, je lui fais de l'argent donc ça le dérange pas de continuer les consultations. »

C'était quelque chose que l'élève doré admirait à propos de son ami, la désinvolture qu'il avait par rapport à toute cette situation. Là où lui, Hoseok et Jungkook vouaient une haine puissante à ce système barbare, Taehyung n'en avait simplement rien à faire. Il était très intelligent et aurait sûrement les capacités d'avoir des résultats aussi bons que Jungkook, mais malgré ça, il avait constamment la main orange ou rouge puisqu'il ne s'impliquait pas plus que ça en cours. La seule compétence scolaire dans laquelle il produisait un effort, c'était les mathématiques, pour calculer la moyenne de notes dont il avait besoin pour survivre jusqu'à la disparition du compteur. Il s'assurait d'en faire juste assez de manière à ne pas atteindre le 0 avant ses 18 ans. À son dernier calcul, il leur avait dit qu'au rythme auquel ça allait, il finirait sûrement l'année à un peu moins de cent points.

Son détachement à ce propos était exceptionnel et Yoongi l'enviait beaucoup pour ça. Puisque, malgré tout le dédain qu'il pouvait avoir pour les compteurs, il restait totalement prisonnier de ce système et s'y soumettait complètement. Et c'était quelque chose qui le mettait dans une rage folle, le fait qu'il soit complètement conscient de l'imposture qu'était ce score, et pourtant il était incapable de s'en détacher. Une mauvaise note le rendrait malade et les examens lui infligeaient une angoisse sans nom bien qu'il sache qu'il les réussirait haut la main. C'était invivable.

« N'empêche, qui est-ce qui a eu cette idée de compteur de merde ? À quel moment quelqu'un.e s'est dit que c'était une bonne idée, et le monde entier a accepté ? s'insurgea soudainement Hoseok après s'être perdu dans ses pensées quelques minutes.

- Ah ça, si seulement on savait...

- Moi je pense pas que le monde entier a accepté, loin de là, mais cellui qui voulait instaurer ça devait être vachement puissant.e, contra Jungkook.

- Ouais... Puis de toute façon, on risque pas de nous parler des mouvements de protestation contre ça en histoire... »

Tous semblèrent plonger dans de profondes réflexions le temps de quelques instants, jusqu'à ce que Taehyung ne rompe à nouveau le silence.

« Faut admettre que la personne qui a imaginé ça était douée. Pas d'une bonne façon, mais quand même. Parce qu'en plus du système de décompte, y'a l'idée des couleurs qui est vraiment du génie.

- C'est clair, c'est bien pensé. L'esprit de compétition, c'est le plus gros pilier de ce système.

- Peu importe combien c'est intelligent, c'est surtout incroyablement sadique, dit Hoseok, furieux. Puis vous voyez bien où ça nous mène. Kook est vert en permanence, et Yoon est carrément une main dorée. Et à côté de ça, l'un est un junkie et l'autre se dope aux anti-dépresseurs.

- Mais Hoseok, on a un bon score pourtant, il est où le problème ? rétorqua aussitôt Yoongi, sarcastique au possible. On va forcément bien, voyons, d'où tu sors ces inepties ?

- Bah oui, on a aucune raison de se plaindre, ce serait hyper inapproprié de notre part, continua Jungkook en rentrant dans le jeu. »

Ils éclatèrent d'un rire amer alors que leur ami leur jetait le sachet de son snack vidé à la tête, l'air faussement vexé, même s'il retenait difficilement son sourire.

·.·.

En rentrant chez lui, Yoongi s'assura de claquer la porte assez fort pour qu'on l'entende arriver sans qu'il ait besoin de s'annoncer oralement. Il se délesta de sa veste et de ses chaussures puis monta dans sa chambre d'un pas traînant pour y déposer ses affaires de cours. Il fit halte devant la porte ouverte de la chambre de son frère pour le saluer, étant donné qu'il ne l'avait même pas vu le matin, puis resta avec lui pour discuter durant quelques minutes avant qu'ils ne soient appelés pour dîner.

« Alors, Yoongi, ce contrôle ? s'enquit son père alors qu'il s'asseyait à peine.

- 20, fit-il, laconique, le visage fermé. Jamais ça ne leur viendrait à l'esprit de lui demander comment s'était passée sa journée...

- Très bien ! se réjouit sa mère. Jimin, tu devrais t'en inspirer. Avec tes notes actuelles, tu risques de ne pas obtenir un bon job.

- Mais j'ai eu 15... C'est pas si mal.

- Je suis sûre que tu peux faire mieux, mon chéri. »

Yoongi vit du coin de l'oeil son petit frère baisser la tête vers son assiette sans répondre, alors que lui serrait les poings pour se retenir d'exploser. Jimin n'avait que 13 ans, ça le mettait hors de lui qu'on l'accable déjà de reproches comme ça. Il essaya de capter son regard et quand il y parvint, il articula un désolé silencieux avec ses lèvres, auquel le plus jeune ne répondit que par un haussement d'épaules.

« Pourtant, ma prof d'AC a dit ce matin qu'on était libre de faire ce qui nous plaisait après 18 ans. En quoi le score aurait un rôle là-dedans ? relança alors Yoongi, espérant les mettre face à leurs contradictions.

- Bien sûr, tu peux travailler dans quelque chose qui te plaît ! C'est seulement ton niveau professionnel qui peut être influencé par le score, fit sa mère sans se dégonfler.

- Bah moi ce qui me plaît, c'est l'écriture.

- Évidemment, Gi ! C'est pour ça que tu seras sûrement à la tête d'une maison d'édition, voire ministre de la culture, qui sait, prédit son père.

- Mais c'est pas ça qui m'intéresse, je veux être écrivain, rétorqua Yoongi, tenace. »

Ses parents soupirèrent et il fronça les sourcils, s'apprêtant à recevoir l'avalanche de propos insensés dont iels allaient l'abreuver.

« On en a déjà parlé, chéri, tu ne peux pas gâcher ton potentiel dans des bouquins ! La Société a besoin des gens comme toi pour occuper les hauts postes.

- Et puis c'est logique, non ? Ce serait totalement inconscient de confier la gestion d'une entreprise à un.e 3200, par exemple. »

Il serra les dents, se retenant de sortir en trombe de table. Ce genre de propos le mettaient en fureur, cette manie de hiérarchiser les métiers, comme si un travail valait mieux qu'un autre. Le plus détestable, c'était peut-être la mine complètement assurée qu'avaient ses parents en disant ça. On les avait tellement persuadé.e.s de tout ça, le bien-fondé du score et des voies professionnelles toutes tracées selon le compteur, qu'à présent iels pouvaient déblatérer ce genre d'imbécilités sans ciller, sans même se remettre en question, avec la conviction intime d'avoir raison.

Il n'ajouta rien de plus jusqu'à la fin du repas, au terme duquel il remonta à l'étage. Il se laissa tomber sur sa chaise de bureau avec un grand soupir, dardant un regard las sur son sac de cours. Il en sortit ses affaires de cours et ses devoirs avec un air de condamné, répétant simplement une routine bien installée. Il travaillait pour les cours du lendemain, qui le mèneraient au test à la fin de la semaine, lequel le conduirai à la disparition du compteur et l'espérance de vivre sans épée de Damoclès au-dessus de la tête, avec un métier qu'il aime. Pour ce dernier point, c'était raté d'avance, mais il essayait de ne pas trop penser à ce fait.

Il en avait marre de vivre toujours dans l'attente d'un événement à venir, alors qu'il ne savait même pas s'il souhaitait être présent dans ce potentiel futur. Il voulait seulement parvenir à apprécier l'instant présent, sans que ce soit un mirage qui le tienne debout et le pousse à avancer jusqu'à la prochaine étape.

Sans vraiment y penser, il se releva sans avoir ouvert un seul cahier et alla ouvrir sa fenêtre pour s'y accouder, le regard dérivant sur l'horizon. Ce qu'il aurait vraiment aimé faire maintenant, c'était sortir, prendre l'air, grimper dans un arbre et écouter de la musique sous les étoiles en grignotant des sucreries. Plus il y pensait, plus rester dans cette pièce exiguë lui donnait l'impression d'étouffer. Mais ce n'est pas comme s'il était libre de faire tout ça.

Il se détourna alors de son échappatoire, le laissant tout de même ouvert pour laisser l'agréable morsure du froid écorcher sa peau et son esprit. Au lieu de sortir, il attrapa un comprimé donné par son ami quelques heures plus tôt et l'avala comme un bonbon avec un fond d'eau, avec l'aisance que seule l'habitude octroyait.

Puis il se rassit devant ses feuilles, parce qu'il devait travailler pour son avenir, visiblement. Un avenir en carton qu'il détestait déjà, dans lequel on l'enchaînerait à un bureau pour le forcer à servir une Société qu'il méprisait.

Mais quel autre choix avait-il ? Malgré toute son aversion pour ce qui l'attendait, il n'avait aucun moyen d'aller à l'encontre du système. Il critiquait, mais ne trouvait pas de solutions pour s'en détacher.

Alors il ouvrit son stylo, et travailla. Ce soir-là, puis tous les suivants, sans qu'on lui permette jamais de voir les étoiles.

8142 · 𝐰𝐨𝐫𝐝 𝐜𝐨𝐮𝐧𝐭
28062021 · 𝐩𝐮𝐛𝐥𝐢𝐬𝐡 𝐝𝐚𝐭𝐞

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