𝘊𝘩𝘢𝘱𝘪𝘵𝘳𝘦 𝟐 ~ 𝑴𝒐𝒏𝒔𝒊𝒆𝒖𝒓 𝒔𝒐𝒖𝒓𝒊𝒓𝒆 𝒅'𝒂𝒏𝒈𝒆
Depuis maintenant deux jours, les frères d'Emilia n'arrêtaient pas de la coller. Elle ne se souvenait même plus du dernier instant de répit qu'elle avait eu.
Et voilà que maintenant ils lui enlevaient tout objet dangereux des mains ! Sérieusement, elle ne pouvait pas croire que maintenant on la considérait comme une enfant à cause de ce qu'elle avait fait.
— Eliott, sérieux ! T'abuse...
— Quoi ? J'ai besoin du couteau pour couper les tomates ! se défendit-il.
Emilia roula les yeux au ciel avant de décider de remonter dans sa chambre. Depuis quelques temps déjà, elle avait une sensation insupportable.
Sa gorge était nouée, ses yeux étaient mouillés, et surtout, elle se sentait lourde... Très lourde. Et cette sensation était là en permanence, et elle ne la quittait jamais.
Une fois dans sa chambre, l'adolescente se laissa tomber sur son lit. Pendant un instant, elle ferma les yeux et se retrouva seule avec ses pensées.
Alors, elle écouta le silence pesant qui régnait dans la pièce. Il y avait une bonne odeur de nourriture dans toute la maison, mais Emilia n'avait pas faim. Elle s'était forcée à descendre seulement pour voir si elle pouvait aider ses frères à préparer le déjeuner, et rien que cette action lui avait demandé une énergie phénoménale.
De plus, elle redoutait cette heure-là car ses frères allaient une fois de plus s'assurer qu'elle ne saute pas de repas.
Par ailleurs, c'était grâce à cette méthode qu'elle était passée en dessous de la barre des cinquante kilos pour son mètre soixante-deux.
Depuis, son poids ne faisait que de baisser, si bien qu'elle allait bientôt atteindre les quarante-cinq kilogrammes... Mais cette idée ne la dérangeait visiblement pas, au contraire, elle en était ravie.
De toute manière, les filles devaient toutes êtres minces de nos jours... se disait-elle sans penser que cela pouvait être dangereux.
Depuis deux jours également, Emilia n'arrêtait pas de repenser à cet inconnu, Luka... Elle avait honte, honte qu'il l'ait vu au plus bas, et honte de pas avoir réussi à aller jusqu'au bout.
De plus, ce garçon avait sûrement dû accompagner son massage par un bouche-à-bouche lorsqu'il l'avait ramené sur la terre... Et pour elle, c'était gênant. Mais peu importe, se dit-elle. Maintenant, elle allait tout faire pour ne pas le recroiser.
— Emilia, on mange ! cria son frère le plus aîné depuis l'étage du dessous.
Comme tous les midi, les parents d'Emilia étaient sortis pour manger dehors. Ils préféraient passer leurs journées à la montagne au lieu de tourner en rond toute la journée dans leur maison de vacances, contrairement à leurs enfants.
Et puis, c'était un soulagement pour la jeune fille qui ne souhaitait pas passer ses journées à jouer la comédie devant eux. Au moins, là, elle pouvait se laisser aller. De toute manière, ses frères étaient au courant de tout maintenant.
Ainsi, après s'être forcée à avaler quelques bouchées de salade accompagnées d'un peu de pain, Emilia se dirigea vers le devant de la maison avant de s'asseoir sur le perron. Elle se mit alors à fixer le lac dans lequel elle avait tenté de se tuer, ainsi que la vaste forêt qui l'entourait accompagnée de magnifiques gorges au fond...
Enfin un vrai paysage français, pensa-t-elle.
La jeune fille voulut donc aller se promener, mais elle se souvint de ses frères qui lui avaient ôté cette liberté. Pourtant, elle ne supportait plus d'être avec eux dans cette même maison depuis ce qui s'était passé. Elle étouffait !
De plus, chaque fois que son regard se posait sur le téléphone qu'elle avait laissé sur sa table de chevet, l'adolescente se remémorait tous les messages de harcèlement qu'elle avait reçu...
Heureusement l'engin était éteint, et par conséquent, Emilia ne le rallumait pas. Elle en était devenue phobique.
Mais alors qu'elle continuait d'admirer le magnifique paysage qui s'offrait à elle, Emilia fut tirée de ses pensées par des bruits de gravier.
Ainsi, elle fit un bond de sursaut lorsqu'elle le vit arriver. C'était Luka. Prise de panique, la jeune fille ne sut quoi faire, alors elle le laissa s'approcher sans dire un mot.
— Salut, lança le jeune homme avec un petit sourire. Alors, ça va mieux ?
Il fallait avouer qu'il n'était pas mal. L'adolescent devait avoir dix centimètres de plus qu'Emilia, et était assez bien bâti. Ses cheveux bruns avaient l'air tout doux, ses yeux noisettes brillaient de mille feux, et son sourire était à croquer. De plus, ce dernier laissait entrevoir une petite fossette sur sa joue gauche, ce qui en avait déjà fait craquer plus d'une.
— Hum, oui, ça va... Au fait, je m'appelle Emilia. Et... merci pour l'autre fois, se força-t-elle à dire par politesse.
Le jeune homme devait avoir tout au plus deux ans de plus qu'Emilia.
— Pas la peine de faire semblant tu sais, répondit-il toujours avec son petit sourire. Je sais que tu ne voulais pas t'en sortir, sinon tu n'aurais pas fait ce que tu as fait.
Touché monsieur-sourire-d'ange, pensa-t-elle.
— C'est vrai, admit la jeune fille.
— Tu sais, commença le garçon tout en s'asseyant à côté d'Emilia, je sais que tout n'est pas toujours facile... mais ça, c'est pas une solution. C'est même égoïste. Égoïste de priver tes frères de leur petite sœur, et tes parents de leur enfant.
Emilia souffla du nez et fit un sourire mauvais.
— Jusqu'à il y a deux jours, ils en avaient encore rien à foutre de moi...
— Moi aussi j'en avais rien à foutre jusqu'à ce que je découvre le cadavre de ma grande sœur, dit-il avec un ton détaché tout en regardant ailleurs.
La jeune fille fut déstabilisée par ce qu'il venait de dire. Elle ne savait pas comment réagir, alors elle dit le premier truc qui lui passa par la tête :
— Je suis désolée, je savais pas.
— T'inquiètes, j'ai peut-être été trop brutal.
— Vaut mieux aller droit au but plutôt que de tourner autour du pot... lâcha Emilia.
— Exactement !
Après ça, il eut un petit moment de silence pendant que Luka regardait au loin avec un petit sourire triste au coin de la bouche. L'adolescente était surprise que son compagnon lui ait annoncé une telle nouvelle aussi facilement et avec autant de détachement.
Et surtout, qu'il l'ait dit à elle, une inconnue qu'il avait retrouvé en train de se noyer dans le lac... Quelle honte, pensa-t-elle.
En revanche, il était vrai qu'il n'avait pas été déplaisant d'avoir été sauvée par un beau garçon comme lui. Et ce fut à ce moment là qu'Emilia sentit un lien entre elle le jeune homme, et qu'elle se mit à croire au destin.
— Quand-même, il fait vachement chaud aujourd'hui... ça te dirait de sortir faire une petite promenade ce soir ? Comme ça on se rafraîchira, et puis, ça te videra un peu l'esprit.
La jeune fille hésita, mais finit par répondre :
— Pourquoi pas.
Ce soir, c'était soirée jeux de société avec ses parents chez elle, et Emilia n'avait aucune envie d'y participer. Hors, elle savait que ses frères la forceraient, alors c'était un bon moyen d'y échapper.
De plus, l'idée de revoir monsieur-sourire-d'ange ne lui déplaisait pas, même si elle restait tout de même embarrassée par leur rencontre.
— Alors, je peux prendre ton numéro ? Enfin, c'est pour qu'on se retrouve ce soir...
— Pas la peine, mon téléphone ne s'allume plus, déclara Emilia tout en se relevant. Mais je sortirai après avoir mangé, à vingt heure et demi.
— Dans ce cas, à ce soir, dit Luka tout en se relevant à son tour.
Les deux adolescents se mirent à sourire l'un envers l'autre jusqu'à ce que la porte d'entrée ne s'ouvre sur un Eliott inquiet. Lorsqu'il vit Emilia, ce dernier se décrispa et les traits de son visage s'adoucirent.
Après avoir rapidement salué Luka, il regarda sa sœur avant de lui lancer avec un ton assez ferme :
— On va en ville faire les courses pour papa et maman, tu viens...
— J'arrive, souffla-t-elle.
Mais au moment où elle allait se retourner vers son ami, elle découvrit celui-ci de dos les mains dans les poches, en train de marcher en direction de sa demeure.
*
Le soir même, Emilia s'était vêtue d'une robe rouge à pois blancs, ainsi que de ses converses noires. Cela lui donnait un look des années quatre vingt, et c'est ce qu'elle aimait dans cette tenue.
Ainsi, pour perfectionner le tout, elle s'étaient faite une queue-de-cheval sur laquelle elle avait fait un nœud papillon à l'aide d'un joli ruban blanc de soie.
En revanche, elle n'avait pas réussi à mettre de maquillage. Voir son propre reflet lui était encore trop insupportable. Pourtant elle se doutait qu'elle devait avoir le teint d'un fiévreux, et que les poches sous ses yeux devaient être bien bleutées.
Et puis, on lui avait fait remarqué que ses joues s'étaient bien creusées. Mais tout ça, elle s'en fichait.
Ainsi, lorsqu'elle descendit les escaliers, Emilia se retrouva dans le couloir d'entrée. En face, il y avait la cuisine, et à gauche vers le fond se trouvait l'entrée du séjour. Et c'était à droite qu'il se trouvait la porte d'entrée, la ligne d'arrivée.
Malheureusement, il y avait un obstacle entre l'entrée de la cuisine et la porte : Aymerick. Il était adossé contre le mur et se tenait les bras croisés. La jeune fille redoutait ses prochaines paroles.
— T'es sûre que tu veux pas faire la soirée jeux avec nous ?
— Aymerick, j'ai passé une heure entière à me disputer avec Eliott et toi pour que vous me lâchiez et que vous me laissiez enfin sortir de cette maison, souffla l'adolescente.
Le jeune homme se contenta de hausser les épaules. Mais alors qu'elle s'apprêtait à ouvrir la porte d'entrée, ce dernier attrapa doucement sa sœur par le bras.
— Si tu refais une connerie, cette fois on sera obligés de le dire à papa et maman...
— Je sais, je sais. T'inquiètes pas pour ça, répondit-elle avant de sortir.
Une fois dehors, Emilia aperçut son ami au loin. Il était vêtu d'un t-shirt kaki avec un hoodie à capuche gris, d'un pantalon en lin beige, et de tennis blanches. Lorsqu'il la rejoint, l'adolescente le salua puis tous les deux débutèrent leur marche autour du lac.
C'est donc après quelques instants de marche silencieuse que Luka finit par briser la glace :
— Alors, qu'est-ce qui t'amènes ici ? Non parce que j'imagine que c'est pas ici que tu vis...
— En effet, j'habite à côté de Lyon. Mais depuis que mes grands parents sont décédés dans un accident de voiture bah on revient ici tous les ans pour les vacances d'été avec mes frères et mes parents, expliqua la jeune fille.
— Oh, je vois... Désolé pour tes grands parents, fit le jeune homme.
— Ouais. Et toi ? T'habite pas là quand-même, si ? demanda Emilia à son compagnon.
— Bien sûr que non ! Cet endroit est tellement isolé... Bref, cette année mon père m'a envoyé chez ma grand-mère pour passer un été tranquille avec ma belle-mère, répondit-il.
La jeune fille ne sut quoi répondre, et par conséquent se contenta donc de hocher la tête. À présent, les deux adolescents pénétrèrent dans le côté forêt du lac. Elle était composées de sapins assez hauts dont les branches virevoltaient au faible souffle du vent.
Mais alors qu'ils marchaient toujours, Luka saisit brusquement la main d'Emilia, ce qui vint colorer les joues de cette dernière. Sa peau était si douce, et sa température corporelle était si élevée qu'elle vint donner des frissons de réchaud à la jeune fille.
— Tu me fais confiance ? demanda le jeune homme à son amie.
— Difficile à dire, je te connais que depuis deux jours, répondit-elle avec un faux ton sceptique.
— Allez, arrête, fit Luka avec un petit sourire tout en penchant la tête sur le côté.
L'adolescente ne put s'empêcher elle aussi d'esquisser un petit mouvement de lèvres.
— Bien, disons que oui...
— Alors suis-moi, dit-il tout en resserrent son étreinte sur la main de sa camarade.
C'est donc le cœur battant que Emilia se laissa entraîner par son ami qui s'enfonçait dans les bois. Peut-être qu'il allait la violer, se disait-elle. Pourtant quelque chose chez lui lui inspirait confiance, et puis, une part d'elle prenait déjà du plaisir à passer du temps avec cet étranger.
— Essaye de ne pas trop faire de bruit, fit Luka tout en ralentissant et en se baissant.
Tout en l'imitant Emilia s'aidait de sa main libre pour dégager les branches qu'elle manquait de se prendre en pleine face, et alors qu'elle était occupée à enlever l'une d'entre elles, cette dernière tourna la tête, et découvrit une vue magnifique qui s'offrait à elle.
Au sol, au lieu d'y avoir de vieilles brindilles et de la terre mouillée, se trouvaient de l'herbe verte remplie de petite fleures blanches et jaunes.
Tout autour, la forêt était dense, et pourtant elle avait épargné ce petit coin de paradis, ce qui permettait quelques rayons de soleil de venir l'illuminer.
Mais le plus important, c'était que cet endroit magique était complètement recouvert de papillons. Ceux-ci avaient tous une couleur orangée avec le haut de leurs ailes noires.
Lorsque les deux adolescents s'avancèrent au milieu, Luka lâcha la main de son amie afin de tendre le doigt dans le but qu'un petit être volant vienne s'y poser.
— Ce sont des Artiidae, déclara le jeune homme avec une voix calme et posée.
— C'est magnifique, lâcha Emilia tout en pivotant sur elle-même afin d'admirer le spectacle qui l'entourait.
La jeune fille ferma les yeux. Ainsi, elle prit une grande inspiration et profita du moment présent. Une sensation de bien-être envahit alors son estomac. Une sensation qu'elle avait presque oublié tant cela faisait longtemps qu'elle ne l'avait pas ressentie.
C'était comme si tous ses problèmes s'étaient envolés en l'espace de quelques secondes à peine, comme si elle avait accédé au paradis sans pour autant s'éteindre.
Finalement, ce ne fut que lorsque quelque chose chatouilla le bout de son nez qu'Emilia se décida à les rouvrir. En l'occurrence ce quelque chose était un lépidoptère, ce qui amusa beaucoup l'adolescente.
— Ne bouge pas, ordonna Luka à la brunette tout en sortant son téléphone.
Une peu gênée, la jeune fille joint ses deux mains et se mit à sourire tant dis que son ami prenait quelques clichés d'elle avec le papillon sur le bout de son nez.
Lorsque l'insecte s'envola, elle se colla au garçon dans le but de découvrir le résultat final de ces photos. Mais alors que ce dernier était en train de les faire défiler, Emilia lui lança :
— Tu les mets pas sur les réseaux hein ?
— J'ai aucun réseaux sociaux, répondit Luka tout en rangeant son téléphone portable.
Intriguée, la jeune fille leva un sourcil avant de poursuivre :
— Comment ça se fait ?
— Bah... C'est l'une des raisons pour lesquelles ma sœur a mis fin à ses jours, dit-il en tournant la tête, et on va dire que j'ai pas envie de finir comme elle.
Emilia avait de la peine pour son ami. Son histoire était tellement triste et pourtant, il avait l'air si optimiste, bienveillant, et ouvert. Il avait tout simplement l'air parfait.
Pourtant, elle savait que ce n'était qu'une facette de lui-même, et que à l'intérieur, c'était juste un jeune homme qui criait à l'aide. Elle pouvait ressentir sa solitude, et selon elle c'est ce pourquoi pourquoi il était revenu vers elle.
Son manque d'attention et son besoin de parler se ressentaient à travers ses paroles. Alors, la jeune fille comprit qu'elle venait de faire la rencontre d'une âme aussi tourmentée que la sienne.
— Si seulement on pouvait retourner à l'époque de nos parents ou de nos grands-parents... Avant, il n'y avait pas de téléphones pour pourrir la vie des jeunes et tout le monde sortait au lieu de rester toute la journée enfermé chez soi ! déclara Emilia.
— Oh, crois-moi, je rêverais de connaître cette époque... répondit son ami.
Il eut un silence après ça, mais ce n'était pas un silence gênant. Chacun était dans ses pensées, et il fallut qu'une douce brise vienne caresser le visage des deux adolescents pour qu'ils reviennent à la réalité.
— Bon, on y va ? fit Luka tout en tendant sa main à la jeune fille.
— Allez, répondit-elle tout en l'attrapant.
Mais alors qu'ils s'apprêtaient à repartir, brusquement Emilia s'arrêta et se retourna, ce qui sema la confusion chez son compagnon.
— Tu entends ça ? lui demanda-t-elle.
— Oui, ça fait comme un bourdonnement... On dirait que ça vient du fond de la forêt ! s'exclama le jeune homme.
Emilia et Luka se lâchèrent la main avant de se diriger vers le bruit. Ils parcoururent donc quelques mètres avant de se retrouver face à un arbre qui avait la particularité d'être bien plus grand que ceux qui l'entouraient.
— J'arrive pas à savoir d'où ça vient... fit Luka.
Mais alors que la jeune fille s'apprêtait à lui répondre, elle s'attarda sur un détail. Elle avait l'impression que l'air qui se trouvait devant l'arbre était remué dans tous les sens... C'était comme si on avait allumé un feu juste en dessous, excepté que là, il n'y avait pas de feu.
Alors, Emilia s'en approcha lentement jusqu'au moment où son ami l'attrapa par le bras afin de l'empêcher de continuer. Mais c'était trop tard.
Un flash blanc,
puis plus rien.
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