
𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝐔𝐍 ✦ 𝑪𝒉𝒂𝒓𝒍𝒊𝒆
Les rues pavées de Valaris n'étaient pas bien éclairées dans les quartiers où résidaient Charlie et son père. Le soir, rien d'autre que les lanternes devant les quelques tavernes encore ouvertes apportait un peu de répit dans l'obscurité. À cette heure tardive, il était temps pour elle de tendre la main vers l'interrupteur caché derrière l'enseigne et entraîner l'extinction des feux. Les touristes étaient toujours surpris et amusés quand ils voyaient à quel point l'apparence féodale d'Austera n'était qu'une façade, car tout fonctionnait, comme partout, grâce à l'ingénierie des hommes et des fées réunis. La flamme qui brûlait dans les lanternes de l'enseigne s'éteignirent en même temps. Charlie rentra dans la taverne et rangea quelques chaises. Elle se rapprocha du bar et son père, Elara, propriétaire du Guerrier de Feu depuis neuf ans maintenant.
— Va dire aux derniers qu'on va fermer, je suis crevé.
Elle hocha la tête et se détourna, mais elle revint sur ses pas et s'appuya sur le comptoir pour s'élever et déposer un bisou sur le front de son paternel.
— Va te coucher papa, je gère la fermeture.
Charlie était très protectrice envers son père. Il fallait dire que n'être plus que tous les deux les avait beaucoup rapprochés. Quand sa mère était partie, l'enfant n'avait que huit ans, et un an plus tard, Elara ouvrait la taverne du Guerrier de Feu, avec trois sous en poche. C'est à ce moment-là que la pivoine au-dessus de la cheminée a fané. Sa mère lui avait raconté l'histoire de cette fleur, lorsqu'Elara et Seraphina avaient officialisé leur mariage, le fae de la terre avait fait pousser cette simple pivoine, et ils l'avaient placée sous une cloche de verre, la maintenant parfaitement conservée grâce à la magie de l'eau et de la terre combinée. Après la disparition de Seraphina, la fleur était encore là, alors que Charlie avait appris que la magie et les sortilèges des fées s'envolaient avec elles. Elara n'en dit pas plus lorsqu'il se débarassa de la fleur fânée, mais Charlie s'était longtemps demandée comment elle avait pu subsister sans la magie de sa mère. Quoi qu'il en soit, elle savait que son père conservait précieusement la photo de son mariage auprès de son lit, et qu'il avait certainement été très triste de voir leur pivoine mourir à petit feu.
Charlie jeta un regard à son père tandis qu'il montait les escaliers vers l'appartement à l'étage. Il n'était pas très vieux, mais le fait qu'il se tienne à la rembarre était un signe que l'âge commençait à épuiser ses muscles, et sa fille aurait tout fait pour l'aider du mieux qu'elle pouvait, au moins pour alléger le poids qui reposait sur ses épaules.
Ses yeux se baladèrent sur le comptoir, un soupir s'échappant de ses lèvres. Elle cherchait la dernière miette qui aurait décidé de résister à son acharnement. Enfin, elle se redressa, et passa sa main sur son front. La taverne vide, la seule source de lumière provenait de l'ampoule au-dessus du bar, ainsi que du reflet de la lune à travers les vitres. Ce doux reflet, qui se glisse sur sa peau pâle et lui arrache un léger sourire. Lorsque des années auparavant, l'astre de nuit l'avait choisie pour déposer sur son cœur un brin de sa magie, Charlie s'était imaginée suivre les pas de ses parents à l'école pour fées de Simarth, située à quelques pas de chez elle, dans la capitale, Valaris. Malheureusement pour elle, Simarth n'accueillait que les fées issues de familles prêtes à payer pour l'inscription de leur enfant, ou bien celles qui étaient suffisamment douées pour obtenir une bourse. Charlie n'avait ni l'un, ni l'autre.
Mais elle s'était résolue à continuer son cursus scolaire comme si elle n'avait jamais reçu le moindre talent. Sur la planète d'Austera, les sans-pouvoirs étaient de plus en plus répandus, et être une fée sans éducation magique était bien moins difficile lorsqu'on pouvait vivre sans et continuer à profiter de la vie. L'époque où ne pas savoir maîtriser et faire usage de sa magie était une honte était depuis longtemps révolue.
Charlie souffla sur la dernière bougie allumée devant l'escalier et se détourna vers l'escalier en bois. Un bruissement, et l'obscurité tomba sur la taverne. Un étrange sentiment l'envahit alors qu'elle se figeait sur les premières marches. Elle se retourna et plissa les yeux en observant la salle. Ce silence lui semblait de plus en plus pesant, de moins en moins habituel. L'horloge s'était tue, fixée dans le temps. Les voitures dans les grandes rues de Valaris n'étaient plus orchestrées dans le vacarme tonitruant de la ville. Une silhouette inconnue se dressa dans l'ombre de la lune, captée par la vision périphérique de la blonde, se retournant brusquement et descendant les escaliers en vitesse. Elle s'appuya sur le comptoir et attrapa la batte de baseball de son père, la pointant vers le coin qui s'obscurcissait encore et encore, sans jamais s'arrêter. Envahie par la peur, elle recula de plus en plus vers l'escalier. Prise de conscience brutale, elle déglutit et se redressa.
— Putain de merde, je vais pas avoir peur d'une ombre...
Charlie contourna le bar, la batte bien serrée entre ses doigts. Ses pas hésitants se dirigèrent doucement vers les tables, passant entre les chaises, le souffle court. Les contours de l'ombre au sol se troublèrent petit à petit, et au centre de celle-ci, deux billes de feu s'ouvrirent, deux yeux qui figèrent Charlie dans son courage. Elle sentit sous son pied l'ombre prendre forme, devenir matérielle, et encercler sa cheville. Avant qu'elle ne puisse réagir, la chose qui avait pris son pied la tira en arrière, et son corps bascula, lui arrachant un cri de terreur alors que son dos rencontra brutalement le parquet. Son souffle se coupa d'un seul coup. Peut-être avait-elle-même perdu connaissance pendant une seconde, mais le souffle chaud de la créature qui prenait une forme de plus en plus humaine lui fit ouvrir les yeux. Ce visage étrange, les iris oranges se placèrent dans ces orbites, bousculée par l'incapacité soudaine de détacher son regard, Charlie ne bougeait plus.
— HEY !
Le cri d'Elara la sortit de sa transe. Un coup de fouet retentit dans l'air et l'intrus fut projeté plus loin. Charlie en profita pour rouler sur le côté, levant le menton vers son père, debout dans l'entrée des escaliers, une liane s'échappant de son poignet. Il la rappela à lui et tendit la main vers sa fille.
— Viens.
La blonde se releva difficilement et se précipita derrière le comptoir pour rejoindre son père. Il posa sa main derrière son dos et l'incita à monter les escaliers.
— Qu'est-ce que c'est ?!
— Les questions pour plus tard, monte, enferme-toi et appelle les secours, ordonna-t-il en la poussant en avant.
— Papa..
— Fais-le !
Son ton convainquit Charlie de grimper et se faufiler dans l'entrée de l'appartement. Elle jeta un dernier regard à son père, dont le corps commençait à se couvrir d'une aura vert pâle, deux ailes luminescentes se matérialisant dans son dos alors qu'il s'avançait dans la salle. Elle prit une inspiration incontrôlée et ferma la porte à clef. Charlie se retourna sur le salon et posa les yeux sur le téléphone de son père posé sur la table basse. Elle l'attrapa et fronça les sourcils en voyant les derniers messages reçus. Kerain ? Elle secoua la tête et ignora la confusion qui la traversait en composant le numéro des secours.
Elara s'éloigna du comptoir. Son regard s'assombrit sur le fae qui se relevait face à lui. Celui-ci toussa, roula des épaules et afficha un sourire maléfique.
— Une fée des brousses. Impressionant, ironisa-t-il, comptes-tu m'étouffer avec de la mousse ?
— S'il le faut.
Le père de famille leva le genoux et abattit avec force son pied sur le parquet. Aussitôt, le sol se mit à trembler et à se mouvoir. Il s'ouvrit, éclatant le bois pour faire éclore la roche en dessous. L'homme en face se lança en avant et dans un saut, il disparut dans l'obscurité. Une respiration plus tard, Elara sentit son poing s'enfoncer dans son dos et le projeter en avant. Pas assez fort pour le repousser loin, il se retourna et envoya son pied vers le visage de l'homme, bloqué immédiatement par sa main. Les coups s'enchainèrent, et Elara bloqua le poing en se reposant sur son pied droit. Il serra les dents et sur la peau de ses bras poussèrent des racines qui vinrent s'enrouler autour des poignets de son adversaire. Il recula et les racines attirèrent l'homme en avant. Il le rejeta en arrière, son corps brisant une table. Mais il se releva. Elara passa sa main sur son nez saignant.
— Tu n'es pas le bienvenu ici, les forces de Valaris sont en chemin.
— Tu crois me faire peur ? ricana-t-il. Les forces de Valaris ne m'empêcheront pas de la prendre.
Elara fronça les sourcils. Il en avait après Charlie ? Ses distances avec l'armée d'Austera l'avait de toute évidence rendu beaucoup moins sensible à toutes les menaces qui planaient sur la galaxie. Mais il n'avait pas pensé à cette menace ancienne qui semblait lui sauter en plein visage. Son regard se posa sur les bras parcourus d'ombres de l'intrus.
— Tu es une fée de la lune.
— Bravo, Captain Ovious. Maintenant, écarte-toi de mon chemin avant que je ne décide que tu es un obstacle.
— Tu ne toucheras pas à ma fille, pas tant que je serais vivant.
— Dans ce cas,...
Il leva les mains et une nuée sombre s'échappa de ses mains, fondant sur Elara. Il se baissa et esquiva le coup. Parfois il oubliait la puissance de la magie de la lune, quand il voyait sa fille au cœur empli d'amour et au sourire rayonnant. Son adversaire se préparait déjà à envoyer la seconde charge, mais l'ancien soldat protégea son corps de son avant-bras, créant un bouclier des pousses sur ses bras. L'ombre frappa la végétation et Elara fut repoussé contre les tables derrière lui.
— Tu n'as aucune chance, vieil homme, abandonne maintenant.
Mais jamais Elara n'aurait abandonné. Il se releva, faisant disparaître le bouclier de son bras, et tendit la main pour toucher le sol de pierre dévoilé par la destruction du parquet. Il saisit un morceau de la pierre et le tira de là. Dans sa main, une épée, aiguisée comme si elle avait été faite de métal. Il la fit tourner dans sa main.
— Prêt pour un autre round ?
Il se jeta sur son adversaire et abattit son épée sur celui-ci, qui se défendit avec les chaises et les tables sur son passage, reculant peu à peu vers le mur. Sa défense n'était pas mauvaise, mais pas aussi bonne que l'attaque d'Elara. Il éclata la chaise entre ses mains et se saisit du pied brisé. La seconde suivante, Elara sentit le pied de chaise s'enfoncer dans son abdomen. Il laissa échapper un soupir et recula.
— PAPA !
Charlie descendit les dernières marches, téléphone en main, alors que son père tombait à genoux au sol. L'homme devant lui se redressa et donna un coup de pied qui fit tomber Elara sur le dos. Il releva alors les yeux vers Charlie, et son sourire revint. Il fit un pas vers le père, la main tendue, prêt à lui donner le coup de grâce. Le hurlement qui déchira la gorge de Charlie fit trembler les murs, alors que les tables et les chaises s'élevaient et se dirigeaient brutalement sur l'intrus. Le chaos dans la pièce ne dura que quelques secondes, mais lorsque le calme revint, tous les meubles étaient explosés contre le mur, et l'homme n'était plus là. Charlie regarda autour d'elle, confuse. Le grommellement de son père la poussa à se précipiter vers lui alors qu'il se redressait en position assise.
— Ne bouge pas, ne bouge pas,...
— Ça va aller, Char'. Ça va aller.
— J'ai appelé les secours, fit-elle, paniquée, ils arrivent, ils...
Alors qu'elle prononçait ses mots, les portes de la tavernes s'ouvrirent sur la lumière de la lune, et les soldats entrèrent, constatant le chaos, et la fille et le père en mauvais état dans le coin de la pièce. Ses yeux remplis de larmes, Charlie sentit la vague de soulagement envahir son corps, et ce fut comme si tous ses muscles se relâchaient d'un seul coup. Elle s'effondra sur le parquet brisé, inconsciente.
***
C'est le bruissement des draps qui réveilla Charlie de sa somnolence. Elle se redressa et posa sa main sur ses jambes repliées sur le fauteuil de la chambre d'hôpital, tendant l'autre vers son père qui s'éveillait doucement. A la porte, un soldat en tenue bleue et dorée se tourna également et passa sa tête à l'extérieur pour demander une infirmière.
Voilà plusieurs heures qu'elle s'était réveillée après s'être évanouie, et avait immédiatement demandé à voir son père. On l'avait conduit ici et elle avait attendu que son père se réveille. Savoir qu'il n'avait pas succombé à l'attaque de celui qui s'était introduit chez eux l'avait rassurée, suffisamment pour s'endormir dans le fauteuil inconfortable de l'hôpital de Valaris.
— Charlie...
La main d'Elara tatillonna un moment avant que la blonde ne passe la sienne entre ses doigts.
— Je suis là. Je suis là papa.
Enfin, il parvint à ouvrir suffisamment les yeux pour tourner la tête vers sa fille et serrer sa main.
— Tu vas bien. Tu vas bien ?
— Oui, le rassura-t-elle en souriant, ne t'en fait pas pour moi. Toi, ça va ?
Il glissa sa main sur le visage de sa fille, un sourire s'afficha sur son visage, défiguré par une grimace quand il tenta de se redresser.
— Mieux, j'imagine. Ça fait un mal de chien.
— Il faut que tu te reposes. Je crois qu'ils veulent nous poser des questions. Tu as parlé avec lui non ? Qu'est-ce qu'il voulait ? Pourquoi s'attaquer à la taverne ?
— C'est...
La porte s'ouvrit sur le soldat, en compagnie d'un fae guérisseur et d'une femme, vêtue des mêmes couleurs que le soldat, mais dans un uniforme plus élégant et stricte, avec un long manteau dont le col remontait jusqu'à sa nuque. Elle s'approcha avec une démarche emplie de charisme qui aurait pu faire trembler Charlie.
— Bonjour Elara, bonjour Charlie.
— Génial, soupira Elara en reposant sa tête sur l'oreiller. Bonjour Tindra.
La femme sourit et tendit la main vers Charlie.
— Enchantée Charlotte, je suis l'inspectrice Tindra Fern, une vieille amie de ton père.
— « Amie » n'est pas le terme que j'utiliserais pour désigner celle qui m'a volé toutes mes victoires au RenCross...
L'inspectrice Fern sourit et secoua la tête. Elle connaissait son prénom, et Charlie se demandait si elle avait connu sa mère également, lorsqu'elle était plus jeune. Cette pensée fit éclore une nostalgie dans son cœur.
— Ton père est un peu rancunier. Bien. Malheureusement, je ne suis pas là pour parler du temps passé. Est-ce que vous pouvez m'expliquer ce qu'il s'est passé hier ?
Charlie commença par expliquer l'apparition de la silhouette, puis son père prit le relai pour parler de ce qu'il s'était passé ensuite, de son combat avec l'intrus et de ce qu'il avait dit.
— Il était à la recherche de Charlie. Un fae de la lune à la recherche d'une fée de la lune. Je ne comprends pas, n'ont-elles pas toutes disparu ?
— D'après ce que l'on sait, oui, il y a deux ans, les fées de la lune ont toutes été décimées, mais les personnes comme elle qui ne vivaient pas avec les autres fées de la lune y ont échappé, elle n'est pas la seule à avoir été épargnée. Cependant, depuis quelques mois, les quelques fées de la lune que nous gardions en sécurité... disparaissent.
— Oh et vous n'avez pas jugé utile de me prévenir pour que Charlotte soit également en sécurité ? s'insurgea Elara.
Charlie se figea et fronça les sourcils, tentant de faire le tri dans toutes les informations débitées devant elle. Elle leva les mains.
— Je ne comprends pas, quelqu'un en a après mon type de magie ? Pourquoi ?
L'inspectrice tourna la tête vers Elara et il hocha la tête.
— Il semblerait que les fées de la lune soient dotées d'un pouvoir particulier que le Chasseur d'Ombres, le fae qui s'est introduit chez vous hier soir, cherche à récupérer. C'est tout ce que l'on sait pour le moment, on ne comprend pas encore très bien pourquoi, à quoi il peut bien aspirer ou quel est ce pouvoir qu'il veut tant conserver. Quoi qu'il en soit, tu es désormais en danger. Il reviendra pour toi. Pourquoi est-ce qu'il est parti d'un seul coup ? Il n'a pas pour habitude de laisser des témoins.
Charlie pencha la tête en avant et essaya de rassembler ses souvenirs. Elle se remémorait la haine et la peur qui l'avait envahie, et soudain, les meubles qui s'envolaient.
— De la télékinésie, expliqua Tindra. C'est très rare qu'une fée de la lune développe la télékinésie à partir de son pouvoir gravitationnel sans entraînement, et surtout à ton âge. Il ne devait pas s'attendre à autant de puissance, et cela explique pourquoi tu es tombée dans les pommes. Utiliser autant de magie a épuisé ton énergie.
Charlie se laissa tomber dans le dossier du fauteuil. Elara, pendant ce temps, se releva doucement.
— Quel est le plan, alors ? Vous ne comptez quand même pas la laisser être sa cible sans rien faire ?
—Évidemment que non, le rassura-t-elle en sortant de sa poche un prospectus violet, nous sommes sur les traces du Chasseur d'Ombres, mais pour le moment, la meilleure option pour Charlotte est d'aller dans l'endroit le plus sûr de toute la galaxie.
Elle tendit le prospectus à Charlie. Il indiquait en gros sur la page principale le nom de « Simarth, l'Académie des Fées ». Elle plissa les yeux.
— L'endroit le plus sûr est une école de bourges.
— Ce n'est pas qu'une école, indiqua Elara en tournant la tête vers Charlie. C'est la plus grande école de magie de la galaxie, et la seule reconnue partout. Il n'y a que les riches, les royaux et les génies qui y vont.
— Ou ceux qui ont un certain talent en arts martiaux féeriques, ajouta inspectrice Fern. On sait toi et moi que tu n'y es pas entrée pour ton génie. C'est l'endroit le mieux gardé de tout Austera, là-bas, tu suivras les cours comme n'importe quel étudiant et tu feras en sorte de rester la plus discrète possible. La plupart des fées ne savent pas ce que ton type de magie implique, mais il vaut mieux que tu apprennes à contrôler ce que tu as débloqué hier, pour éviter tout incident.
Charlie prit une grande inspiration, ses sourcils s'élevèrent alors qu'elle secouait la tête. Elle ne s'imaginait pas être forcée à entrer dans une école dans laquelle elle s'était résolue à ne pas aller. Ses résultats lorsqu'elle était encore à l'école étaient bien trop insuffisants, et elle n'était désormais qu'une serveuse comme une autre. Jamais elle n'aurait pensé que les portes s'ouvriraient pour elle pour faire de cet endroit son bunker. Elle n'aurait jamais pensé non plus qu'un fae la traquerait et tenterait de la tuer, elle et son père, pour une magie qu'elle n'avait jamais pu développer à sa guise.
Charlie appréciait sa magie, notamment lorsqu'elle s'amusait à invoquer les animaux nocturnes spirituels avec lesquels elle pouvait pallier sa solitude. Mais jamais elle n'avait pu, dans son école plus que normale ou dans sa vie de tous les jours, développer ses capacités au point où elle pourrait les utiliser comme les fées qui entraient dans les rangs des armées de planètes, celles qui devenaient médecins, enseignantes, ingénieures,...
— Pour combien de temps ? demanda-t-elle.
— Jusqu'à ce que la menace du Chasseur d'Ombres soit éloignée. Si tu parviens à passer les examens de fin d'année, j'imagine que même sans sa menace, tu pourras te réinscrire l'an prochain si tu le souhaites. Mais pour le moment, concentre-toi sur la maîtrise de tes pouvoirs et la discrétion. C'est tout ce qui importe, pas de pression.
Donc on lui offrait une opportunité d'entrer dans l'Académie de Simarth, sans pression, mais si elle le souhaitait, elle pouvait poursuivre. Sans aucun doute, l'anxiété monta en elle très rapidement et elle secoua la tête pour l'éloigner le plus rapidement possible. C'était pour sa sécurité qu'elle y allait, rien d'autre. Elara montra plus de réalisme.
— Quand comptez-vous l'y emmener ?
— Ce soir.
Charlie laissa échapper un halètement de panique et tourna la tête vers son père. Elle n'avait aucune envie de le laisser, surtout avec la destruction de la taverne, autrement dit, l'unique revenu d'Elara. Mais le regard de ce dernier était tourné vers le prospectus, et il semblait être parfaitement d'accord avec cette idée.
— Nous l'emmènerons chez vous pour qu'elle puisse faire ses valises et nous partirons ensuite. Je vais vous laisser entre vous pour vous dire aurevoir. Je t'attends dans le couloir, Charlotte.
À ces mots, elle se détourna et s'éloigna. Charlie se retourna vers Elara.
— Non. Non papa, c'est pas possible, je vais pas te laisser dans un moment pareil, tu as besoin de moi !
Elle se leva et croisa les bras sur sa poitrine. Du haut de son mètre soixante, elle avait l'air d'une enfant boudeuse, mais son regard noir étouffait cette vision.
— Charlie, fit-il d'un ton rassurant, Simarth est le seul endroit où je suis sûr que tu seras en sécurité, et je ne veux pas risquer que le Chasseur d'Ombres te retrouve. C'est ce qu'il y a de mieux pour toi.
Elle soupira et se détourna, s'approchant de la fenêtre. En face, dans l'espace vert construit au centre de la cour de l'hôpital, un magnolia donnait ses fleurs. Ses branches sombres étaient camouflées derrière l'abondance de pétales roses qui s'envolaient dans la brise, signe de la fin de son cycle floral.
— Si tu ne veux pas y aller, Char', je peux parler à Tindra et ...
— J'irai, le coupa-t-elle.
Charlie sentait une boule d'angoisse grandir dans sa poitrine. Elle savait qu'elle n'avait pas vraiment le choix, mais accepter cette réalité était une autre affaire. Elle revoyait les éclats du combat, la peur dans les yeux de son père, et l'effroi qui l'avait paralysée. Comment pouvait-elle fuir alors que tout ce qu'elle connaissait s'effondrait autour d'elle ? Mais en même temps, quelque chose en elle, une petite voix qu'elle n'avait pas entendue depuis longtemps, lui murmurait qu'il était temps de faire un pas en avant, de prendre ce qu'on lui offrait, même si cela l'effrayait. Elle revint vers le lit d'hôpital.
— J'irai à Simarth si ça peut éviter que tu te fasses éventrer par une espèce de chauve-souris humaine.
Elara sourit et tendit la main vers sa fille. Elle s'assit sur le lit et joignit sa menotte à la sienne, le laissant flatter le dos de sa main de son pouce à la peau endurcie.
— Je ne veux pas que tu te forces.
— T'en fais pas, papa. Je survivrai. Et puis, ajouta-t-elle en dodelinant de la tête, si ça se trouve, je m'intégrerai super bien au milieu des riches et royaux : tu as bien été là-bas, toi.
Son père rit de bon cœur et ouvrit les bras en l'invitant dans son étreinte. Elle enfouit son visage dans son épaule et ferma les yeux, inspirant son parfum familier mêlé à l'odeur âcre de l'hôpital. La porte de la chambre s'ouvrit à nouveau sur Tindra Fern et Charlie jeta un regard à son père. Il sourit.
— Appelle-moi quand tu es arrivée, d'accord ?
Elle hocha la tête et se leva pour suivre l'inspectrice, peinant à couper le contact avec la main d'Elara.
Le couloir était tout aussi triste et morne que la chambre. Charlie rejoignit Tindra qui jouait avec un briquet doré sur lequel étaient gravées ses initiales.
— On va passer chez toi pour récupérer tes affaires.
— Je pourrais appeler mon père depuis Simarth ?
L'inspectrice fronça les sourcils en s'engageant vers la sortie de l'hôpital de Valaris.
— Ce n'est pas une grotte. Tout le monde a un téléphone ...
Charlie redoutait ce moment, et lorsqu'elle se retrouva enfin devant la porte de sa chambre, l'angoisse l'envahit totalement. Même sa chambre lui semblait étrangère. Plus rien ne semblait à sa place, et elle n'avait fait que prendre des objets au hasard en espérant qu'ils lui seraient utiles : ses vêtements préférés, ses chaussures, ses guirlandes de lumières, son miroir en forme de soleil, des photos,... Alors qu'elle fermait sa valise, la vue de sa vieille peluche de dragon bleu raviva en elle un mélange de nostalgie et de résignation. Elle avait du mal à remonter la fermeture, mais elle ne pouvait s'empêcher d'y ajouter cette peluche, ainsi que des bijoux qui avaient appartenus à sa mère. Finalement, elle descendit les marches et rejoignit la berline noire garée devant la taverne encore marquée par le chaos de la veille. Ses yeux se plissèrent sous le soleil, qui lui semblait ne pas être le bienvenu dans cette situation. Tindra rangea son briquet dans sa poche en ouvrant la portière à Charlie pendant qu'un soldat allait ranger sa valise dans le coffre.
— Ne perdons pas plus de temps. Tu es attendue.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro