𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝐂𝐈𝐍𝐐 ✦ 𝑪𝒉𝒂𝒓𝒍𝒊𝒆
Charlie laissa tout son corps tomber dans son lit lorsqu'elle rentra dans la suite Magnolia. Toutes les émotions du cours de Magie Élémentaire avaient drainé son énergie. Anitta Nesanhur avait eu raison de lui conseiller d'aller se reposer, au vu de la migraine qui s'installait dans son esprit. Seule la lumière douce de sa veilleuse en forme de lune lui semblait supportable. S'il y avait une chose que Charlie avait retenu de ce cours, c'était qu'elle était loin d'être prête à rejoindre cette école, et elle se sentait de plus en plus recluse par rapport aux autres élèves. Elle n'était ni douée à l'école normale, ni douée en magie. Il n'y avait que lorsque son père était en danger qu'elle avait su se défendre en l'utilisant.
Peu à peu, sa vision se brouilla de larmes. Elle attrapa sa peluche dragon et ferma les paupière, se laissant aller à ce sommeil qui l'attirait vers l'obscurité. Une obscurité étouffante, qui emplit ses poumons d'un air glacial. Ses yeux s'ouvrirent sur une bordée d'arbres sombres et un sentier sinueux. Il n'y avait rien d'autre que la nuit noire et sans étoiles.
Sur le bord du chemin, une fleur attira son attention. Bleue comme un saphir, elle luisait comme une étoile, se distinguant clairement dans l'ombre. Charlie s'en approcha, et une autre s'ouvrit dans un bruissement de feuilles à un mètre de là, illuminant le chemin de terre. Très bien, s'il fallait qu'elle aille quelque part, elle suivrait le chemin. Avec prudence, elle avança, et comme elle l'avait prédit, les fleurs continuèrent à s'ouvrir sur son passage.
Mais elle sentit rapidement qu'un regard était posé sur elle. Un regard oppressant qui venait d'entre les larges arbres.
— Tu es si loin de chez toi, petite fée.
La voix qui résonna dans toute la forêt la força à s'arrêter net dans sa marche. Elle regarda autour d'elle et saisit les contour indistinct d'une silhouette sur la gauche. Mais elle disparut aussitôt, et Charlie recula d'un pas.
— Qui est là ?
Elle voulut se frapper tant sa phrase était typique des films d'horreurs.
— Ici, personne ne te comprend, continua la voix, personne ne peut te protéger. Ils te mentent tous, te cachent la vérité, mais moi... moi, je veux seulement ton bien.
Elle serra les dents et secoua la tête, les poings serrés.
— C'est faux, ils me protègent.
— Vraiment ? ricana l'ombre qui passa devant ses yeux. Tu n'es pas en sécurité à Simarth. Ils pensent pouvoir te cacher, mais je te retrouverai, où que tu sois. Tu ne devrais pas leur faire confiance, Charlie. Ils veulent utiliser tes pouvoirs, tout comme les autres avant toi. Les autres fées de la lune... elles n'ont pas écouté, et regarde où ça les a menées.
Il y eut un silence, lourd de sous-entendus, avant que la voix ne reprenne, plus douce, presque caressante.
— Je ne veux pas que tu souffres, Charlie. Mais si tu restes ici, il sera trop tard. Viens à moi, et je te protégerai. Nous pourrons éviter le même sort pour toi. Sinon, tu rejoindras les autres... et tu finiras seule, dans l'obscurité.
— Le Chasseur d'Ombre...
La réalisation lui venait un peu tard, et le corps de celui qui avait renversé la taverne du Guerrier de Feu se matérialisa devant elle, à la lueur de la fleur luminescente la plus éloignée de Charlie.
Il leva la main et elle avança, sans même s'en rendre compte, surtout sans le vouloir. Son guide disparut à son approche. Elle pénétra dans une clairière où toutes les fleurs s'ouvrirent petit à petit, comme un millier de lanternes saphir.
Le silence était assourdissant, comme si toutes les créatures nocturnes retenaient leur souffle.
Tout à coup, la lumière s'intensifia, projetant des ombres longues et sinistres. Lentement, des silhouettes commencèrent à émerger de cette lumière. Elles étaient là, se dessinant tout autour de Charlie, à peine perceptibles au début, mais devenant de plus en plus distinctes à mesure qu'elles s'approchaient. Elle voulut reculer, mais une force invisible l'en empêchait.
Les fées de la lunes s'avançaient, leur pas léger, comme si elles lévitaient au-dessus du sol. Leur peau était d'une pâleur éthérée, presque translucide, scintillant faiblement dans la lumière végétale. Leurs cheveux flottaient autour de leurs visages, encadrant deux orbes d'un blanc, sans pupilles, brillant d'une lumière spectrale, comme deux lunes miniatures dans chaque visage.
Elles ne parlaient pas, mais leur silence était plus oppressant que le plus terrifiant des cris. Charlie sentait leur pouvoir ancien, leur souffrance passée, et une faim insatiable qui semblait émaner de chacune d'elles.
Puis, sans avertissement, elles avancèrent, se rapprochant d'elle en un mouvement fluide et inexorable. Leurs bras graciles, aux doigts longs et diaphanes, se tendirent vers Charlie, les paumes ouvertes dans un geste qui semblait presque réconfortant, mais dont la menace était palpable. Elle était paralysée par la peur.
Les fées de la lune se refermèrent sur elle, leurs doigts glacés se posant sur sa peau, et une sensation d'étouffement la submergea. C'était comme si l'air se retirait de ses poumons, remplacé par un froid glacial qui la vidait de toute chaleur, de toute vie. L'éclat de leurs yeux devenait de plus en plus intense, jusqu'à ce qu'elle ne voie plus rien d'autre que cette lumière oppressante.
Elle allait crier, et soudain, elle se redressa sur son lit, tremblante, encore envahie par la peur et cette force qu'elle croyait encore présente en elle. Une voix appelait son nom. Elle sursauta lorsqu'elle vit Jules penchée sur elle.
— Ça va aller, Charlie. Tu faisais un cauchemar.
Charlie passa une main fébrile sur son front humide, tentant de calmer les battements frénétiques de son cœur. Sa camarade de chambre lui tendit un linge frais qu'elle avait mouillé à l'eau du lavabo, et elle s'en servit pour raffraichir son visage.
— Qu'est-ce que tu fais là ?
— J'ai ressenti ton rêve. Peu de gens dorment à onze heures du matin. Et peu de gens font des cauchemars aussi bouleversants. Tiens, bois-ça.
Charlie s'assit en tailleur et se saisit de la boisson que Jules lui tendait, un verre de jus de fruits de teinte orangée.
— C'est un jus d'Elpigaïa, il aide à calmer les esprits agités.
Le liquide sucré et légèrement épicé coula dans sa gorge, apportant une chaleur réconfortante à son estomac.
— Merci, murmura-t-elle, se sentant légèrement mieux.
— Ces fruits sont spéciaux. Ils proviennent des jardins d'Elpigaïa. Ce jus aide à équilibrer les émotions et à clarifier l'esprit. On les utilise surtout pour la méditation mais... C'est pas mal après une nuit agitée aussi.
Jules sourit et Charlie reprit sa grimace. Pourtant, la peur demeurait, tapie au fond de son esprit. Jules semblait lire en elle comme dans un livre ouvert.
— Tu as vu ce qu'il s'est passé ?
— Non, si je ne fais pas exprès, je peux seulement ressentir ton songe. Et je ne le fais jamais sans consentement.
La fée de la lune hocha la tête, reconnaissante. Elle préférait que ses rêves restent à elle, s'il existait déjà des fées capables de lire son esprit éveillé.
— Charlie, dit doucement Jules, je sens que quelque chose te tracasse bien plus qu'un simple cauchemar. Tu peux me faire confiance.
Charlie hésita. La tentation de tout révéler était forte, mais la peur de trahir un secret si dangereux la retenait. Finalement, elle baissa les yeux et murmura :
— Je veux bien te parler... mais tu dois me promettre de ne rien dire à personne. Pas même à Drew, ni à Nikko.
— Bien sûr, évidemment. Raconte-moi.
Alors, Charlie lui confia tout, à commencer par l'attaque au Guerrier de Feu, et sa visite à l'hôpital, en continuant avec l'inspectrice Fern et son arrivée précipitée à Simarth pour la protéger.
Jules resta silencieuse pendant un moment après que Charlie ait terminé de lui raconter son histoire. Sa véritable histoire. Ses yeux sombres étaient fixés sur elle, analysant l'ampleur de chaque mot, chaque émotion qui avait transpercé sa voix tremblante. La fée des songes semblait peser soigneusement la gravité de ce qu'elle venait d'apprendre. Ses traits, d'ordinaire si doux et rassurants, étaient tendus dans une expression d'inquiétude profonde.
— Charlie, commença-t-elle sur un ton à la fois doux et ferme, ce que tu viens de me dire... c'est extrêmement sérieux. Je veux dire, si ce... Chasseur d'Ombres est à ta suite, oui, je comprends mieux pourquoi cette inspectrice t'as placée ici. Mais tu n'es plus seule désormais, tu peux compter sur Simarth pour prendre soin de toi. Sur nous. Sur moi.
Charlie s'adossa contre le mur derrière elle, les mains crispées sur son verre vide désormais.
— Je n'ai pas l'impression d'être plus en sécurité. C'est peut-être idiot mais... S'il a pu m'atteindre dans mes rêves, qui sait ce qu'il peut faire pour traverser les barrières de sécurité. Et je n'imagine même pas ce qu'il pourrait faire à l'école s'il y parvenait.
Jules secoua la tête et posa une main sur le genoux de sa colocataire.
— Je ne laisserai rien t'arriver. Pas tant que je serais en vie.
Elle fit une moue et Charlie pencha la tête de côté.
— À quoi tu penses ?
La fée des songes leva son index et se leva. Elle se dirigea vers son coin de la chambre, faisant vibrer les feuilles accrochées ici et là, ses travaux au crayon à papier. Elle se pencha et ressortit de sous son lit avec un petit coffre en bois orné de gravures anciennes que Charlie ne pouvait déchiffrer. De l'ancien elpigaïen. Elle en sortit un petit cristal irisé et une fine corde noire. Le cristal semblait capter et refracter la lumière en mille teintes vives. Revenant vers Charlie, elle la fit ouvrit la paume de sa main et l'y déposa.
— Mon père, Altaïr, me l'a donné en cadeau pour mes seize ans, expliqua Jules, il amplifie les protections naturelles et éloigne les présences maléfiques de ton esprit. On l'utilise pour canaliser les pouvoirs des fées psychiques et des songes, comme moi. Garde le toujours sur toi, surtout quand tu dors. Les rêves peuvent être un territoire dangereux quand on ne sait pas les contrôler. Et il est facile d'en faire une arme pour ceux qui te veulent du mal.
Charlie referma les doigts sur le cristal, fascinée par sa lumière. Jules traficota le lien en quelques secondes pour qu'il entoure l'objet magique, et la fée de la lune put l'accrocher à son cou. Une chaleur douce se répandit sur sa poitrine, contrastant avec le froid qui semblait encore habiter son être.
— Merci, Jules. Mais c'est un cadeau de ton père, tu ne peux pas...
— Oh ne t'en fais pas, je suis une princesse, assura-t-elle en haussant les épaules, des cadeaux j'en reçois plein.
Elle rit et Charlie l'accompagna, enfin sereine. Elle inspira et l'aura du cristal sembla entourer son esprit. Son effet semblait immédiat.
— Tout ça est si effrayant, soupira-t-elle, repliant les jambes et les entourant de ses bras, l'académie, le Chasseur d'Ombre,... J'ai l'impression que ça me dépasse, et de loin.
— Tu n'as pas à porter ce fardeau toute seule, Charlie. Et ne t'inquiètes pas, je ne dirais rien tant que tu ne seras pas prête, comme promis. Mais il faudra peut-être que nous en parlions à un moment donné. Il est essentiel que tu arrives à maîtriser tes pouvoirs, et peut-être que certains professeurs pourraient t'apprendre à mettre des barrières à ton esprit pour éviter ce genre d'intrusion. Plus tu en sauras, mieux tu pourras te défendre, et plus nous pourrons te protéger.
Charlie sentait sa peur s'atténuer peu à peu, remplacée par une détermination naissante. Elle comprenait maintenant qu'elle ne pouvait plus se permettre de rester passive, car elle n'avait pas le droit de se laisser mourir ainsi, comme toutes ces fées qui avaient tenté de l'étouffer dans son cauchemar. Si elle devait rester ici encore longtemps, autant profiter de l'apprentissage à Simarth.
Il ne s'agissait plus de se protéger, mais d'apprendre, de grandir, et de se préparer à ce qui l'attendait, car ceux qui prétendaient la défendre ne seraient peut-être pas toujours présents.
Jules, de son côté, réfléchissait déjà à la meilleure façon de protéger Charlie, mais surtout, de la soutenir dans son apprentissage. Elle savait que la fée de la lune avait un grand potentiel magique, comme le lui avait appris Anitta Nesanhur quand elle lui avait fait part de l'évènement du cours de Magie Elémentaire. Mais ce potentiel qui s'était manifesté était dangereux s'il n'était pas maîtrisé. Il ne fallait pas qu'elle succombe aux ténèbres qui semblaient déjà la pourchasser.
— J'ai une idée, dit Jules, brisant le silence. Pourquoi ne pas commencer dès maintenant ? Je peux t'enseigner quelques exercices simples pour renforcer ton esprit et tes barrières mentales. Ce n'est qu'un début, mais cela te permettra de reprendre un peu le contrôle sur ce que tu as vu dans ton sommeil.
Charlie hésita un instant, puis hocha la tête.
— D'accord, tant que tu ne m'obliges pas à refaire apparaître mes pouvoirs, je ne suis pas encore prête.
— Rien de tout ça, ne t'inquiètes pas. Mais en parlant de ça, tu vas devoir t'y remettre, Anitta a déjà prévu quelques cours particuliers pour toi. Elle t'enverra un message quand elle sera prête.
Jules se leva et alla fermer les rideaux, plongeant la pièce dans une semi-obscurité. Elle invita Charlie à la rejoindre au centre de la chambre, sur le tapis à motifs ancestraux. Elle s'y assit en tailleur, et la fée de la lune fit de même.
— Ferme les yeux, commença-t-elle, concentre-toi sur ta respiration. Sens l'air entrer et sortir de tes poumons, lentement, calmement. Chaque inspiration t'apporte de l'énergie pure, et chaque expiration chasse les peurs et les doutes.
En exécutant les ordres de Jules, Charlie se laissa porter par le rythme lent et régulier de sa respiration. Petit à petit, elle sentit son corps se détendre, et sa conscience s'apaiser.
— Bien. Maintenant, poursuivit Jules d'une voix douce et apaisante, imagine une lumière argentée qui émerge de ton cœur. Cette lumière représente ton énergie féerique, ton lien avec la lune. Visualise-la qui s'étend doucement, remplissant chaque recoin de ton être, te réchauffant, te protégeant.
Charlie visualisa la lumière argentée, douce et apaisante, qui émanait de son cœur. Elle se sentait enveloppée dans un cocon de sécurité, à l'abri des ténèbres extérieures. Un sourire se dessina sur son visage à mesure qu'elle se sentait en paix avec sa magie.
— Continue de te concentrer sur cette lumière, murmura Jules. Elle est ta barrière, ton bouclier. Rien de malveillant ne peut la franchir. Chaque nuit, avant de t'endormir, fais cet exercice. Il renforcera ton esprit et te préparera à affronter ce qui pourrait essayer de pénétrer ton sommeil.
Charlie réouvrit les yeux, et elle vit une Jules satisfaite face à elle.
— Comment ça peut marcher ? Je ne suis pas une fée psychique.
— Moi non plus. Mais la paix de l'esprit est la clé de toute utilisation de la magie des fées. N'importe quelle fée peut faire ce genre d'exercice pour se donner un peu plus de force ou de protection. C'est là tout le mystère de notre magie : elle n'est pas qu'un outil, c'est un être vivant à l'intérieur de nous.
Charlie posa une main sur son cœur. Elle se sentait étrangement plus revigorée, plus en paix. La terreur du cauchemar s'était estompée pour laisser place à un calme tranquille.
— Merci, Jules.
— C'est un bon début. Nous allons prendre les choses un pas à la fois. Et je serai là, à chaque étape. N'oublie jamais que tu as en toi la force de surmonter tout cela.
Charlie hocha la tête, convaincue pour la première fois depuis longtemps qu'elle pouvait non seulement survivre à cette épreuve, mais aussi en sortir plus forte.
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