Chapitre 14
On a continué notre voyage à travers les champs sur nos vélos, riant et criant dans les descentes, pestant quand il fallait remonter les pentes. J'étais heureux, je crois.
Mon cerveau ne pensait qu'à Leo. Leo et son sourire, Leo et sa patience, Leo et sa gentillesse. Je le voulais à moi et en même temps je ne m'en sentais pas capable. Pas capable d'assurer, d'être à la hauteur de ce garçon si incroyable. Il avait ses défauts, oui. Il était un peu maniaque et trop timide, se pliant en quatre pour les autres.
Je crois que plus je commençais à le connaître, plus il avait l'air fragile, prêt à se briser sous mes mains.
J'avais envie de crier dans le vent, les pieds sur les pédales, oui, lui dire qu’il me plaisait aussi. J’avais envie de pleurer aussi, parce que j’étais vachement fatigué et que ça ne passait pas.
On est rentré chez moi, Tristan nous attendait dans un vieux transat. Ma mère cuisinait. Leo a posé son vélo contre la clôture du jardin et m’a serré dans ses bras. Son souffle dans mon oreille. Ses mains sur mon dos. Oui, je l’aimais. Personne n’avait jamais fait battre mon cœur à cette vitesse. Personne ne m’avait encore parlé comme il l’avait fait. Personne, non, personne.
“-À demain, Cole.
-À demain, Leo.”
On s’est regardé un instant. Je voulais l’embrasser. Il le voulait peut-être aussi. Mais, trop enfermés dans nos peurs, ni lui ni moi n’avons fait le premier pas.
Et seul, dans ma chambre, je décidais d’envoyer un mail à Froggie. En vérifiant que personne ne m’avait écrit, je tombais sur un nouvel email. De Froggie.
“Salut Collie,
Tu vas trouver ça un peu bête mais je me suis rapproché avec la fille dont je te parlais la dernière fois alors c'est compliqué de te trouver du temps tranquille pour t’écrire. Mais t’en fais pas, je t’ai pas oublié!
Comment ça va depuis ce week-end? [. . .]”
Je suis resté à fixer mon écran un instant. Puis je suis descendu, sans répondre à Froggie, dans un état second. Tristan fixait son téléphone en souriant. Ma mère venait de mettre la table, une délicieuse odeur se dégageant de la cuisine.
Le temps a filé ce soir là. On a regardé un film avec Tristan, Deliah et ma mère, puis je suis monté dans ma chambre. Je me suis installé sur le balcon, pour regarder la pluie tomber des gros nuages gris. C'était l'orage.
Je me suis assis sur le rebord de ma fenêtre avec mon ordinateur et j'ai commencé à faire des recherches.
Encore et toujours.
Le lendemain, Tristan était debout avant moi, ses cheveux bruns en bataille et son café dans la main.
“-Bonjour, Karen.”
Il a dit d'un ton épuisé.
“-Tristan, faut que je te demande quelque chose…”
Mon cousin s'est assis sur le canapé.
“-J'écoute.
-Je voudrais… enfin, si c'est possible… et pas devant ma mère… Enfin, je veux dire…
-Abrége, Karen.
-Je voudrais que tu m'appelles Cole et que tu utilises le masculin…”
J'ai lâché. Tristan n'a pas eu de réaction. Et justement, ça m'a rassuré. S'il me détestait ou me trouvait dégoûtant, il m'aurait crié dessus. Et il ne l'avait pas fait.
“-Attend, Kar- Cole… tu… tu es…”
Bon, c'était trop pour moi, en fait. J'ai fondu en larmes.
“-Je sais pas, me demande pas, c'est trop dur… j'arrive pas à savoir si je suis transgenre, tu comprends?”
J'ai hoqueté.
“-Eh, calme toi, ça va aller, je sais que c'est pas facile…”
Et ses bras ont enserré ma taille pour me rassurer. D'abord Leo, puis Tristan… mais cette fois tout mon courage était parti. Je me suis dégagé de Tristan et je me suis enfui dans le jardin, enfourchant mon vélo, en tong, pas coiffé ni maquillé, pour pédaler jusque chez Leo.
Qui m'a ouvert la porte, incrédule.
Qui m'a pris dans ses bras, doucement, pour calmer mes larmes.
Qui m'a murmuré des mots doux dans l'oreille.
Qui m'a amené à l'intérieur, me serrant toujours dans ses bras fins. Peut-être un peu trop fins.
Je ne pouvais pas faire autre chose que pleurer, pleurer, pleurer.
Une fois que je me suis calmé, Leo m'a amené un verre d'eau, et m'a embrassé le front.
“-Qu'est-ce qui vient de se passer, Cole?”
Il a demandé doucement.
“-Je l'ai dit à Tristan et j'ai paniqué….
-Allez, c'est passé maintenant. Tout va bien. Tu es en sécurité. Tu as ton téléphone ?
-Oui…
-Alors appelle ta mère et dit lui que tu restes à la maison aujourd'hui.
-Mais…
-Pas de mais, Cole.”
Il a souri. J'étais déjà en train d'appeler ma mère de toute façon.
Une fois l'appel fini, je me suis retourné vers Leo, en grande discussion avec une femme magnifique qui lui ressemblait étrangement. Brune, élancée, élégante, elle était tout ce que le père de Leo n'était pas.
“-Cole, je te présente ma mère. Elle est écrivaine et peintre.”
J'ai hoché la tête sans même quitter des yeux mes pieds. Ah, ils étaient beaux, mes pieds. J'étais encore en tongs et je saignais un peu à cause des pédales. Il l'a remarqué.
“-Cole, tu es blessé. Vient ici, on a une pharmacie.”
Je l'ai suivi docilement, ma main dans la sienne. On a traversé le grand salon, monté plusieurs étages, et, arrivés au troisième, le dernier, il a stoppé devant une porte avec écrit “Leo Salton” dessus. C'était son étage ?
“-Tiens, rentre le premier.”
J'allais voir la chambre de Leo. J'ai brusquement rougi, et je suis rentré. Mes pieds nus ont senti quelque chose de doux, un tapis, oui, il avait un grand tapis en moumoute ou quelque chose dans le genre sur le sol. Sa chambre était grande et lumineuse, avec une mezzanine. On voyait la forêt et ses grands arbres depuis la fenêtre.
Leo a pris un petit paquet de pansements et du désinfectant, ainsi que quelques compresses, et a désigné son canapé d'un geste de la tête.
“-Assied toi.”
Il a commencé à nettoyer mes égratignures, doucement, délicatement, ses doigts effleurant la peau de mes chevilles.
“-Tu t'es pas loupé…”
Il a murmuré. Puis il a mis les pansements, avant de remonter sur ses jambes. Je me suis levé à mon tour. Leo a pris ma taille doucement.
“-Ça va aller?”
J'ai cru que j'allais mourir à cause de la proximité.
“-Ça va, t'en fais pas.
-T'es beau, comme ça, Cole.”
Il m'a souri. Son appareil. Ses lèvres abîmées. Puis plus haut, ses boutons d'acné, ses lunettes, ses cheveux bruns. Mes mains ont bougé toutes seules, effleurant sa main, enlevant ses lunettes, révélant ses yeux bruns.
“-Toi aussi.
-Non, pas moi.
-Si, Leo, je te trouve beau.”
Un silence s'est installé entre nous. J'ai souri à mon tour.
“-Parce que tu l'es.”
J'ai ajouté. Oui, j'avais le plus beau garçon de la ville en face de moi. Et il ne le voyait pas.
“-Ici.”
Ma main s'est posée sur son tee-shirt, au-dessus de son cœur. Je le sentais battre furieusement sous ma paume.
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